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Opinion

Libye: Kadhafi, portrait total 3/3
René Naba

Samedi 5 mars 2011

Bilan de 42 ans de narcissisme: Du fossoyeur de la cause nationale arabe au fossoyeur de son peuple.
Le fossoyeur de son peuple ou la Révolution comme alibi.

Objet d’une tentative de renflouement de la part des pays occidentaux en raison du fabuleux marché que représente son pays et du possible rôle de gendarme qu’il est destiné à jouer aux portes de l’Europe contre l’immigration clandestine africaine, le «Guide de la révolution», vu de la rive sud de la Méditerranée, est un homme qui n’inspire ni de bons sentiments, ni de beaux souvenirs.
Pays méconnu, longtemps mis au ban de la communauté internationale, dirigé par un homme qui a longtemps encombré l’inconscient collectif par ses extravagances, la Libye a fait son grand retour sinon sur la scène internationale à tout le moins sur la scène médiatique avec la permanence des contorsionnements qui ont fait sa réputation et les malheurs du monde arabe. Au point de l’accuser de cultiver «l’alibi comme révolution», tant les officiels libyens sont passés maîtres dans l’art de triturer la réalité, de torturer la vérité dans l’unique but de s’exonérer de tout ce gâchis.

A- La reddition à l’ordre israélo américain

Six ans après le raid américain contre Tripoli et Benghazi, la Libye était en effet frappée d’embargo par l’ONU, en avril 1992, à la demande des Etats-Unis qui avaient attendu la fin de la 1ère guerre contre l’Irak (1990-1991) pour activer la machinerie diplomatique internationale en vue de remettre la pression sur le Colonel Mouammar al-Kadhafi, considéré alors comme un chef de file révolutionnaire dans le tiers-monde et commanditaire d’attentats de type terroriste. Pendant sept ans (12 avril 1992- 11 décembre 1999), la Jamahiriya vivra en autarcie économique et en réclusion médiatique, comme zappée des écrans mondiaux. Le trublion ne faisait plus recette, faute de ressources, faute de recette miracle pour amuser la galerie. Hagard, livide, Kadhafi errait de campement en campement dans son grand désert libyen, subitement déserté par la cohorte des satrapes en manque de sinécures.

La Libye n’était pas d’un abord facile. Elle est devenue d’un accès difficile. Douze heures de route depuis Djerba en Tunisie, même en limousine climatisée, même à travers une route goudronnée, pouvaient rebuter le plus endurci des voyageurs: Tripoli est l’une des villes les moins riantes du pourtour méditerranéen et le discours libyen d’une indigence soporifique. Et puis la Libye n’était pas l’Empire du milieu ni Kadhafi le centre du Monde, dont le centre de gravité s’était déplacé depuis le début de la décennie 1980 vers l’Asie occidentale, la zone Afghanistan Irak, l’autre point d’endiguement du camp antioccidental.

L’Irak, fort de son exploit d’avoir fixé la Révolution chiite khomeyniste pendant dix ans (1979-1989) sur le champ de bataille irako iranien dans la plus longue guerre conventionnelle de l’histoire moderne, convoitait le Koweït en guise de butin de guerre pour renflouer sa trésorerie défaillante. Une «tempête du désert» soufflée par l’Amérique pulvérisera et ses rêves et ses projets, renvoyant l’Irak à un âge quasi-néolithique, en marge de l’Histoire et Saddam Hussein, le Nabuchodonosor des temps modernes, réduit au rang de simple mercenaire des pétromonarchies du Golfe. Un constat d’autant plus amer que la tempête chamboulant tout sur son passage rompait la logique des blocs en cimentant dans une même alliance d’anciens adversaires irréductibles (Nord-Sud, producteurs et consommateurs de pétrole, Arabes et Israéliens), un bouleversement stratégique préfigurant les alliances du XXI me siècle qui se reproduira lors de l’invasion américaine de l’Irak, en 2003, qui se reproduira une troisième fois en 2007-2008 contre l’Iran en phase de nucléarisation.
L’Afghanistan, l’autre volet de la stratégie américaine, avait lui aussi cloué au sol pendant dix ans (1980-1990) la glorieuse «armée rouge», accélérant la décomposition de l’Empire soviétique, mais les Talibans wahhabites, fruits de la copulation américano saoudienne, désormais en déshérence de pouvoir, procédaient au meurtre symbolique de leurs parrains respectifs par une série d’actions d’éclats politique et militaire contre le royaume saoudien et les Etats-Unis d’Amérique. Alors que l’ancien agent de liaison entre Américains et combattants islamistes, Oussama Ben Laden, ancien ressortissant saoudien, revendiquait la constitution d’une «République islamique du Hedjaz» sur le périmètre des lieux saints de l’Islam pour châtier la dynastie «impie» des Wahhabites pour sa connivence avec l’Amérique lors de la guerre contre l’Irak, ses poulains se livraient en 1995 à des attentats contre des objectifs américains en Afrique (attentats contre les ambassades américaines de Dar es-Salaam (Tanzanie) et Nairobi (Kenya), ainsi que contre le QG de la garde nationale saoudienne, en prélude au grand exercice de pyrotechnie aérienne du 11 septembre 2001.

