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Irak

Voyage en Irak, mai 2016 [2/6] :
Balad et Bagdad

François Belliot


© François Belliot

Dimanche 7 août 2016

Le récit du premier jour de voyage, précédé d’une présentation générale des conditions dans lesquelles ils s’est déroulé, est consultable sur ce lien.

Deuxième jour: Bagdad et Balad

Par François Belliot

La plupart des repas que nous avons pris au cours de ce séjour étaient servis dans le restaurant de la « cité des visiteurs ». Pas de buffet, ni de commande : on s’assoit quelque part et quelqu’un vient aussitôt vous servir, le même plat pour tout le monde, assez frugal mais tout à fait correct. Des gabarits un peu plus considérables que le mien ont pu souffrir un peu de cette austérité, mais y ont survécu.

Au petit-déjeuner, comme chaque matin les jours suivants, c’était une portion comprenant une sorte de « pain », une petite barquette de confiture, une barquette de fromage blanc amer, quelques triangles d’une version locale de la « vache qui rit ». Je mets ces deux dernières expressions entre guillemets, car si la « vache qui rit » de Kerbala a exactement la même aspect (emballage et contenu) que son homologue française, en arabe elle a été appelée « Bakara Dhakiya », autrement dit la « vache intelligente ». Variations mercatiques qui nous ont fait sourire.

Transportés dans une sorte de convoi, nous partons pour Bagdad, à 110 km de là, puis Balad, plus au nord dans la province de Salah el-Din. Au programme, nous devons rencontrer des personnalités de cette ville libérée depuis quelques mois seulement de Daech et qui présente la particularité d’être une enclave chiite en territoire sunnite. Pour l’occasion sunnites et chiites ont lutté côté à côte pour repousser l’envahisseur : la libération de Balad et d’une grande partie de la province est un symbole fort de l’entente sunno-chiite, dans un contexte où tant de lignes de fracture apparaissent entre les deux camps, souvent attisés depuis l’étranger en vue de provoquer la guerre civile. C’est ainsi en tous cas qu’on nous présente les choses. Il est également prévu que nous rencontrions un symbole national, une sorte « d’icône irakienne de l’union sacrée contre Daech » : une femme sunnite ayant caché et sauvé la vie à 18 soldats chiites qui allaient être passés au fil de l’épée par des combattants de Daech. Il est prévu ensuite de passer par Bagdad et d’y passer la nuit.

Les cinquante premiers kilomètres de la route entre Kerbala et Bagdad offrent le spectacle d’un paysage verdoyant, composé pour l’essentiel de myriades de palmiers dattiers. On nous apprend que la région est renommée pour ses dattes, labellisées husseyniyé. Nous franchissons l’Euphrate où nous nous arrêtons pour observer les rangées de fermes piscicoles arrimées en ligne au rivage. Y sont élevées principalement des carpes, qui servent de base à la confection d’une spécialité de Bagdad et du nord de l’Irak, le masgouf, une carpe grillée et assaisonnée au choix.


Alignement de fermes piscicoles sur l’Euphrate

Pendant le trajet la discussion s’engage sur différents sujets. Nous revenons sur les mesures de sécurité qui nous ont impressionnés la veille. Nous demandons si elles sont suffisantes. « Pas entièrement », nous répond-on : « Du fait de l’éclatement confessionnel, de la facilité pour Daech de recruter des jeunes en déshérence et des gens perturbés, y compris chiites, après tant d’années de guerre traumatisante, il est impossible de se protéger totalement d’un kamikaze isolé et résolu. » Nous nous enquerrons de l’état du système éducatif : celui-ci s’est effondré après 2003, alors qu’il était déjà mal en point. En remontant plus loin dans le temps et les débuts de la guerre Iran/Irak en 1980, ce sont des générations entières qui ont été livrées à elles-mêmes, dont la priorité au quotidien était de trouver du travail, de quoi manger, et plus simplement de se battre. C’est en raison de l’effondrement du système éducatif que depuis quelques années, le Sanctuaire de l’imam Husseïn, dans la région sous son influence, a pris progressivement le relais de l’État effondré en prenant en charge certains services publics comme les écoles, les collèges, et les centres pour enfants orphelins. La situation est un peu stabilisée depuis deux ans, mais l’Irak, en outre, fait face à une pénurie de cadres et de personnes bien formées, dont beaucoup ont fui à l’étranger, et qui ont toutes les peines du monde à se faire au quotidien, parfois difficile, de la vie en Irak, même dans des zones relativement calmes comme celles de Najaf et de Kerbala.

