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Retour au bled: ceux qui reviennent
Nadir Dendoune


Lundi 22 novembre 2010

Huitième jour : une identité, ça se rattrape ?

La nuit s’installe tôt à Alger en ce début du mois de novembre. Madjid et Olivia sont déjà rentrés à Paris, emportant avec eux leur tristesse. L’Algérie est attachante malgré ses défauts. J’ai ouvert la fenêtre de ma chambre. Du balcon, je voyais la baie, encore plus belle le soir. J’étais bien. Libre et heureux, ce qui est la même chose. J’ai enfilé mon collant, ma paire de training, une veste fine et je suis sorti. L’hôtel Aurassi est placé en hauteur : c’est un long bloc blanc qu’on peut apercevoir de partout. Des gardiens-policiers se relaient 24h24h, 7 jours sur 7, obligés de montrer patte blanche pour y pénétrer. Je les ai salués et j’ai descendu la rue. Les virages se succédaient. D’autres policiers étaient en poste tout au long du chemin, gardant une multitude d’établissements gouvernementaux. J’ai pris sur ma gauche le Boulevard Mohamed Khemisti, en direction de la Grande Poste, ensuite des marches comme à Montmartre se sont dressées devant moi. Je posais mon pied avec prudence, le sol  était glissant. Au loin, les bateaux à l’arrêt étaient éparpillés de façon bordélique. L’hôtel Albert 1er, bâti par les Français, n’avait rien perdu de son charme. La pluie était venue laver la ville désertée par ses habitants. J’ai remonté la rue commerçante Larbi Ben M’hidi, du nom de l’un des responsables du FLN durant la guerre d’Algérie pour arriver devant la place Emir Abdelkader, héro incontournable algérien, ardent combattant anticolonial. Là, un Quick flambant neuf était en panne de client. J’espère qu’il finira par fermer. Comme je m’éloignais de la mer, j’ai fait demi-tour. Le vent soufflait très fort sur le vieux port, malgré ça, les températures étaient assez douces. Des bonhommes aux mines patibulaires, des Algériens mal rasés, portant des coupe-vents jaunes, s’activaient autour d’un bateau, posté à quai. Je courais le dos droit, les genoux levés, la bouche grande ouverte à la recherche de plus d’air. L’eau qui tombait du ciel venait me rafraichir le visage. J’ai pensé à tous ces kilomètres avalés, autant de blessures qui s’envolaient. J’ai accéléré, happé par le bonheur qui m’envahissait. La joie d’être là, d’avoir repris contact avec mon autre pays. A un moment, j’ai aperçu un jeune homme, les bras affalés sur le rebord, les yeux rivés sur la mer. Je l’ai dépassé puis je suis revenu, comme attiré par une force mystérieuse. De petite taille, il portait un imperméable bleu. Il restait immobile. J’ai arrêté de courir, moi qui termine toujours mes courses. Je me suis mis sur sa droite et j’ai regardé devant très loin. Je ne connaissais pas ce type, jamais vu sa gueule auparavant, ou croisé une fois son regard. Mais je savais ce qu’il se faisait là. J’ai tourné la tête, je voulais qu’il sache que j’étais présent. Rien n’y faisait. Pas une fois, il ne tourna la tête en ma direction. Je voulais lui parler, le connaitre, entendre sa voix, mais je n’osais pas. Alors, j’ai imaginé qu’il était moi. Mon père le berger n’était pas venu en France et avait décidé de rester en Kabylie s’occuper de son troupeau. Plus de cinq ans que j’essayais de débarquer en France, d’obtenir un visa, de décrocher le fameux sésame. Mon bonheur était à ce prix là. Tous mes amis avaient fait le voyage, la plupart jouait au chat et à la souris avec  la police, arrivait tout juste à joindre les deux bouts, très loin de la vie qu’ils avaient rêvé. Mais ils étaient en France, et c’était déjà beaucoup pour eux. Ca va vous paraitre stupide les camarades, mais ce soir-là, en regardant cette mer agitée, je me suis demandé si au final, mon père avait bien fait d’avoir quitté son pays. Economiquement, il n’avait pas d’autre choix. Mais sort-on jamais indemne d’un tel exil ? Quid de ses enfants ? Je me suis interrogé avec ce cerveau qui ne tient décidément pas en place : j’ai essayé de savoir si une identité ça pouvait se rattraper ? J’étais certain que pour le jeune homme sur ma droite, la question ne se posait même pas…

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Publié le 22 novembre 2010 avec l'aimable autorisation de
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Source : Le web de l'Humanité
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