Récit de séjour en Syrie, 3-17 octobre
2015
Au cœur de la Syrie, Générosité
Marie-Ange Patrizio
Jeudi 21 janvier 2016
8ème épisode
Cinq jours à Damas nous ont laissé du
temps pour flâner dans la vieille ville,
guidées par des amies ou sans parcours
déterminé, chacune selon sa curiosité.
Mardi matin, Marie nous
emmène vers la mosquée des Omeyyades.
C’est bien d’y
arriver à pied par ces ruelles
tranquilles. Au fur et à mesure qu’on
approche du centre historique, nous
apercevons des vestiges monumentaux
intégrés dans l’habitat ordinaire. Dans
ces rues l’architecture antique est dans
la vie quotidienne, offerte aux
passants. Parmi lesquels nous croisons
des jeunes parents avec leurs
nouveaux-nés, souvent portés par les
pères, les jeunes femmes marchent à côté
d’eux, je demande l’âge, je montre la
photo de mon petit-fils à
peine né : on
échange -avec ou sans traduction- les
compliments et les voeux. Dans la Syrie
martyre il y a des jeunes couples qui
restent dans leur pays, font des enfants
et sont heureux de les montrer aux
visiteurs étrangers.
L’un des petits bébés (quatre
mois) présentés s’appelle Générosité.
Aux abords de
la mosquée, on trouve les inévitables
marchands du temple. J’achète quelques
porte-clés et pins (drapeau syrien),
légers, et je ne résiste pas à un mug
inimaginable dans nos démocraties
où le culte de la personnalité se
serait écroulé (avec le taux de
popularité de leurs gouvernants) : d’un
côté Bachar el-Assad sur fond de drapeau
russe, et de l’autre Vladimir Poutine
sur fond de drapeau syrien. Pas cher,
même pour les touristes. Je retourne le
mug : Made in China.
Parfait : l’axe de
la résistance tire profit de
l’embargo occidental. Il manque
Nasrallah et Khomeiny mais c’est un
autre genre.
Sur le chemin, des
collégiens assis par terre devant une
boutique nous entendent parler et nous
interpellent en rigolant avec quelques
mots en français. On plaisante alors moi
aussi je sors les miens en arabe : «Allah,
Souria, Bashar ou bess ?»,
et même : «Allah, Souria, Bashar… Poutine
ou bess !» : photo.
Slogan patriotique mis à jour
après le 30 septembre… Photo D. de
France.
On débouche
devant la grande mosquée. On prend les
djellabas -en laissant nos passeports-
dans la salle à côté de la porte
monumentale, on se déchausse, sacs
ouverts aux gardiens, et on entre dans
la splendide cour. Dans la salle de la
mosquée je vois qu’un autre petit bébé
-5 jours- croisé sur le chemin est
arrivé lui aussi aux Omeyyades.
Des petits enfants font la course dans
l’immense salle, derrière les rangs des
femmes en prière. Les tapis se prêtent
aussi aux cabrioles, il faudrait être
très intégriste et très fanatique pour
résister. Personne n’intervient, les
enfants ne sont pas bruyants. Nous nous
sommes assises par terre, contre les
colonnades qui entourent les petites
chapelles latérales, comme et avec
d’autres femmes qui se reposent,
bavardent discrètement. Devant nous, les
femmes qui prient sont parfaitement
alignées, se prosternant à certains
moments : l’unité des gestes est
quasiment chorégraphique, soulignée par
l’uniformité des
foulards. Derrière les orantes
les pèlerins (femmes et jeunes enfants
seulement dans cette partie de la salle)
ou des visiteurs déambulent
nonchalamment vers le petit mausolée
de Jean-Baptiste. Peut-être que
certains viennent de loin.
Mercredi, j’ai écrit le soir : « Canon
toute la journée, sur Ghouta et Jobar
nous dit-on. C’est le premier jour de
l’Hégire, moins de monde dans les rues,
pas d’enfants sur les trajets de
l’école », mais les commerces sont
ouverts. Nous sommes restées longtemps
chez un mosaïste : ici on appelle
mosaïque la marqueterie de bois, et
notre mosaïque s’appelle
foussayfoussa. Le mosaïste
(de bois) nous montre ses outils et ses
matériaux, explique les techniques, les
différences entre les boîtes
traditionnelles, aspect mat, et celles
adaptées au goût occidental, vernies :
ça brille… Le prix des objets (entassés,
qui occupent tout l’espace jusqu’au
plafond du minuscule atelier) est
dérisoire. Il vend peu depuis quatre
années, mais il veut rester en Syrie ;
d’autres membres de sa famille ou
confrères sont partis, le plus souvent,
comme pour les professions libérales,
dans les pays du Golfe : bonne affaire,
cette guerre, pour ces pays, y
compris du point de vue artisanal,
technique.
« L’artisan au travail n’a pas à se
lever devant le plus grand docteur »[1].
Les artisans qui restent malgré toutes
les destructions et menaces sont aussi
les gardiens de la société syrienne.
Atelier de mosaïque,
Bab Touma. Photo m-a patrizio
Nous avons rendez-vous en fin
d’après-midi avec Nadia Khost, écrivain
et historienne, et Rania Massarani,
sculpteur et peintre, fille de Nadia et
du physicien Bassam Massarani.
