Monde
Brève histoire de l'OTAN de 1991 à nos
jours (8)
Manlio Dinucci
Samedi 21 octobre 2017
LA DÉMOLITION DE L’ÉTAT LYBIEN
La stratégie USA/Otan consiste à
démolir les Etats qui sont totalement ou
en grande partie hors du contrôle des
Etats-Unis et des plus grandes
puissances européennes, surtout ceux
situés dans les aires riches en pétrole
et/ou avec une importante position
géostratégique. On privilégie, dans la
liste des démolitions, les Etats qui
n’ont pas une force militaire
pouvant mettre en danger, par des
représailles, celle des démolisseurs.
L’opération commence en plantant des coins dans les fissures
internes, qu’on trouve dans tout Etat.
Dans la Fédération Yougoslave, dans les
années 90, vont être fomentées les
tendances sécessionnistes, en soutenant
et armant les secteurs ethniques et
politiques qui s’opposent au
gouvernement de Belgrade. Cette
opération va être mise en acte en
prenant appui sur les nouveaux groupes
de pouvoir, souvent formés de
politiciens passés à l’opposition pour
s’accaparer dollars et postes de
pouvoir.
Simultanément on mène une martelante campagne médiatique pour présenter
la guerre comme nécessaire pour défendre
les civils, menacés d’extermination par
un féroce dictateur.
On demande ensuite l’autorisation au Conseil de sécurité de l’ONU, en
motivant l’intervention par la nécessité
de destituer le dictateur qui massacre
des civils désarmés. Il suffit d’un
tampon où est écrit « on autorise toutes
les mesures nécessaires» mais, s’il
n’est pas donné (comme dans le cas de la
Yougoslavie), on continue quand même. La
machine de guerre USA/Otan, déjà
préparée, entre en action avec une
massive attaque aéronavale et des
opérations terrestres à l’intérieur du
pays, autour duquel le vide a été fait
par un embargo très sévère.
Cette stratégie, après avoir été opérée contre la Fédération
Yougoslave, va être adoptée contre la
Libye en 2011.
D’abord on va être financer et armer les secteurs tribaux hostiles au
gouvernement de Tripoli et aussi des
groupes islamistes définis comme
terroristes jusque quelques mois
auparavant. En même temps sont
infiltrées en Libye des forces
spéciales, dont des milliers de
commandos qataris facilement
camouflables. Toute l’opération est
dirigée par les Etats-Unis, d’abord via
le Commandement Africa, puis via l’Otan
sous commandement étasunien.
Le 19 mars 2011 commence le bombardement aéronaval de la Libye. En sept
mois, l’aviation USA/Otan effecteur 30
mille missions, dont 10 mille d’attaque,
avec utilisation de plus de 40 mille
bombes et missiles. A cette guerre
participe l’Italie avec ses bases et
forces militaires, en foulant le Traité
d’amitié, partenariat et coopération
entre les deux pays.
Pour la guerre contre la Libye l’Italie
met à disposition des forces USA/Otan 7
bases aériennes (Trapani, Gioia del
Colle, Sigonella, Decimomannu, Aviano,
Amendola et Pantelleria), assurant
assistance technique et
approvisionnements. L’Aéronautique
italienne participe à la guerre en
effectuant 1182 missions, avec des
chasseurs-bombardiers Tornado, F-16
Falcon, Eurofighter 2000, AMX, drones
Predator B et ravitailleurs KC-767 e
KC130J. La Marine militaire italienne
est engagée dans la guerre sur plusieurs
fronts : des opérations d’embargo naval
aux activités de patrouille et
approvisionnement.
Avec la guerre USA/Otan de 2011, l’Etat libyen est démoli et
Kadhafi assassiné ; l’entreprise est
attribuée à une « révolution
inspiratrice » que les USA se disent
fiers de soutenir, en créant « une
alliance sans égal contre la tyrannie et
pour la liberté ». Ainsi est démoli cet
Etat qui, sur la rive sud de la
Méditerranée face à l’Italie,
garantissait « de hauts niveaux de
croissance économique » (comme le
documentait en 2010 la Banque Mondiale)
avec une augmentation moyenne du PIB de
7,5% annuelle, et enregistrait de
« hauts indicateurs de développement
humain » dont l’accès universel à
l’instruction primaire et secondaire et,
pour 46%, à celle de niveau
universitaire. Malgré les disparités, le
niveau de vie de la population libyenne
était notablement plus élevé que celui
des autres pays africains. En témoignait
le fait que plus de deux millions
d’immigrés, en majorité africains,
trouvaient du travail en Libye.
La guerre, donc, va aussi toucher les immigrés venant d’Afrique
sub-saharienne qui, persécutés sous
l’accusation d’avoir collaboré avec
Kadhafi, sont emprisonnés ou obligés de
fuir. Nombre d’entre eux, poussés par le
désespoir, tentant la traversée de la
Méditerranée vers l’Europe. Ceux qui y
perdent la vie sont eux aussi des
victimes de la guerre par laquelle
l’Otan a démoli l’État libyen.
LES VRAIES RAISONS DE LA GUERRE CONTRE
LA LIBYE
De multiples facteurs rendent la
Libye importante aux yeux des Etats-Unis
et des puissances européennes. Les
réserves pétrolifères -les plus grandes
d’Afrique, précieuses par leur haute
qualité et leur faible coût
d’extraction- et celles de gaz naturel.
