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Nouvelles d'Irak
Entretiens
FBI-Saddam Hussein (Introduction)
Gilles Munier
Gilles Munier
Vendredi 15 janvier 2010
- Introduction : Saddam Hussein face à l’Histoire
- Qui est « Mr George » ?
Saddam
Hussein face à l’Histoire
Les entretiens avec Saddam Hussein, rendus publics par le FBI en
juillet 2009, sont à lire avec une certaine circonspection.
N’étant pas publiés sous forme de questions-réponses, comme
l’avait souhaité le président irakien, ils ne reflètent que
partiellement sa pensée. Ses empreintes digitales, placées en
exergue, sont trompeuses ; elles ne signifient pas qu’il aurait
cautionné les procès-verbaux sans réserve. Cela dit, l’intérêt
historique du document est incontestable car il met à bas la
plupart des thèmes de propagande qui le diabolisait. Pour
atténuer la portée du témoignage, le FBI a produit une
conclusion déconnectée des « dits » enregistrés. Alors
que le détenu avait déclaré prendre l’entière responsabilité de
ce qui s’était passé sous sa présidence, le FBI y affirme que
Saddam cherchait à monnayer son silence et à minimiser son rôle
pour préserver son image, supputations d’autant moins
convaincantes qu’elles apparaissent au sein sont de passages
censurés.
Interroger officiellement Saddam Hussein n’était pas gagné
d’avance. Le prisonnier, peu coopératif, posait ses conditions.
Il estimait qu’un président renversé en toute illégalité, par
une puissance étrangère, n’avait rien à révéler à ses geôliers.
En revanche, il acceptait d’être interviewé sur son parcours de
révolutionnaire et de chef d’Etat. Comme il était hors de
question de recourir à la manière forte comme lors de son
arrestation, le FBI dut se contenter de ce qu’il consentait à
dire, espérant piéger Saddam au détour d’une conversation.
Pour y parvenir, des psy avaient aménagé la salle
d’interrogatoire, le plaçant… « le dos au mur », et
« Mr George », son interrogateur, devant la porte fermée,
symbole de la liberté ! Ils croyaient influer ainsi sur le
subconscient du prisonnier ! Le policier, lui, pensait amadouer
le Président en ayant la haute main sur l’armoire à stylos et
papier nécessaires à Saddam pour écrire des poèmes…
D’entrée de jeu, Saddam mit les points sur les « i ». A
la question, réitérée, de savoir s’il avait commis des fautes,
il répondit que Dieu, seul, n’en commettait pas, et qu’il était
hors de question de discuter des siennes avec ses ennemis.
« Je ne suis pas quelqu’un qui trahit ses amis », lui
glissa-t-il plus tard. L’opinion de ses contemporains lui
importait moins que son image dans 500 ou 1000 ans. Il était
fier de son bilan. En 1968, le peuple irakien « n’avait
virtuellement rien ». Après l’arrivée au pouvoir du parti
Baas, le niveau de vie s’était considérablement amélioré dans
les domaines de l’éducation et de la santé. La nationalisation
de l’industrie pétrolière avait permis de créer des
infrastructures modernes et d’effectuer un bond en avant
économique, en particulier dans l’agriculture négligée par les
régimes précédents. Restait, il en convenait, le déficit en
matière de démocratie : en 1989 et en 2002, il avait essayé
d’instaurer le multipartisme. Malheureusement, la nouvelle
constitution n’avait pas pu être votée en raison du
déclenchement des guerres du Golfe.
Il n’y avait là rien qui intéressât « Mr George », mais
cela faisait bien longtemps que le bilan de 30 ans de baasisme
n’avait pas été noyé dans un flot d’invectives et de
désinformation. Il n’y avait rien, non plus, que les
spécialistes de l’Irak ne sachent déjà, à quelques détails près.
Mais en rapportant, sans polémiquer, la relation par Saddam
Hussein de la prise du pouvoir par le parti Baas en 1968, des
complots auxquels il avait fait face, de la guerre Iran-Irak ou
de son soutien à la résistance palestinienne, le FBI a dressé à
son corps défendant le portrait d’un révolutionnaire mu par ses
convictions: « Quand je crois à des principes, j’y crois
totalement, pas partiellement ou graduellement, totalement ».
A la question de son avenir s’il avait quitté le pouvoir, il
répondit « qu’il serait redevenu une personne ordinaire,
peut-être un paysan », mais toujours membre actif du Parti
Baas.
Alors, Saddam, un « dictateur » ? « Certes » disent
certains opposants, mais ils ajoutent que des précisions sont
nécessaires : « Il faut se demander quel genre de
dictateur ? Quel était son projet, quelles furent ses
réalisations ? Qui gênaient-elles ? Avec la destruction de
l’Irak après l’agression d’avril 2003, il restera dans la
mémoire de la majorité des Arabes comme un révolutionnaire
intransigeant qui voulait faire de l’Irak une puissance
régionale moderne, a soutenu le peuple palestinien, et qui, pour
ces raisons, a dû affronter les Etats-Unis, Israël, l’Iran et
les rebellions soutenues par ces pays ». Pas étonnant, dans
ces conditions, que Saddam Hussein soit perçu dans le monde
musulman comme un martyr.
« Mr George »
et le « détenu de
haute valeur numéro 1 »
« Mr George »
a acquis une certaine notoriété en janvier 2008 quand CBS
News a révélé sa véritable identité et l’a présenté comme
« l’Américain connaissant le mieux Saddam Hussein »
dans sa prestigieuse émission 60 minutes. George Piro,
y a-t-on appris, est arrivé aux Etats-Unis, à l’âge de 12 ans,
avec ses parents, chrétiens libanais, qui fuyaient la guerre
civile. Après son service militaire dans l’US Air Force,
il s’est engagé dans la police de Californie et est entré au FBI
où les agents parlant couramment l’arabe étaient peu nombreux.
En février 2004, il fut intégré à l’équipe - liée à l’ISG
(Iraq Survey Group) de Charles Duelfer -
chargée de « faire parler » le président irakien sur
les armes de destruction massive, ses liens supposés avec Ousama
Ben Laden… et de lui extorquer des informations sur la
résistance irakienne.
Piro doit sa désignation comme intervieweur à Jerrold Post,
profileur en chef de la CIA, et l’israélien Amatzia Baram,
professeur à l’université de Haïfa, qui passent pour des
spécialistes de la personnalité de Saddam Hussein. Ils pensaient
qu’il serait plus facile à un jeune Arabe de conquérir la
confiance du « détenu de haute valeur numéro 1 ».
L’interrogatoire de Saddam Hussein et d’autres dirigeants
baasistes ont valu à George Piro deux décorations et assuré sa
promotion. En attendant d’écrire ses mémoires, il raconte dans
des conférences sur la sécurité comment il a débriefé le
président irakien. Succès assuré !
Paru dans Afrique Asie (janvier 2010)
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 16 janvier 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
Entretien n°2 - FBI-Saddam Hussein
Entretien n°1 - FBI-Saddam Hussein
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