La Libye était aux abonnés absents, à dire vrai, le cadet des soucis des Américains. En butte comme eux à l’opposition islamiste, Kadhafi retrouvera les attraits d’autant plus rapidement qu’il avait rendu de signalés services aux occidentaux durant sa période faste, pourchassant les communistes soudanais, décapitant le mouvement chiite libanais Amal, apparaissant de surcroît comme un utile contrepoint à l’Algérie et à la Russie, deux pays hors de la sphère occidentale, fournisseurs exclusifs de gaz à l’Europe continentale. Le blocus de la Libye a duré sept ans (12 avril 1992-11 décembre 1999), le plus court blocus de l’histoire contemporaine. En comparaison, Cuba résiste depuis cinquante ans au blocus américain. Malgré toutes les privations, le régime castriste continue de tenir tête à la première puissance militaire de la planète pourtant située à quelques encablures de l’Île. Fidel Castro assumera la transition du pouvoir après s’être assuré de la relève révolutionnaire en Amérique latine, Hugo Chavez au Venezuela et Evo Morales en Bolivie.

Saddam Hussein, pour sa part, aura résisté 13 ans à la pression américaine et tombera dans la dignité, faisant de son supplice un exemple de courage dans l’adversité, transcendant son passé dictatorial au point de passer pour un «martyr» au regard d’une large fraction de l’opinion arabe et musulmane. Kadhafi, lui, sacrifiera deux de ses subordonnés en guise de solde de tout compte aux attentats aériens qu’il est accusé d’avoir commandité à Lockerbie (Ecosse) et au Ténéré (désert africain). Il sacrifiera également dans la foulée son programme nucléaire dévoilant du coup tout un pan de la coopération atomique avec les pays arabes et musulmans pour la survie de son régime.

B – Le renflouement occidental

Premier déplacement officiel en Europe occidentale depuis un quart de siècle, la visite du Mouammar al-Kadhafi en France, le 10 décembre 2007, se voulait un acte de réhabilitation solennelle du dirigeant libyen par la communauté occidentale par suite de son ralliement à sa stratégie tant en ce qui concerne son désarmement, que la lutte contre le fondamentalisme islamique, l’immigration clandestine africaine ou la politique énergétique mondiale. Mais ce processus de respectabilisation semble s’être retourné contre ses concepteurs tant les objectifs divergeaient sur le sens et la portée de ce voyage, leur conception respective de l’hospitalité, les pesanteurs du pays hôte, la fulgurance de l’autre.
Tout pourtant avait été méticuleusement réglé pour que le séjour français du dirigeant libyen soit vécu comme une apothéose, la justification a posteriori de ses reniements successifs et sa mise conformité avec les standards occidentaux. Tout jusques et y compris la date de la visite qui ne devait rien au hasard. En perfectionniste, le protocole français avait fait coïncider la visite avec la date commémorative du 8 me anniversaire de la levée des sanctions de l’Onu le 11 décembre 1999. Manque de chance ou de perspicacité? Cette date là coïncidait aussi avec la célébration annuelle de la Journée internationale des Droits de l’Homme. Un hasard de calendrier malheureux qui donnera l’occasion à d’anciens commensaux de Kadhafi de se démarquer à bon compte, en un pur exercice de démagogie et d’opportunisme politique. Ce fut notamment le cas de Rama Yade, une participante aux agapes de Juillet à Tripoli avec le Colonel Kadhafi, qui n’hésitera pourtant pas à s’indigner opportunément lors de la venue du dirigeant libyen à Paris. Ainsi se forgent les légendes par le maniement d’une indignation sélective.

