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Opinion

Interview du Président syrien Bashar al-Assad [2/4]


Le Président Bashar al-Assad

In The Wall Street Journal, 31 janvier 2011

http://online.wsj.com/article/SB10001424052748703833204576114712441122894.html

WSJ : Donc, en quelque sorte, ces peuples devraient être à même de bouger plus vite, n’est-ce pas ?

Assad : Exactement. Or, c’est le contraire qui se produit. Ils vous disent de bouger plus vite, et en même temps, ils vous collent un embargo ! Pour partie, le fait de bouger plus vite relève de la technique. Une partie du problème, c’est la manière de faire progresser votre administration, parce qu’à la fin du compte, tout, dans la société, a un lien avec l’administration, que ce soit les lois, le système judiciaire et d’autres questions techniques. A moins que vous ne procédiez à ces réformes en vue d’une économie plus dynamique et de plus de performance, les gens ne seront pas satisfaits, et le point le plus important, dans toute réforme, c’est les institutions. Vous ne pouvez pas avoir de démocratie sans institutions. Vous ne pouvez pas avoir une démocratie qui serait fondée sur les états d’âme des personnes ne visant que leur intérêt propre. Par conséquent, ce qui est premier, c’est le dialogue et les institutions.

WSJ : Partageriez-vous l’idée que certaines des réformes entreprises ici (en Syrie, ndt) ont été remises en cause par la guerre en Irak ? En effet, vous êtes arrivé au pouvoir à un moment où la situation devenait très difficile, or, aujourd’hui, cette période semble toucher à sa fin, et cela vaut aussi pour le Liban ?

Assad : Oui. Catégoriquement. Je vais vous expliquer de quelle manière. J’ai mentionné à l’instant l’ouverture d’esprit et son contraire, la fermeture d’esprit. Vous ne pouvez pas avoir de réforme tant que vous conservez une mentalité fermée. Bien sûr, vous devez être actif, et non pas passif, parce que vous n’allez pas attendre que les mentalités s’ouvrent, comme ça, toutes seules, d’elles-mêmes… Vous devez faire quelque chose afin de contrer cette fermeture. Mais quand vous avez des guerres, vous avez nécessairement du désespoir, et vous allez avoir nécessairement des tensions ; et quand vous avez des tensions, vous devenez introverti, et non pas extroverti ; vous ne pouvez ni créer ni vous développer. Par conséquent, la réforme doit être fondée sur l’ouverture active de votre esprit, et le fait que vous ouvriez votre esprit, cela ne peut pas venir de décrets ou de lois. Cela découle de tout un ensemble de circonstances et si vous ne disposez pas de ces circonstances, tout ce que vous allez faire sera improductif, voire contre-productif. 

WSJ : Avez-vous un calendrier pour aller dans un tel sens ?

Assad : Cela dépend de la question de savoir si vous êtes (ou non) le seul capitaine à bord de ce bateau. Nous ne sommes pas le seul capitaine. Je viens de mentionner de quelle manière nous avons été affectés par la situation en Irak et au Liban. Il y a beaucoup de choses que nous voulions faire en 2005 et que nous sommes en train de projeter de les faire en 2012 ; vous vous rendez compte : cinq ans après ! Il n’est pas réaliste d’avoir un tel timing, car vous ne vivez pas dans une situation où vous pourriez contrôler les événements. J’ai commencé en mentionnant le fait que chaque semaine nous sommes confrontés à quelque chose de nouveau. Donc a fortiori, vous ne pouvez pas prévoir ce qui se produira dans un an. Bien entendu, vous vous fixez toujours certaines échéances, mais vous ne pouvez tenir un calendrier que dans de rares cas.

WSJ : Pensez-vous que nous sommes en train de nous diriger vers une ère totalement nouvelle, avec de nouvelles puissances, comme la Turquie et la Syrie ?