Un mois plus tard, le 7 juin, confirmant les craintes exprimées par nos hôtes, une voiture piégée explosera dans la ville de Kerbala, faisant cinq morts et dix blessés.

Comme sur la route Najaf/Kerbala, de nouveau nous sommes confrontés à ces alignements de portraits de combattants martyrs. C’est le cas dans toutes les régions où les Irakiens ont eu à repousser Daech depuis deux ans au prix de pertes considérables. Dans les deux sens de la route nous croisons, pendant presque tout le trajet vers Bagdad, des centaines de camions, pour beaucoup à l’arrêt en file indienne sur le bord de l’autoroute. Ils font le va-et-vient entre Bagdad et la région de Kerbala, qui comporte des gisements d’un sable réputé pour la construction. Après 50 km nous parvenons dans la petite ville d’Iskandaryah, qui correspondrait à l’endroit où Alexandre le Grand serait mort en – 323 av JC (nous sommes à une centaine de kilomètres des ruines de Babylone que nous visiterons le lendemain). Après cette ville nous laissons derrière nous une contrée assez verdoyante pour pénétrer dans un environnement de plus en plus lunaire et désolé.


Des camions à l’arrêt transportant du sable entre Bagdad et Kerbala. La file est interminable

A l’approche de Bagdad, les indices que nous sommes dans un pays en guerre sont de plus en plus nombreux. Tous les kilomètres ou presque nous croisons un poste fortifié avec son mirador. Les fortifications consistent presque partout en des assemblages de massifs blocs de béton hauts de trois mètres et assemblés comme des pans de cloison. On les appelle djeddars par métonymie, le terme signifiant « béton » en arabe irakien. Par endroits, ces assemblages imposants s’étalent sur plusieurs centaines de mètres, soit qu’ils protègent des quartiers d’habitation, des stations-service, soit d’anciens camps militaires construits par les Etasuniens et investis ensuite par l’armée irakienne.


Un point de contrôle, avec ses djeddars et son mirador, sur la route Kerbala/Bagdad

Le paysage à l’approche de Bagdad est d’une laideur indescriptible : vastes zones désaffectées, parsemées de déchets en tous genres. Quand les abords de la route sont urbanisés, ce sont des suites de constructions conçues sans aucun souci d’harmonie architecturale, et qui, n’étant jamais peintes ou presque, laissent voir leur structure en béton et les empilements de parpaings qui en constituent les murs, les assemblages de djeddars grisâtres accroissant par endroits le caractère sinistre de l’ensemble. Jusqu’à maintenant nous n’avons pas constaté de grosses destructions ou impacts de balles et d’obus, mais cette désolation suggère à l’évidence que la guerre a laissé des traces.

Comme nous dépassons Bagdad par l’ouest, nous laissons sur notre gauche, à une cinquantaine de kilomètres, la ville de Faloudjah, deuxième ville de la province d’al-Anbar, qui attisait notre curiosité. Découvrant notre itinéraire la veille, nous nous étions rendus compte que nous passerions très près de cette localité qui fut, un an après le renversement de Saddam Husseïn en 2003, le théâtre d’une féroce bataille entre la guérilla irakienne et l’armée étasunienne, qui utilisa pour l’occasion des bombes à l’uranium appauvri, dont les déchets radioactifs sont, encore aujourd’hui, source de très graves malformations chez les nouveaux-nés. Début janvier 2014, la ville a été prise par l’organisation EI.