Chef d’un Etat à la richesse convoitée, Kadhafi se vivait à Paris de plain pied comme un négociant majeur de la scène mondiale, non comme un marginal. Sa visite au château de Versailles casqué en peau de lapin et botté n’avait pas d’autre sens. La où ses détracteurs, nombreux, décelaient des excentricités, Kadhafi ancrait sinon son authenticité du moins son originalité: Installer une tente dans l’enceinte du Palais Marigny, la résidence officielle des hôtes de la France, pouvait accentuer l’image caricaturale des Arabes, déjà passablement dégradée dans un pays en pleine poussée xénophobe. Et beaucoup se sont gaussés de ce Camp du Drap d’or, de ce camp du drap d’or griffé Dior, qui a accentué dans l’opinion l’idée d’un Roi d’opérette, ce qu’il peut être par moment, souvent, passionnément même devant la cohorte de ses flagorneurs.
Le dîner a minima à l’Elysée d’où s’exonérèrent de personnalités de premier plan, tel Bernard Kouchner, en charge de la diplomatie et à ce titre un ancien commensal de Kadhafi en juillet à Tripoli, achèvera de convaincre le libyen que ce voyage prenait l’apparence d’un attrape-nigaud. Là où Sarkozy faisait miroiter centrales nucléaires, avions de combat rafale invendables, le bédouin du désert libyen comptabilisait les manquements à son égard. L’Espagne, deuxième étape de la tournée européenne du dirigeant libyen, fera une abondante moisson de onze milliards de dollars de contrats. La France, un maigre kopeck. La mauvaise alchimie entre un dirigeant libyen erratique et un président français impulsif et compulsif a fait de ce voyage la plus grosse plaisanterie planétaire de l’histoire diplomatique récente. Une mascarade qui tire son origine de l’expression arabe une «Maskhara», une risée universelle.

C – La Révolution comme alibi

Fraîchement dégagé de l’embargo qui l’étranglait, le pouvoir libyen s’est empressé une nouvelle fois de se vautrer dans ses habitudes si abusivement corrosives tant pour la Libye que pour l’image de l’Arabe dans l’opinion internationale. A l’image des princes du pétrole qu’il dénigre mais dont il est l’égal.
Un tel comportement s’apparente à une imposture doublée d’une calamité, tant ce révolutionnaire de pacotille ne témoigne la moindre considération pour l’austérité endurée par le peuple libyen du fait de la politique erratique de son père, les souffrances du peuple palestinien, les privations des peuples libanais et irakiens, la précarité du monde arabe et sa vassalisation à l’ordre israélo américain.

