La chronique du
Tocard
10 Gnoules, une demi-Gnoule et un
Allemand,
en route pour la Palestine - Episode 3
Nadir Dendoune
HEBRON : Fatima, une jeune palestinienne
prend une photo de sa tante Zlikha
sur la terrasse de leur maison, en face
du Caveau des Patriarches à Hébron.
MENAHEM KAHANA / AFP / 2004
Dimanche 11 mai 2014
Le gamin tentait par tous les
moyens de nous vendre ses bracelets. Il
nous suivait partout. Revenait sans
cesse à la charge. C’était un mioche d’à
peine 10 ans, avec des cheveux très
courts, des yeux très clairs et un
regard profond. Il avait grandi avant
l’heure. Je le connaissais : il était là
tous les ans. Il m’avait reconnu, moi,
le Français et mes origines algériennes.
Hébron la ville fantôme : A droite, une
rue aux abords de la rue Shuhada.
AFP
Le môme n'allait plus à l’école depuis
deux ans déjà. Il passait ses journées à
tenter de fourguer ses babioles aux
quelques rares touristes qui venaient se
perdre ici à Hébron, au sud de la
Palestine, dans la plus grande ville de
Cisjordanie occupée, où vivaient
quelques 190 000 Palestiniens. Il
proposait des porte-clefs à 5 shekels
(1€), des bracelets et des colliers à
10.
Son père, jadis tenait un commerce dans
la rue Shuhada, les Champs-Élysées
d’ici. Aujourd'hui, Shuhada était
déserte. Son daron, comme tous ceux qui
tenaient une boutique dans la plus
grande artère commerçante d’Hébron, ne
travaillait plus. Le môme disait qu’il
faisait « tout ça » pour aider sa
famille.
Après la seconde intifada en 2000,
l'armée israélienne avait fermé la
plupart des boutiques, prétextant que la
sécurité des colons était en danger.
L’accès de cette rue était formellement
interdit aux Palestiniens. Seuls les
colons juifs israéliens pouvaient y
accéder.
J’étais là à Hébron, c’était pas ma
première fois, j’étais rodé et pourtant,
j’avais mal. Il y avait toujours cette
douleur à l’intérieur, surtout cette
incapacité à faire en sorte que les
choses changent, évoluent. Je pensais à
la lâcheté des autres. Ils étaient
nombreux à ne jamais vouloir prendre
parti en France (et ailleurs dans le
monde), de peur d’être mis dans une
case, celle des « pro-Palestiniens ».
Comme si il fallait s’en cacher. Comme
si dénoncer le colonialisme, l’apartheid
israélien, n’était pas quelque chose de
noble, de sain. Je repensais à ce qu’on
disait de Nelson Mandela dans les années
70 : il était traité de terroriste par
la terre entière. Aujourd’hui, on
érigeait des statues à son effigie, on
nommait des stades de foot en son nom.
Dans quelques années, ça sera la même
chose avec les résistants palestiniens.
Les Palestiniens payaient encore
aujourd’hui pour ce que les Européens
avaient fait aux juifs pendant la
seconde Guerre Mondiale. La mauvaise
conscience occidentale, tous ces gens
qui se sentaient toujours aussi coupable
et qui fermaient les yeux sur le sort
réservé aux Palestiniens. C’est l’Europe
qui aurait dû être punie, pas les
Palestiniens.
Depuis mon arrivée en Palestine, je
réfléchissais. Il m’était de plus en
plus difficile de voir ce que je voyais.
Toujours plus de colonies, toujours plus
de dépossession de terres, toujours plus
d’Apartheid.
Je me dirigeais vers la rue Shuhada avec
toutes ces idées en tête. Une ville
fantôme. L'ambiance y était macabre.
Là-bas, les colons se baladaient souvent
en groupe. Faisaient comme si de rien
n'étaient, sûrs de leur bon droit. Peu
importait les conséquences de leur
présence. Je les regardais et je me
demandais comment pouvaient-ils vivre de
la sorte, dans ce climat de tension
permanente ?
700 colons juifs étaient installés dans
une enclave au cœur de la cité.
D’habitude, les colons israéliens
étaient installés aux abords des villes.
Pour leur « sécurité », l'Etat israélien
leur mettait à disposition 2000 soldats,
payés par le contribuable israélien. Des
mesures de sécurité drastiques avaient
été mises en place pour protéger leurs
privilèges.
La ville était désormais divisée en deux
zones. Il y avait des postes de contrôle
un peu partout. Des périmètres étaient
interdits aux Palestiniens entourant
chaque colonie. Ils ne pouvaient pas
également circuler dans certaines rues
comme Shuhada et Tel Rumeida. La zone la
plus touchée était le cœur de la vieille
ville, où ils ne restaient plus que 10%
de la population totale et seules 10%
des enseignes étaient encore ouvertes.
Les colons juifs habitaient au dessus
des Palestiniens. Quand l'envie leur en
prenait, ils balançaient de leurs
fenêtres, des ordures, des bouteilles
d'eau, des bassines remplies d'huile
chaude, il leur arrivait aussi de jeter
des pierres. Alors, pour se protéger,
les Palestiniens d'en dessous avaient
installé des grillages, mais les filets
de fer étaient bien maigres …
Les colons étaient ici pour des raisons
religieuses mêlées à l’idéologie
sioniste. Armés jusqu'aux dents, ces
colons-là étaient les plus virulents.
L'extrême des extrémistes. Ceux avec qui
il était impossible de discuter. Ils
n'abandonneraient jamais Hébron. Jusqu'à
la mort. Quelques uns venaient également
s’installer ici pour des raisons
économiques : le prix des logements
situés dans les colonies était très
attractif et les colons bénéficiaient de
certains avantages fiscaux ou sociaux.
Hébron était sacrée également pour les
musulmans et les chrétiens. C'était ici
que se trouvait le "Caveau des
Patriarches" (les tombeaux d’Abraham, de
Sarah, d’Isaac et de Rebecca). Les
musulmans appelaient ce lieu la mosquée
d’Abraham. Un check-point israélien
était le passage obligé pour y pénétrer.
Je regardais les soldats postés à
l’entrée, des gamins d’à peine 20 ans,
et qui, pourtant faisaient la pluie et
le printemps, habitués depuis gamin à
haïr l'autre, l'arabe, le Palestinien.
Ils décidaient arbitrairement du sort de
milliers de Palestiniens. C’étaient eux
qui décidaient de qui pouvait entrer
dans la mosquée.
Avant la tuerie de 1994, où le docteur
Goldstein, un Américano-israélien, avait
ouvert le feu dans la mosquée en pleine
prière, tuant 29 Palestiniens, les
colons ne venaient prier que le samedi.
Après cet acte terroriste, la mosquée
était restée fermée pendant quatre ans,
avant d’être divisée à sa réouverture.
Le crime atroce profita aux colons.
Les autorités israéliennes octroyaient
65% du bâtiment aux colons juifs pour la
construction d'une synagogue ! Le
tombeau d’Abraham devenait alors
accessible depuis deux entrées
différentes, côté mosquée et côté
synagogue. Je sortais de la mosquée,
dépité. En revenant au souk, le gamin de
dix ans, lui, tentait toujours de nous
vendre ses bracelets …
Episode 2
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