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Nouvelles d'Irak
Entretien
n°2 - FBI-Saddam Hussein
Gilles Munier
Gilles Munier
Vendredi 5 février 2010
Baghdad Operation Center
8 février 2004
Entretien conduit par George L. Piro
Rapport traduit de l’arabe en anglais par le FBI
Traduction en français : Xavière Jardez
Titres, sous titres et notes : Gilles Munier
A propos de Khomeiny
et de la guerre Iran-Irak
Saddam Hussein (Détenu de Haute
Valeur n°1) a été interviewé le 7 février dans un bâtiment
de détention militaire à l’Aéroport International de
Bagdad (AIB), Bagdad, Irak. Hussein a fourni les
informations suivantes :
Hussein a précisé que la ferme dans laquelle il a été
capturé en décembre 2003 est la même que celle dans laquelle il
s’était réfugié en 1959 après sa participation à la tentative
d’assassinat du Président Kassem.
A la question de savoir si la décision d’entrer en
guerre contre l’Iran en septembre 1980 résultait de menaces
iraniennes ou si la guerre avait été un moyen de reconquérir des
territoires arabes irakiens, notamment les eaux du Chatt al-Arab,
Hussein a déclaré : « Nous considérons que la guerre a
commencé le 4 septembre et non le 22 comme le prétend
l’Etat iranien ». Hussein, qui préfère prendre ses exemples
parmi les paysans car cela lui parle plus, a ensuite cité celui
du voisin immédiat. Un jour, le fils de votre voisin frappe
votre fils. Le lendemain, il s’en prend à vos vaches. Ensuite,
il crée des dommages à votre terre en bouleversant le système
d’irrigation. Si tout se passe comme précédemment décrit, et
éventuellement, après un certain nombre d’incidents, vous
interpellez votre voisin, pour lui citer, preuve à l’appui,
chaque transgression et vous lui demandez de cesser.
Habituellement, un avertissement ou une interpellation suffit
pour l’arrêter. Avec l’Iran, cependant, cette approche n’a pas
fonctionné. L’Iran, selon Hussein, avait violé l’Accord d’Alger
de 1975 concernant les eaux du Chatt al-Arab (1).
De plus, l’Iran s’était ingéré dans les affaires de l’Irak,
deuxième violation de l’Accord. Pour Hussein, l’Irak
n’avait d’autre choix que de se battre. A partir de là, l’Irak
s’est battu et sacrifié pour que l’ingérence iranienne cesse.
Khomeiny pensait renverser le régime
en Irak et ailleurs
Hussein a fourni quelques idées sur l’état d’esprit
des dirigeants iraniens, notamment de l’ayatollah Khomeiny et
sur la décision d’entrer en guerre. Quand Khomeiny est arrivé au
pouvoir, en 1979, deux éléments « interféraient » avec
son état d’esprit. Fanatique religieux, il pensait que tous les
dirigeants étaient pareils au Chah et qu’ayant renversé celui-ci
facilement, il pourrait faire de même ailleurs, y compris en
Irak. Ensuite, Khomeiny avait un « complexe », celui
d’avoir dû quitter/d’avoir été mis à la porte de l’Irak, fin des
années 70. Khomeiny, exilé d’Iran, a été l’ « invité »
de l’Irak qui lui a donné « refuge » à Nadjaf, mais il
s’y élevait contre le Shah et le gouvernement iranien. Selon
Hussein, il ne respectait pas l’accord écrit (l’Accord
d’Alger) entre l’Irak et l’Iran et s’ingérait dans les
affaires intérieures de l’Iran. Le gouvernement irakien lui
rappela sa position. Il « était notre invité ».
De ce fait, « personne ne pouvait lui demander de partir ou
le livrer ». Le Chah avait essayé de convaincre
Hussein de lui remettre Khomeiny. Dans la culture arabe,
personne ne peut « abandonner » un invité.
Mais, Khomeiny refusa de cesser ses activités contre
le Chah et le gouvernement iranien. Il assura que si celles-ci
étaient contraires à la politique de l’Irak, il partirait.
Par la suite, il essaya de se rendre au Koweït où on lui refusa
l’entrée. L’Irak lui permit de revenir en Irak pour trois ou
quatre jours et l’aida, à sa requête, à se rendre dans un autre
pays, la France.
