Irak
Voyage en Irak, mai 2016 [3/6] :
De Babylone à Saddam Husseïn
François Belliot
© François
Belliot
Dimanche 14 août 2016
Le récit du premier jour de voyage,
précédé d’une présentation générale des
conditions dans lesquelles ils s’est
déroulé, est consultable sur
ce lien.
Première partie. Deuxième
partie.
Pour ce troisième jour nos hôtes nous
ont donc préparé un programme allégé et
à caractère touristique. En route vers
la ville de Hilla, 45 km au sud, à
proximité de laquelle se trouvent les
ruines de Babylone.
Pour une raison que nous ne
démêlerons pas, la sécurité de notre
convoi a été considérablement renforcée.
Une quinzaine de personnes prendront
part à la visite avec nous :
interprètes, gardes du corps,
photographes.
La circulation est fluide. Nous
traversons encore d’immenses palmeraies.
Les dispositifs de sécurité que nous
croisons n’ont rien à voir avec ceux des
environs de Bagdad et de Balad. Les
signes de la guerre sont moins présents,
même si des éléments à l’occasion le
rappellent, telle cette centrale
électrique entièrement ceinte d’une
muraille de djeddars. Nous
voyons également pour la première fois
des galeries de portraits d’un genre
différent : il ne s’agit pas de
combattants martyrs mais de ceux de
« terroristes » activement recherchés.
Certains d’entre eux sont barrés d’une
croix, signe que le problème qu’ils
posaient a été d’une façon ou d’une
autre résolu.
Avis de
recherche…
Avant d’arriver sur le site
archéologique, nous contournons une
colline d’aspect étrange, uniforme et
raviné. On nous explique qu’il s’agit
d’un promontoire artificiel sur lequel
Saddam Husseïn avait prévu de faire
édifier un château. L’Irak est ainsi
parsemé de « châteaux de Saddam Husseïn »,
que l’autocrate aimait à bâtir, par goût
des constructions monumentales, et souci
de manifester son pouvoir personnel.
Dans le cas présent, les ouvriers
n’auront eu le temps que de préparer la
colline sur laquelle il aurait dû être
édifié.
Sur cette
colline aurait dû être édifié le château
de Saddam Husseïn
Aucun parmi nous n’avait lu quoi que
ce soit sur l’état du site de Babylone
et de son degré de conservation. Nous
sommes donc forcément étonnés, quand
nous en découvrons l’entrée principale,
par son aspect pour ainsi dire neuf, et
plus neuf que bien des bâtiments usuels
que nous avons croisés jusqu’à présent.
Le portail est une reconstitution
dont l’original se trouve au musée de
Pergame à Berlin, et l’ensemble du site
a été intégralement reconstruit par la
volonté de Saddam Husseïn dans les
années 1980. Quand nous entrons dans la
cour d’accès l’impression se confirme :
rien qui ressemble à une ruine, tous les
murs sont en parfait état : on nous
apprend qu’il a même, en certains
endroits, inséré dans les murs des
inscriptions l’honorant d’avoir restitué
au site son lustre passé.
Le portail
d’entrée du site… comme neuve
Il est près de midi et la chaleur
étouffante… nous sommes tout de même
surpris de nous retrouver absolument
seuls dans ce site immense. Enfin seuls,
ou presque… Comme nous entrons dans
l’enceinte, nous tombons sur une scène
de tournage. Une journaliste est en
train d’interviouver, face caméra, un
personnage qu’on nous présente comme le
conservateur du site. Nous sommes
nous-mêmes venus avec nos caméras et la
coïncidence nous amuse. Nous comprenons
qu’il ne s’agit sans doute pas de nous
quand on nous fait signe de saisir
l’occasion pour répondre à quelques
questions pour la télévision irakienne.
On nous demande notamment si nous
pensons qu’il sera possible un jour, de
voir inscrit le site de Babylone au
patrimoine mondial de l’Unesco. Un peu
saisis sur le vif, nous acquiesçons
courtoisement, tout en confessant notre
ignorance en la matière ; nous nous
prêtons de bonne grâce à cette opération
de relations publiques improvisée.