Après que Washington a aboli en 2003 les sanctions en échange de
l’engagement de Kadhafi de ne pas
produire d’armes de destruction de
masse, les grandes compagnies
pétrolières étasuniennes et européennes
affluent en Libye avec des grandes
expectatives, qui seront cependant
déçues. Le gouvernement libyen concède
les licences d’exploitation aux
compagnies étrangères qui laissent à la
compagnie nationale libyenne (National
Oil Corporation of Libya, Noc) le plus
haut pourcentage du pétrole extrait :
étant donnée la forte compétition,
celle-ci atteint environ 90%. De plus la
Noc demande, dans les contrats, que les
compagnies étrangères embauchent du
personnel libyen y compris dans des
postes dirigeants. En abattant l’Etat
libyen, les Etats-Unis et les puissances
européennes visent de fait à s’emparer
de sa richesse énergétique.
En plus de l’or noir, ils visent l’or
blanc libyen : l’immense réserve d’eau
fossile de la nappe nubienne (estimée à
150 mille km3), qui s’étend
sous Libye, Soudan et Tchad. Les
possibilités de développement qu’elle
offre ont été démontrées par le
gouvernement libyen, qui a construit un
réseau d’aqueducs long de 4 mille km
pour transporter l’eau, extraite en
profondeur par 1300 puits dans le
désert, jusqu’aux villes côtières et à
l’oasis de Khufrah, en rendant fertiles
des terres désertiques. Ces réserves
hydriques, qui ont une perspective plus
précieuse que celles pétrolifères, sont
convoitées - à travers les
privatisations promues par le FMI- par
les multinationales de l’eau, qui
contrôlent presque la moitié du marché
mondial de l’eau privatisée.
Dans le viseur USA/Otan se trouvent aussi les fonds souverains, les
capitaux que l’Etat libyen a investi à
l’étranger. Les fonds souverains gérés
par la Libyan Investment Authority (Lia)
sont estimés à environ 70 milliards de
dollars, qui montent à plus de 150 si on
inclut les investissements étrangers de
la Banque centrale et d’autres
organismes. Depuis sa construction en
2006, la Lia effectue en cinq années des
investissements dans plus de cent
sociétés nord-africaines, asiatiques,
européennes, nord-américaines et
sud-américaines : holding, banques,
immobilières, industries, compagnies
pétrolières et autres. Ces fonds
sont « congelés », c’est-à-dire
séquestrés, par les Etats-Unis et par
les plus grandes puissances européennes.
L’assaut sur les fonds souverains libyens a un impact particulièrement
fort en Afrique. C’est là que la Libyan
Arab African Investment Company avait
effectué des investissements dans plus
de 25 pays, dont 22 en Afrique
sub-saharienne, en programmant de les
accroître surtout dans les secteurs
minéralier, manufacturier, touristique
et dans celui des télécommunications.
Les investissements libyens avaient été
décisifs dans la réalisation du premier
satellite de télécommunications de la
Rascom (Regional African Satellite
Communications Organization) qui, entré
en orbite en août 2010, permettait aux
pays africains de commencer à se rendre
indépendants des réseaux satellitaires
étasuniens et européens, avec une
épargne annuelle de centaines de
millions de dollars.
Plus importants encore avaient été les investissements libyens dans la
réalisation des trois organismes
financiers lancés par l’Union africaine
: la Banque africaine d’investissement,
avec siège à Tripoli ; le Fonds
monétaire africain, avec siège à Yaoundé
(Cameroun) ; la Banque centrale
africaine, avec siège à Abuja (Nigéria).
Le développement de ces organismes
aurait pu permettre aux pays africains
de se soustraire en partie au moins au
contrôle de la Banque mondiale et du
Fonds monétaire international,
instruments de domination néo-coloniale,
en affaiblissant le dollar et le franc
Cfa (monnaie que sont obligés d’utiliser
14 pays africains, ex-colonies
françaises). Le gel des fonds libyens
assène un coup mortel à tout le projet.
Les emails de Hillary Clinton (secrétaire d’état de l’administration
Obama en 2011), révélés ensuite en 2016,
confirment quel a été le véritable but
de la guerre : bloquer le plan de
Kadhafi d’utiliser les fonds souverains
libyens pour créer des organismes
financiers autonomes de l’Union
africaine et une monnaie africaine
alternative au dollar et au franc CFA.
Pour les USA et l’Otan, c’est la position géographique même de la Libye
qui est importante, à l’intersection
entre Méditerranée, Afrique et
Moyen-Orient. On se souviendra que le
Roi Idriss, en 1953, avait concédé aux
Anglais l’utilisation de bases
aériennes, navales et terrestres
en Cyrénaïque et Tripolitaine. Un accord
analogue avait été conclu en 1954 avec
les Etats-Unis, qui avaient obtenu
l’utilisation de la base aérienne de
Wheelus Field aux portes de Tripoli.
Après l’abolition de la monarchie, la
République arabe libyenne avait obligé
en 1970 les forces étasuniennes et
britanniques à évacuer les bases
militaires et, l’année suivante, avait
nationalisé les propriétés de British
Petroleum et obligé les autres
compagnies à verser à l’Etat libyen des
pourcentages beaucoup plus élevés de
leurs profits.
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7
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