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Opinion

Interview du Président syrien Bashar al-Assad [4/4]


Le Président Bashar al-Assad

In The Wall Street Journal, 31 janvier 2011

http://online.wsj.com/article/SB10001424052748703833204576114712441122894.html

WSJ : Certes, mais le principe dont vous venez de parlez vaut, de manière général, dans une autre situation, comme celle du Hezbollah, dans lequel l’Iran a des intérêts, et qu’il continue à soutenir. Mais les Etats-Unis sont opposés à cela, et la Syrie se retrouve coincée entre les deux ?

Assad : Tout d’abord, je veux dire que beaucoup de pays soutiennent le Hezbollah, secrètement ou publiquement ; il ne s’agit pas seulement de l’Iran. Ensuite, la question du Hezbollah est liée à celle de la paix ; l’approche que vous indiquez n’est pas appropriée, la question n’est pas celle de l’Iran. Si vous voulez traiter avec le Hezbollah et avec le  Hamas, et même avec la Syrie, comme je vous l’ai déjà dit, si vous voulez traiter de la question de la paix, si et lorsqu’il y aura une paix, qu’adviendra-t-il de ces deux partis ? C’est ainsi que vous présentez la question. Vous ne pouvez pas parler seulement de vos relations avec l’Iran en tant qu’abstraction, ou de manière abstraite, cela n’est pas réaliste. C’est pourquoi je vous ai dit : eh bien, dites-moi donc ce qu’est l’Iran. Que signifie ce mot : Iran ? L’Iran est mauvais ? Très bien. Israël, aussi, est mauvais : comment, par conséquent, allez-vous faire la paix avec ce pays. Si Israël et puisqu’Israël est mauvais, je ne vais pas rencontrer ce pays : telle est la logique dont vous usez. Si je veux faire la paix avec Israël et que je n’aime pas les Etats-Unis, je vais mettre la condition suivante : si je veux faire la paix avec vous, alors vous n’aurez plus de bonnes relations avec les Etats-Unis ? Est-ce logique ? Non, c’est totaleement illogique. Aussi, s’ils n’aiment pas l’Iran, cela ne signifie pas que vous ne deviez pas traiter avec ce pays.

WSJ : Mais en ce qui concerne la question de savoir si à tort ou à raison la Syrie n’est plus un soutien idéologique du Hezbollah, la perception est encore, là encore à tort ou à rison, que la Syrie soutient le Hezbollah militairement, et que cela crée une situation très dangereuse dans laquelle un conflit à plus grande échelle amènerait la Syrie à y prendre part ?

Assad : En réalité, ils veulent que la Syrie fasse la police. Je leur ai dit pourquoi serions-nous les gendarmes ? Pourquoi voudriez-vous que je fasse la police d’Israël alors qu’Israël n’esquisse pas le moindre pas vers la paix ? Nous ne serons pas les gendarmes d’Israël, permettez-moi de le dire bien clairement et franchement. Nous n’avons pas à être ses complices, parce que si vous n’êtes pas effectivement de la police, dans cette région, tout le monde…

WSJ : … parce que vous serez perçu comme un contrebandier, tout ce qui entre au Liban étant considéré comme de la contrebande ?

Assad : Même en situation normale, je ne suis pas en mesure de contrôler ma frontière avec l’Irak, par exemple. Je suis confronté à une contrebande d’armes à partir de l’Irak ; c’est une situation normale, dans notre région : tant qu’il n’y existera pas de stabilité, vous constaterez ce genre de choses. La contrebande est quelque chose de normal, que personne ne peut contrôler ; même si vous déployez une armée sur la frontière, vous ne pourrez pas la contrôler. Donc, là encore, traitons de la question principale, le processus de paix, c’est là où nous pouvons résoudre toutes les questions d’un coup ; vous n’avez pas à traiter du moindre petit détail, c’est en cela que nous pouvons résoudre tout le conflit en bloc ; vous n’avez pas à résoudre séparément tous les petis problèmes, si bien que la situation devient comme du mercure : vous n’arriverez jamais à l’attraper.