E-mail le soir : « Le
jeune taxi qui nous a véhiculées pour
une visite à l’autre bout de la ville
dans l’après-midi (environ une demie
heure de course, 1000 LS, à peu près 3
euros) est un appelé qui travaille
pendant sa permission pour améliorer son
« ordinaire » -disons, spartiate- à
l’armée ; il revient de Zabadani et va
partir pour Idlib[1].
Voiture en très mauvais état, lui en
très bonne forme, malgré 5 blessures au
combat. Plein d’énergie ; il nous parle
de la situation, de l’agression contre
la Syrie ».
Pour le jeune taxi-conscrit, première
semaine entière de permission depuis le
début de la crise : une seule semaine
complète de vacances, pas en quatre
années de travail, en quatre années
de combat, de guérilla contre un
ennemi mieux armé, bien nourri et bien
payé. Il travaille pendant ses congés.
Il n’a pas déserté, pas émigré.
Zabadani est à côté de Madaya[2]
-à quelques kilomètres de la frontière
libanaise- dont on nous a beaucoup parlé
récemment (et tourné la page ensuite).
Zabadani a été libérée par l’Armée arabe
et le Hezbollah peu de temps après notre
départ. Quelques centaines de «rebelles»
de Zabadani ont trahi les accords avec
le gouvernement syrien, et réussi à s’enfuir
à Madaya où donc des appelés
comme notre jeune chauffeur, maintenant,
« affament la population », « empêchent
les civils de sortir de la ville» et
autres horreurs dont nos gouvernants
nous reparleront à chaque période
de négociations internationales,
pour se donner un peu de consistance.
Question : puisque, selon nos médias et
leurs sponsors, le « régime » n’hésite
pas à sacrifier toute une population
civile, et que, nous dit-on, son
aviation bombarde davantage les civils
que les terroristes, quel intérêt
–je parle du rapport qualité-prix
(y compris risques de désertion des
conscrits eux aussi assez mal nourris et
postés si près de
la frontière)- ce régime aurait-il à
faire un siège de plusieurs mois plutôt
qu’un bombardement ?
J’avais lu, depuis janvier 2012 grâce à
son autre fille Yara habitant à Paris,
des textes[3]
de Nadia Khost. Ce voyage va nous donner
l’occasion de la rencontrer et du même
coup de casser l’embargo
postal (illégal)
de nos démocraties contre le
peuple syrien : nous allons ramener en
France des écharpes et bonnets tricotés
pour ses petites-filles. Contribution
agréable au trafic postal, tout cela
étant très léger, à tous points de vue.
Donc pas de
salamaleks en arrivant, nous sommes vite
dans des échanges
à la fois sérieux et chaleureux.
Le knafeh bjbneh (gâteau
traditionnel) et sirop de rose que nous
sert Rania vont produire quelques
lacunes dans mes notes. Je le souligne
car l’hospitalité syrienne est centrale
dans ce séjour : aspect de la vie
politique, au sens le plus propre, de ce
pays. Il faudrait plus d’espace qu’un récit
diffusé par Internet pour
consacrer à chacune de ces précieuses
choses la place qu’elles méritent.
Continuer à faire de la cuisine
et de la pâtisserie -et du tricot - avec
les produits qui restent abordables,
malgré les restrictions générales, fait
partie de la résistance quotidienne
contre l’agression en cours.
Dans la pièce,
on aperçoit aussi des peintures
et sculptures de Rania : elle nous les
montrera après notre entretien, qui est
en français. Nadia Khost
a vécu plusieurs années à Paris
où son mari a fait un doctorat d’Etat en
physique, après Moscou où
ils se sont rencontrés. Ils sont rentrés
ensuite travailler dans et pour leur
pays.
Nadia
Khost, 14 octobre 2015, photo D. de
France.
NK: « Pendant 5 ans les terroristes ont
fait des bases souterraines et les
avions syriens ne peuvent pas arriver à
détruire ces terroristes. Bases à 15-20
mètres sous terre. Des amis nous ont dit
: un jour ils ont creusé plus de 200
mètres de tunnels, en plusieurs étapes,
trois lignes de tunnels…
Si vous suivez la
guerre depuis le début vous remarquerez
à la télévision que les soldats syriens
allaient dans une tenue tout à fait
ordinaire à une guerre qui est très
difficile, contre
des terroristes, et bien préparée par
les forces internationales.
Nous
voyions ça et nous avions pitié
pour eux. Nous n’étions pas préparés
pour une telle guerre. Tous les jours
les Syriens avaient des funérailles de
soldats, d’officiers syriens qui avaient
été tués. Ça a duré 3-4 mois. C’était
très triste ici, pour nous. Mais après
ça l’armée a compris qu’il fallait
utiliser d’autres méthodes de guerre,
d’une guerre pour laquelle ils n’étaient
pas préparés : le combat de rue.
Je crois que
c’est en ce point que les Iraniens et
les amis de la Syrie (Russes) ont aidé
les Syriens. On a commencé après ça à
voir des gilets pare-balles, alors que
les terroristes en avaient toujours eus,
eux ; on a commencé à équiper les
soldats syriens, par exemple à donner
des casques aux soldats. Et Hezbollah a
aidé aussi de cette façon parce qu’ils
ont, eux, l’expérience de la guérilla.
Mais après, vous
savez, les Syriens ont toujours cherché
les solutions pacifiques. C’est pour
cela qu’il y a eu plusieurs amnisties
par le Président et vous remarquerez que
tous ceux qui ensuite ont été les
leaders des gangs terroristes sont des
gens qui avaient été libérés, ils
sortaient de prisons à cause de cela : à
cause de cette volonté d’amnistier pour
rassembler. Al Jolani, d’Al Nosra a été
libéré comme ça.
