|
Le web de l'Humanité
Retour en Algérie
(4)
Nadir Dendoune
Vendredi 4 décembre 2009
Nadir Dendoune est journaliste français. Pour humanite.fr, il
"fait le voyage", à l’envers de ses parents. Quatrième épisode :
"moi, la France en moins".
Les
valises devaient être prêtes en un quart d’heure, l’avion
décollait en principe à 18h. J’étais revenu du salon du tourisme
à la bourre, j’avais rencontré des tas de gens, des Algériens,
je voulais les entendre. Pour une fois, j’écoutais. Je les
regardais, je souriais à leurs blagues, il y avait de
l’interactivité. Ils étaient intéressants. Beaucoup de
philosophie dans leurs propos. Du fatalisme, de la résignation
aussi. J’ai réfléchi à nos échanges. Nous étions de la même
origine, ça se voyait au premier coup d’œil, mais j’étais
différent. C’était moi, la France en moins.
Je
suis arrivé à l’hôtel tout en vitesse, un peu en stress, mais
avec allégresse. J’étais en vacances-boulot. Ma chambre était au
deuxième étage. J’avais un balcon, une vue sur la baie d’Alger,
le fric-c’est-chic. L’argent rend beau, l’oseille rajoute des
points au capital confiance aussi. Moi, je crois, que quoi qu’il
arrive, je resterai toujours pauvre. C’est trop tard. J’ai été
marqué au fer rouge. J’aurai toujours des réflexes de gêne face
à l’opulence. C’était le boxon dans mon chez-moi-intérimaire,
les chaussettes en dessous du lit, la serviette sur le tapis,
les chaussures dans la salle de bains. Je n’ai pas eu le temps
de faire le tri entre ce que j’allais emmener et ce que je
laisserai dans la piaule, pas la possibilité de compter le
nombre de slips ou de tee-shirts nécessaire, alors j’ai décidé
de prendre toutes mes affaires. Les autres, soit 52 personnes,
la plupart des journalistes, attendaient avec impatience que le
bus les emmène. Tout le monde était là. Le chauffeur a mis la
sono. Les Arabes aiment conduire en musique, c’est pour ne pas
entendre leur cœur en souffrance.
L’embarquement a duré quelques minutes. On est passés devant
tout le monde. Le réseau, ma sœur. C’était un vol intérieur, un
petit zinc de 70 places, nous allions à Béchar, aux portes du
Sahara, l’un des plus grands déserts du monde, au sud-ouest
d’Alger à près de 1000 kilomètres de la capitale. L’organisateur
de notre voyage serrait des paluches et claquait des bises
toutes les dix secondes. Le petit jet a décollé très vite. On a
traversé des zones de turbulences, des ouh se sont fait
entendre. J’ai regardé par le hublot. Le ciel était éclairé par
une lune étincelante. Nadia était assise à ma droite. On a parlé
de la journée sans immigrés et des difficultés qui nous
attendaient. On avait frappé un grand coup alors forcément, ça
suscitait des jalousies. Le dénigrement, mon frère. Mais,
rassurez-vous, on ne peut pas mourir deux fois et il n’y a rien
qui peut nous ébranler.
On a
atterri avec classe. Deux heures plus tard, à Béchar, la nuit
portait un smoking. Le directeur de l’office national du
tourisme de la région nous attendait. Un homme d’une soixantaine
d’années, caricature du fonctionnaire algérien des années 70,
impeccable sur lui, une petite moustache taillée sur mesure,
parlant un Français soutenu. Il m’a serré la main et sans le
connaitre, j’ai su que c’était quelqu’un de droit. J’allais
avoir l’occasion plus tard de vérifier mes premières
impressions. Un bus était stationné à l’extérieur. Le trajet
jusqu’au bivouac où nous allions passer la nuit durait une heure
et demi. Sur place, des « gens du désert » jouaient une musique
traditionnelle. Sur le côté, d’autres préparaient le repas. J’ai
parlé avec eux. Ils vivaient à l’écart mais pour rien au monde,
ils désiraient changer leur mode de vie. Ca allait moins vite
chez eux. Ils avaient l’air zen. D’une simplicité déconcertante.
J’ai croisé leur regard. Leurs yeux étaient remplis de sincérité
La chorba est arrivée très vite et nous a
réchauffés d’un coup. Ensuite, on nous a servis du couscous avec
du poulet cuit à la braise. Nous nous sommes réunis autour d’un
feu. Il était une heure et demie du matin. Un homme chantait
avec ses tripes, c’était triste et festif à la fois. On dansait
avec le bide, avec les hanches, avec les yeux. J’ai regardé les
flammes. Je voyais des tas de choses. Du plaisir et du chagrin.
La vie d’avant et celle d’aujourd’hui. Les larmes ont coulé, ce
que ça fait mon frère d’être heureux. Je savourais.
Le bonheur ne dure pas, alors, quand il est complet, il faut
essayer de le garder au maximum. Pendant qu’on dansait, les
autres en ont profité pour s’installer. Au final, on s’est
retrouvés sans lit, sans chez-nous. Alors, pour rétablir un peu
de justice, et même si c’était pas malin, j’ai pris le micro et
j’ai chanté : « si on dort pas, y a personne qui dort… ». Radia,
une belle femme, mère de famille méritante, a repris des
chansons populaires. Sa voix était douce, elle y mettait bien
plus que son cœur. On s’est couchés, on ne tenait plus debout.
Il était 5 heures. On avait fini par trouver des matelas et des
couvertures. Malgré l’inconfort et le froid, malgré les
maladresses des uns et des autres, malgré le sable dans nos
chaussettes, la soirée fut inoubliable. L’humanité battait de
toute son âme. Le soleil frappait déjà aux portes du désert.
Retour en Algérie (3)
Retour en Algérie (2)
Retour en Algérie (1)
Le sommaire de Nadir Dendoune
Le
manifeste du Collectif 24H sans nous
© Journal L'Humanité
Publié le 8 décembre 2009 avec l'aimable autorisation de
L'Humanité
|