Assad : Oui, c’est une nouvelle ère, mais elle ne fait pas que commencer ! C’est du moins mon avis. J’ai commencé par la révolution iranienne, mais c’est bien ça, le problème : nous ne cessons d’oublier. Nous n’avons pas de mémoire. Nous avons oublié que quelque chose s’est produit, en Iran, en 1979, et puis, parce que rien de semblable ne s’est produit depuis, nous avons oublié. Mais c’est la même ère : la révolution à laquelle nous assistons est contre quiconque voudrait s’opposer à la conviction du peuple. Comme je l’ai dit, je suis extérieur à cela, maintenant ; je ne peux pas parler de ce qui se passe du point de vue interne, or je veux être précis et objectif. Mais non, ça n’est certainement pas le début de notre ère, certainement pas. C’est peut-être le début d’une ère au sein du monde arabe, mais il ne faut pas oublier que l’Iran fait partie de notre région (le Moyen-Orient, ndt). L’Iran est frontalier avec l’Irak. Vous avez eu une insurrection, en Irak, en 1991, contre Saddam (Hussein). Mais cette insurrection a été écrasée dans le sang avec le soutien des Etats-Unis, en particulier dans le Sud du pays. Cela a empêché Saddam d’opprimer les Kurdes, mais cela lui a permis d’opprimer le peuple dans le Sud de l’Irak, à l’époque, c’est-à-dire les chiites.

WSJ : Pensez-vous que dans cette (nouvelle) ère, avec ce qu’elle comporte, les Etats-Unis auront une influence considérablement diminuée ?

Dans cette (nouvelle) ère, nous avons eu l’Iran, l’insurrection en Palestine, l’Intifada, en 1987, et puis vous avez eu le dessus en 1993. Aujourd’hui, c’est au tour du monde arabe. C’est absolument le même concept : colère et désespoir. En Palestine, il y avait du désespoir et de la colère contre Oslo, et avant Oslo, c’était parce que les Palestiniens n’avaient aucun droit. Aujourd’hui, la révolte est contre ce qui est en train de se passer dans le monde arabe. C’est quelque chose de nouveau, certes, mais je ne qualifierait pas cela de « nouvelle ère », parce que cette ère n’est pas nouvelle, mais il s’agit de quelque chose de nouveau (dans cette ère), de quelque chose qui va changer beaucoup de choses, et en tout cas la manière dont nous pensons, nous, en tant que gouvernements et que responsables officiels, au sujet de notre peuple. C’est là le point le plus important, et une autre chose qui est va changer, c’est la manière dont l’Occident et les grandes puissances regarderont notre région, ainsi que la manière dont nous considérerons nos Etats et nos responsables étatiques. Voulez-vous quelque chose simplement pour vous rassurer et vous calmer, vous, ou voulez-vous quelque chose pour rassurer et calmer le peuple ? Telle est la question. Que choisiriez-vous ? C’est la question à laquelle l’Occident devrait répondre au plus tôt afin de savoir comment traiter avec ses intérêts dans la région. C’est donc la le plus important pour nous, à savoir la manière dont l’Occident s’apprête-t-il à analyser la situation et les leçons qu’il s’apprête à en tirer.

WSJ : Pensez-vous que l’Occident ou les Etats-Unis auront moins d’influence ou moins de capacité de dicter leur volonté, en raison de ces changements ?

Assad : C’est (bien) la première fois que j’entends utiliser le mot ‘dicter’ à propos de l’Occident, car c’est nous que l’on appelle les ‘dictateurs’, or, les ‘dictateurs’ sont supposés ‘dicter’, n’est-ce pas ? La réponse est oui, car vous dictez, en effet, à travers des responsables officiels, à travers des gouvernants, mais vous ne pouvez pas imposer vos diktats à travers les peuples. Et dès lors que le peuple aura son mot à dire, dans le futur, vous allez avoir moins de prépondérance, aux Etats-Unis, et pas seulement aux Etats-Unis, mais il en ira de même pour tous ceux qui voudraient influencer la région (du Moyen-Orient) de l’extérieur.

WSJ : Pouvons-nous parler du Liban ? Etes-vous satisfait de la structure du nouveau gouvernement libanais et pensez-vous que le Liban est désormais installé dans une nouvelle stabilité après un passage difficile, comme l’on dit ?