Le gouvernement
syrien a toujours essayé de ramener les
insurgés syriens, jusqu’à maintenant
encore. Je crois que les Syriens ont été
intelligents dans ce domaine pour gagner
le peuple.
Jusqu’au 5ème mois
de guerre, tous les Syriens n’ont pas
compris ce qui se passait. Il y avait
toujours une montagne de revendications
légitimes du peuple, on voulait vraiment
un changement ; on était vraiment contre
la corruption. C’était clair pour le
peuple.
Après le 5ème mois, j’ai
vu une manifestation sortir de la
mosquée des Omeyyades mais ce n’était
pas des religieux. Alors, al Boutî[1]
a pris sa décision : les Omeyyades c’est
le centre politique de la Syrie ; il a
pris une décision après
le 5ème mois. Al Boutî représentait les
sunnites syriens, l’Islam du pays de
Cham (du Levant), mais aussi celui qui
embrasse toutes les religions (même
chiites, orthodoxes, catholiques etc.),
l’Islam Chami, du pays de Cham.
A partir de ce
moment-là, tous les vendredis, Al Boutî
parlait du fait que l’Islam est contre
la division, et contre le fait de tuer
les autres. Il parlait tous les jours
aux gens. Et il a été tué [avec 49
personnes, dans un attentat suicide le
21 mars 2013 [6]] ; on peut voir sa
photo dans les rues, elle est encore
exposée depuis sa mort [en effet, nous
avons compris ensuite qui était cet imam
qu’on voyait souvent sur les affiches,
généralement avec celles de Bachar al-Assad,
et d’autres parfois]. La manifestation
qui partait des Omeyyades était en
faveur de l’Etat.
Al Boutî prêchait le
vendredi aux Omayyades et les autres
jours il priait dans les autres
mosquées de Damas, jusqu’au 21
mars 2013, où il a été tué[2].
Des observateurs
ont été envoyés
par la Ligue Arabe [du 22 décembre 2011
au 18 janvier 2012] : ces envoyés
avaient été choisis par la Ligue Arabe,
tous sauf un. Ces gens étaient touchés
par la vérité de ce qu’ils voyaient. Le
chef de la mission était le général
Ahmed Mustafa al-Dabi [soudanais]. J’ai
lu le rapport de ces observateurs ; il
était très bon, ce rapport. Et c’est
pour cette raison que cette commission a
été retirée par la Ligue Arabe. Le
général Dabi avait assisté à la prière
du vendredi, quand Boutî parlait. L’émir
du Qatar a alors envoyé un chèque en
blanc à cet homme pour l’acheter, pour
qu’il modifie le rapport de la
commission, en lui disant : « chaque
homme connaît sa propre valeur, alors à
vous de mettre la somme que vous
voulez ». Al Dabi a
renvoyé le chèque
à l’émir en lui répondant que ce
qu’il lui demandait c’était censurer la
vérité. Et la Ligue Arabe a retiré la
commission[3].
Un autre membre de
la commission était un général
tunisien, il a déclaré tout ce
qu’il avait vu et a fait ensuite un site
pour soutenir la Syrie : c’est
Ahmed Manai[4].
Mais nous n’avions
pas la force militaire nécessaire pour
combattre les terroristes. Et jusqu’à
maintenant l’armée est limitée par le
nombre des soldats syriens qu’elle a. Ce
sont des conscrits et leur nombre est
limité alors que les terroristes ont des
milliards à leur disposition pour les
mercenaires.
Une autre étape de
la guerre s’est déroulée quand les
groupes terroristes ont commencé à viser
les structures économiques. Jusqu’à la
deuxième année de guerre, nous n’avions
pas tellement de difficultés du point de
vue économique. Ensuite, ils ont tout
ravagé, y compris les voies ferrées, les
lignes d’autobus etc. Et ils ont fait
des guets-apens pour tuer les
travailleurs qui allaient à leur
travail, les paysans qui allaient sur
leurs terres.
A la fin de la première année de
guerre, des milliers de Syriens sont
descendus dans la rue à Alep, à Damas [j’ai
assisté à une manifestation de
plus d’un million de personnes à Damas
le dimanche 13 novembre 2011[5]].
Mais après on a arrêté
de faire des manifestations. A la Place
Saba Bahrat (Sept lacs), la
manifestation était quotidienne : il y
avait des chrétiens, des religieux en
habit sacerdotal, des musulmans aussi,
des enfants et surtout des femmes qui
n’étaient pas politisées avant. C’était
très important. Mais les terroristes
sont venus repérer les enfants dans la
manifestation, ils les ont filmés, et
ensuite enlevés et tués. C’est pour ça
qu’on a arrêté les
manifestations.
Et c’est pour ça
que Bachar el-Assad a répété
plusieurs fois que c’est seulement le
peuple syrien qui a sauvé la Syrie.
Le président el-Assad,
au début de la guerre, n’était pas comme
maintenant [beaucoup de gens disent ça
en Syrie]. Je dis toujours qu’il y a
beaucoup de politiciens qui n’ont pas
compris les leçons de la guerre. Le
peuple syrien, lui, est plus avancé que
les politiciens syriens. Il y a
actuellement quatre grands hommes
politiques dans le monde : Nasrallah,
Khamenei, Assad et Poutine.