Le guide de la Révolution avait pourtant assuré dernièrement qu’il avait commis des erreurs et qu’il avait changé. Ce n’est assurément pas le cas, tant aura été brève la rémission et le remords absent. Pas un mot de regret pour tous ses forfaits antérieurs au point que la justice libanaise vient de lui administrer une douloureuse piqûre de rappel par une citation à comparaître, pour lui rafraîchir la mémoire dans son implication dans la disparition du dignitaire religieux libanais. Justifiant son virage et ses multiples reniements, Le colonel Kadhafi a confessé dernièrement, en guise d’excuse absolutoire, qu’il s’était trompé durant la première tranche de son règne. Il se murmure à Tripoli, Benghazi, Sebha et Syrte qu’un cauchemar hante les Libyens, celui de se réveiller un jour avec un Kadhafi leur confessant à nouveau qu’il s’est une nouvelle fois trompé les trente années suivant de son règne.
Trônant sur une nappe de pétrole (1), le doyen des dirigeants arabes contemporains, la trésorerie débordante de devises fortes, a manqué singulièrement de crédit. Nul n’était dupe. Nul ne sera plus dupé. La Fondation Kadhafi pour les droits de l’homme, la structure ad hoc chargée de recycler le dirigeant libyen dans l’honorabilité en réglant au plus fort coût le prix de ses turpitudes passées, notamment l’indemnisation des 288 victimes de Lockerbie ou la libération des otages occidentaux de Mindanao (Philippines) a relevé du domaine du rafistolage. Par ses foucades et ses rebuffades, ce militaire d’apparat et de parade, ce théoricien révolutionnaire de la troisième voie universelle, s’est mû en bouffon des sommets arabes qu’il menaçait régulièrement de quitter, la risée universelle de l’opinion internationale, le désespoir des peuples arabes lassés par ses frasques à répétition.
Le déclic libyen s’est produit dans la foulée de sa défense de son compère tunisien, Zine el Abidine bel Ali, déboulonné après 23 ans de dictature. Un plaidoyer pro domo injustifié pour celui qu’il désignera «le meilleur dirigeant que la Tunisie pouvait avoir», une provocation qui encouragera les Libyens à lui réserver le même sort qu’a son partenaire en affaires. Kadhafi a longtemps été un rescapé politique sans pour autant être assuré d’une pérennité historique. Un parfait exemple d’un naufrage politique. Un parfait contre-exemple d’une éthique du commandement illustré par le comportement de l’héritier du clan, présumé libéral, Seïf Al Islam, qui menacera de partition son pays, pilonnant son peuple au mortier.

D- De «l’Etat des masses populaires» en «Etat des massacres populaires».

La démesure de sa riposte suscitera une levée de boucliers de l‘armée, l’ossature du régime, et la défection de certaines des figures les plus emblématiques du groupe historique des «officiers libres», artisan en 1969 du renversement de la monarchie: Le colonel Abdel Moneim Al-Houni, le colonel Al Khoueildy al Houeidy, le général Abou Bakr Jaber Younes, inamovible commandant en chef de l’armée depuis 30 ans, le général Abdel Salam Awad Al-Hassy, chef opérationnel des forces spéciales et, dernier et non le moindre, son propre cousin, Ahmad-Kadhaf-Ad Dam, l’ancien chef des services de renseignements et émissaire auprès de la France lors du conflit tchado-libyen.

Deux des anciens membres du groupe prendront même la tête de la contestation populaire, l’un à Tripoli, Le colonel Abdel Moneim Al-Houni, et, le second le capitaine Al Khoueildy al Houeidy à Misratah, à l‘Ouest de la capitale, alors que le commandant en chef de l’armée était mis en résidence surveillée.

L’un des rares survivants du groupe révolutionnaire, le colonel Abdel Moneim Al-Houni, abandonnera son poste au Caire de représentant de la Libye auprès de la Ligue arabe dans une démarche de défiance contre les abus de son ancien compagnon d’armes. Joignant le geste à la parole, il prendra la tête de la manifestation anti Kadhafi à Tripoli, le centre névralgique du pays, pour «rallier la Révolution», la vraie, la révolution du peuple, pas celle des charlatans

La défection de son propre cousin, Ahmad Kadhaf ad-Dam, au mépris des règles de la solidarité clanique, fait unique dans les annales tribales, se superposant à la démission en cascade du corps diplomatique libyen à l’étranger, de même que la prise de distance de son ancien secrétaire particulier, Abdel Rahman Chalgham, délégué de la Libye aux Nations Unies, accentueront l’isolement du régime libyen et feront vaciller ses assises.
Ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ambassadeur à Rome, M. Chalgham a été l’un des artisans du rapprochement entre la Libye et les pays occidentaux, le négociateur de l’accord accordant cinq milliards de dollars à la Libye par l’Union Européenne en vue de lutter conte l’immigration clandestine africaine à destination de l’Europe.