Les Irakiens chiites
sont resté fidèles à leur pays
Hussein a dit ne pas regretter le traitement réservé
à Khomeiny. Celui-ci, lui a-t-il été demandé, n’a pas été
reconnaissant à l’Irak de l’avoir réadmis après son retour du
Koweït qui aurait pu conduire, si l’Irak avait refusé, à son
transfert en Iran. Hussein a déclaré « Non. Cela n’aurait
rien changé car le peuple ne voulait plus du Chah. ».
Khomeiny devint un symbole pour le peuple iranien après son
départ d’Irak vu son âge et du fait qu’il avait été « mis à
la porte »(2), personnalité religieuse chiite proéminente,
exécuté en Irak en 1980, pouvait-il, lui aussi, devenir un
symbole ? Hussein a répondu « peut-être ». Il a ajouté
qu’il était lui-même un symbole puisque son portrait était aux
murs des maisons et d’autres lieux.
d’Iran. L’ayatollah Sayyid Mohamed Sadr
Khomeiny pensait que la population chiite du sud de
l’Irak le suivrait, particulièrement au cours de la guerre.
Mais, dit Hussein, « elle ne lui a pas fait bon
accueil ». En fait, les chiites sont restés fidèles à
l’Irak et se sont battus contre les Iraniens.
Hussein a reconnu qu’en 1980 l’armée iranienne
était faible et « manquait » de commandement puisque la
plupart des hauts officiers avait été démis de leur fonction
lors du changement de gouvernement en Iran avec Khomeiny.
Pourtant, cela n’a eu aucun effet sur la décision de faire la
guerre à l’Iran à ce moment-là. « Si l’armée du Chah avait
toujours existé, nous l’aurions battue dès le premier mois »
a déclaré Hussein. Avec Khomeiny, même sans encadrement, l’armée
et les Gardes Révolutionnaires se « sont avancés par
milliers » contre les forces irakiennes qui se sont battues
avec courage, notamment sur les frontières.
C’est l’Iran
qui a déclenché la guerre
Les tentatives d’assassinat d’officiels du
gouvernement irakien avant le conflit, supposées être le fait de
groupes soutenus par l’Iran, dont celles visant le ministre des
Affaires étrangères, Tarik Aziz (3) et le ministre de
la Culture, Latif Nayif Jassim (4), ont-elles joué sur
la décision de faire la guerre à l’Iran ? Hussein a déclaré
qu’il y avait eu « 540 attaques » de l’Iran contre
l’Irak avant la guerre dont 249 raids aériens ou incursions.
L’Irak a adressé ces informations aux Nations unies. L’Iran a
bloqué le Shatt al Arab et coulé des bâtiments irakiens
et étrangers. Avant le 29 septembre 1980, l’Iran a bombardé les
raffineries pétrolières de Bassora et d’autres villes d’Irak du
sud.
Quel était l’objectif de la guerre ? Hussein a
répondu : « Demandez à l’Iran. C’est lui qui a déclenché la
guerre. J’ai déjà expliqué les raisons de la guerre ». La
question reposée, Hussein a dit que l’objectif était
« d’empêcher l’Iran de s’ingérer dans nos affaires intérieures ».
Hussein a redit des informations déjà fournies dont le fait que
l’Iran avait violé le Traité d’Alger de 1975 : l’Iran avait
occupé la totalité du Shatt el Arab alors que le traité
prévoyait un partage par moitié, l’Iran n’avait pas réagi aux
communications diplomatiques en la matière.
Hussein a alors noté que les forces irakiennes
avaient, au début, investi des villes et territoires
frontaliers, du sud de l’Iran, aux environs de Muhammara,
Al-Ahwaz et Dezful. Elles ne s’étaient pas avancées plus en
profondeur car l’objectif immédiat était d’arrêter les attaques
d’artillerie à partir des régions frontalières.
Après deux ans approximativement, les forces
irakiennes ont été repoussées et la guerre, pour les Irakiens,
est devenue défensive. Pourquoi, lui fut-il demandé ? Hussein a
répondu : « on ne peut pas planifier pour l’armée irakienne
comme on le fait pour l’armée américaine ». D’un point de
vue militaire, les plans sont établis en fonction des moyens.
