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Retour en Algérie (9, fin)
Nadir Dendoune


Vendredi 11 décembre 2009

Nadir Dendoune est journaliste français. Pour humanite.fr, il "fait le voyage", à l’envers de ses parents. Dernier épisode : Alger, belle comme ma mère.

Voilà. Il est temps de revenir. C’est l’heure de partir. Je suis allé courir une dernière fois ce matin, je m’étais couché très tard la veille. Deux heures de sommeil à peine. J’ai dû faire un gros un effort, je voulais revoir une dernière fois Alger la Blanche au petit matin. J’étais crevé, vraiment, à peine la force d’enfiler mes affaires de jogging. Tout est une question de volonté.

On ne sait pas de quoi on est capable. Vraiment. Je vous le jure. En général, je ne réfléchis pas trop et j’avance. Ca a du bon et du moins bon. J’ai étiré mes jambes, mes bras et mon dos. J’ai regardé devant moi, j’ai serré les poings pour prendre un peu de courage. Le soleil était déjà tendu. Il faisait un peu frais. Le meilleur moment de la journée pour aller courir. Le magasin de fruits et légumes était fermé. Je suis passé devant. Ensuite, j’ai monté des marches pour pouvoir arriver sur la route principale. Un flic devant moi s’occupait de la fluidité de la circulation. J’ai traversé la rue. J’étais sur le trottoir de droite. De ce côté, on voyait mieux la mer. D’un coup, j’ai senti la tristesse m’envahir. Je ne sais pas pourquoi. Le blues quand ça vous prend…

J’avais presque les yeux comme la Seine. Les gens allaient bosser, les bus klaxonnaient, les automobiles essayaient de se frayer un passage dans la cohue générale. Je suis passé devant le kiosque à journaux. Le même type, la même façon de compter son argent, la même manière de ranger ses magazines. Comme si tout lui appartenait. Je lui ai fait un signe de la main pour la fraternité, il a paru étonné de mon geste. Une maman et sa fille remontaient l’avenue, j’ai souri à l’enfant. Je voulais quitter l’Algérie de bonne humeur. J’ai pris sur moi et j’ai pensé à ces derniers jours. Que de belles rencontres. Que du bonheur. J’ai revu le désert, les nuits fraîches, la force tranquille du directeur de l’office du tourisme. J’ai pensé à Bachir, notre guide, il était à terre et faisait le pitre. J’ai pouffé de rire en pensant à mon testicule. A l’évacuation en ambulance et les fous rire avec Mounir, Karim et Nadia. Un homme avec une couille, ce n’est sans doute plus un homme, encore que….

Une jeune fille m’a regardé avec ses gros yeux. Elle devait se demander les raisons de ma folie. Les folies sont les seules choses qu’on ne regrette jamais, disait Oscar Wilde, et il avait bien raison. Je descendais, j’avais un peu mal aux cuisses, la fatigue, les nombreux déplacements et le peu de sommeil. J’ai essayé de ne pas penser à la montée du retour. Je suis arrivé à un gros rond-point, j’ai tourné à gauche en direction de Bab-El-Oued. Un immeuble très large me faisait face. Un champ de paraboles était accroché sur les murs. Le linge pendait sur des étendoirs. Rien qu’au look des fringues, on devinait à qui on avait affaire. J’ai fait demi-tour.

Ma montre affichait vingt-cinq minutes depuis mon départ. J’ai monté les genoux pour pouvoir grimper plus facile, mon cœur battait de plus en plus fort, mes bras devenaient douloureux. J’ai changé de trottoir, il était plus large. Des types en uniformes bleus étaient postés dehors. J’ai tourné la tête pour essayer de voir où je me trouvais exactement. Le militaire s’est déplacé vers sa gauche, me bloquant la vue. Marliche, ça m’apprendra à être curieux. Le chemin s’est aplani et je filais à toute vitesse. J’ai traversé une sorte de pont. Devant moi, un embouteillage avait vu le jour. J’ai pris en plein dans la tronche la fumée des pots d’échappement. J’ai accéléré, c’est toujours bien de finir vite les choses.

Je me suis senti vivant. Je me suis arrêté à un mètre de la porte de la maison de Fati. La baraque de nos rêves. Je chialais, les nerfs mon frère. J’ai enlevé mes affaires, elles étaient imbibées de sueur. Je suis entré dans la douche, j’avais les mollets durs comme de l’acier. J’avais la main posée sur le mur comme quelqu’un qui se recueille. L’eau chaude recouvrait l’ensemble de mon corps, le jet était puissant. Je sentais mes muscles se détendre. Je suis resté une plombe dans cette position. J’ai fermé les yeux. Je n’arrêtais pas de penser à elle. Je savais que c’était une histoire impossible et qu’il fallait l’oublier. Elle allait te faire souffrir Nadir. J’ai pris mon petit déjeuner. Ensuite, nous sommes allés nous promener. Au centre d’Alger, les marchés offraient de beaux fruits et légumes. Sakina voulait des poivrons, les meilleurs. Une dame, la cinquantaine bien établie, en vendait. J’ai pris un kilo. Pour Abdel et Yacine, désolé, les maillots de l’équipe nationale étaient partout en rupture de stocks. Il me restait encore une chose à faire. Ilhame m’avait demandé que je lui dégote un futur mari. Un mec mortel, un mec qui lui ferait pousser des ailes ! J’ai regardé autour de moi. Les beaux gosses, il y en avait à Alger. Et de très intelligents. C’était stupide de vouloir lui trouver un homme parce que l’amour c’est pas comme un décret. On est revenu chez Fati. Un silence de père Lachaise. L’avion décollait vers 18h. On a bu un café et on savait plus où se mettre.

On a rangé les affaires, j’étais dans la déprime. Revenir en France, en plein débat sur l’identité nationale. Un beau comité d’accueil, mon frère. Ils ne pouvaient pas nous laisser tranquille, merde. A presque trois mois des régionales, il fallait s’y attendre. Mais là, ils y allaient fort. Le taxi attendait dehors. J’ai collé mon regard contre la vitre. Je regardais Alger s’éloigner, qu’elle était belle. Belle comme ma mère et forte comme la vie. Je sais pas comment l’expliquer mais j’ai eu l’impression que c’était la dernière fois que je la voyais. C’était à cause de mon cœur, il débordait de tristesse…

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© Journal L'Humanité
Publié le 12 décembre 2009 avec l'aimable autorisation de
L'Humanité



Source : Le web de l'Humanité
http://www.humanite.fr/...


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