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Retour en Algérie
(3)
Nadir Dendoune
Mercredi 2 décembre 2009
Nadir Dendoune
est journaliste français. Pour humanite.fr, il "fait le voyage",
à l’envers de ses parents. Troisième épisode : "Du positif pour
mon identité étriquée".
C’est la première fois que je viens en Algérie sans y être
obligé ou pour faire plaisir à mes parents alors forcément, je
suis plus open. Je me suis levé peu avant sept heures. J’avais
demandé la veille au room service qu’on me réveille. Sans
vraiment ouvrir les yeux, j’ai enfilé mon collant, passé
plusieurs sweat-shirts et mis sa paire de training. Je suis
descendu, les employés ont été surpris de mon look. Quelques
étirements et j’ai commencé mon jogging. Je savais pas où aller
alors je me suis laissé guider par mes instincts.
Les villes sont plus belles au réveil. Plus calmes, elles se
sont reposées toute la nuit. L’hôtel EL Djazaïr, anciennement
Saint-George, était situé en haut de la ville. Je courais vers
le bas. Des panneaux indiquaient Bab El Oued tout droit. Je
cavalais, mes jambes étaient plus excitées que moi et je leur ai
demandé de ralentir pour que je puisse profiter de la vue. Des
étudiants attendaient le bus. Je regardais droite, à gauche,
devant et derrière moi, je voulais profiter de tout. J’ai aperçu
le port au loin et la mer avec. Ca m’a donné des ailes. Des
vieilles bâtisses datant de l’époque coloniale étaient toujours
debout. De la beauté à l’état brut. Alger sortait de sa nuit.
Un homme, un tuyau dans les mains, chassait les détritus,
déposés la veille par une pluie et un vent mécontent. J’ai
dépassé le monsieur par la gauche. Je suis arrivé à un grand
carrefour, le port était sur la gauche, le centre d’Alger, de
l’autre côté des bateaux, légèrement sur la droite. J’ai eu un
moment d’hésitation. Je voulais voir les deux. Je ressentais des
choses. Du positif pour mon identité étriquée. Je découvrais ce
pays, je commençais à l’aimer. C’était tout con. Un homme
parlait fort à son téléphone. J’ai ri, son accent était trop bon
à entendre. Une fille jolie comme un rayon de soleil souriait à
un garçon, tous les deux marchaient côte à côte, le bonheur
gravé sur leurs visages. Plus bas, un type d’une trentaine
d’années, debout derrière son comptoir, attendait les clients.
Son kiosque offrait une diversité de journaux, écrit à la fois
en français et en arabe. Je me suis retrouvé sur une route, ça
ressemblait à notre périph’, c’était dangereux alors j’ai
bifurqué pour monter sur le trottoir. J’étais surpris de voir
une ville aussi moderne. Malgré mes efforts à ne pas juger sur
pièce avant d’avoir vu, je dois avouer que j’avais débarqué ici
avec quelques idées reçues. L’image d’une Algérie archaïque
encore très présent dans l’imaginaire collectif.
Je suis revenu à l’hôtel. Je suis allé au bar. Des cadres avec
de photos de stars étaient disposés le long des murs. A côté
d’André Gide, de Jean Giono, de Che Guevara, ou de Louis Jouvet,
les portrait de Diam’s et de Cheb Faudel ! J’ai pris une douche
et un petit-déjeuner-buffet continental m’attendait. Après, je
suis remonté et je suis allé piquer une tronche à la piscine.
J’étais seul. Un jacuzzi galérait sur le côté alors j’ai fait du
social et je l’ai accompagné une dizaine de minutes. Ensuite,
nous sommes partis au salon du tourisme. J’ai fait le tour des
stands en cinq minutes, ça n’a jamais été mon truc les salons.
J’ai attendu que le ministre débarque pour la conférence de
presse. La salle était bondée de journaleux et de curieux, venus
assister à l’allocution de monsieur Tourisme. Il a fait son
speech d’abord en arabe. Avant de le faire en français et là
j’ai commencé à prendre des notes.
Il a parlé d’un plan d’investissement gigantesque. Je n’ai pas
pu m’empêcher de penser au plan banlieue promis par Fadela Amara
et Nicolas Sarkozy et j’ai eu envie de me barrer de la salle. Il
avait l’air sincère. Un confrère lui a demandé pourquoi avoir
attendu si longtemps pour mettre le paquet sur le tourisme ? Le
ministre a répondu stoïque : « il y avait d’autres priorités
après l’indépendance de 1962 ». C’était il y a 47 ans.
On enterre Chantal aujourd’hui. Au cimetière qui caresse notre
cité. Un lieu où repose un nombre incalculable des nôtres,
toutes origines confondues. Je ne peux pas m’empêcher de penser
à elle, à ce rendez-vous manqué à l’hôpital, j’aurais tant aimé
voir son merveilleux sourire une dernière fois. Je pense à sa
famille, à ses filles, à son fils, et à son mari, à leur
douleur, et je sais que bientôt ils se retrouveront seuls face à
leur chagrin. Je ne peux pas m’empêcher de penser aux paroles de
ma mère.
C’était un soir où la pluie faisait son vacarme à
l’extérieur. Je rentrais du sport. Elle était assise au bord de
la fenêtre. Ses yeux se perdaient nulle part. Je me suis assis,
j’avais son visage en face de moi. Papa dormait déjà. Elle m’a
demandé à quelle heure que je me levais le lendemain. Et puis,
et elle a eu de nouveau le regard absent. Elle m’a dit, sa voix
était serrée comme un entonnoir, elle m’a dit enterrez-moi ici à
la cité, pas au bled.
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© Journal L'Humanité
Publié le 2 décembre 2009 avec l'aimable autorisation de
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