WSJ : Puis-je vous poser une question plus générale ? Je sais que le grand problème, dans la région, depuis l’Iran jusqu’à la Syrie et à Israël, c’est l’instauration d’une région sans armes de destruction massive, une région dénucléarisée. D’un côté, je sais que la Syrie et d’autres pays ont été très intéressés à pousser Israël à signer le traité de non-prolifération sous les auspices internationaux et que cela ne s’est pas produit. Mais en même temps, il existe un conflit larvé avec l’AIEA autour d’allégations selon lesquelles la Syrie aurait ce genre de technologies nucléaires menées cladestinement. Pouvez-vous nous parler de ces allégations et de la manière dont il serait possible d’obtenir un Moyen-Orient dénucléarisé et régler votre conflit avec l’AIEA, y a-t-il un moyen d’obtenir une résolution au sujet de ces accusations ?

Assad : En 2002 et 2003, nous avons été membre du Conseil de Sécurité de l’Onu, et il y a eu, durant ce mandat, un projet de loi syrien visant à libérer le Moyen-Orient des armes de destruction massive et, bien entendu, qui s’y est opposé ? C’est l’administration Bush, car cette résolution incluait Israël, elle existe d’ailleurs encore, etje pense qu’on lui a donné la forme d’un ‘bleu’, c’est-à-dire qu’elle n’a pas été rendue effective. C’est notre point de vue : le Moyen-Orient est une région de conflits depuis des siècles, et non pas seulement depuis quelques décennies. En ce qui concerne l’AIEA, Israël a attaqué un site, en Syrie, et nous avons dit qu’il s’agissait d’un site militaire. Bien entendu, au début, ils n’ont pas dit qu’il s’agissait d’un site nucléaire. Non ; ils ont attendu huit mois, puis, après que nous ayons reconstruit ce site, ils ont affirmé qu’il s’agissait d’un site nucléaire. On devrait sanctionner les Etats-Unis et Israël, mais en particulier, les Etats-Unis : pourquoi avez-vous attendu huit mois avant d’affirmer qu’il s’agissait d’un site nucléaire ? C’est le premier point. Le second point, c’est ce qui s’est passé avec l’AIEA. Ils nous ont demandé la permission d’envoyer des experts chez nous ; étant particulièrement confiants, nous avons dit que ces experts pouvaient venir chez nous. Ils sont venus en Syrie, ils ont prélevé quelques échantillons, puis ils sont allés à Vienne, je pense, puis ils ont dit qu’ils avaient découvert des particules radioactives. Vous savez, si vous disposez d’une centrale nucléaire, vous ne permettez à qui que ce soit au monde de venir la voir, si vous voulez la maintenir secrète. Voilà, déjà, pour commencer…

Ensuite, ils ont dit qu’Israël aurait attaqué un site nucléaire en construction, avant même que celui-ci ait commencé à fonctionner. Si ce centre était en construction et si c’était avant qu’il ait commencé à fonctionner, comment auriez-vous pu trouver ces particules radioactives ? D’où seraient-elles venues ? En effet, vous n’amenez pas de matières fissiles sur un site nucléaire avant que celui-ci soit en état de fonctionner, avant qu’il soit fini de construire, n’est-ce pas ? Voilà pour le deuxième point. Il y en a un troisième : comment peuvent-ils détruire un site sans enregistrer de pertes, sans avoir de plan, alors même que celui-ci est considéré nucléaire ? Et les radiations ? Tout le monde peut aller sur ce site aujourd’hui, il est ouvert et vous pouvez le traverser. Donc, il est clair pour tout le monde qu’il ne s’agit pas d’un ancien site nucléaire. Mais la question est celle-ci : pourquoi ont-ils attendu huit mois ? Parce que dès lors qu’ils ont attendu huit mois et que nous avons reconstruit ce site, il est facile, pour eux, d’affirmer qu’il était bel et bien nucléaire, comprenez-vous ?