Avant la guerre j’ai travaillé pour la
sauvegarde des sites architecturaux de
Damas avec les femmes écrivains, pour la
protection des quartiers traditionnels.
J’ai écrit 5 romans à caractère
historique sur l’histoire de Damas. Sur
l’occupation sioniste jusqu’à
maintenant.
Mais après le début
de cette guerre, j’ai écrit sur la
guerre et j’ai diffusé
autant que j’ai pu ; pour nous c’est
très important. Les médias et sites
progressistes ont publié.
Qu’est-ce qu’on a découvert avec cette
guerre ?
Que les femmes syriennes étaient très
libres avant la guerre : nous pouvions
aller et venir même après
minuit en sécurité. Par exemple,
moi je conduisais ma voiture de Damas à
Kassab à côté de la frontière
turco-arménienne. Mes paroles ont été
reprises par celles qui travaillent dans
des hôpitaux, dans des usines, partout.
A cause de la guerre nous avons perdu la
sécurité.
Bachar el-Jaafari [représentant de la
Syrie à l’ONU] a dit que la Syrie avant
guerre était le 3ème pays au monde pour
la sécurité.
1) Maintenant si vous faites un tour à Mazzé, vous êtes
en pleine sécurité, oui, mais
vous pouvez remarquer que les fenêtres,
qui avant étaient sans barreaux,
maintenant ont des barreaux, des clés.
2) que les Syriens sont colorés, de
toutes les religions et origines : c’est
merveilleux. C’est le fait de toutes les
civilisations qui sont passées par la
Syrie. Toutes ces composantes du pays
syrien vivaient en harmonie.
3) nous avons découvert combien notre
pays est riche de patrimoine, de
civilisations.
4) nous qui étions contre la corruption,
nous avons découvert que les fondements
économiques et sanitaires, et culturels
étaient merveilleux en Syrie. Nous
avions des usines, des industries qui
exportaient dans de nombreux pays arabes
; et des produits de la terre, fruits
légumes -beaucoup de légumes- très bon
marché, qui étaient exportés. Nos
produits étaient les moins chers des
pays arabes. Les Jordaniens avaient
l’habitude de venir ici -les Libanais
aussi- pour acheter la viande qui était
bon marché. Malheureusement tout est détruit.
Le président de la
Chambre des industries a dit qu’à Alep,
10 000 usines avaient été transportées
en Turquie. 40 000 ont été
pillées par les
groupes armés. Conclusion : la guerre
n’était pas pour démocratiser la Syrie,
mais pour la voler ».
Rafqa : la guerre nous a révélé la
démocratie de la Syrie à nous les
Syriens.
Au moment où je reprends ces notes pour
rédiger ce texte Rafqa me dit « non
c’est autre chose qu’il faut dire
: la guerre nous a révélé la liberté que
nous avons en Syrie ».
NK : « en surface,
à l’extérieur, il y avait un peu
de corruption mais pas dedans, pas à
l’intérieur. Dans le coeur des Syriens
c’est profond, c’est tendre. La Syrie
est un pays d’amour. Parce que nous ne
sommes pas une société individualiste ;
on ne peut pas s’isoler en Syrie : il y
a toujours quelqu’un qui s’inquiète pour
vous…
La guerre des grandes puissances contre
la Syrie a aidé la
Russie à être une fois de plus
une grande force internationale. La
Syrie est le carrefour maintenant, entre
un monde qui est unipolaire et un monde
multipolaire. C’est pour cela que nous
ne pouvons pas permettre que la Syrie
soit battue, vaincue. Les simples
Syriens savent cette vérité plus que les
politiciens syriens.
Les victimes dans l’Armée : pas moins de
200 000. Il y a des familles qui ont
perdu plusieurs fils.
A Jobar : il y a des centaines de
souterrains, avec des routes
souterraines pour les camions des
terroristes : c’est le Hamas qui leur a
appris à faire des souterrains, ils
l’avaient appris eux-mêmes du Hezbollah
et après ils ont appris eux-mêmes aux
terroristes à les faire.
La Syrie a été
menacée par les Américains pour qu’elle
chasse le Hamas [K. Mechaal a été
logé, nourri, protégé, lui et toute sa
famille, par l’Etat syrien pendant
toutes les années où il est resté à
Damas : maintenant il vit au Qatar].
Qu’est-ce qu’ils font maintenant dans
les camps des Palestiniens ? Ils les
font partir en Allemagne. Où est
maintenant le droit au retour des
Palestiniens ? Les terroristes sont les
agents des Israéliens,
qu’ils le sachent ou non.
m-a : Yarmouk ?
C’est au sud de Damas, dans la banlieue.
Un Un chef religieux [palestinien], Raed
Salah[6],
a dit : « il faut d’abord libérer
la Syrie du Baas avant de libérer la
Palestine », il
était contre Assad, il est allé voir
Erdogan[7].
C’est pour ça que nous disons : la
guerre en Syrie n’a pas de semblable,
elle est internationale. Et les autres
aussi ont participé, les sionistes. On a
trouvé des armes israéliennes à Ghouta
[banlieue de Damas, fief terroriste].
Elles sont arrivées par les tunnels avec
la complicité des traîtres.
m-a : vous avez participé à la rédaction
de la Constitution ?
