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Retour au bled: ceux
qui reviennent
Nadir Dendoune
Lundi 15 novembre 2010
Nadir Dendoune, journaliste free lance et écrivain,
revient à Alger et raconte
Premier jour : l'embeurgeoisement
Le Salon Icare à Orly Sud est très classe très cher ! Les
sièges sont confortables, la bouffe est copieuse, l’accueil des
hôtesses, très jolies au demeurant, on ne met jamais des thons
dans ce genre d’endroits, est chaleureux, le champagne est
frais, niché dans un seau rempli de glaçons. Attendre son avion
dans un tel lieu, même en période de grève, est tout sauf un
calvaire. Ce matin, comble du bonheur, le vol est à l’heure.
Avec Olivia qui m’accompagne, on s’installe timidement. Thierry
Roland, assis en face, lit le Parisien. Petit sourire et un
bonjour. Il se souvient de ma tronche : on s’était croisés au
salon du livre de Cosne-Sur-Loire il y a quelques mois. Le
commentateur de football à l’air à l’aise. Moi, un peu moins.
Comme si je n’étais pas à ma place. Un sentiment de culpabilité
aussi. Je suis Nadir Dendoune, journaliste indépendant et
auteur. Depuis quelques mois, depuis la sortie de mon dernier
livre, je suis invité dans de supers hôtels (palace cinq
étoiles), voyage en première classe : je m’embeurgeoise, malgré
moi ? Je suis né à Saint-Denis et a grandi dans une cité à
l’Ile-Saint-Denis. J’habite toujours dans cette banlieue, que j’adooooooore,
et qui change aussi de visage, grâce notamment à son
positionnement géographique: à 5mn de la gare du Nord, de
plus en plus de Parisiens ne pouvant plus vivre dans la
capitale, débarquent ici. Pour la mixité sociale, c’est tip-top,
encore faudrait-il qu’une fois en banlieue, il y ait un vrai
échange avec les populations locales. Pas encore le cas mais
puisqu’on est condamnés à vivre ensemble…Point noir : ces
nouveaux venus font grimper le prix de l’immobilier et comme
cela a été le cas ailleurs, les plus pauvres seront contraints
d’aller voir ailleurs si j’y suis.
La porte d’embarquement est juste à quelques mètres du Salon.
Je referme la porte, un peu triste, je l’avoue, le luxe, surtout
quand c’est nouveau, tu as envie de le prendre partout avec toi.
Je pars à Alger. Alger la Blanche, la capitale algérienne
surnommée ainsi parce qu’il parait qu’à l’époque les Algérois
passaient de la chaux à l’approche de chaque fête sur leur
bâtisse. Ce voyage, ce retour dans les terres de mes ancêtres a
une saveur particulière : oublier pendant quelques jours ce
climat puant qui mine le pacte républicain, ces discours
guerriers orchestrés par Sarko et ses sbires visant à diviser
les Français. Et avec les élections de 2012 qui arrivent à grand
pas, on ne doute pas que le président sortant, avide de pouvoir,
va nous rejouer le même sketch, celui qui l’avait justement
propulsé à la tête du pays en 2007. Hier, comme à chaque veille
des départs, la vie s’est accélérée : les choses qu’on avait
laissées en suspens, deviennent des trucs urgents à faire. On
court dans tous les sens, comme si on avait peur de ne pas
revenir. J’ai mis quelques affaires dans un petit sac à dos,
juste la taille qu’il faut pour pouvoir le prendre avec moi dans
l’avion. Ne pas avoir à attendre dix plombes mon bagage en
atterrissant à Alger. Hier, plusieurs personnes m’ont appelé :
ils veulent que je leur ramène de l’huile d’olive, celle de
Kabylie est réputée pour être de très bonne qualité. Moi qui
voulait revenir léger, dans tous les sens du terme. Léger dans
ma tête, parce qu’il y en a ras le casque de toutes ces
provocations. Pas une semaine sans qu’on fasse d’un sordide fait
divers un fait de société, l’Arabe, le Noir, l’immigré, les
ennemis de l’intérieur. Faire flipper la France. Pourquoi on ne
parlerait pas des choses qui nous réunissent pour une fois ?
Partir quelques jours, souffler. Je ne vais pas pleurer parce
que je ne suis pas à plaindre. Mais j’ai bien l’intention de
continuer à l’ouvrir. Je dois juste prendre garde et ne pas
m’habituer à cette nouvelle vie : souvent, en changeant de
« classe », on change tout court. On l’a vu avec d’autres…J’ai
donné ma carte d’embarquement à l’hôtesse qui m’a donné son
meilleur sourire : je me suis demandé si c’était parce que je
voyageais en classe business.
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© Journal L'Humanité
Publié le 15 novembre 2010 avec l'aimable autorisation de
L'Humanité
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