WSJ : Oui…

Assad : Parce que s’ils pensaient que ce site était un site nucléaire, ils auraient dû procéder à cette inspection sans attaquer le site. S’ils veulent créer un problème à la Syrie, ils auraient pu dire à l’AIEA : regardez, nous avons des images satellite, allez en Syrie, et vous pourrez la coincer. Qu’aurions-nous pu faire : nous avons un site, nous allons donc leur permettre de le voir, tel qu’il est. C’est pourquoi ils ont d’abord détruit ce site, ils ont attendu que la Syrie le reconstruise, après quoi ils ont prétendu que c’était un site nucléaire. Attendez : « était ». Comment pouvez-vous prouver ce qu’un site « était » ? Mais telle est la question compliquée et tordue qu’ils ont réussi à créer, et comment apporter des preuves ? C’est ainsi : dès lors que vous n’êtes pas en mesure de prouver que ce site était nucléaire, c’est donc qu’il l’était !

WSJ : Alors que, catégoriquement, il ne l’était pas ?

Assad : Catégoriquement, ça n’était pas un site nucléaire. Les événements l’ont d’ailleurs prouvé, car si vous l’attaquez, comment était-il, avant, où sont les matériaux ? Nous n’en avons pas, les experts s’y sont rendus, et vous avez une vie normale, dans les parages ; comment pourriez-vous avoir des radiations, après l’attaque, et ne pas avoir mis en œuvre le moindre plan d’urgence ? Ils ont des satellites, ils ont des images jour après jour : ils s’en seraient rendu compte. La seule chose que nous ayons faite, c’est que nous avons collecté les débris, nous les avons emmenés ailleurs, et nous avons reconstruit le site. Nous n’avons pas nettoyé (vous ne pourriez le faire, même si vous le vouliez) les radiations : celles-ci seraient restées décelables durant des siècles, pour ainsi dire à jamais. Donc, c’est totalement irréaliste, et ils le savent. Il y a une autre question, qui est celle d’un petit réacteur expérimental, bien entendu sous la supervision de l’AIEA ; ils viennent de temps à autre en Syrie pour l’inspecter. Ils l’ont fait, cette fois encore, et ils ont dit avoir découvert des matériaux illégaux, disent-ils, et nous sommes toujours en train de discuter de ce sujet avec eux, parce que nous avons une usine de phosphates, et nous avons du yellow cake dans ses effluents, sur lequel nos scientifiques font des expériences, et ce qui est drôle, c’est que ces expériences ont fait l’objet de publications dans les revues scientifiques ; ces expériences n’ont donc rien de secret, et eux, ils affirment que c’est une infraction ! S’ils veulent, mais cela est public, ça a été publié dans une revue scientifique, ça n’a rien de secret. Donc, il y a eu ce genre de conflit, et ils veulent trouver un lien entre le premier site et ce deuxième site, mais celui-ci n’a rien à voir avec le premier.

WSJ : Pensez-vous que ce problème avec l’AIEA puisse être résolu ?

Assad : Oui, je pense. Nous sommes en train de discuter avec eux, actuellement. De fait, la plupart des problèmes sont d’ordre technique et juridique.

WSJ : Autoriserez-vous autant d’inspections que cela sera nécessaire, quoi que veuille l’AIEA, ou bien êtes-vous encore en train de négocier avec elle ?

Assad : Non, de fait, il y a une coopération entre la Syrie et l’AIEA au sujet des questions normales, comme ce réacteur expérimental et les sous-produits de yellow cake ; nous ne discutons pas de cela tous les six mois, ni même tous les ans, nous avons des règles. Mais cette fois-ci, ils ont demandé à la Syrie de signer un protocole additionnel selon lequel ses inspecteurs peuvent venir en Syrie à tout moment. Non, nous n’allons pas signer ce protocole.

WSJ : Ils veulent venir à tout instant, et… partout ?

Assad : De toutes les manières, nous ne signerons pas. Nous pouvons seulement respecter le traité de non-prolifération dont nous sommes signataires, et cela ne nous pose aucun problème. Personne n’accepterait de signer ce protocole additionnel ; c’est contraire à notre souveraineté : sous le prétexte de pouvoir venir  à tout instant faire des inspections sous le prétexte de la vérification d’activités nucléaires, vous pouvez ‘inspecter’ absolument ce que vous voulez. Nous avons beaucoup de secrets, comme tout autre pays, et aucun pays ne les autoriserait à faire cela…

WSJ : Vous redoutez que ces inspections soient détournées ?