Assad : Ce qui me satisfait, c’est le fait que cette transition entre les deux gouvernements se soit produite sans heurts, car nous étions inquiets et nous avons exprimé cette inquiétude à propos de la situation libanaise au cours de ces dernières semaines ; par conséquent, l’essentiel est que cette transition se soit déroulée en douceur. Maintenant, la transition suivante ne peut se produire avant que ce gouvernement ait été constitué, et la question qui reste posée est celle de savoir à quel genre de gouvernement nous allons avoir affaire ? Un gouvernement d’union nationale ? Cette question est très importante, car nous parlons ici d’un pays divisé, pas d’un gouvernement stable. Aussi, en l’absence d’un gouvernement d’union nationale, peu importe quelle majorité ou quelle minorité vous avez. Cela ne signifie rien, parce que si vous avez un camp qui l’emporte sur l’autre, cela signifie un conflit, et, au Liban, trois siècles durant, il y a eu des conflits latents susceptibles d’évoluer très facilement vers des guerres civiles généralisées. Jusqu’à présent, tout se passe bien. Nous espérons donc que durant cette semaine, les Libanais pourront constituer un gouvernement d’union nationale, ce qui est l’objectif du Premier ministre. Je pense que la situation s’oriente donc vers ce qui est souhaitable, c’est-à-dire vers l’assurance que les choses se déroulent normalement et de manière pacifique, sans le moindre conflit.

WSJ : Etes-vous toujours préoccupé par le fait que le tribunal (international) ou le verdict de celui-ci auront un impact sur cette situation libanaise ? Quelle est la position de la Syrie sur la poursuite de ses investigations par ce tribunal ?

Assad : Ce tribunal résulte d’un accord entre le Liban et l’ONU, et non d’un accord entre la Syrie et l’ONU. Par conséquent, dès le début, nous avons dit, dès les heures qui ont suivi l’attentat, que nous allions coopérer avec la commission d’enquête, afin de l’aider en lui fournissant toutes les informations dont elle a besoin et il était clair, de tous les points de vue, que la Syrie était (très) coopérative. Après la fin de l’enquête, ils sont passés au stade du procès. Le tribunal est une entité juridique résultant d’un accord et, comme nous l’avons indiqué, nous ne sommes pas partie prenante à cet accord. Par conséquent, juridiquement, nous n’avons rien à voir avec le tribunal. Mais en ce qui concerne le Liban, tout dépend du tribunal et de la question de savoir si celui-ci va se montrer professionnel, s’il va trouver la vérité, ou s’il va devenir un énième outil politique. C’est la question, car aujourd’hui, ils sont en train d’évoquer la possibilité de mettre certaines personnes en accusation sans avoir la moindre preuve. Comment pouvez-vous accuser qui que ce soit sans avoir la moindre preuve qu’il s’agit de personnes coupables ou complices ? Ils disent qu’ils soupçonnent des personnes qui étaient proches de la région, des personnes qui ont utilisé le téléphone, des choses de ce genre, c’est-à-dire de pures théories. Mais nous n’avons encore vu aucune pièce à conviction concrète.

Au Liban, ce pays dont on connaît le sectarisme, dans une situation marquée par le sectarisme, mêlé de tension, une telle mise en accusation, qui est irréaliste, parce que je pense que dans aucun pays civilisé l’on ne mettrait qui que ce soit en examen sans la moindre preuve concrète, ne pourra que générer de la conflictualité. La seule garantie, dans un tel cas, c’est le rôle que peut jouer le gouvernement. Si le gouvernement libanais refuse la mise en accusation en raison du manque de preuve, il n’y aura aucun problème, car, au final, tout sera fondé sur des preuves. Et que ce soit en Syrie ou au Liban, nous avons toujours dit, et nous persistons à dire que quiconque est impliqué dans ce crime ou complice de ce crime doit être tenu pour responsable, comme pour n’importe quel autre crime. Donc la question tourne entièrement autour des preuves, et tout dépend, comme je l’ai indiqué, du gouvernement (libanais). 

