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Retour en Algérie
(8)
Nadir Dendoune
Mercredi 9 décembre 2009
Nadir Dendoune est journaliste français. Pour humanite.fr, il
"fait le voyage", à l’envers de ses parents. Huitième épisode :
Samia.
Moi, si j’étais président d’un pays du « tiers-monde », je
traiterai tous les ressortissants des pays dits développés comme
ils traitent mon peuple. Regard contre regard, mépris contre
mépris. A chaque fois que l’un d’entre eux fera une demande de
visa, je leur ferais remplir une tonne de paperasse, leur
poserait des milliards de questions, les suspecterait des pires
intentions, les obligerait à revenir trois fois au consulat,
comme ça juste pour les faire chier. Je les obligerai à faire la
queue dehors, sous la pluie. En plus, pas question qu’ils
viennent chez nous s’ils sont malades, non, et encore non.
Samia a 24 ans. Elle est jolie, intelligente. Elle a de
l’humour. Et elle est très modeste. Les mecs lui courent après,
elle claque des doigts et les bouffons débarquent, c’est une
pépite. Elle est responsable de tas de machins, des termes hyper
compliqués, dans un grand groupe américain qui a une filiale
basée à Alger. Je l’ai rencontré à Hydra, quartier très huppé de
la capitale. Fati, la Française qui a fait le voyage à l’envers
de ses parents, nous avait invité pour une fiesta dans sa
baraque, une maison que je ne préfère pas qualifier. La beauté
mérite le silence.
On avait passé la journée à arpenter les rues de Bab El Oued et
de la Casbah, pour la balade des touristes que nous étions, et
toujours à la recherche de maillots de football de l’équipe
nationale. J’avais revu la bataille d’Alger. Le 7 janvier 1957,
huit mille militaires français, commandés par le général Massu,
qui venait de recevoir du gouvernement les pleins pouvoirs
quelques jours plus tôt, entraient dans Alger. Ils avaient pour
but de « pacifier » la ville. En France, l’opération fut perçue
comme un succès mais certains évoquaient l’usage de la torture,
ces actes de barbaries auront pour effet de rapprocher
l’ensemble des Algériens musulmans.
Fati avait fait les choses bien comme il faut. La musique était
sur son trente-un. Une longue table se la racontait. Etaient
posés dessus une mosaïque de plats. Des amis de Fati étaient
déjà arrivés. Comme un con, je savais pas si je devais claquer
des bises ou serrer des pinces. J’ai rangé mon a priori et j’ai
choisi la première option. Tout s’est bien passé mon frère.
Samia déambulait des hanches et Sarah l’encourageait en tapant
des mains. Je me suis approché et j’ai bougé mon corps. J’ai
toujours aimé danser. J’ai l’impression d’oublier beaucoup de
choses sur une piste de danse. Samia est partie chercher un
verre et elle s’est assise. Elle a souri. Je suis venu la
rejoindre et elle m’a raconté son histoire. J’ai pensé à
Sarkozy, à Besson et à Hortefeux. J’ai failli vomir l’ensemble
de la nourriture que j’avais ingurgité toute la journée.
Samia a de l’argent, elle ne s’en cache pas. Elle est issue d’un
milieu aisé. Elle a raison quand elle balance qu’elle n’a pas
choisi, ainsi va la vie. Elle a fait des brillantes études et
occupe aujourd’hui un poste important. Et pourtant, elle s’est
vu refuser à deux reprises un visa pour la France. Sans
l’intervention du consul en personne, elle n’aurait jamais pu
venir suivre une formation en Hexagone. Elle dit et elle
voudrait qu’on l’entende partout, qu’elle aime l’Algérie et
qu’elle n’a aucune intention de venir vivre en France. Samia a
de l’oseille sur son compte. La première demande fut refusée, ça
l’avait vraiment mis en rogne : elle avait été acceptée dans
plusieurs universités parisiennes, et pas des moins
prestigieuses. La seconde fois, elle avait avec elle une lettre
de recommandation de son patron et pourtant on lui a dit tu ne
viens pas chez nous en France, tu finiras par y rester. Elle
pense que les sollicitations de visa ne sont pas traités au cas
pas cas, elle a l’impression qu’il y a une machine derrière.
Finalement, la troisième fois fut la bonne.
Le consul a pris son téléphone et Samia est venue à Paname
suivre une formation. Elle aimerait voyager de nouveau, pourquoi
pas aller bosser ailleurs ? Elle ira sans doute en Angleterre.
C’est dommage, regrette-elle, parce que je me sens plus proche
culturellement de la France. Je crois que Samia a de l’orgueil
(j’aurais réagi pareil) et que les deux refus qu’elle a essuyés
l’ont trop écœurée. J’espère qu’avec le temps elle oubliera. En
tant que journaliste, il parait que je n’ai pas le droit de dire
ça. Alors, je vais te le dire en tant que citoyen : Samia, tu es
la bienvenue. Besson, Sarkozy et Hortefeux, on les emmerde.
PS : L’Emir est né en 1808 et non en 1908, faute de frappe. En
effet, Ben Bella fut le premier Président algérien post
indépendance. La fatigue, mon frère !
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© Journal L'Humanité
Publié le 11 décembre 2009 avec l'aimable autorisation de
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