En rentrant le soir, nous nous
rendrons compte du débat dont font
l’objet ces ruines. Certes le site a été
profondément dénaturé par Saddam Husseïn,
mais des fouilles ont eu lieu tout au
long du XXème siècle, et le site n’a pas
livré tous ses secrets : une inscription
au patrimoine de l’UNESCO permettrait de
réhabiliter le site et de relancer les
recherches des archéologues.
Nous entrons alors sur le site
proprement dit. Un guide parlant
vaguement l’anglais nous fournit des
explications que nous avons d’autant
plus de mal à suivre qu’au départ la
visite se fait un peu à marche forcée.
Nous passons d’un endroit à un autre
sans trop nous attarder, ce qui a
tendance à stresser les preneurs de vue
qui ne disposent à chaque fois que du
temps minimal pour poser leurs trépieds
et filmer des plans stables de bonne
qualité.
La chaleur cependant, accablante sous
le soleil de midi, finit par faire son
œuvre.
La moindre zone d’ombre est prise
d’assaut. Je cesse de prendre des notes
sur mon cahier que je transforme en
chapeau. Peu à peu notre cortège se
disloque et nous nous lançons par petits
groupes à la découverte du site.
L’ensemble est monumental et immense.
Nous longeons des murs hauts de 20
mètres, crénelés et décorés par endroits
d’animaux, nous passons sous de hautes
arches, entrons dans de vastes cours.
L’impression d’ensemble est un peu
surréaliste, dans la mesure où il n’y a
pratiquement aucune inscription sur les
murs, aucune indication de fonction des
différentes parties du site que nous
traversons, et dans la dispersion du
cortège nous avons perdu notre guide.
Nous sommes frappés par les jeux d’ombre
et de lumière, qui forment des
contrastes saisissants sous le brûlant
soleil de midi. Par endroits, nous
tombons sur des pans de bâtiments
reconstitués, qui, déjà, sont en train
de se lézarder et semblent au bord de
s’effondrer.
Nous
passons sous de hautes arches, entrons
dans de vastes cours…
L’ensemble
est vaste, monumental, et en très bon
état de… reconstruction
Mais le
temps fait déjà son œuvre et certaines
parties reconstruites commencent à
s’effondrer.
Voici à
quoi devait ressembler le site, avant
restauration.
Pendant notre visite, nous ne
croiserons qu’un autre groupe de
visiteurs, un sayyid avec son turban
noir caractéristique accompagné de sa
femme en abaya et d’un guide. Dès le
début de la visite, nous serons rejoints
par l’homme chargé de garder le site ; à
plusieurs reprises il nous ouvrira des
portes verrouillées.
Au bout d’une heure, nous rejoignons
le portail par lequel nous avons pénétré
dans le site. La chaleur devient
véritablement insupportable, ce que nous
constatons aux visages défaits de nos
accompagnateurs, qui comme nous, en ces
circonstances, n’ont eu d’autre choix
que de fondre inexorablement.
Nos hôtes, qui ne sont pas nés du
dernier soleil, avaient prévu cette
issue : du coffre d’une des voitures est
extraite une glacière remplie de sodas
et d’eau fraîche, autour de laquelle
tout le monde s’empresse avec avidité.
Avant de clore le récit de cette
visite des « ruines » de Babylone,
j’évoque un détail qui nous a vivement
frappés et remplis de curiosité. De
temps à autre, nous pouvions apercevoir,
à un kilomètre de distance, un
surprenant édifice érigé sur sa colline,
d’apparence monumentale. Il s’agit d’un
(autre) château de Saddam Husseïn que
nous sommes censés visiter dans la
foulée, apprenons-nous soudain : le
descendant autoproclamé de
Nabuchodonozor n’a pas seulement eu la
folie des grandeurs de prétendre
reconstruire l’intégralité du site de
Babylone, en y gravant sur ses murs
reconstitués sa qualité de bienfaiteur,
il a aussi souhaité édifier un palais
surplombant le site, pour lui donner
lors de ses séjours en ce lieu
éminemment symbolique un belvédère
incomparable.
De loin en
loin notre regard était attiré par un
bâtiment des plus intrigants…
Visite du château de Saddam Husseïn
La visite du palais de Saddam Husseïn
nous aura sans doute laissé l’impression
la plus surréaliste de tout notre
voyage. De loin, l’édifice semble
absolument intact. Aucune trace de
bombardement, aucun impact de balles.