WSJ : Pourriez-vous élaborer, à ce sujet, car il semble que la Syrie et l’Arabie saoudite (c’est-à-dire fondamentalement vous-même et le roi Abdullah), ont eu un certain accord sur le Liban, puis le roi s’est rendu aux Etats-Unis, et c’est alors que cet accord semble avoir pris fin. Telle est l’impression que nous avons eue, mais pourriez-vous nous en dire davantage au sujet de la nature de cet accord, et des raisons pour lesquelles il n’a finalement pas tenu ? Est-ce dû à ce que les Américains ont dit au roi Abdullah lorsque celui-ci séjournait à Washington ? Reste que ce qui avait été convenu d’un commun accord, quelle qu’en ait été la nature, ne s’est pas produit…

Assad : Depuis la constitution du tribunal, une partie des Libanais ont dit « pourquoi avons-nous un tribunal international ? Pourquoi ne pas avoir un tribunal libanais ? » C’était, et cela reste, réaliste et logique. Si vous voulez avoir un tribunal national, mais que celui-ci n’ait pas la capacité de juger des crimes complexes, pourquoi ne pas (y) faire venir des experts extérieurs, avec l’aide de certains pays, ou avec l’aide de l’ONU, peu importe ? Donc, ces Libanais étaient contre l’idée d’avoir un tribunal international, de toutes les manières. Certains d’entre eux dirent pourquoi n’aurions-nous pas un tribunal arabe, en lieu et place ? Ainsi, vous avez différents points de vue. Certaines personnes étaient convaincues qu’il s’agissait d’un tribunal politisé, et des fuites, différentes de celles de WikiLeaks, que l’on appelle les « fuites de la vérité », au Liban, au sujet des dépositions de certaines personnes qui voulaient faire de faux témoignages et aussi au sujet de faux témoins sont aujourd’hui parfaitement élucidées. Par conséquent, il y a eu énormément de bruit au sujet de ce tribunal, en particulier à propos de sa crédibilité et de son professionnalisme.

C’est parce que nous pensions que ce tribunal allait générer des problèmes que nous avons dit : « trouvons une solution. Nous avons deux camps. Le premier, l’opposition libanaise, a dit que nous n’avons absolument pas besoin de ce tribunal, constituons un tribunal libanais et n’acceptons jamais de tribunal international ! » Et le deuxième camp a dit : « D’accord, mais si nous acceptons ce tribunal, nous allons avoir des conditions internes, des exigences et quelque chose, en retour, en matière d’administration…

Je n’ai pas ces éléments à l’esprit là, maintenant ; ce sont des détails secondaires. Mais cela faisait partie du deal, et nous étions très près de parvenir à l’accord final quand le roi Abdullah nous a appelé au téléphone pour nous dire que cela ne semblait pas marcher, parce qu’une des parties prenantes n’était pas prête. Comme il nous parlait via l’interphone, nous n’avons pas évoqué les détails. Bien entendu, nous avons de bonnes relations avec le roi Abdullah, mais je ne l’ai pas encore rencontré, ni lui, ni son fils le prince Abdul-Aziz, qui a été nommé pour faire ce travail. Ils viennent de partir pour le Maroc, me semble-t-il, et il doit venir très bientôt en Syrie. Cela fait donc trois semaines, aujourd’hui, et jusqu’à présent, nous ne savons pas encore ce qui s’est passé exactement… Nous avons besoin de les rencontrer afin de comprendre ce qui s’est passé et quelle était la partie prenante qui n’était pas prête. Qui est responsable, nous ne le savons pas… !

WSJ : Concernant la position syrienne sur ce tribunal, pensez-vous que ce tribunal soit crédible, aujourd’hui ? Qu’en pensez-vous ?

Assad : L’ex-Premier ministre Sa’d al-Hariri a dit qu’il y a eu de faux témoins. Il l’a formellement reconnu. Et les dernières fuites, ces dernières semaines, ont prouvé, ne laissant plus aucune place au doute, la manière dont ils ont tenté de monter tout cela. Normalement, si vous avez un procès qui est fondé sur de faux témoignages, que faites-vous ? Vous changez tout, vous recommencez tout depuis le début, vous vérifiez tous les documents en votre possession ! Comment pourriez-vous continuer avec cette même information, qui vous a amené à fonder vos accusations sur quelque chose de faux ? C’est la une question très simple. Je ne suis pas juriste, vous non plus, sans doute, mais c’est une simple question de vérité. Bien entendu, si le tribunal ne regarde pas cette vérité en face, il n’est plus crédible. Il ne saurait être crédible, en sus du fait qu’il est politisé. Qu’il s’agisse d’un tribunal soumis à des pressions ou d’un manque de professionnalisme, c’est la même chose ! Je ne pense pas que nous ayons affaire à des gens qui ne soient pas professionnels : ce tribunal réuni des juges chevronnés. Par conséquent, il se peut qu’ils soient politisés. Ils doivent remédier à cette situation, s’ils veulent apporter la démonstration de leur crédibilité. 

