La chronique du
Tocard
10 Gnoules, une demi-Gnoule et un
Allemand,
en route pour la Palestine - Episode 2
Nadir Dendoune
Depuis l’occupation militaire du
pays en 1967, Israël avait emprisonné
800 000 Palestiniens,
un chiffre astronomique, soit 20% de la
population palestinienne. C’est comme si
l’Etat français avait mis au frigidaire
12 millions de fromages qui puent.
" ND.
Vendredi 9 mai 2014
Depuis le début de notre arrivée en
Palestine occupée, un dimanche matin à
l’aube, le 4 mai plus précisément, on
avait pas arrêté de bouger dans tous les
sens. Le jour premier, à cause du long
voyage de la veille et de l’attente,
injustifiée (4h) mais pas surprenante, à
l’aéroport Ben Gourion de Tel Aviv, la
fatigue était déjà perceptible chez les
douze qui composaient le groupe.
Après avoir dormi seulement quelques
heures et pris un bon petit-déj, nous
rendions visite à l’association Adameer
(« la conscience » en arabe), basée à
Ramallah et qui lutte pour les droits
des prisonniers palestiniens. La nana
qui s’occupait de nous expliquer en
détail les tenants et aboutissants de ce
problème essentiel, était une avocate
américaine d’origine palestinienne qui
avait dit, il y a 5 ans, Goodbye aux
USA, et était venue s’installer ici en
Palestine.
Y en avait pas beaucoup des comme elle.
Elle n’avait rien à voir avec les
militants wifi, qui font la leçon à la
terre entière, mais qui à part brayer
derrière leurs écrans, étaient
incapables de faire quoi que ce soit de
concret. Elle, elle préférait le terrain
au virtuel.
L’avocate avait tout plaqué, sa vie
tranquille, les repas en famille, le Mac
Do avec les amis, les matchs de foot
américain le week-end, le bowling en
groupe. Elle avait renoncé à cette vie
facile, toute tracée qui aurait pu
l’emmener très loin, vu son talent. Au
lieu de cela donc, elle passait son
temps à dénoncer l’arbitraire subi par
les prisonniers palestiniens. Il y avait
du boulot pour elle et son association,
tellement la situation des prisonniers
était catastrophique.
Depuis l’occupation militaire du pays en
1967, Israël avait emprisonné 800 000
Palestiniens, un chiffre astronomique,
soit 20% de la population palestinienne.
Parmi eux, 40% étaient des hommes, 20%
des femmes. C’est comme si l’Etat
français avait mis au frigidaire 12
millions de fromages qui puent.
Le plus célèbre d’entre eux s’appelait
Marwan Barghouti. Il avait été condamné,
il y a 12 ans, à cinq peines de prison à
vie!, histoire d’être bien sûr qu’il ne
sorte jamais de taule. Sa femme, Fadwa,
ainsi que tout le peuple palestinien, ne
désespérait pas de le voir un jour
libre. Il était le mieux placé pour
libérer la Palestine. D’ailleurs, il
aurait dû succéder à Arafat.
Il y en avait un autre aussi de
prisonnier qu’on connait un peu en
France, surtout dans le milieu des
militants. C’était Salah Hamouri. Un
Franco-palestinien, arrêté le 13 mars
2005, à un check-point de Qalandia,
celui qui relie Jérusalem à Ramallah.
Salah Hamouri était aujourd’hui libre.
Il avait purgé la totalité de sa peine,
malgré une campagne active de la part
des militants français. Ils n’avaient
pas été aidés par les médias et les
politiques français qui étaient restés
bien silencieux face à son sort :
Sarkozy avait refusé de recevoir sa
mère, Denise, originaire de Bourg en
Bresse.
Côté journaliste, à part l’Humanité, les
autres (à part quelques confrères isolés
dans leurs rédactions) avaient regardé
ailleurs. Trop « touchy » le sujet. La
mobilisation inexistante de l’élite
française pour le cas Hamouri était à
comparer avec l’unité nationale qui
avait eu lieu, tous derrière un seul
homme!, pour un autre prisonnier qui
avait été arrêté à peu près en même
temps qu’Hamouri.
Il s’agissait de Gilad Shalit, titulaire
d’un passeport français. Au moment de sa
capture à la lisière de Gaza, par un
groupe affilié au Hamas, il était
sergent de l’armée israélienne, une
armée d’occupation, donc illégitime, si
on se réfère au droit international. Il
était donc clairement un prisonnier de
guerre et en aucun cas un otage.
Personne ne l’avait obligé à aller
combattre en territoire palestinien.
D’autres israéliens refusaient.
Pour Shalit, la France avait déployé les
grands moyens. Le président Sarkozy
avait reçu ses parents à l’Elysée, le
maire de Paris avait affiché sa tronche
devant l’Hôtel de Ville, les
journalistes avaient pondu un maximum
d’articles à son sujet. Un exemple parmi
d’autres : 500 dépêches AFP avaient été
consacrées pour son cas, contre à peine
une centaine pour Hamouri.
Mes collègues avaient même fini par
comptabiliser le prisonnier de guerre,
GIlad Shalit, en tant qu’otage.
Aujourd’hui, Salah Hamouri, quand il
n’était pas à l’université, il avait
repris des études de droit pour devenir
avocat, voyageait à travers le monde
pour parler du cas des autres
prisonniers palestiniens. Salah Hamouri
avait été très marqué par ses sept
années de détention.
L’avocate américano-palestinienne avait
entendu parler du cas Hamouri.
Elle continuait d’expliquer point par
point les actions qui étaient menées par
Adameer. L’association dénonçait en
premier lieu la torture, des pratiques
généralisées dans les geôles
israéliennes, s’insurgeait contre la
détention administrative, une loi
spéciale, d’habitude utilisée qu’en cas
d’urgence absolue ou de menace immédiate
pour la sécurité du pays et qui
permettait d’arrêter n’importe quel
citoyen, pas besoin de raison, et de le
maintenir en prison à l’infini.
Depuis la seconde intifada en 2000,
plusieurs milliers de Palestiniens
avaient subi les foudres de cette loi
inique. Adameer était également très
préoccupée par la question des enfants
prisonniers. De plus en plus de gamins
étaient arrêtés, à qui on reprochaient
souvent d’avoir jeté des pierres sur les
soldats israéliens, ou de s’interposer à
des destructions de maisons.
C’était le cas d’un enfant de 12 ans qui
vivait dans un quartier de Jérusalem
Est. L’armée israélienne était venue
dans sa maison pour la détruire. Il
avait été arrêté, puis torturé, avant
d’être jeté dans une cellule de 2 mètres
sur 2 mètres.
L’avocate nous racontait le calvaire que
vivaient tous ces prisonniers, les
hommes, les femmes, les enfants, elle le
faisait avec une froideur hallucinante,
sans doute sa manière de prendre de la
distance avec tout ce qu’elle vivait.
L’association subissait des pressions,
certains membres avaient été emmenés en
détention. L’année dernière, l’armée
avait débarqué dans leurs locaux. Ils
avaient emporté tous les ordinateurs. Le
groupe écoutait, ne mouftait pas,
submergé par l’émotion. Le lendemain,
ils avaient rendez-vous avec Hébron.
Contrairement aux autres villes de
Palestine, El Khalil en arabe, était
colonisée de l’intérieur….
To be contignoule….
Episode 1
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