Non, j’ai participé à la rédaction de la
loi sur les médias. La Constitution a
été rédigée par des juristes et des
politiques. L’essentiel dans la
Constitution c’est d’avoir supprimé
l’article 8[8]
: sur le parti Baas comme parti leader
qui doit nommer le Président. Maintenant
c’est multipartite. Mais pour nous ça
n’est pas facile de supprimer ça dans la
vie quotidienne.
m-a : pourquoi ?
Parce que le Parti Baas et le Parti de
l’union nationale sont les plus fortes
institutions politiques dans la vie
syrienne. Bien sûr il y a plusieurs
nouveaux partis mais ils n’ont pas
encore d’expérience, ils n’ont pas
d’envergure. Ce sont surtout des femmes
qui guident les nouveaux partis mais
elles manquent d’expérience.
Parce qu’un parti
doit être dans la vie quotidienne, avoir
des contacts avec les gens, alors qu’eux
ils veulent participer aux chambres des
représentants et c’est tout. Ils ne font
pas de projets, ni sociaux ni
écologiques. Ils parlent toujours de
participer à la direction, mais pas à la
vie sociale. C’est un problème.
Au début de la
guerre les gens qui ont fait leurs
études en URSS, nous nous sommes
rassemblés au Centre culturel russe : on
était environ 400. Il y avait
l’ambassadeur russe et aussi un
dirigeant de la direction régionale du
Baas. On a parlé
franchement des causes de la guerre, de
la corruption etc. Ce dirigeant disait
que malheureusement nous n’avions pas
d’opposition forte, parce que ça nous
aiderait.
Kadri Jamil a formé
le Parti du changement et il coopérait
avec -et a formé- un Front pour le
changement avec le parti PSNS. Très
bon, il coopérait avec les
baassistes ; il est à Moscou pour aider
l’opposition à
former une délégation.
m-a : et le Dr. Al Jaafari ? Il fait des
interventions remarquables à l’ONU.
C’est une personnalité extraordinaire,
et, oui, il a aussi un goût littéraire
dans ses interventions[9],
sa femme est Iranienne.
m-a : Et le ministre [des Affaires
étrangères] Al Mouallem ?
Oui, lui aussi, et lui aussi choisit ses
mots avec grand soin pour ses
interventions. Il a dit à l’émir de
Quatar qui voulait le retourner[10]
« mais je suis le seul à ne pas être
baassiste dans le gouvernement !».
m-a : et le Président Assad ?
Il est extraordinaire. C’est un esprit
scientifique, si on arrive avec des
choses objectives, des éléments précis,
il sait écouter et changer d’avis. Il
continue à apprendre, toujours, de cette
agression, des batailles [ça aussi,
c’est quelque chose que nous avons
entendu plusieurs fois, de toutes sortes
d’interlocuteur, en Syrie : « il
apprend »].
m-a : Yara m’a dit que vous avez écrit
récemment des pièces
de théâtre ?
NK : Sur le takfirisme, avec une base
documentaire[11].
C’est horrible cette idéologie
takfiriste : à son fondement, il y a un
égyptien Sayyed Qutb[12].
Pour eux, tous les musulmans ne sont pas
des vrais croyants, alors on peut les
tuer… »
Rania Massarani nous montre quelques
unes de ses sculptures et des modelages
: seulement des personnages, solitaires
ou groupes, visages graves, tous.
Rania Massarani ; modelage, reproduction
interdite sans autorisation de l’auteur.
Photo D. de France.
Contraste avec la légèreté de ses
dessins et encres de Chine, croquis de
détails de l’architecture damascène.
Aucun personnage, des oiseaux au bord
des fontaines, une antenne parabolique
sur des ferronneries ouvragées, une
ampoule électrique suspendue au milieu
d’un patio, des chats qui veillent au
bord d’élégantes gouttières. Traits
d’insouciance qui gravent la résistance
intime et tenace de la société syrienne
menacée.
Encre de Chine, Rania Massarani,
reproduction interdite sans autorisation
de l’auteur.
Rania nous montre aussi les décorations
qu’elle fait sur des meubles bon marché,
en adaptant l’ancienne technique de l’ajami
aux composants disponibles aujourd’hui.
L’embargo et la guerre obligent les
artisans et les artistes à l’ingéniosité
technique.
NK : « Un conseil : il ne faut pas
prendre un taxi au hasard quand vous
êtes à Damas ».
Nous rentrons de Mazzé avec un taxi
appelé par téléphone, beau 4X4 et
ceintures de sécurité fonctionnelles ;
dans le square qui longe une mosquée
contemporaine, deux jeunes sortent leurs
chiens, les seuls que j’ai vus à
Damas. Quartier résidentiel.
Nous franchissons
plusieurs barrages pour aller jusqu’à
Bab Touma, il y a du monde dans les rues
vers le bas de la ville ; dans la
voiture arrêtée à côté de nous à un
barrage, un gosse est debout sur le siège
arrière, la tête et les épaules
émergeant imprudemment du toit ouvert :
après avoir inspecté l’intérieur et le
coffre, un soldat lui fait signe de
rentrer dans la voiture et de s’asseoir.
Jeudi nous retrouverons Dora et d’autres
amies dont des consoeurs psychologues
cliniciennes qui continuent à travailler
à Damas. Sur une porte en venant j’ai vu
un nom : Bitar : « comme le ministre
chilien, ancien détenu à Dawson ? »
Dora : «Il y a des chrétiens et des
musulmans qui s’appellent Bitar, et
quand des familles des deux religions
portent le même nom ça veut dire que la
famille musulmane était chrétienne mais
a changé de religion pour ne pas payer
la dîme que les conquérants musulmans
prenaient de force aux non musulmans.