Au terme de deux semaines de contestation, l’état des lieux de la configuration tribale présentait un paysage complètement bouleversé avec plusieurs provinces en état de sécession ouverte (2), notamment la zone orientale autour de Bengazi et le Fezzan. Seule la zone de Syrte, région natale de Kadhafi et zone de déploiement de la tribu des Kazzafa ainsi que Sebha, qui abrite une forte proportion des membres de la tribu de Kadhafi, dans le sud du pays, n’avaient pas rallié le camp des adversaires du Colonel.

Jouant de la duplicité tout au long de son règne, l’homme qui avait saturé les ondes de la planète de discours à tonalité panafricaniste et pan arabe, attisant le tribalisme sur le plan interne, fondant son pouvoir sur l’antagonisme inter tribal, a été piégé à son propre jeu. La quasi totalité des tribus du pays rallieront le nouveau pouvoir transitoire sans tergiversations, ni état d’âmes tant était profonde la phobie que le guide inspirait.

Dans cette épreuve de force avec ses opposants, le Colonel Kadhafi sera de surcroît handicapé par le bouleversement de la géo stratégie régionale, avec la chute de ses deux alliés naturels, Hosni Moubarak (Egypte) et Zine El Abidine Ben Ali, ainsi que l’absence d’un clair et ferme soutien d’un quelconque pays arabe. La sécession des Touareg, le groupement tribal le plus solidement implanté dans le sud de la Libye, à proximité des frontières de quatre pays africains, (Mali, Niger, Tchad, Soudan), devrait réduire la marge de manœuvre de la branche africaine d’Al Qaeda, l’AQMI, et ses éventuelles interférences sur le théâtre libyen. Auteurs de plusieurs enlèvements dans la zone sahélienne, le verrouillage de la zone frontalière pourrait relancer, à moyen terme, la traque de ses combattants par un meilleur contrôle de ce secteur saharienne réputé pour sa porosité saharienne.

Lors du printemps des peuples arabes, l’hiver 2011, lâché par la quasi totalité de ses anciens compagnons de route, arcbouté sur son noyau familial, Kadhafi, ivre de fureur et de rage, donnera toute la mesure de sa férocité, paradoxalement, à Benghazi même, point de départ de son coup d’état contre la dynastie Senoussi et berceau du héros de l‘indépendance libyenne, Omar Al-Mokhtar, ainsi qu’à Al Bayda (1), siège d’Al Zaouiya Al Bayda, la Confrérie blanche, du nom du siège de la confrérie senoussie.

Arcbouté sur sa proie, épaulé par la garde prétorienne du régime, une milice de 30.000 hommes dirigée par ses quatre fils, Seïf Al-Islam, Mou’tassem Billah (Hannibal), Saadi et Khamis, secondé par un duo de collaborateurs sulfureux, son chef des services secrets Abdallah Senoussi, impliqué dans l’attentat anti français de l’UTA au dessus du Ténéré, et de son ministre des affaires étrangères, Moussa Koussa, le colonel Mouammar Al-Kadhafi subit le dernier quart d’heure de son long mandat.

Retranché dans la caserne militaire d’Al Azizya, à Tripoli, qui lui tient lieu de résidence, abandonné par ses anciens frères d’armes, y compris le commandant en chef de l’armée, le commandant opérationnel des forces spéciales et son ministre de l’intérieur, le colonel Mouammar Al-Kadhafi ploie sous l’assaut de son peuple dans une véritable guerre de libération populaire contre sa dictature.

A l’aide de mercenaires recrutés aux confins de l’Afrique, principalement des Kenyans, de raids aériens incessants menés par des mercenaires de l’Europe de l’Est (Biélorussie, Ukraine, Serbie), il noiera dans un bain de sang et sa révolution et ses compatriotes qui ont bravé son autorité, après en avoir tant bavé pendant 42 ans. Près de six mille tués en deux semaines de contestation, selon la ligue libyenne des droits de l’homme, infiniment plus que le nombre de Tchadiens tués lors des dix ans de la guerre tchado-libyenne dans la décennie 1980.