WSJ : A propos du Liban, je suis sûr que vous avez entendu John Kerry et d’autres parler de l’existence de relations militaires entre la Syrie et le Hezbollah ? J’ai lu l’interview que vous avez accordée à Charlie Rose. Il a en quelque sorte démenti l’existence d’un transfert d’armes stratégiques entre la Syrie et le Liban. Etes-vous préoccupé, avec toutes ces allégations, par le fait qu’en cas de conflit entre le Hezbollah et Israël, la Syrie y serait entraînée, comme en 2006 ? Est-ce une réelle menace ?

Assad : Permettez-moi de revenir au problème avec les Etats-Unis. Aux Etats-Unis, l’on parle toujours de subtilités, de chapitres du livre sans en lire le titre. Ils parlent d’un sous-titre, dans un chapitre, et si vous leur demandez le titre, ils vous disent qu’ils n’en savent rien. Nous devons parler des gros titres. Nous ne pouvons suivre les Américains dans cette attitude consistant à picorer à droite et à gauche. Une fois l’on parle du Hezbollah, la fois suivante, l’on parle du Hamas, une fois l’on parle d’armes, et une autre fois, on parle de contrebande ! Si vous voulez traiter d’une situation donnée, que celle-ci soit réelle, ou non, la question posée est de savoir pourquoi vous avez ces problèmes, ou ces facteurs, ou ces sous-titres ? La réponse, c’est parce que vous avez une absence de paix. Donc, en permanence, nous conseillons à tout responsable américain et à tout responsable européen de ne pas nous faire perdre notre temps à discutailler de ces choses, pour lesquelles soit cela vous plaît, soit cela vous déplaît, soit vous condamnez, soit vous soutenez ! Il ne s’agit pas de coller des étiquettes ; il s’agit de réalités et de faits. Occupons-nous donc des faits. Tant que vous n’aurez pas la paix, vous aurez tout ce que vous n’aimez pas. Il vaut donc mieux s’occuper du processus de paix, puis, ensuite, tout le reste sera réglé et deviendra normal. En effet, dès lors que vous avez la paix au Moyen-Orient, pourquoi parler d’armements, et si vous ne parlez pas d’armements, pourquoi parleriez-vous de contrebande ? Et c’est là, bien entendu, que vous n’avez pas à parler d’une faction souhaitant combattre Israël ni d’une quelconque autre faction.

Par conséquent, parler de ces choses-là nous vous exempt en rien de parler du processus de paix. Tel est le problème ; vous ne pouvez pas parler, des années durant, de soutien ou de non-soutien, mais cela ne change pas la réalité, n’est-ce pas ? C’est la question. Les responsables américains devraient consacrer leur temps précieux non pas à parler d’ « étiquettes » telles que celles de « terroriste, de méchant, d’isolement » et, à la fin du compte, la réalité n’a pas changé ; elle a suivi sa trajectoire normale, à son rythme naturel.

WSJ : Ainsi, vous dites que la Syrie n’est impliquée dans aucun transfert d’armes entre elle et le Liban ?

Assad : Si vous prenez Gaza, Gaza est cernée par l’Egypte et Israël, et les deux sont contre le Hamas, et imposent un embargo réel. Et pourtant, les Gazaouis peuvent obtenir tout ce qu’ils veulent !...

WSJ : Mais le principal point, c’est le Hezbollah, non ?