Les flancs aménagés en jardin de la
colline donnent l’apparence d’un
bâtiment habité, et fonctionnel. Quand
on y pénètre, on découvre que tout a été
pillé et laissé à l’abandon, le bâtiment
vieillissant année après année, intact
dans sa structure, mais destiné
apparemment à se transformer en ruines
comme le site antique de Babylone dont
le coup d’oeil est superbe en contrebas.
La vue sur
les ruines de Babylone est royale.
La vue sur
l’Euphrate et cette immense palmeraie
n’est pas mal non plus
Tout ce qui pouvait être arraché et
réutilisé a été pillé : meubles,
installations électriques, rambardes
d’escaliers, portes, robinetterie,
lustres. Restent les murs, les arches,
certaines décorations monumentales, de
larges béances qui étaient autrefois des
fenêtres, les marches des escaliers, les
dalles des sols, les moulures des
plafonds, des portes d’un système
d’ascenseurs qui évidemment ne
fonctionne plus.
Une des
rares parties intactes du château. Le
plafond était sans doute trop haut pour
les pillards. La symbolique du lieu
apparaît dans cette fresque circulaire,
qui prétend montrer le lien qui unit la
Babylone de Nabuchodonozor et l’Irak de
Saddam Husseïn
Cette
prise donne une idée de la hauteur sous
plafond et de la vastitude de certaines
pièces
Une
enfilade de salles
Une autre
enfilade de salles
L’escalier
principal est barré par des barbelés que
nul n’a songé à enlever,
mais les escaliers annexes permettent
d’accéder à la totalité du palais.
Ces ascenseurs
fonctionnaient autrefois.
Une autre
vaste et haute salle
Dans un tout autre genre, nous avons
été frappés par un détail touchant à
l’intérieur du bâtiment, complètement
inattendu vu l’usage et le personnage
auquel ce bâtiment était destinés.
Partout, dans toutes les salles, à tous
les étages, les murs sont recouverts de
graffitis écrits pas des amoureux venus
s’y déclarer leur flamme. Alors qu’il
s’agissait d’un lieu de pouvoir, qui
inspirait la terreur à la majorité
chiite qui peuple la région, ce palais
est devenu depuis la chute de Saddam
Husseïn un endroit romantique par
excellence.
Premier
exemple de graffiti amoureux
Deuxième
exemple de graffiti amoureux
La visite, coup sur coup, de ces deux
sites distants d’un kilomètre à peine,
emplit l’esprit de rêveries
intemporelles. L’homme qui a prétendu
ramener à la lumière la gloire de
Babylone en relevant des ruines vieilles
de plusieurs milliers d’années a voulu
se construire un palais depuis lequel il
aurait voulu contempler son œuvre, et le
reflet de la grandeur dont il se croyait
le divin héritier. Ironie du destin,
Saddam Husseïn n’a jamais eu l’occasion
d’y faire un seul séjour, et aujourd’hui
ce palais est en train, lentement mais
sûrement, de se transformer en ruine à
son tour, dans lesquelles ne subsistent
presqu’aucun indice de celui qui le
conçut en le parant d’insignes à sa
gloire.
Les chiites irakiens qui peuplent la
région ne restaureront pas ce palais, et
semblent vouloir le laisser dans cet
état, comme un symbole du joug
terrifiant sous lequel ils vivaient sous
le règne du satrape, et dans les murs
desquels ils se plaisent désormais à se
promener, murs à présent inoffensifs
qui, en l’état, paraissent agir comme un
remède aux souvenirs douloureux que les
chiites gardent du règne de Saddam
Husseïn.
Les Irakiens que nous avons
rencontrés semblent en revanche
déterminés à tout faire pour que le site
de Babylone retrouve son état
d’autrefois, au moins pour que de
nouveaux travaux archéologiques y soient
réalisés. Vu l’ampleur des travaux de
reconstruction accomplis sous
l’impulsion de Saddam Husseïn, qui sont
un obstacle à son inscription au
patrimoine mondial de l’UNESCO, le
chantier est à l’évidence colossal, et
sans doute faudra-t-il qu’une paix
durable s’installe dans la région pour
faire revenir les archéologues et les
touristes.
Nous sommes de retour assez tôt (15
heures) à Kerbala, et nous faisons
relâche. Nous partirons dans la soirée
pour une nouvelle visite des rues de
Kerbala.