Tout au long du weekend end du 26 au 27 février 2011, un spectacle surréaliste s’est offert aux observateurs arabes: En direct sur la chaîne transfrontière arabe «Al Jazira», chefs d’unités combattantes des forces spéciales, de la police, de l’administration centrale, des villes, des bourgades et des villages annonçaient leur ralliement à la révolution du 17 février, dans une extraordinaire démonstration de rejet du clan Kadhafi, rejoint, paradoxalement, par le Cheikh d’Al Azhar, l’autorité suprême musulmane d’Egypte, plus timoré lors de la chute du président égyptien Hosni Moubarak, qui invitait les Libyens à se rebeller contre l’autorité de leur guide.

L’annonce samedi 25 février 2011 par l’ancien ministre de la justice de Libye, M. Moustapha Abdel Jalil, de la formation à Benghazi d’un comité national, sorte de Haut comité de salut public, représentatif de toutes les provinces du pays et de ses couches socio politiques en vue de piloter la transition de l’ère post Kadhafi a porté le coup de grâce à la légitimité et à la représentativité du guide de la Jamahiriya.

L’homme tentera de conjurer le sort funeste le 2 mars. Prenant prétexte du 34 me anniversaire de l’instauration de sa Jamahiriya, la populocratie, il reprendra sa vieille antienne d’un pays gouverné par son peuple, qu’il jugera pourtant prudent de gratifier de 500 euros exceptionnelles à titre de bonus pour obtenir sa neutralité dans le conflit. D’un guide sans pouvoir, ni attributs, alors que ses placements à l’étranger sont estimés à près de cent trente milliards de dollars. Il tentera un coup de bluff, en reprenant temporairement une localité à proximité de Benghazi, le terminal pétrolier d’Al-Braiga, dans le golfe de Syrte, le fief de sa tribu, avant d’en être délogé. Pratiquant la dénégation, l’homme parie en son for intérieur sur une intervention américaine dont il espère qu’elle ressouderait la population autour da sa personne ou lui redonnerait l’image d’un martyr: Flambeur impénitent, Kadhafi joue à la roulette russe le sort de son pays.

Revanche posthume de tous les suppliciés innocents du fait pathologique du prince, la chute du tyran, à n’en pas douter, va être accueillie avec une particulière satisfaction par les chiites arabes et l’Iran dont il avait ravi leur chef charismatique à son envol, à l’orée de la décennie 1980.

Sous Kadhafi, pendant 42 ans, La Libye a été l’Albanie de la décennie 1950, la Corée du Nord de la décennie 2000. Arme de destruction massive contre son propre peuple et contre les intérêts généraux du Monde arabe, nulle larme n’a été versée, nulle ne le sera pour ce fossoyeur de la cause nationale arabe, le garde chiourme de l’Europe, le fossoyeur de son peuple dans l’unique guerre qu’il aura véritablement menée. Contre son peuple, le peuple de la Jamahiriya, littéralement «l’état des masses populaires», qu’il transformera, en guise d’épilogue de son bilan sanguinaire, en «Etat des massacres populaires».

Références

1- Quatrième producteur de pétrole en Afrique, avec près de 1,8 million de barils par jour, la Libye possède des réserves évaluées à 42 milliards de barils. Le pétrole libyen représente plus de 20 % des importations d’or noir de l’Irlande, de l’Italie et de l’Autriche et des parts significatives des approvisionnements de la Suisse, la Grèce ou l’Espagne, selon l’Agence internationale de l’Énergie. Sur les 1,8 million de barils par jour (mbj) de pétrole brut produits, la Libye en exporte 1,49 mbj, en immense majorité (85 %) vers l’Europe. Voici les pays qui dépendent le plus du pétrole libyen: Irlande 23,3%, Italie 22,0%, Autriche 21,2%, Suisse 18,7%, France 15,7%, Grèce 14,6%, Espagne 12,1%, Portugal 11,1% Royaume-Uni 8,5% Allemagne 7,7% Chine 3%, Australie 2,3%, Pays-Bas 2,3%, États-Unis 0,5%. Grâce à ses réserves de pétrole et de gaz naturel, la Libye a une balance commerciale en actif de 27 milliards de dollars annuels et un revenu moyen-haut par habitant de 12 mille dollars, six fois plus élevé que celui de l’égyptien. Environ 1,5 million d’immigrés en majorité nord-africains travaillent en Libye.

