La chronique du
Tocard
10 Gnoules, une demi-Gnoule et un
Allemand,
en route pour la Palestine - Episode 4
Nadir Dendoune
"Il (Abashe),
avait en tête cette phrase de Ben
Gourion, le fondateur de l'Etat
d'Israël,
« les vieux mourront, les jeunes
oublieront ».
Depuis près de 10 ans, il s’occupe du
foyer des jeunes du camp.
Pour que les jeunes n’oublient
jamais…."N.D.
Mardi 13 mai 2014
Depuis notre première rencontre qui
remonte déjà à quelques années, que le
temps passe vite!, Abashe la trentaine
bien entamée, avait toujours le sourire
et peu importe si il lui manquait
quelques dents au passage. C’était un
blagueur hors pair, du même niveau de
conneries que Tocard 1er.
Pas question pour lui de s'apitoyer sur
son sort. Non. Jamais. A quoi bon? La
vie, ses malheurs, Abashe les acceptait.
Il n'avait pas le choix, c'était sa
manière de montrer au monde qu'il
résistait, que rien ne le ferait plier.
Abashe ne voulait pas non plus qu'on
soit triste pour lui. Pas de
misérabilisme. Surtout pas. Son espoir,
la certitude qu'il avait de retourner un
jour chez lui, sur la terre de ses
ancêtres, était plus fort que tous les
croche-pieds que lui avaient fait cette
vie, cette chienne de vie, qu’il aimait
malgré tout.
Abashe avait respiré à l'air libre la
première fois au camp d'Aida et quoi
qu'il arrive, il sera toujours d'ici. Le
camp de réfugiés d'Aida était situé à
Bethlehem, pas très loin de l'église de
la Nativité où Jésus, selon les
Évangiles, était né il y a 2014 ans. Et
surtout à dix centimètres du méga-super
hôtel de luxe Inter Continental, où une
nuit sur place, aurait permis à une
famille du camp de vivre un mois. Le
contraste entre ces deux endroits était
saisissant.
Quelque temps après la Nakba (la
catastrophe) en 1948, quand les milices
sionistes armées jusqu'aux dents,
obligèrent 700 000 Palestiniens à fuir
leur domicile, le grand-père d’Abashe
était arrivé à Aida. Comme les 1200
personnes qui s'étaient réfugiées dans
ce camp, il pensait que son exil était
temporaire. Quelques jours, tout au
plus, puis il finirait par retrouver sa
maison.
La plupart de ceux qui avaient fui
n'avaient même pas pris soin de prendre
leurs affaires. Le grand-père d'Abashe,
comme ses compagnons d'infortune, avait
juste claqué la porte, emportant avec
lui la clef de sa demeure. Cette même
clef qui deviendra plus tard le symbole
de tous ces déracinés, ces exilés de la
première heure.
66 ans après la Nakba, les réfugiés de
Palestine étaient les grands oubliés de
l'histoire. Leur sort n'intéressait plus
grand monde. Lors des nombreux
"pourparlers de paix" entre
Palestiniens, Israéliens et autres
gendarmes du monde, la question du
retour des réfugiés avait pratiquement
disparu, malgré la résolution 194
adoptée par les Nations Unies en 1948,
qui prévoyait qu'ils puissent tous
retrouver leurs maisons.
Au lieu de cela, 6, voire 7 millions de
réfugiés de Palestine sont aujourd’hui
éparpillés un peu partout dans le monde,
en Cisjordanie occupée, au Liban, en
Syrie, en Jordanie, mais aussi dans les
pays occidentaux, comme aux États-Unis,
au Canada ou en Australie. Leur espoir
de revenir un jour apparait de plus en
plus comme une chimère.
A son arrivée au camp, le grand-père d’Abashe,
sa femme et ses enfants, dormaient dans
des tentes. Depuis, le provisoire dure.
Comme les maisons désormais construites
en dur : en pierre ou en béton, toutes
construites à l'identique. Obligés de
faire avec, en attendant des jours
meilleurs, les réfugiés se sont
organisés.
Un comité populaire élu est présent dans
chaque camp. Géré par l’UNWRA (comme
tous les autres camps), une branche de
l’ONU, le camp d’Aida dispose de sa
propre école, de ses propres commerces ;
une ville dans la ville. Mais avec des
moyens financiers qui se réduisent comme
peau de chagrin, les conditions de vie
sont toujours aussi dures.
Les coupures d’eau, d’électricité
restent fréquentes. Ceux qui tombent
malades n’ont pas d’autre choix que de
se déplacer dans un autre camp pour
consulter un médecin. Pour les cas les
plus graves, il arrive que les
ambulances ne soient pas tout de suite
autorisées, par les autorités
israéliennes, à pénétrer à l’intérieur
du camp. Parfois le malade meurt avant
d’arriver à l’hôpital. Et pourtant.
Malgré la dureté de la vie. Malgré les
incursions fréquentes de l'armée
israélienne, qui ne supporte pas la
détermination des habitants du camp à
revendiquer leurs droits, les réfugiés
continuent à y croire.
Abashe, qui avait les moyens de partir,
a décidé de rester. Il aurait pu
émigrer en ville, y emmener sa famille,
ses deux petites filles. Leur offrir un
meilleur avenir. Mais partir pour lui et
les autres, c’était abandonner l’idée du
retour dans leurs maisons. Certains ont
craqué.
Sur les 8000 habitants, 3000 sont allés
vivre en dehors du camp d’Aida. Abashe,
lui, continuait à se battre. Il avait en
tête cette phrase de Ben Gourion, le
fondateur de l'Etat d'Israël, « les
vieux mourront, les jeunes oublieront ».
Depuis près de 10 ans, il s’occupe du
foyer des jeunes du camp. Pour que les
jeunes n’oublient jamais….
Nadir Dendoune
Episode
3
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