C’est avec une équipe plus réduite, 5
personnes (interprètes et
organisateurs), que nous prenons de
nouveau le chemin de Kerbala.
Nous parcourons longuement plusieurs
rues animées de la ville qui nous
permettent d’avoir un nouvel aperçu de
la vie quotidienne des habitants de
cette ville.
Une vie économique normale s’affiche
sans crainte, comme nous l’avons
remarqué le premier soir. La circulation
est dense, et très animée. Le port du
casque pour les deux roues semble
inconnu, si nous en jugeons par ces
fréquents gamins, parfois à deux sur un
scooter, qui slaloment nu-tête entre les
voitures. Les véhicules se doublent de
tous les côtés. L’usage « sec » du
klaxon en rafale devient un outil
obligatoire des conducteurs dans ces
conditions. Nous demandons s’il existe
un code la route et ce qui se passe
quand se produit un accident. On nous
répond qu’il existe un code de la route,
mais qu’il n’est pas vraiment respecté,
même si, quand survient un accident, ce
n’est pas l’anarchie : la police
intervient, dresse un constat, établit
des responsabilités.
Des magasins en tous genres exhibent
leurs devantures vivement illuminées.
Tous demeurent ouverts jusqu’à minuit
voire plus. Il y a des marchands de
tapis, de vêtements, de meubles, de
robes de mariées, d’accessoires pour
bébé, de produits de luxe, des agences
de voyage, des pharmacies, des hôtels,
des concessionnaires auto (Japon, Corée,
USA). Nous passons également près d’un
hôpital géré par l’hôpital du SSIH
(Saint Sanctuaire de l’Imam Husseïn), de
galeries marchandes, et d’un parc
d’attractions.
Il faut ajouter que, comme partout
dans les lieux par lesquels nous sommes
passés jusqu’à maintenant, de nombreux
portraits de martyrs ponctuent notre
itinéraire. Passant par une place, nous
découvrons une variante : une sorte de
« monument » carré sur les quatre faces
duquel figurent les portraits de quatre
martyrs « pilotes », représentés dans
leur uniforme de combat.
On nous invite ensuite à dîner dans
un restaurant appelé « Dour al Nasrawi »,
où l’on nous sert ce que nos hôtes nous
présentent comme leur plat national : un
dolma. Il s’agit en entrée d’un
assortiment de mezze qui
rappellent la cuisine libanaise, suivi
de grillades de diverses viandes. La
frugalité des repas pris au restaurant
de la cité des visiteurs nous fait
d’autant mieux apprécier ce qu’il faut
bien appeler un festin.
Dernière étape avant de rentrer à la
cité des visiteurs : l’un de nous
éprouve un urgent besoin de s’acheter
des chemises. Il est onze heures passées
mais tout est ouvert. Nous entrons dans
un vaste magasin de vêtements sur deux
niveaux. En flânant dans les rayons à
l’étage, nous avons la surprise de
découvrir, pas le plus en évidence mais
non dissimulé, tout un rayon vendant de
la lingerie coquine féminine, juste à
côté de mannequins féminins en robes de
soirée.
Robes de
soirée sur des mannequins dans un
magasin de vêtements de Kerbala
Je fais part de ma perplexité, à
laquelle je joins une interrogation sur
les magnifiques robes de mariées
exhibées dans les vitrines de certaines
boutiques : comment les femmes
peuvent-elles acheter ce genre de
vêtements n’ayant rien à envier aux
audaces de certains magasins européens
dédiés à ce genre de produits, plus
simplement, pourquoi acheter des robes
de soirée si on ne peut pas les porter
en public ? On me répond que dans le
cadre privé tout change. Le code
vestimentaire doit être respecté dans
des lieux publics mais chez elles et
dans des cadres contrôlés, elles peuvent
se laisser aller à certaines audaces.
Nous rentrons ensuite à la « cité des
visiteurs ». Le lendemain, nous devons
rencontrer et nous entretenir, à Bagdad,
avec les responsables des waqfs
chiites et des waqfs sunnites,
M. Saïd al-Moussaoui, et Abdoulatif
Humayim. Ces deux institutions sont
chargées de récolter les dons des
fidèles de ces deux branches de l’Islam
pour tout l’Irak.
François Belliot | 14 août, Paris
A suivre…
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