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Retour au bled: ceux
qui reviennent
Nadir Dendoune
Mardi 16 novembre 2010
Nadir Dendoune, journaliste free lance et écrivain,
revient à Alger et raconte
Second jour : Une vie qui
avance
Tu ouvres la fenêtre et tu découvres une vue sur le port
d’Alger, une vision féérique, une envie de plonger dans le vide,
tu voudrais ne plus rien voir après ça. Le soleil était hissé à
son maximum, il était midi et un chauffeur venait de nous
déposer à l’hötel Aurassi, à dix minutes du centre ville, dans
les hauteurs de la capitale. La chambre ressemblait à un
appartement sans la cuisine ou la machine à laver, taillé pour
une famille entière, pas pour un célibataire déçu par l’amour et
qui finira sans doute seul avec des regrets de n’avoir pas su ou
pu garder celles qui l’a aimé. Je suis descendu au restaurant,
Olivia avait l’air pensive, mais heureuse. Ravie d’être revenue,
elle qui a vécu ici un bout de temps, pigiste chez El Watan.
Elle aimait descendre chaque matin la rue qui longe le quartier
El Biar et qui la déposait dans le centre d’Alger, avec tout le
long du chemin ses yeux rivés sur la mer. Une serveuse, parlant
un Français qui aurait ravi cette arnaque ambulante d’Eric
Zemmour, s’est arrêtée devant notre table pour prendre notre
commande. Après, comme c’est souvent le cas, elle nous a raconté
sa vie de galère : son exaspération, son fatalisme, ses
malheurs. Elle a dit qu’elle était venue à Paris pour
visiter ses monuments et qu’elle avait été surprise de la
pauvreté culturelle des Parisiens : j’ai pensé que c’était un
peu normal parce que les Algériens, plus dans la daube que nous,
ont davantage soif de culture, un besoin de s’évader
omniprésent. Elle a aussi parlé de tas de choses, elle en avait
gros sur la patata la nana : pouvoir corrompu, pouvoir assassin.
J’ai préféré me taire, tu voulais que je lui dise quoi ? J’étais
un privilégié, un passeport européen, une vie qui avance mais
surtout le sentiment de pouvoir être maitre de mon destin. A
défaut de lui offrir plus, je l’ai regardé en souriant. C’est
toujours difficile d’être confronté à la misère. Nous sommes
arrivés au salon du livre, placé en face du stade du 5 juillet,
après pratiquement trois quart d’heure de route, la ville est en
chantier, les embouteillages monstres. Le chauffeur, jeune
costaud de 20 balais, une pépite de sourire à lui tout seul, se
définissant comme un piloute, a limité les dégâts. Azouz Begag,
ancien ministre du gouvernement Villepin, il y a quelques
années, expliquait devant une salle pleine comment adapter avec
la plus grande fidélité un roman au cinéma. Il savait de quoi il
parlait : « le gône du Chabaa », son premier livre avait donné
naissance à un fabuleux film. Après ça, on a été ravis de voir
beaucoup de monde dans les allées : la soif de culture pour un
peuple qui a l’impression que son pays avance en reculant….
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© Journal L'Humanité
Publié le 17 novembre 2010 avec l'aimable autorisation de
L'Humanité
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