Assad : C’est une évidence, elles serviraient à tout autre chose…

WSJ : Je souhaiterais simplement savoir quelque chose sur un point, depuis le tout début, car vous avez dit que les changements, dans la région, ont commencé avec la Révolution islamique de 1979 en Iran, puis, en même temps, vous saviez simplement que ce qui se passe depuis quelques semaines suggérait qu’il y avait une nouvelle ère qui s’ouvrait dans le monde arabe lui-même. Je voudrais simplement confirmer que vous considérez qu’il y a une nouvelle ère en train d’émerger dont personne n’entrevoit exactement ce qu’elle sera au juste, mais que c’est simplement votre impression, à savoir que nous sommes en quelque sorte dans une ère nouvelle avec des gens qui auront plus leur mot à dire et des Etats-Unis et d’autres pays qui considèrent que dans ces pays, comme, vous savez, l’Egypte, la Jordanie, ils seraient à même de faire passer leur politique. Cette ère est en quelque sorte en train de parvenir à un terme. Comment voyez-vous cela ?

Assad : Je ne dirais pas qu’il s’agit d’une fin, parce qu’en réalité, je n’obéis pas aux Etats-Unis, mais j’aimerais avoir de bonnes relations avec eux, j’aimerais dialoguer, et le dialogue signifie l’interaction ; le dialogue ne signifie pas dire non-non-non. Je ne veux pas être influencé par vous (les Etats-Unis, ndt). Nous devons nous influencer réciproquement. Donc, soyons modérés et réalistes. Non, je ne pense pas que tout le monde doive couper ses relations avec qui que ce soit, ni avec cette grande puissance, mais je pense que deux choses, une positive et une négative, sont en jeu. La chose positive : s’agira-t-il d’une nouvelle ère où nous irons vers davantage de chaos, ou vers davantage d’institutionnalisation ? Telle est la question posée. C’est la raison pour laquelle j’ai dit qu’au début, tout est encore nébuleux ; nous ne pouvons comprendre les raisons avant d’avoir vu la fin, et cette fin n’est pas encore claire.

WSJ : Et cette situation comporte-elle une leçon pour la Syrie, vous semblez vouloir en retirer une ?

Assad : Elle comporte une leçon pour tout le monde ; bien entendu, vous ne pouvez prétendre que vous ne recevez pas de leçon…

WSJ : Et cette leçon, c’est d’aller plus vite, ou au contraire de ralentir ?

Assad : La bonne chose, pour la Syrie, c’est ces choses nombreuses que j’ai évoquées en tant qu’analyses, en tant que bonnes choses que nous pouvons adopter, mais à quel point pouvez-vous être éloigné de votre peuple, telle est la question, qu’il s’agisse des considérations internes ou des considérations externes. J’ai des relations avec de nombreux officiels des Etats-Unis, que je reçois ici en Syrie, et nous parlons de coopération, mais ils ne me font pas de reproches, car ils savent que je ne suis pas leur marionnette.

WSJ : Ainsi, vous pensez que dans le court terme, vous n’avez pas réellement à changer, parce que vous êtes sous le contrôle de votre peuple. Mais, à plus long terme, la question serait la construction d’institutions, une construction en quelque sorte plus lente, et non pas plus rapide ?

Assad : Exactement, parce que mêm si vous voulez parler de la démocratie et de la participation, cela doit se réaliser à travers des institutions. C’est ainsi qu’il faut généraliser cette participation via des institutions améliorées et rendues plus performantes.

WSJ : Mais, à n’en pas douter, beaucoup de gens vous diraient que non, la leçon doit être une réforme politique beaucoup plus rapide, une représentation du peuple beaucoup plus rapide, et une amélioration beaucoup plus rapide des droits de l’homme, non ?

Assad : Eh bien non ; je ne pense pas que la question soit une question de temps opportun, la question, c’est celle de l’espoir. En effet, si je dis que d’ici cinq ou dix ans, nous serons peut-être en mesure de faire cela, si la situation s’améliore, il faut savoir que les gens sont patients, dans notre région. Le problème étant que si vous leur dites « je ne vois aucune lumière au bout du tunnel », là, ça sera un problème. Donc, la question n’est pas d’être plus rapide ou plus lent. Je pense qu’être plus rapide pourrait être bon, mais cela peut être mauvais ; aller plus vite, cela peut signifier avoir davantage d’effets secondaires, et aller plus lentement pourrait être mauvais, mais nous pourrions aussi avoir moins d’effets pervers. Donc, chaque attitude a des avantages et des inconvénients. Nous devons être réalistes : les deux démarches ont du bon.