Les militaires s’accordent pour dire que si les lignes
d’approvisionnement deviennent plus longues, les problèmes
surgissent. « Le soldat d’aujourd’hui n’est plus celui d’il
y a cent ans ». Il fait partie d’un « groupe
universel » qui entend, qui voit ce qui se passe à la
télévision ou la radio. Le soldat est « un
élément du monde » et « en est affecté ». Si on
lui demande de contre-attaquer, le soldat « qui gagne »
s’accrochera à l’objectif et au-delà. Hussein a reconnu que la
dernière étape de la guerre offensive irakienne, en 1986-1987
avait enregistré de nombreux succès avec la capture notamment
des trois-quarts des tanks iraniens et la moitié de l’artillerie
et des véhicules de transport blindés.
Les chefs militaires irakiens ont pensé
que l’Iran avait
« compris la leçon »
Il a poursuivi en disant que l’Irak avait récupéré
suffisamment de territoire, dans les premières années de la
guerre, éliminant ainsi la menace de l’artillerie iranienne « Si
nous avions pénétré plus avant en Iran, ils auraient pensé que
nous voulions autre chose ». Il a ajouté : « Nous
n’avions pas affaire à une armée régulière, ce qui est plus
facile à planifier ». Il a précisé que, pour beaucoup
d’Irakiens, il s’agissait de leur expérience de combat. Beaucoup
étaient « requinqués » par les premiers succès en
territoire iranien. Cependant, après quelques jours, certains
se sont demandés : « Pourquoi suis-je ici ? » Comme
l’avait confirmé à Hussein, le haut commandement militaire,
beaucoup de soldats préféraient défendre les frontières et
rester en Irak. Le retrait des forces irakiennes aurait dû
intervenir avant ce changement de mentalité. Certains
commandants voulaient rester, d’autres, se retirer. Après deux
ans de guerre, les chefs militaires ont pensé que l’Iran
avait « compris la leçon » et ont recommandé le retrait
des forces, Hussein s’est rangé à cette position et a ordonné le
retrait des forces.
Selon Hussein, les opérations défensives ne sont pas
« bonnes sur le plan stratégique », ni pour le moral
des soldats. Hussein dit : « Si un soldat ne perçoit pas la
logique, il ne sera ni efficace, ni obéissant. Un soldat doit
être convaincu, autrement la discipline pose problème ».
Hussein a commenté l’état d’esprit des soldats américains
en Irak et ajouté : « Si vous demandez aux soldats américains
qui sont venus à la recherche des armes de destruction massive
et qui n’en trouvent pas, qui sont ici pour renverser les
dirigeants de la dictature de Hussein, qui sont tous en prison
et ont été remplacés par d’autres dictateurs, s’ils veulent
rester ou partir, ils diront « partir ».
Armes chimiques :
les Iraniens les ont utilisées à Mohammara
L’utilisation par l’Irak d’armes chimiques contre
l’Iran, au cours de la période défensive de la guerre,
avait-elle été rendue nécessaire, parce que, sans cela, l’Irak
aurait perdu la guerre ? A cette question, Hussein a répondu :
« Je n’ai pas de réponse à ça. Je ne répondrai pas ».
Pensait-il que l’Irak allait perdre la guerre avec l’Iran
particulièrement après 1982 et au cours de la période 1984-1986,
Hussein a répondu : « Non. Pas une seconde. Je l’ai dit à la
télévision. Je l’ai écrit dans cinq lettres à l’Iran ». Il
y décrivait la force de l’armée irakienne au grand dam de
certains commandants de l’armée qui n’aimaient pas que ce type
d’informations soit fourni à l’Iran. Les dirigeants iraniens
pensaient qu’Hussein mentait alors que les Irakiens le
croyaient. Revenant sur la question de l’utilisation
d’armes chimiques, Hussein a redit : « Je ne serai pas pris
au piège par quelque technicité. Cela ne vous servirait pas. Les
Etats-Unis ont payé chèrement pour leurs erreurs en Irak et à
travers le monde, et continueront à payer ».
Hussein a redit que l’Iran « n’avait pas entendu
le message » quand l’Irak s’était retiré, après 1982, sur
sa frontière. « Si vous ne leur brisez pas la tête, ils ne
comprennent pas ».
Hussein a déclaré que l’Irak « ne devait pas
beaucoup d’argent » à l’issue de la guerre avec l’Iran.
L’Irak avait reçu des pays arabes une aide qu’Hussein
considérait comme telle et non comme un prêt. Après la guerre,
cependant, ces pays « ont changé d’avis » et en ont
demandé le remboursement. Certains pays percevaient l’Irak comme
une menace militaire et non l’Iran dont les forces avaient été
décimées par la guerre.