Au temps des
Ottomans il y a eu beaucoup
d’émigration, notamment en Amérique du
sud, en Argentine, au Chili ; et une
grosse mortalité, dans des travaux très
durs. En Amérique du Nord, il y avait
aussi un autre type d’émigration, ils
prenaient des colifichets et faisaient
les trajets à pied, ils allaient dans
l’Ohio, à Cincinnati. Ils mourraient
souvent en route mais certains sont
devenus très riches ».
Anecdotes familiales sur les émigrants
face aux fonctionnaires de police à
Ellis Island. « Il
y a même un genre
littéraire, une poésie de
l’émigration, Kalil Gibran fait partie
de ces gens-là ».
[Et aujourd’hui ? Les récits de
migrants doivent alimenter aussi les
fantasmes des actuels candidats au
départ ; nous avons rencontré dans un
village de la Vallée des Chrétiens deux
jeunes hommes qui veulent quitter leur
pays, leur cousin est conscrit depuis 5
ans : l’un parce qu’il ne veut pas
partir à l’armée, l’autre (exempté,
soutien de famille) croit peut-être aux
promesses -éphémères- que des
gouvernants européens ont faites cet
été. Pour le moment, visas refusés. J’ai
remarqué que les Syriens (francophones)
disent quitter, sans complément d’objet,
plutôt que partir : on ne part pas, on
quitte… ]
Bruit d’explosion,
Dora sursaute mais dit c’est nous.
Elles parlent des obus « éléphants »,
fil, en arabe : « d’abord tout un feu d’artifice,
on dit éléphant parce qu’on
a l’impression qu’il font un
cercle avant d’exploser ! Les gens
discernent les tirs amis des tirs
ennemis, et quel genre d’obus on reçoit
sur la tête.
A Jobar ils (terroristes) sont dessous,
mais hier l’armée a fait sauter un
tunnel. Même à Bab Touma ils ont des
tunnels pleins d’armes. A Midane, on les
a vus sortir des canalisations, il y
en a un qui a poursuivi L. mais
elle a couru (elle est grande) et ils
ont attrapé le type au barrage ».
L. nous raconte qu’un autre jour elle
revenait chez elle, un obus a explosé
juste à côté, elle a mis 1 heure et
demie à pied pour arriver chez elle
tellement elle tremblait, elle
n’arrivait plus à marcher, un parcours
qui ne prend d’habitude que 10 minutes,
2 autres obus ont explosé à côté d’elle.
m-a : il y a beaucoup d’enlèvements pour
rançons ?
« Au début il y en a eu beaucoup, des
gens d’ici. C’était de l’argent
facile. Il y avait des enfants qui
avaient des adresses sur eux et disaient
aux passants vous pouvez m’amener chez
mes parents, je ne sais plus comment y
aller ? Quand les gens arrivaient chez
le gosse, les « parents »
les kidnappaient. Les terroristes
prenaient les gens en otage soit pour
une rançon soit pour creuser des
tunnels, beaucoup sont morts ou ont
disparu».
En fin d’après-midi,
le taxi que nous prenons pour rentrer
vers Bab Touma fait un long détour, nous
dit Rafqa : dans la voiture, on assiste
sans comprendre à un échange
très tendu entre elle et le
chauffeur en djellaba, barbu, le seul
taxi que nous ayons vu avec cette tenue.
Rafqa nous dit ensuite que ce trajet
pouvait nous amener à la sortie de la
ville. Elle a eu peur, lui a demandé
pourquoi il passait par là. Il explique
pour éviter les barrages, aller plus
vite ; elle lui demande sèchement de
passer par les barrages. Une amie qui
nous rejoint a mis presque trois quarts
d’heure de plus par le trajet normal ;
l’argument du chauffeur, en tous cas,
était juste. Rafqa est ennuyée
de la réaction qu’elle a eue,
sans doute erronée, reconnaît-elle.
Rafqa nous quitte
vendredi matin pour aller dans sa
famille, Dominique et moi rentrons
seules en France. Pas de rendez-vous
jusqu’au soir, les bombardements ont
commencé vers 5h mais se sont estompés
ensuite. Je pars au hasard dans le
dédale de ruelles de l’autre côté de la
Rue Droite. Des enfants jouent seuls
dans les rues, m’accompagnent quelques
mètres quand je demande mon chemin d’un
seul mot, un monument, point de repère.
On dirait un village. Des tout petits
enfants jouent devant leur maison. Mais
ce n’est pas un village, nous sommes au
coeur d’une agglomération de plus de
deux millions d’habitants (chiffre
incertain, avec les déplacés) avec des
bombardements.
Dans les rues plus
commerçantes, les boutiques sont
étroites, vitrines désuètes, il y a plus
de barbiers que de salons de coiffure,
l’atmosphère est très différente de
celle de la ville moderne de l’autre
côté des murailles ; dans la zone des
commerces d’alimentation, les fruits et
légumes exposés sur le trottoir sont de
saison, sans doute de la région, je
n’arrive pas à lire les prix (et les
chiffres arabes alors ?). Il y a
beaucoup d’oranges vertes, celles que
Samir ou Karim nous servent en jus au
petit déjeuner, qui ont un goût de fruit
de la passion.
