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Retour en Algérie (5)
Nadir Dendoune


Photo: L'Humanité

Dimanche 6 décembre 2009

Nadir Dendoune est journaliste français. Pour humanite.fr, il "fait le voyage", à l’envers de ses parents. Cinquième épisode : à l’hôpital.

Les « gens du désert » se moqueront longtemps d’un certain Nadir Dendoune, journaliste français, d’origine algérienne et fier d’avoir poussé en Seine-Seine-Denis. Non pas seulement parce que nous avons passé des moments inoubliables, mais surtout parce que j’ai eu un problème avec mes parties intimes. Tout le monde, du villageois au ministre du tourisme, connait désormais mon histoire.

La douleur m’a pris d’un coup, en sortant du bus, on venait de passer la journée dans les alentours de Taghrit, au sud ouest de l’Algérie, en plein cœur du Sahara. Après avoir parcouru les dunes de toute beauté et visité un musée géologique plein d’intérêt, le bus nous a déposés à une centaine de mètres de notre bivouac. J’ai descendu les deux marches du van et j’ai senti comme un coup de couteau là où beaucoup d’hommes ont l’habitude de fourrer leur main quand ils regardent un match de foot. Je parle beaucoup de testicules dans ma vie de tous les jours. J’avoue que parfois j’utilise un langage « beauf », à la Bigard, j’en suis pas très fier.

J’ai marché trente secondes sur le sable et j’ai commencé à me tordre dans tous les sens. J’ai placé ma main à l’intérieur de mon slip pour vérifier si une boule ne s’était pas formée. En juillet 2001, en plein hiver austral, à Sydney, je revenais d’un surf avec un ami et mon testicule gauche avait fait des siennes. Je pensais, parce que ce n’était pas la première fois que ça m’arrivait, qu’il suffisait d’attendre un peu pour que ma boule reprenne sa forme originale. A un moment, j’ai cru que j’allais m’évanouir. Mon ami français ne m’avait pas pris au sérieux : je ne lui en veux pas, je suis quelqu’un qui rit beaucoup, mais c’est une façade. Je l’avais saisi par le cou, emmène-moi à l’hôpital tout de suite ou je te défonce ta gueule. On m’avait injecté de la morphine et j’étais dans une phase d’euphorie. Je plaisantais avec l’infirmière australienne en imaginant ce que serait une vie avec une couille en moins. L’opération s’était bien passée, le testicule gauche vivait toujours. Ce soir là, donc, en plein désert, quand la même douleur m’a surprise, j’ai pris peur et on m’a emmené au centre de santé de Taghrit. La nuit était illuminée, la lune était complète, elle éclairait tel un gros projecteur dans un décor de cinoche. C’était une petite bourgade, un lieu calme, les magasins avaient déjà baissé leurs rideaux. Le médecin, jeune trentenaire, barbe naissante, plutôt bonne-gueule, brillait par son éloquence, comme s’il s’exprimait devant un parterre d’ambassadeurs. J’ai baissé mon froc sans gêne, je trouve que dans un hôpital, personne ne devrait avoir de pudeur.

Il a regardé ma balle avec intérêt, a pincé les lèvres, et a dit qu’il n’était pas spécialiste mais qu’il pouvait s’agir d’une torsion du testicule. Je me suis inquiété quand il a évoqué la possibilité d’une opération. J’avais six heures devant moi avant que ma couille ne s’éteigne. Il fallait faire vite. Ils m’ont injecté un calmant, l’effet a été immédiat. Le centre de santé était rachitique. L’armoire à pharmacie était vide. Deux lits rouillés occupaient la petite salle de soins. Karim, qui m’accompagnait, en a profité pour demander un Doliprane pour soulager son mal de tête. On nous a répondu que les stocks étaient épuisés. La tristesse a commencé à m’envahir. L’indigence de ce lieu était heureusement compensée par l’humanisme de ses valeureux employés. Plus tôt ce matin, un Algérien m’avait expliqué que l’hôpital était gratuit, parfois il lui arrivait de payer une somme symbolique, quelque chose comme 100 dinars-connard, à peine un euro, les restes du socialisme.

L’ambulance attendait dehors, prête à partir : je devais être évacué vers Béchar, située plus au nord. Béchar, cinquième ville du pays pour le nombre de ses militaires, à une centaine de kilomètres de l’endroit où la France avait lancé ses premières fusées spatiales en pleine période coloniale. Avant de partir, un flot d’inchallah-tu-vas-guérir ininterrompu martelé par le toubib et ses infirmiers a accompagné ma sortie du centre de santé. C’était sympa de leur part mais je me suis permis de répondre que j’espérais qu’il y aurait également un médecin qui s’occuperait de moi une fois arrivé sur place.

Le trajet était plaisant : Nadia, Karim et Mounir avaient pu monter avec moi. On a regretté que Leila ne soit pas du voyage. Tant qu’on est vivant, il faut sourire. Et puis, même dans cette mini-galère, j’ai pensé au bonheur d’être là. Quand nous sommes arrivés à l’hôpital, le directeur du tourisme nous attendait. Il avait été prévenu et n’avait pas hésité une minute à faire le déplacement. Il a semblé sincèrement touché par mon malheur. Il m’a touché l’épaule, son regard m’est allé droit au cœur. J’étais couché sur le brancard, une perfusion dans le bras. L’hôpital d’Etat de cette ville affichait la même mine déconfite que le centre de soins de Taghrit. Le toubib a demandé à voir mon sexe et ses atouts.

Tout le monde désirait les voir, on était très curieux. Son assistante, brune et frôlant la cinquantaine, était assise à son bureau, elle me tournait le dos. Elle s’est levée, a quitté la pièce. J’ai pensé que c’était la gêne qui l’avait poussée à sortir mais elle est revenue très vite avec un stéthoscope. Elle se tenait à la droite du médecin pour avoir une vue idéale. Le médecin s’est retourné vers elle. Je n’arrivais pas à entendre. Ce dernier a palpé mon testicule, j’avais un peu mal mais pas trop. Ca l’a rassuré. Il s’est entretenu de nouveau avec sa collègue. Elle s’est approchée de moi, a penché sa tête. De nouveau, le médecin m’a examiné. Il s’est renseigné sur mon histoire personnelle, pas d’allergie j’ai répondu et en pleine forme physique. J’ai failli ajouter bien membré pour la bonne ambiance…Le toubib s’est gratté la tête d’une main et l’autre est venue se poser sur mon épaule en signe de réconfort. Ensuite, il m’a prescrit des anti douleurs. Pas d’opération donc. Il a souri, sa collègue m’a salué. On est remontés très vite dans l’ambulance. Le chauffeur a repris la route. On était pas tiré d’affaire pour autant.

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© Journal L'Humanité
Publié le 9 décembre 2009 avec l'aimable autorisation de
L'Humanité



Source : Le web de l'Humanité
http://www.humanite.fr/...


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