Une intervention humanitaire ou militaire américaine, conjuguée ou non avec l’Otan, avec ou sans l’accord de l’ONU, permettrait aux États Unis de mettre la main sur le robinet ravitaillant l’économie européenne, dans un contexte marqué par l’exacerbation des rivalités entre les Occidentaux et la Chine pour la répartition des ressources africaines. La Chine, 2me puissance économique mondiale, est déjà présente au Soudan, voisin de la Libye.

Avec environ 5 millions d’entrepreneurs et ouvriers en Afrique, elle a déjà supplanté la France et le Royaume Uni comme 2 me investisseur sur le continent africain. Pour contrer l’influence chinoise, les pays occidentaux ont scellé un partenariat militaire avec l’Union africaine, dont le quartier général sera installé à Addis Abéba. Les États Unis s’appuient en effet sur le Commandement Africa (AfriCom) pour s’en servir comme principal instrument de pénétration en Afrique.

2- La zone orientale du pays, sous influence culturelle égyptienne, (Benghazi et Al-Bayda), a été la première à faire sécession. Jamais véritablement acquise à Kadhafi, la zone rebelle Benghazi, la grande ville portuaire de l’Est du pays, a même repris l’ancien emblème national en vigueur du temps de la Monarchie. L’Emirat de Barka, qui s’étend de la frontière égyptienne au Golfe de Syrte est demeuré fidèle aux traditions de la dynastie senoussie, particulièrement Al Bayda, La Blanche, ville des 250 000 habitants, au cœur du Djebel El Akhdar, La Montagne Verte, est à égale distance à vol d’oiseau (800 km) de Tripoli et d’Alexandrie, mais elle est plus proche par la route de la métropole égyptienne que de la capitale libyenne. Son nom était Al Zaouiya Al Bayda, La Confrérie blanche, du nom du siège de la confrérie senoussie, dont le siège domine la ville. Elle mérite aussi son nom par les abondantes chutes de neige qui la recouvrent en hiver. Vendredi 18 février 2011, Al Bayda aurait été libérée du régime kadhafiste, et la population, appuyée par la police locale, y aurait pris le pouvoir, au terme d’affrontements qui auraient fait près de 200 tués du côté des contestataires.

3- La zone loyaliste: Le centre du pays, autour de Syrte abritent les deux grandes tribus qui se sont partagé le pouvoir sous l’ère post monarchique: Al Kazazafa (la tribu de Kadhafi) et Al Moukarfa (la tribu d’origine du numéro du régime libyen le commandant Abdel Salam Jalloud, évincé du pouvoir en 1993 et d’Abdallah Senoussi, le plus proche collaborateur du Colonel Kadhafi et d’un des inculpés de l’attentat de Lockerbie Al Moukreif. Province choyée et cible d’une expédition punitive de l’aviation américaine, dans la décennie 1980, pour châtier Kadhafi de son soutien au terrorisme, la zone centrale s’est divisée entre partisans et adversaires de Kadhafi. La configuration tribale de la zone qui comporte douze tribus parait partagée entre loyalistes et contestataires. La tribu Al Moukarfa du commandant Jalloud ayant rejoint les contestataires après l’intervention de l’aviation contre la population civile ainsi que les tribus Wazen, Kaba, al Badr, Tiji.

La région capitale qui va de Tripoli à Ghadamès, dans la zone frontalière méridionale. Elle abrite les tribus de Zentane et Ourfala, ralliées à la révolution populaire.