A l’angle de la Rue
Imam Ali, une tenture recouvre un grand
pan de mur et 27 portraits de martyrs
sont accrochés. Je croise une bande de
petites filles (7-8 ans) qui occupent
quasiment la largeur de la rue en se
tenant par le bras ou l’épaule et en
chantant : ça aurait fait une belle
photo, je n’ai pas pris mon appareil,
volontairement. Un cantonnier (tenue
orange) se baisse pour ramasser à la
main des détritus là où il ne peut pas
passer son balai.
Les enfants
utilisent aussi les vestiges de petits
squares comme terrain de jeux, les mères
ou grand-mères se reposent, assises sur
des chapiteaux de colonnes. Moi aussi,
pour essayer de repérer où je suis.
Le soir, dernier
rendez-vous avec les amies, et Georges,
un architecte qui revient de son travail
à Beyrouth, le week-end. Il a participé
à la restauration de monuments à Damas
et nous a préparé un parcours guidé
jusqu’à la Citadelle :
il nous montre la
succession des civilisations dans
l’urbanisme et l’architecture. Dans ces
ruelles de Bab Touma on voit bien
comment chaque société s’est fondée sur
la précédente.
Partout des
barrages, jour et nuit. Vers les
Omeyyades, un barrage est tenu par des
militaires qui ont de beaux uniformes
noirs, en bon état : c’est la sécurité
des lieux chiites.
On s’attable
à un café au pied des murs de la
Citadelle « restaurée (vers 2000-2001)
grâce à l’IFPO » de
l’époque. Le serveur ne veut pas
qu’on monte s’installer à la terrasse
supérieure à cause -dit-il- de tirs
possibles de snipers. La rivière Barada
coule en contrebas le long des murs de
la vieille cité. « Damas
était pleine de petits ruisseaux.
Et de potagers, vergers, jardins » que
notre guide nous montre sur des plans
anciens qu’il a apportés. L’air est
doux, le café surplombe la partie hors
les murs de la ville, pas
d’illuminations, pas d’éclairages
urbains, seulement des petites lumières
jusqu’aux pentes du Qassioun.
En rentrant à
l’hôtel, un jeune employé demande à me
parler en aparté (en anglais). Il va
partir en France dans quelques jours, et
me -se ?-demande quelles sont les
conditions de vie à Paris.
Il a un visa d’un an
(renouvelable, dit-il). Il y a un an qu’il
prpan>épare ça. Je suis
surprise. Il me dit que c’est
sûr, les visas les attendent à l’ambassade
à Beyrouth, obtenus avec l’aide
d’un élu français venu en Syrie.
L’intermédiaire est une voisine du jeune
homme, un contact de notre élu voyageur.
De fil en aiguille il nous dit (j’ai
appelé D. pour être sûre de ce que j’entends)
qu’ils sont 18 personnes de sa
famille à partir ; tous diplômés
(professions libérales surtout), lui est
étudiant.
m-a : Pourquoi partez-vous ?
- « la vie est difficile, c’est
dangereux, pas d’avenir ».
Je parle des difficultés pour se loger à
Paris : on leur « donne 3 maisons, 350
euros par mois -chacun- jusqu’à la fin
de la demande d’asile ».
Ils ont « déjà les inscriptions à la
fac, ils vont pouvoir faire des études »
(ici non ? avec les enseignants qui sont
restés : pas forcément les pires). La
somme allouée convertie en LS représente
beaucoup plus qu’un salaire moyen syrien
mais est-il conscient de la différence
du coût de la vie ?
« On veut travailler, on aime la
France » sans parler français… Sa
famille est chrétienne mais il nous dit
ensuite que la religion n’a pas
d’importance pour lui. Peut-être cela en
a-t-il, ces derniers temps, pour les
élus qui parrainent les visas. Un autre
interlocuteur pendant notre séjour nous
dit que jusqu’à présent le Ministère des
Affaires Etrangères français « se
méfiait des chrétiens car ils sont
souvent pro-Assad ».
Face à ma
perplexité, il nous dit qu’il a « un
parent qui y est depuis 20 ans ».
Ce jeune employé (réception) n’était pas
de ceux avec qui nous avions sympathisé
à l’hôtel. Ceux qui nous ont servi un
délicieux petit déjeuner tous les jours
et, selon la coutume, teskieh, la
soupe du vendredi matin ; celles qui
font le ménage et ont déposé sur ma
table de chevet un minuscule bouton que
j’avais perdu ; celle qui nous a lavé et
repassé quelques vêtements, jamais aussi
bien repassés depuis que je les avais
achetés : pour quelques dizaines de
centimes d’euros pièce.
Le cousin de Brahim qu’on voyait passer
avec les courses du petit déjeuner. Ceux
qui entretiennent parfaitement les
patios, où on s’installe volontiers pour
bavarder, écrire, écouter les fontaines.
L’attention bienveillante et enjouée de
Samir, Karim, Carole, le jour, d’Anas,
la nuit ; et ceux dont je n’ai pas
demandé ou retenu le nom. Qui restent,
gardent la maison[13].
Samedi 17 octobre, vers 1 heure du
matin, j’envoie un dernier email : « Ça
bombarde depuis environ 1/2 heure ; ça a
tonné très fort au début, puis une
coupure d’électricité, des voix fortes
dans l’hôtel. Maintenant ça continue
mais moins fort et moins fréquemment
(…)»
Un taxi (re)commandé par
Dora vient nous chercher à 6h au bout de
la rue pour être à Beyrouth dans la
matinée (avion en début d’après-midi) :
100 euros pour deux, de l’hôtel à la
porte du terminal de l’aéroport Rafiq
Hariri. Il fait très froid quand nous
quittons Damas.