Assad : Le Hezbollah n’est pas soumis à un embargo ; il a la mer, d’un côté, et puis il a la Syrie, et la Syrie a l’Irak, sur une partie de ses frontières. Vous ne pouvez pas empêcher la contrebande, même si vous voulez le faire. Parfois, on demande de vous de fermer les yeux et d’être complices, et d’autres fois, on vous demande de faire la police. Et si vous ne voulez faire ni l’un ni l’autre ? Nous ne voulons ni fermer les yeux, ni être les flics de l’Occident. Nous, nous nous focalisons sur la paix. Quand la principale question va de l’avant, tout le reste progresse. Si vous voulez parler d’un arbre, vous devez parler de son tronc. Vous ne pouvez avoir de branches, en l’absence de tronc, aussi pourquoi voulez-vous parler des branches, en oubliant le tronc ? Parlons du tronc de l’arbre…

WSJ : Où en est le processus de paix, à vos yeux ? Le considérez-vous mort ?

Non, le processus de paix n’est pas mort, parce qu’il n’y a pas d’alternative. Si vous voulez parler de « processus de paix mort », cela signifie que tout le monde doit se préparer pour la prochaine guerre, et c’est là quelque chose qui n’est ni dans notre intérêt ni dans celui de la région. Je pense qu’Israël a retenu la leçon de 2006 : une superpuissance au Moyen-Orient ne peut défaire une petite faction, quel que soit son armement. La technologie est en train de changer, les convictions aussi. Quant aux tactiques, elles ont changé du tout au tout. Tout est en train de changer. Mais malgré cela, nous devons croire que seule la paix peut nous aider. C’est pourquoi nous sommes optimistes et c’est la seule chose qui nous fasse œuvrer à la paix.

Mais pour en revenir à votre question, de savoir où en est aujourd’hui le processus de paix… ; si vous voulez parler du processus de paix dans son ensemble, d’un processus de paix exhaustif, vous avez trois parties prenantes principales : la partie prenante syrienne, qui est une partie arabe, la partie israélienne, et les arbitres, ou les médiateurs. Quant à moi, en tant que partie syrienne, je constate encore que je bénéficie du soutien de mon peuple, ce qui signifie que je dispose d’une large latitude de manœuvre en la matière. Mais bouger, dans ce cas-là, cela ne signifie pas aller quelque part. Vous ne pouvez pas me dire de monter dans le bus avec vous sans savoir où je suis censé aller. Nous ne conduisons pas dans le brouillard. Nous avons affaire à du désespoir, en particulier en ce qui concerne le processus de paix, parce que nous disons toujours non à tout ce qui n’est pas méthodique. Quand les choses seront faites méthodiquement, nous serons prêts à bouger, cet après-midi même. Cela n’exige pas de préparation particulière.

WSJ : Et l’initiative, avec les Turcs, dont vous pensiez qu’elle était bien organisée et que cela allait fonctionner ?

C’est vrai, j’y viendrai. Mais il y a aussi la partie israélienne. Dans le camp arabe, j’ai parlé de la Syrie, parce qu’en ce qui concerne les Palestiniens, comme vous le savez, ils sont divisés, et sans réconciliation, ils ne pourront avoir la paix. Mais c’est plus compliqué que cela encore, et je ne vois aucun espoir, parce que les Israéliens, et même les Américains, n’ont pas été méthodiques, et ils ont rendu la situation pire. Aujourd’hui, il est plus difficile d’initier ou de reprendre les négociations. Quant à la partie israélienne, tout le monde connaît le gouvernement israélien actuel. C’est un gouvernement de droite. Ce gouvernement est fondé sur une coalition entre divers partis, dont celui de Lieberman, le parti Yisrael Beiteinu, un parti d’extrême-droite. Lieberman lui-même a dit publiquement que tant qu’il serait ministre, il empêcherait le processus israélo-syrien d’aller de l’avant, et je ne sais pas ce qu’il a dit à propos des Palestiniens. C’est un ministre de l’extrême-droite ultra et tout responsable américain ou européen a reconnu cette vérité. Avec ce gouvernement en Israël, certains analystes disent qu’il sera très difficile de réaliser la paix, et certains disent même que cela sera impossible.