WSJ : Avez-vous le sentiment d’aller dans la bonne direction ?

Assad : Vous devez bouger. C’est pourquoi je vous ai dit que tant que vous avez un cours d’eau, vous n’avez pas de stagnation et vous n’avez pas d’eau croupissante. Quant au flux, rapide ou lent : chacun a ses avantages. C’est ainsi que nous devons envisager la situation, plutôt que nous focaliser sur la rapidité du flot. La question n’est pas de savoir à quelle vitesse cette eau s’écoule, mais bien, plutôt, si elle s’écoule ou non.

WSJ : Mettez-vous la question des droits de l’homme parmi ces institutions nécessaires ?

Assad : Oui, bien sûr. Les droits de l’homme en font partie, mais, en fin de compte, les droits de l’homme ont trait à la manière dont… quand je parle de société arabe, la question est de savoir de quelle manière chaque société comprend la question des droits de l’homme en fonction de ses propres traditions, car nous sommes en train de parler d’une région idéologique, nous parlons de milliers d’années de traditions ; vous ne pouvez rien faire, ici, en fonction de la charte des Nations unies, tout ce que vous pouvez faire doit être relatif à la charge de notre propre culture. C’est pourquoi l’on a besoin de ce débat : les droits de l’homme ne sont pas quelque chose que vous apportez de l’extérieur. Nous avons besoin d’un dialogue national, et vous, vous avez besoin de comprendre que dans notre région du monde, nous avons – je ne parlerai pas de polarisation – une diversité incroyable. Parfois, vous avez deux cultures qui coexistent dans un même pays. Donc, il ne s’agit pas d’une culture, mais d’une multitude de cultures.

WSJ : Dans ce dialogue national, quels sont les trois choses qui vous semblent les plus importantes : qu’est-ce qui est en train de bouger, en Syrie ?

Assad : Cela dépend de vos priorités. Disons que les priorités doivent être fondées sur deux facteurs : le premier, c’est quelles sont les questions sur lesquelles vous pouvez évoluer plus rapidement, et le second, c’est quelle est la question la plus urgente ? Qu’est-ce qui est le plus urgent, pour le peuple ? Quand je suis devenu président, c’était l’économie, parce que où que vous alliez, en Syrie, vous aviez de la pauvreté. Or, la situation ne cesse d’empirer jour après jour, nous avons traversé cinq années de sécheresse, c’est la cinquième année où nous subissons un déficit de la pluviométrie. Nous aurons donc moins de blé ; habituellement, nous exportions du blé et du coton chaque année, mais cette année, nous avons des problèmes. Nous allons avoir de l’immigration (interne). Cette année, trois millions de Syriens, sur les vingt-deux millions que nous sommes, seront affectés par la sécheresse. C’est donc notre priorité immédiate.

WSJ : Précisément, parce que l’économie pourrait être réformée plus rapidement ?...

Assad : Mais après le 11 septembre, qui s’est produit un an après mon accession au pouvoir, puis au début de 2002, il y a eu l’invasion de l’Afghanistan, puis celle de l’Irak, puis le chaos généralisé qui a été créé et l’extrémisme causé par cette politique erronée, mas première priorité est devenue la stabilité, avant même l’alimentation. Donc, vous changez de priorié en fonction des circonstances. Ainsi, la sécurité est devenue la priorité numéro un ; comment pouvez-vous stabiliser votre pays, comment pouvez-vous prémunir votre société de l’extrémisme, comment vous pouvez combattre le terrorisme, sachant que vous avez des cellules dormantes, partout, dans cette région. Ensuite, l’économie est la deuxième urgence. En troisième lieu, nous pouvons mettre tout le reste. Ainsi, la réforme politique est importante, mais elle n’est pas aussi importante ni si urgente que le fait d’avoir des concitoyens qui se réveillent tous les matins et qui veulent avoir à manger, préserver leur santé et pouvoir envoyer leurs enfants dans de bonnes écoles. C’est ça, ce que veulent les Syriens. Je veux me sentir en sécurité dans mon propre pays ; c’est mon objectif.