La zone du Fezzan, elle, a, dès le début des troubles, tranché en faveur de la contestation. Les Touaregs, longtemps objet de vexations et de brimades, privés de passeport pour s‘assurer leur soutien, ont rallié très tôt la contestation populaire. Zone frontalière du Mali, du Tchad, du Niger, le trafic à destination de ces pays a été fermé. Abritant la ville de Sebha, base arrière de la guerre du Tchad, dans la décennie 1980, la zone a beaucoup souffert des hostilités et des variations d’humeur du colonel Kadhafi dans sa politique à l’égard de la main d’œuvre africaine.

4- La confrérie «Al Sannoussia» est une confrérie religieuse musulmane fondée à La Mecque, en 1837, par le Grand Senoussi Sidi Mohamad Ben Ali Al-Senoussi Senoussi (1791–1859) qui s’est implantée en Libye et les pays limitrophes (Algérie, Egypte, Soudan, Niger, Soudan et au Tchad). Elle a combattu la présence italienne et française et son chef d’alors, Sidi Mohamad Idriss Al-Mahdi Al Senoussi (1916-1969) avait accédé au trône sous le nom du Roi Idriss Ier. Il sera renversé en 1969 par le coup d’état du colonel Mouammar Kadhafi. Réfugié au Caire, il mourra en 1983. Depuis 1992, son descendant, Sidi Mohamad Ben Al Hassan Al-Senoussi est le prétendant au trône.

Sur le plan religieux, la confrérie se propose d’opérer un retour aux sources du Coran et à l’unité de l’Islam, d’une part, et, de résister à l’occupation européenne du monde arabe et plus particulièrement en Afrique du nord. Son fondateur Mohammed Ben Ali As-Senoussi naquit en Algérie en 1780. Après des études à Fez, qu’il approfondit à La Mecque et à Médine, cet ascète rassembla ses premiers disciples, prêchant dans les pays qu’il traversa. En 1843, ne pouvant rentrer en Algérie, occupée par les Français, il s’établit en Cyrénaïque, dans l’actuelle Libye, où il fonda Zaouïa Al-Beida (le monastère blanc), la première cellule religieuse de la confrérie. Il s’est implantée en Libye et les pays limitrophes (Algérie, Egypte, Soudan, Niger, Soudan et au Tchad). Elle a combattu la présence italienne et française. Son chef d’alors, Sidi Mohamad Idriss Al-Mahdi Al Senoussi (1916-1969) avait accédé au trône sous le nom du Roi Idriss Ier. Il sera renversé en 1969 par le coup d’état du colonel Mouammar Kadhafi. Réfugié au Caire, il mourra en 1983. Depuis 1992, son descendant, Sidi Mohamad Ben Al Hassan Al-Senoussi est le prétendant au trône. Peu avant de mourir le 18 Juin 1992, le prétendant au trône, Hassan Al Rida a nommé son second fils, Sayed Mohammed (né le 20 0ctobre 1962), son héritier. Le Prince vit à Londres. Il hérite d’une situation politique inconfortable. L’opposition libyenne n’a que peu de voix à l’extérieur de son pays et aucune dans son pays. Crée en 1981 à Londres par Mohamed Ben Ghalbon, l’Union Constitutionnelle Libyenne lutte ouvertement pour le rétablissement de la monarchie en faveur des Senoussis.

Omar Al Mokhtar: Héros de l’indépendance libyenne (1862-1931), surnommé « Cheikh des militants », est né en Libye à Zawia Janzour de la tribu arabe Al Abaidi de Mnifa. Omar El Mokhtar est le fils de Mokhtar Ben Omar et d’Aïcha Bent Mohareb. A 16 ans, orphelin de son père, il se rendit en pèlerinage à la Mecque et grandi dans les mosquées des Senoussie. Ses études seront couronnées par sa nomination comme cheikh de la mosquée Al-Okour. Au départ d’Idris Al-Senoussi vers l´Egypte en 1922, Omar Al-Mokhtar prendra la relève du chef de la confrérie, menant pendant vingt ans la guérilla contre l’Italie qui tentait de reconquérir la Libye au prétexte que ce pays constituait une province de l’Empire romain et qu’elle revenait à l’Italie en vertu de ses droits historiques découlant de la succession d’états.

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Publié le 5 mars 2011 avec l'aimable autorisation de René Naba.

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