On nous apprend que la ville est toujours inaccessible : si depuis mi 2014, l’armée irakienne, appuyée par les volontaires chiites, est parvenue à inverser la tendance face à l’avancée d’abord foudroyante de Daech, demeurent encore, dans l’intérieur du pays libéré, des poches de résistance qu’il est plus difficile de réduire. La ville de Faloudjah, qui compte 50000 habitants, en fait partie.

Une offensive, nous dit-on, se prépare contre la ville, et à présent, tous les villages qui l’entourent sont passés sous contrôle de l’armée irakienne. La ville et ses environs seront en effet complètement libérés un mois et demi après notre passage, le 26 juin.

Si à présent, pour le reste, toute la région sunnite au nord de Bagdad est pacifiée et sous contrôle, nous traversons des zones encore contrôlées par Daech il y a peu. Le paysage verdit de nouveau sur la route Bagdad/ Balad : nous passons ainsi devant de vastes vignobles, dont la taille et la disposition rappellent l’aspect de certains terroirs français. Nous demandons si ces vignes servent à la fabrication de vin. On nous répond que c’était le cas du temps de Saddam Husseïn, mais qu’à présent on ne produit plus de vin dans cette région, le raisin continuant néanmoins d’être utilisé pour d’autres plaisirs alimentaires.

C’est dans un carrefour au milieu de nulle part que nous rencontrons nos hôtes du jour : deux chaykhs tout de blanc vêtus, un officiel du gouvernement irakien, et une poignée de militaires en tenue. Après quelques mots d’échange et de bienvenue, et une photo collective, nous reprenons place dans le convoi et nous mettons en route vers notre destination.

Le dispositif de protection militaire du sanctuaire où nous devons nous rendre est impressionnant. Nous nous rapprochons du front contre Daech, et la tension à chaque checkpoint est encore plus palpable. Au moment où j’écris ces lignes, nous découvrons que, neuf jours plus tard, un commando de l’organisation EI a fait un carnage, le 16 mai, dans un café de Balad où se réunissaient des supporters du Real Madrid. Munis d’armes automatiques et de grenades, les assaillants ont fait 16 morts. Pourchassés ensuite, quatre d’entre eux font exploser leur ceinture d’explosifs en appliquant la partie finale de leur plan.

Je passe sur la description du dispositif de défense de la ville, constitué de nombreux check points, cassis, chicanes redoublées, rangées de Djeddars, soldats attentifs, dispositif qui se densifie à mesure que nous nous approchons de notre destination : le mausolée de Sayyid Muhammad, fils de Ali al-Hadi, et frère de Hassan el-Askari, respectivement Xème et XIème imams dans la tradition du chiisme duodécimain.

C’est après avoir traversé une partie de la ville de Balad que nous nous retrouvons dans les abords du sanctuaire. Je dis « nous retrouvons » car ce n’est qu’au dernier moment que nous distinguons les éléments caractéristiques des lieux saints chiites : en effet, le bâtiment a été complètement entouré d’une muraille de djeddars, et certains abords proches du bâtiment sont également protégés par d’imposantes fortifications en béton, un peu comme si le sanctuaire avait été transformé en blockhaus.

Le mausolée arbore une coupole bleue de diverses nuances, flanquée de deux minarets dorés en réfection. Le lieu est constitué d’un bâtiment central, au centre duquel sont enterrées les dépouilles des deux Saints, d’une cour intérieure, et d’un bâtiment d’enceinte dans lequel sont aménagés des lieux de vie divers. Les deux minarets sont actuellement en réfection.


Vue de la cour intérieure du sanctuaire des deux imams

Nous entrons dans une grande salle de réception du bâtiment d’enceinte. Des sièges et canapés sont disposés tout autour de la pièce, contre les murs, en ligne continue, et dans un premier temps nous y prenons tous place, policiers et militaires, dignitaires des lieux et religieux, notre équipe et ses différents accompagnateurs. On nous sert un thé et de l’eau fraîche. L’ambiance est un peu étrange, dans la mesure où nous ne savons pas très bien ce qui se passe et ce à quoi nous attendre.