Au deuxième barrage sur
l’autoroute, quatre soldats : ils nous
demandent de descendre, regardent nos
papiers, nous font ouvrir tous nos
bagages, et inspectent
consciencieusement (20 sachets de tisane
du monastère et un -gros- de zaatar
calent le mug et le pot de miel). On ne
rigole pas, ni eux, ni nous ni notre
chauffeur. Mais l’inspection finie, en
quelques mots la tension disparaît
complètement, les soldats nous
remercient, ce ne sont pas des formules,
les regards et les voix sont sincères,
affables, prévenants. Ils nous invitent
à partager le maté qu’ils étaient en
train de boire dans la cabane du poste :
nous nous faisons passer les quatre
verres en nous brûlant les doigts, on
rit, tous. Pas de photo ; de ces jeunes
gardiens de la route je ne me souviens
que d’une allure gaie et chaleureuse
autour du maté, et des rayons du soleil
levant quand nous nous saluons, frères.
Pas loin de Zabadani et Madaya.
Aucun problème sur
la voie rapide pour le Liban, au
troisième barrage un seul soldat de
notre côté pour garder le poste ; pas de
problème ensuite -dans ce sens- au poste
frontière, qui est en reconstruction.
Et au bout d’un
trajet qui sera finalement très rapide
nous plongeons dans l’atmosphère de
Beyrouth, pollution visible à l’oeil
nu.
Beyrouth,17 octobre 2015, photo m-a patrizio.
Et retour vers l’Ouest :
Aéroport Rafiq Hariri, Beyrouth, 17
octobre 2015. Photo m-a patrizio
Ce récit n’est
construit que de détails
de nos pérégrinations et de
paroles recueillies chez ceux que nous
avons rencontrés de
façon délibérée ou inattendue,
parfois quelques mots seulement, pas les
plus anodins. Son objectif est de donner
des éléments permettant à
chacun d’interroger
ce qu’il voit et entend ici sur la Syrie
: qui nous concerne. C’est de plus en
plus difficile de l’ignorer.
Pour un panorama
géopolitique de la situation globale
dans laquelle cette nation est emportée
depuis presque cinq ans, on pourra lire
la synthèse de Michel Chossudovsky[14],
à qui j’emprunte les derniers mots de
son article pour prendre congé, en
arrêtant ce récit mais pas « la tâche
qui nous incombe » :
«William Shakespeare
décrit de façon limpide les
architectes du nouvel ordre mondial dans
le monde contemporain : " L’enfer est
vide, tous les démons sont ici".
La tâche qui nous incombe, c’est
d’envoyer les "démons" de notre époque,
les architectes auto-proclamés
de la "démocratie" et du "libre
marché" à leur " juste
place" ».
Marie-Ange Patrizio
Marseille, 20 janvier 2015
Merci à ceux qui ont pris du temps pour
nous accueillir, pour nous conduire en
voiture ou à pied dans des trajets qui
pouvaient ne pas être sans surprises. A
ceux qui sans haine ni animosité,
lucidement, souvent avec aménité et
humour, ont évoqué ces années de peurs,
de destructions et de mort, avec des
citoyennes d’un Etat qui continue à
prendre part au massacre et au pillage.
Et, depuis le début
de ce récit, merci
à ceux qui m’ont aidée à compléter
mes notes, à traduire les mots
arabes, et mis leurs photos à
disposition : photos
malheureusement limitées
pour ne pas alourdir le poids de
la diffusion.
[1]
José Saramago : L’évangile
selon Jésus-Christ, Editions
Poche, p. 143.
[3]
Bizarrerie de l’information : je
ne trouve pas la ville de Madaya
sur la carte routière
géographique (allemande) que
j’ai achetée avant de partir.
Sur wikipédia la fiche Madaya ne
parle que des événements
rapportés ces jours-ci par nos
médias, à croire que la ville a
commencé à exister à partir de
là. Par contre, très
curieusement, il n’y a pas de
fiche wikipedia sur Zabadani
qui, elle, est bien sur ma
carte, et signalée comme une
grosse agglomération.
[5]
Cheikh Mohamed Saïd
Ramadân
al Boutî : « Cheikh
al-Bouti s’est toutefois fait
remarquer par deux positions :
celle d’avoir vendu sa maison
pour donner son prix à la
résistance palestinienne, et
celle d’avoir demandé aux
Syriens d'ouvrir leur maisons
aux familles libanaises, durant
la guerre israélienne contre le
Liban de 2006 ».
http://www.almanar.com.lb/french/adetails.php?eid=103179&cid=18&fromval=1
.
[11]
http://www.anadoluajansı.com.tr/fr/politique/raed-salah-la-victoire-de-l-ak-parti-en-turquie-favorisera-la-défense-d-al-asqa-/461201
.
[13]
Disponibles sur Internet,
traduites par Mouna Alno .
[14]
En 2011, 200 millions de dollars
lui avaient été proposés par des
« amis » de la Syrie dans le
Golfe pour qu’il déserte. Devant
son refus on lui a dit que toute
sa famille était désormais
menacée de mort.
[16]
Dirigeant historique des Frères
Musulmans en Egypte.
[17]
Aucun salarié n’a été licencié
depuis le début de la crise.
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