|
Le web de l'Humanité
Retour au bled: ceux qui reviennent
Nadir Dendoune
Dimanche 21 novembre 2010
Septième jour : pas de quoi fouetter un arioul (âne,
en kabyle)
J’ai fait zarma durer le suspens avec vous l’autre jour alors
que la batterie de l’appareil photo du Tocard rendait son âme.
Rappelez-vous : j’avais fini au poste à cause d’un malentendu
mais aussi à cause de ma grande gueule. J’ai attendu encore et
encore qu’on vienne fixer mon cas qu’on pouvait définir comme un
outrage à un agent de Police. Depuis quelques mois, à cause
d’innombrables bavures, police partout, justice nulle part, en
Algérie, les dispositions liées à la garde à vue avaient été
modifiées. Désormais, tout tocard placé en Gav devait subir un
examen de santé. Deux flics m’ont donc accompagné chez le
toubib, une clinique située pas très loin du commissariat.
Logique. Le médecin, une femme d’une cinquantaine de balais (que
je recroiserai par hasard quelques jours plus tard à
l’aéroport), foulard sur la tête, laïcité oblige, m’a demandé
sans hésitation d’enlever mon t-shirt afin qu’elle puisse
admirer mon corps d’Algérien le plus sexy de l’année et y poser
un stéthoscope qui permet de demander au cœur si tout va bien de
son côté. Tout allait bien et on est revenus au poste avec le
certificat attestant de ma condition physique
irréprochable. Je me suis remis dans un coin où je dérangeais
personne, j’avais l’impression d’être mi-libre, mi-détenu. Ce
qui n’est pas le cas de Fadela, 100% soumise aux petits fours et
à son salaire net de 13500 euros mensuels. Au commissariat, je
pouvais me lever, sortir prendre l’air et revenir à l’intérieur.
Comme personne ne faisait vraiment attention à moi, j’ai sorti
le I-Phone pour pouvoir photographier. J’étais 300%
innocent, et en agissant de la sorte, je rétablissais la
culpabilité.
Un gradé m’a reçu, il était sympa, mais un flic gentil c’est
du vice, je connais la parodie. Bla-bla détendu et le voilà
qu’il me rassure en me disant marliche rouya, pas de quoi
fouetter un arioul, un âne en kabyle. J’ai pas été rassuré pour
autant : l’année dernière à Jérusalem en Palestine, un flic
m’avait dit la même chose et j’avais fini en prison l’heure
d’après, menotté de la tête aux pieds comme un terro. Il fallait
pour que je puisse partir libre encore deux choses : tout
d’abord, vérifier que mes empreintes ne soient pas responsables
de crimes non élucidés et dresser un PV, procès verbal. De
nouveau, j’ai quitté le commissariat avec les mêmes flics au
rôle subalterne ; au demeurant très sympa, pour le commissariat
central et rencontrer la police scientifique. Empreintes prises
des deux mains, tous les doigts, le pouce à part, puis mon
portrait sous tous les angles. De retour, j’ai été reçu assez
vite parce que je commençais à bouillir à l’extérieur et que je
l’ai exprimé haut et fort. Le flic qui prenait ma déposition
fustigeait son patron et aussi un pays qui était le sien et
qu’il avait droit de critiquer, lui. J’ai pas répondu parce
qu’il pouvait s’agir ici d’un traquenard pour que je me lâche,
j’en avais envie pourtant, et que j’aurais été encore plus dans
le yezan, la merde en kabyle. J’ai signé à l’arrache une
déposition en arabe, du chinois pour moi et je me suis barré
sans les politesses de convenance.
Partager
Retour au bled: ceux qui reviennent (9)
Retour au bled: ceux qui reviennent (8)
Retour au bled: ceux qui reviennent (6)
Retour au bled: ceux qui reviennent (5)
Retour au bled: ceux qui reviennent (4)
Retour au bled: ceux qui reviennent (3)
Retour au bled: ceux qui reviennent (2)
Retour au bled: ceux qui reviennent (1)
Le sommaire de Nadir Dendoune
Dernières mises à
jour
© Journal L'Humanité
Publié le 21 novembre 2010 avec l'aimable autorisation de
L'Humanité
|