WSJ : Vous avez une situation raisonnablement stable, surtout pour le Moyen-Orient, votre programme économique va de l’avant. Par conséquent, les questions de la réforme politique et des droits de l’homme vont-elles venir bientôt au premier plan ?

Assad : Certes, nous allons de l’avant, nous l’avons fait par le passé, déjà. Mais je suis en train de parler ici de priorités ; cela ne signifie nullement que je les traite toutes sur le même plan, mais que j’insiste sur celles qui doivent être traitées dans l’immédiat et celles sur lesquelles nous devons nous focaliser. Par exemple, la réforme de l’administration locale est très importante, sur le plan juridique. Nous en faisons une priorité parce que c’est l’échelon où les citoyens peuvent élire leurs édiles ; nous pouvons d’ores et déjà élire nos conseils municipaux, mais nous avons voulu réformer cette loi et la rendre plus démocratique et plus efficiente, parce que les citoyens, partout dans le pays, ont affaire au premier chef avec leurs élus municipaux. C’est donc la réforme administrative la plus urgente. De fait, nous l’avons ajournée en raison du conflit. Nous avons pris cette décision en 2005 lors d’un congrès de notre parti. A l’époque, le conflit déclenché par la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et d’autres visaient à déstabiliser la Syrie. Nous avons dit : OK, oublions cette réforme, nous avons une nouvelle situation. Aujourd’hui, nous sommes très sérieusement en train de la mener à bien. La seconde réforme porte sur la société civile ; nous devons l’améliorer. Nous sommes en train de finaliser la loi y ayant trait. Nous en débattons depuis deux ans. Pourquoi ? Parce que nous voulons que tout le monde, en Occident et en Orient, voit quel est le meilleur modèle que nous puissions utiliser, et après l’avoir finalisé, beaucoup de personnes de la société civile ont fait part de leurs commentaires et ont dit que nous devions encore l’amender. C’est ce que nous sommes en train de faire.

WSJ : Ce sont les deux choses que vous ferez sans doute avant la fin de cette année ?

Assad : Pas cette année. Je ne sais pas si nous pourrons venir à bout de la réforme de l’administration locale cette année, puisque, par exemple, nous avons eu besoin de cinq années pour modifier le code du travail, en raison de la puissance des syndicats, chez nous, en Syrie. Ils se sont opposés à la réforme, comme les employeurs d’ailleurs, et il nous a fallu cinq années pour finaliser cette loi, l’année dernière. Cela n’a pas été facile : la loi a été soumise au Parlement, et il y a eu beaucoup de débats. En ce qui concerne l’administration locale, cela pourrait être prêt à la fin de l’année. La loi sur la société civile aurait dû être finalisée l’an dernier, mais nous avons voulu avoir davantage de délibérations avec différents secteurs de la société, et nous avons donc pensé plus sage d’ajourner la finalisation de cette loi à l’année prochaine.

WSJ : Fondamentalement, cette loi autorise la constitution d’ONG ?

Assad : Nous avons moins de 2 000 ONG en Syrie, mais nous voulons rendre la loi plus efficiente afin d’avoir plus d’ONG, grâce à une diminution de la bureaucratie.

WSJ : Vous avez repoussé cette loi d’une année, c’était donc de 2010 en 2011 ?

Assad : Oui, de fait, cela doit être finalisé, en théorie, en décembre de cette année. Par conséquent, lorsque je dis l’année prochaine, cela signifie de fait dans un mois au deux.

WSJ : Ah, d’accord. Donc, l’année pour ce faire, c’est cette année même ?

Assad : En fait, cela était supposé se conclure l’an dernier, donc nous pourrons sans doute avoir terminé le mois prochain. Nous sommes au début du mois de février. Parfois, ça n’est pas une question de temps, parce que beaucoup de personnes veulent participer, et c’est bien. Parfois les gens nous demandent de surseoir et ils nous expliquent qu’ils nous soutiendront d’autant plus qu’il y aura un nombre important de participants au débat. Si vous menez des travaux avec une moindre participation, ils attaqueront la loi. Il est donc préférable d’avoir un consensus, c’est très important pour la stabilité. C’est un de nos principes parmi les plus importants : plus vous avez de consensus sur un maximum de questions, plus vous pouvez aller de l’avant en douceur et dans la stabilité, cela signifie que vous serez plus alourdi et donc moins rapide, mais plus stable. C’est notre façon de voir la situation.