Hussein a souligné que l’Irak avait accepté une
résolution des Nations unies du 28 septembre 1980 demandant la
cessation des hostilités avec l’Iran. Ce dernier, cependant, ne
l’a pas acceptée. Hussein a ajouté que l’Irak avait aussi
accepté la résolution des Nations unies 598 de 1987 demandant la
fin de la guerre. Même refus de l’Iran. L’Irak a, en plusieurs
occasions, essayé de négocier avec l’Iran la fin des combats.
« Nous le faisions alors que nous n’en avions pas besoin »
pour le bien du peuple et de l’humanité. L’Iran a seulement
accepté les termes d’un cessez-le-feu en 1988, après avoir perdu
la guerre.
Sur le résultat des recherches des Nations Unies sur
le recours aux armes chimiques par l’Irak durant de la guerre,
Hussein a rappelé que « l’histoire est écrite et ne changera
pas. Personne ne peut empêcher l’histoire de s’écrire ».
Hussein a précisé que l’Iran avait fait usage d’armes chimiques
d’abord à Muhammara (Khorramchahr, en Iran) en
septembre/octobre 1981.
« Je veux bien discuter de tout, à condition que
cela ne blesse pas mon peuple, mes amis, ou l’armée » a dit
Hussein. Il a ensuite relaté un incident en 1964 dont le
protagoniste était Ahmed Hassan al Bakr, à l’époque secrétaire
général du Parti Baas. Bakr et Hussein furent arrêtés par la
police pour avoir fomenté un coup d’Etat contre le président
Aref. Hussein a précisé qu’il avait pris l’entière
responsabilité de ce complot et n’avait fourni aucune
information sur les autres participants.
Il a ajouté : « Il n’est pas juste de blâmer les
autres quand on est responsable. Si quelqu’un dit Saddam m’a dit
de faire ça, cela ne me pose aucun problème car cela ne me
blesse pas ».
Notes :
(1)
Les Accords d’Alger, signés le 6 mars 1976, ont mis fin aux
contentieux territoriaux entre l’Irak et l’Iran et au soutien
apporté par les deux pays aux mouvements d’opposition de leur
voisin. Il mit un terme provisoire à la révolte séparatiste
kurde dirigée par Mullah Mustapha Barzani, soutenue par les
Etats-Unis, l’Iran et Israël. L’Irak demanda à Khomeiny de
cesser ses activités subversives et ferma les bureaux du
mouvement de libération de l’Arabistan, région iranienne
majoritairement arabe.
Lire :
La « libération » de l’Arabistan (AFI-Flash
- n°59, juin 2006)
http://www.france-irak-actualite.com/pages/arabistan-2512744.html
Le 17
septembre 1980, à la suite des appels au renversement du régime
baasiste irakien, lancés par Khomeiny de Téhéran, suivis
d’attentats et de combats le long de la frontière, Saddam
Hussein déclara les accords
« nuls et non avenus », accusa
l’ayatollah de soutenir
« à l’instar du Chah, les chefs de la rébellion ».
(2)
L’ayatollah Sayyid Mohamed Baqr al-Sadr a fondé en 1960 le
mouvement Al-Dawa,
actuellement au pouvoir en Irak. En 1979, estimant son heure
venue, il émit une fatwa autorisant l’usage de la violence pour
renverser le régime baasiste. Arrêté après un attentat à la
grenade visant le Vice-premier ministre Tarek Aziz en avril
1980, il fut jugé et pendu. Cet ayatollah, parent de Moqtada al-Sadr,
demeure un symbole pour les islamistes chiites pro-iraniens.
(3)
En avril 1980, Latif Nsayif Jassim, ministre irakien de la
Culture et de l’Information (10 de Trèfle du Jeu de cartes
du Pentagone), échappa aux tirs d’un commando d’Al-Dawa.
Avec ses gardes du corps, il poursuivit, revolver au poing, les
terroristes qui s’enfuyaient Le ministre est incarcéré, depuis
juin 2003, avec les autres anciens dirigeants irakiens, au Camp
Cropper, près de l’aéroport de Bagdad. Il était membre du
Conseil de Commandement de la Révolution (CCR) et chef du
bureau politique du Baas pour une partie de Bagdad.
© X.Jardez et G. Munier – Traduction en français et notes
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 6 février 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
Entretien n°1 - FBI-Saddam Hussein
Entretiens FBI-Saddam Hussein (Introduction)
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