La chronique du
Tocard
10 Gnoules, une demi-Gnoule et un
Allemand,
en route pour la Palestine
Nadir Dendoune
"un Gnoule
en Israël, c’est comme un Rom au siège
de l'UMP
et ça s'arrangeait pas avec 2014."
N. Dendoune
Mardi 6 mai 2014
La première chose que je peux vous dire
c'est que malgré mon physique agréable,
je supporte de moins en moins, avec le
temps qui file, d'être placé en garde à
vue. La deuxième, c'est que ce samedi
soir, le 3 mai, il n'y avait aucune
surprise à être mis de côté, en arrivant
à l'aéroport Ben Gourion, vu le pedigree
de l'équipe : 10 Gnoules, une
demi-Gnoule et un Allemand de
Strasbourg.
L'avion s'était posé à Tel Aviv tout en
douceur - Bravo au pilote -, vers 23h,
soit une heure de retard sur l'horaire
initial. Le terrain était hostile
d'emblée alors qu’on s’approchait de la
douane avec le sourire et un tout petit
peu d’anxiété : un Gnoule en Israël,
c’est comme un Rom au siège de l'UMP et
ça s'arrangeait pas avec 2014.
Les flics allaient nous garder pour
vérification, ça c'était acté !
Pourtant, ils nous connaissaient en
profondeur, en long, en large, on venait
chaque année, mais c'était leur façon de
nous montrer qu'ils ne nous aimaient
pas.
La question était de savoir combien de
temps allions-nous croupir à l’intérieur
de Ben Gourion ? En 2011, on était resté
9h dans une petite salle, quelques
fauteuils casse-culs, une télévision
branchée sur des programmes sportifs,
une machine à boissons, un semblant de
confort, donc, pour être raccord avec la
dénomination Démocratie.
On avait fini à même le sol à tenter en
vain de fermer l'œil. Ça avait été
humiliant mais on s'était préparé
psychologiquement ; alors, l'attente
avait été moins pénible sans le soleil.
Notre mésaventure était classique.
Banale. Tout le monde était au courant,
tout le monde savait qu'un Gnoule ne
passait pas comme ça la frontière
israélienne, malgré nos prépuces
sacrifiés, à la mode casher.
Et pourtant, il avait fallu attendre la
semaine dernière qu’une Franco-Gnoule,
une collègue journaliste, se fasse
expulser manu militari de l'aéroport de
Tel Aviv, pour qu’enfin les médias, BFN
en tête, évoquent le sort réservé à tous
ces métèques de père en fils, à chaque
fois que ces derniers souhaitent fouler
le sol de la Palestine.
Arbitrairement, comme cette jeune fille,
on pouvait être renvoyé sans raison
valable dans le premier zinc direction
Paname et bien entendu, nos billets
d’avion ne seraient pas remboursés. Au
final, pour en revenir à notre histoire,
les douaniers israéliens offrirent deux
visas pour 12 personnes - quelle
générosité -, des autorisations d’entrée
du territoire qu’ils délivrèrent en 30
secondes.
Le premier, ils le donnèrent à
l’Allemand de Strasbourg, qui est en
vérité un Alsacien, un Blanc pur jus, et
à la demi-Gnoule (qui a un prénom de
Blanc), une belle blonde pétillante, des
jolis yeux, qui répondit aux questions
au douanier avec le sourire, en
mythonnant légèrement sur ses racines
familiales, c’est à dire en omettant de
préciser qu’un de ses parents était
arabo-musulman. Un bon Gnoule.
Pour les dix autres, moi inclus, tous
Gnoules jusqu’à la moelle, on nous avait
une nouvelle fois dirigés dans la
fameuse salle. Pour rester tous ensemble
comme une famille qui s'aime. Les deux «
Français » selon les critères israéliens
nous avaient rejoints.
Ah qu’il était bon d’être Français ! On
attendait, sans vraiment savoir ce
qu’ils nous reprochaient, mis à part
l’équation Gnoules = ennemis. A un
moment, un douanier, un beau-gosse,
dixit une nana du groupe, chemise bleue
à moitié entrouverte, a demandé à nous
voir en petit comité. Y avait Madj, lui
et moi, tous les trois, un deux contre
un qui s’annonçait passionnant. Il
portait L’Homme, un parfum français que
je connaissais bien, de chez Yves Saint
Laurent - et promis quand je rentre chez
moi, je renverse ma bouteille dans les
chiottes.
Le douanier qui sentait bon - mais
l’odeur ne fait pas l’homme-, nous a
installés dans une salle
d’interrogatoire, trois chaises, un
vieil ordinateur, pas plus. Il était
poli. Souriant. Il faisait juste son
boulot. Un emploi de raciste qui
consiste à discriminer tout Gnoule,
quelle que soit la couleur de son
passeport ou son parcours.
- Quel est le but de votre voyage ? On a
dit qu’on était là avec un groupe, comme
tous les ans, des gens qui ne sont
jamais venus ici, pour qu’ils se rendent
compte de la réalité, parce que tu peux
lire tous les livres, voir tous les
films, rien de mieux qu’une expérience
de terrain. On les emmenait ici parce
que le sujet est complexe, blabla, non
je rigole, y a que les ânes, les
faux-culs, ou les personnes de mauvaise
foi qui parlent encore d’une situation
compliquée, quand tu es sur place, tu
sais.
Tu sais que ça pourrait se régler en 2
minutes chrono. Un peu de courage des
Nations-unies, de l’Europe, des
Etats-Unis, même pas besoin d’être
radical. Juste respecter le droit
international. Qu’il suffirait que
l’occupation militaire qui dure depuis
1967, cesse. Que l’armée israélienne
dégage de la Palestine, que les 700 000
colons retournent de l’autre côté de la
ligne verte.
Tu sais surtout que les informations
qu’on reçoit en France sont fausses, que
leur symétrie "Il y a des gens qui
veulent la paix des deux côtés" est une
grosse arnaque. Puisque la paix se fait
si et seulement si le fort décide de
baisser les armes. La solution, c’est
Israël qui la détient dans sa besace.
Pas les Palestiniens. Depuis 1948, ils
n’ont cessé de perdre des terres, ils
n’ont cessé de voir leurs familles
décimées.
- Avez-vous des amis en Israël ? Bien
entendu qu’on a des amis ici. 6 voyages
en Palestine, alors forcément, vu notre
niveau de sociabilité, notre charme
légendaire, forcément on connait des
gens, mais compte pas sur nous pour te
filer leurs coordonnées. Tu lui parles
avec politesse, t’es bien obligé mais tu
aimerais lui dire Ducon, c’est pas un
crime d’avoir des potos palestiniens.
4h de garde à vue. On est dans la
moyenne. On nous file nos passeports. Il
est 3h10. On réalise que nos visas
étaient prêts à 23h10….
Episode 2
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