WSJ : Y a-t-il du changement en ce qui concerne les médias ? Je sais que vous avez parlé de cela.

Assad : Nous parlons aujourd’hui d’une nouvelle manière de considérer les médias et, bien entendu, nous avons supprimé certaines sanctions car parfois nous faisons de grandes choses et parfois nous faisons du racommodage dans l’attente de la nouvelle configuration. Donc, nous ne voulons pas nous arrêter en chemin ; nous sommes très dynamiques, en Syrie. Nous faisons de petits progrès, mais quand nous avons une vision claire, nous faisons les choses en grand, et nous adoptions des lois fondamentales susceptibles de changer les choses de manière drastique. Mais parfois, nous ne disposons pas de la vision nécessaire sur un problème donné, comme la différence entre les médias et un site ouèbe, ou sur les nouveaux sites. C’est la raison pour laquelle j’ai pris la décision de repousser l’adoption de la loi sur les publications. Nous n’avons pas encore assez bien délimité ce qui relevait de l’information ou de la publication commerciale, etc.

WSJ : Et votre plan quinquennal est particulièrement ambitieux. Pensez-vous être en mesure de réaliser cette croissance, en dépit des sanctions et de tout : 6 ou 7 % annuellement ?

Assad : Notre croissance est de 5 %. Mais ça n’est pas une question de chiffre, parce que nous avons déjà essayé cette piste purement économique ; nous avons des résultats excellents, en particulier pour un pays comme la Syrie, mais la question est celle de savoir comment faire que toute la population profite de cette croissance. Ce n’est pas le cas. Nous sommes en train d’améliorer notre administration, mais elle n’est pas aussi performante qu’elle devrait l’être pour que tout le monde bénéficie de la croissance enregistrée par notre pays.

WSJ : Fondamentalement, il faut que vous créiez des emplois ?

Assad : Oui, exactement, parce qu’encore aujourd’hui, nous en sommes au tout début, nous avons peu de gens qui atteignent ces résultats, et c’est normal, pour un commencement. Nous parlons ici de millions de personnes, mais nous avons quelques centaines de personnes seulement qui bénéficient de la croissance beaucoup plus que les autres. Par le passé, cette inégalité était moindre, de très loin. Nous devons donc associer tout le monde à la croissance ; tel est le défi. Et vous ne pouvez pas généraliser cette participation si vous ne développez pas les performances de l’administration. Mais nous devons tenir compte du fait que soixante pourcents de notre population sont des paysans, si bien que soixante pourcents de notre économie dépendent de l’eau. Donc, quand vous avez moins d’eau, vous avez moins de croissance. Comme vous le savez sans doute, j’étais médecin, et je me souviens qu’en 1992, un de mes amis qui avait obtenu son doctorat en médecine était allé s’établir dans une région agricole. Il était venu me rendre visite et je lui avais demandé comment allait son travail de médecin. Mon ami m’avait répondu que cela allait mal parce qu’il n’avait pas assez plu. Je lui ai demandé comment cela se faisait, il était médecin, après tout ? Il m’avait dit : « Parce qu’il n’a pas plu, beaucoup de gens ont remis à plus tard même les opérations chirurgicales qu’ils devaient subir ». Ainsi, vous comprenez à quel point l’eau peut influencer tous les aspects de notre économie. Par conséquent, quatre années successives de grande sécheresse ont eu des conséquences dramatiques pour notre économie. Difficile, pour moi, de dire que j’ai un plan très clairement défini pour chaque domaine. Comme vous le voyez, il y a beaucoup de facteurs complexes dont nous devons tenir compte.

WSJ : Diriez-vous qu’aujourd’hui votre principal partenaire économique est la Turquie ? Je veux dire : il semble bien que la Turquie représente un pays modèle en matière d’investissement ?