WSJ : Donc, vous vous situez quelque part, dans ces eaux-là…

Assad : Exactement. L’autre partie est l’arbitre, qui était, il y a deux ans de cela, un médiateur, et non pas un arbitre. Un médiateur, c’est quelqu’un qui peut communiquer des points de vue, comme les Turcs ; alors qu’un arbitre doit être plus actif et non pas passif, ce qui est le rôle des Etats-Unis. Le rôle des Etats-Unis est très important, parce que c’est la grande puissance, qui a une relation particulière avec Israël et qui a le poids suffisant pour être la garantie du processus de paix au moment où l’on signera le traité. Mais en réalité, quand vous signez ce traité, c’est le tout début de la paix, c’est le moment où vous devez vouloir faire la paix, parce qu’il ne s’agit de rien d’autre qu’un traité, et non pas de la paix elle-même, de la vraie paix. La paix, c’est quand vous avez des relations normales, quand vous enterrez la hachette de guerre et que les gens peuvent interagir. Cela exige beaucoup d’étapes, et beaucoup de soutien. A ce moment-là, l’arbitre a sans doute un rôle plus important que durant les négociations.

Le problème auquel nous avons été confrontés avec la plupart des responsables américains durant les administrations ayant précédé celle d’Obama, qu’ils aient eu de bonnes ou de mauvaises intentions, c’était le fait qu’ils ne connaissaient que très peu de choses sur notre région. C’est la raison pour laquelle ils ont besoin du soutien d’autres partenaires. Ils ont un rôle complémentaire. Ce rôle peut être celui des Européens, ou, aujourd’hui, celui des Turcs. De fait, peu importe, car cela peut être qui vous voudrez. Mais si vous voulez en revenir à notre méthodologie, cela fait vingt ans que cela dure. Pourquoi n’avons-nous toujours pas réalisé la paix ? Nous n’avons pas été méthodiques. Nous n’avons pas parlé des termes de référence, des principaux chapitres : la terre, la paix, puis, ensuite, « la terre contre la paix ». Mais quelle terre ? Et quelle paix ? Nous n’avons pas défini ces termes. Et parce que nous ne les avons pas définis, nous avons pu louvoyer, au cours des négociations.

Ce que nous avons dit, c’est qu’il vaut mieux définir ces termes avec la Turquie, de définir ce qu’est la terre, et de définir la nature de la sécurité. Définir, ça n’est pas tout faire, c’est parler des points principaux. Par exemple, définir la ligne du retrait, cela consiste à résoudre six points, à se mettre d’accord sur six points controversés. Définir la sécurité, c’est aussi se mettre d’accord sur six points. Une fois que vous disposez de cette référence, vous pouvez passer à des négociations directes, pour lesquelles vous avez besoin d’un arbitre. Dans ces négociations directes, vous ne pouvez pas louvoyer, si vous voulez, parce que tout est très bien défini, nous avons un cadre très clair, et Israël ne peut plus finasser, et l’arbitre ne peut pas gâcher la partie, même si c’est avec de bonnes intentions. Ce qui s’est passé, dans les années 1990, c’est que certains responsables américains ont pensés qu’ils agissaient bien, mais qu’en réalité, ils ont tout gâché, parce qu’ils étaient émotifs et fébriles. Ils voulaient aider Israël dans de bonnes intentions, mais en réalité, ils ont fait capoter tout le processus. Aussi, c’est dans cette partie des négociations indirectes que vous devez arrêter la définition du cadre de référence. Ainsi, aujourd’hui, nous ne disposons pas de ce cadre de référence ; nous avons un gouvernement (israélien) d’extrême-droite et l’arbitre est en train de changer. Le Président Obama envoie son équipe ou Mitchel et son assistant, qui font depuis quelque temps la navette entre la Syrie et Israël. Il y a quelques jours encore, ils étaient ici, à Damas. Ils s’efforcent de faire face à cette situation difficile. Mais jusqu’ici, il n’y a pas eu de réponse positive de la part des Israéliens. Ce qui est en train de se passer est donc positif, mais seulement virtuellement. Il n’y a encore rien de concret. Pour être très précis, telle est, aujourd’hui, la situation du processus de paix.

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

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Source : Marcel Charbonnier


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