Assad : C’est tout à fait vrai ; la Turquie est notre modèle, car nous avons le même type de composition sociale et nous avons des traditions similaires. C’est un modèle parmi d’autres, parce qu’en fin de compte, vous n’avez aucun modèle à prendre en totalité, vous prenez seulement certains aspects. En fin de compte, l'Occident soutenait la Turquie. Et maintenant, l’Occident est contre la Turquie. Les Turcs ont plus de technologie que nous, nous n’avons pratiquement pas de technologie, nous ne parlons pas seulement de réforme, nous avons aussi besoin de technologie. Il n’y a pas de réforme sans de hautes qualifications. Nos universités ont été soumises à embargo, par conséquent, comment pourrais-je avoir les meilleures ressources humaines ? Les Turcs ont des ressources humaines bien supérieures aux nôtres. A la fin, vous devez envisager l’ensemble des événements, l’ensemble du contexte. Nous ne pouvons nous en tenir ce que sont aujourd’hui la Turquie et la Syrie.

WSJ : La technologie, est-ce ce qui est le pire, dans les sanctions imposées par les Etats-Unis ?

Assad : Non, il y a pire encore que l’embargo sur la technologie. Un de mes amis, qui a travaillé douze ans aux Etats-Unis, possède un laboratoire médical, et il ne peut pas importer des matériaux de base pour ce laboratoire. Cela influence la vie des gens, si vous ne disposez pas du calibreur approprié pour vos analyses biologiques, par exemple ? Cela signifie que vous donnez aux gens des résultats médicaux erronés. Vous diagnostiquez un cancer chez quelqu’un, alors qu’il n’a pas de cancer. Qu’est-ce que les Syriens ont donc fait aux Etats-Unis pour mériter cela ? En ce qui concerne les avions, quel est le rapport entre la politique et le fait que des gens meurent à cause de crash d’avions dus à un manque de pièces de rechange ? Mais d’un autre côté, nous sommes le pays qui connaît la plus forte croissance dans l’utilisation de l’Internet au Moyen-Orient. Et cela est dû au caractère des Syriens ; ils sont généralement très ouverts sur la société, ils veulent apprendre, et ils réussissent. Nous avons des expatriés dans le monde entier, nous sommes en contact avec le reste du monde depuis au moins un siècle et demi, ce qui est plus que tous les autres pays du Moyen-Orient, nous avons en proportion plus d’expatriés que tous les autres pays de cette région du monde.

Il y cinq millions de réfugiés palestiniens. L’estimation la plus faible dont nous disposions du nombre des expatriés syriens, c’est dix millions, soit le double, et certains spécialistes disent que nous avons en réalité dix-huit millions d’expatriés dans le monde entier. Vous pouvez comprendre, sachant cela, quelle est la diversité des cultures dans notre société, elle est liée aussi à la diversité de nos contacts avec le monde entier. Donc nous ne pouvons pas dire que cet embargo aurait tué notre société, certes non. Non, il affecte certains secteurs, principalement du point de vue humanitaire. Je veux dire, en fin de compte, vous pouvez obtenir les matériels nécessaires au marché noir, mon ami, qui achetait ses matériels aux Etats-Unis, se fournit depuis lors en France, par exemple. Récemment, nous avons acheté deux avions, mais pas des gros porteurs, à la France, car nous ne pouvions pas les obtenir des Etats-Unis. Donc, les gens se rapprochent de l’Europe. Aujourd’hui, vous pouvez acheter à la Chine, ou à l’Inde, nous avons évolué désormais dans cette direction, nous nous tournons vers l’Orient. Nous avions l’habitude de regarder vers l’Occident, et maintenant nous regardons de plus en plus vers l’Orient. C’est très important. Nous ne sommes pas les seuls à le faire, c’est aussi le cas de pays qui ont de bonnes relations avec les Etats-Unis. Même leurs alliés ne sont plus assurés que les Etats-Unis pourront les aider un jour ; ils veulent diversifier leurs ressources, leurs relations, leurs intérêts, bref : tout. Ils veulent avoir de bonnes relations, en particulier avec la Chine et avec l’Inde.

WSJ : Merci beaucoup, M. le Président.

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

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Source : Marcel Charbonnier


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