Le moment de flottement est accentué par le fait que toute une partie de notre équipe, dont nos deux interprètes, répond soudain à l’appel de la prière qui retentit. Impossible de faire quoi que ce soit pendant de longues minutes, et les échanges sont rendus presque impossibles du fait de la pauvreté de notre arabe, et de l’absence d’interlocuteur maîtrisant le français ou l’anglais.

Comme nous patientons, les deux édiles qui nous ont accueillis en premier lieu sur le bord de la route, et qui sont demeurés avec nous dans la vaste pièce, de même que la plupart des policiers et militaires, marquent également leur impatience et nous pressent instamment de les rejoindre dans une pièce où ils veulent nous montrer quelque chose : il s’agit de douilles et de restes de mortiers qu’ils ont récupérés et qui témoigneraient de l’agression armée des combattants de Daech contre le Sanctuaire. Nous cherchons en vain à faire comprendre à nos hôtes que nous ne comprenons pratiquement rien de ce qu’il nous disent, et qu’il nous faut absolument attendre le retour de nos interprètes ; peine perdue, leur entrain est tel que nous installons à la va-vite nos caméras pour nous lancer dans une interviou qui nous fait penser à un jeu de mimes. Nos deux hôtes exhibent de façon très démonstrative les preuves de l’agression de Daech qu’ils accompagnent de commentaires enflammés et volubiles que nous nous trouvons dans l’incapacité de comprendre et de traduire.

Enfin, la prière prend fin et nos interprètes repointent le bout de leur nez : nos interlocuteurs se reprêtent de bonne grâce à l’exercice que nous pouvons filmer dans des conditions plus exploitables.

L’ensemble des transcriptions qui vont suivre sont des traductions instantanées de l’un de nos interprètes, auxquelles je n’ai apporté aucune retouche.

C’est Amar Sikhal, le secrétaire général adjoint du sanctuaire, qui nous répond en premier.

Nous commençons par lui demander depuis quand il a la charge de s’occuper de ces lieux : « Depuis 255 de l’hégire [869 ap JC], de génération en génération ma famille à la charge de s’occuper de ce lieu sacré. » L’entretien se poursuit ensuite sur différents points. « Tous nous vivions en bonne entente. Nous sommes des tribus qui entretiennent des relations de mariage. Tout allait bien jusqu’au jour où al-Qaida et Daech sont arrivés. L’invasion a commencé le 5 juin 2014. Dans cette zone nous sommes particulièrement les enfants de l’imam Ali, donc nous entretenons des relations avec les autres selon la charte de l’imam Ali. Nous n’avons de problème avec personne. Nous accueillons tout le monde. Un jour, en marchant dans les rues de Koufa l’imam Ali a trouvé un juif en train de mendier. Il a demandé : « pourquoi cette situation ici à Koufa ? ». On lui a répondu : « c’est un juif, on ne peut rien faire. » L’imam Ali a dit : « ce n’est pas votre frère en religion, c’est votre frère en image. Vous devez lui prêter assistance avec l’argent des musulmans. C’est ça notre charte, c’est ça notre mode de vie, et c’est la façon dont nous souhaitons vivre ici. Selon les préceptes de l’imam Ali nous entretenons toujours cette relation avec toutes les familles, même celles qui ont entretenu des relations privilégiées avec Daech. Nous avons ici un centre de santé, nous les soutenons financièrement, nous nous occupons d’eux. Je vous donne la preuve de cette entente : actuellement il y a un match de football, auquel participent tant des kurdes que des chiites et des sunnites. Cette entente est bien entretenue depuis des années… Vous pouvez filmer ici [il nous montre des douilles et des restes de mortiers] les cadeaux de l’occident et de Daech à l’Irak, pour attaquer une mosquée. Voici les débris des armes utilisées contre les mosquées et la population. Ce que vous voyez là on l’a récupéré juste pour démonstration. Les assaillants visaient le haut du minaret. » Alors que nous le remercions de nous avoir accordé cet entretien, en miroir il nous répond : « C’est nous qui vous remercions parce que vous êtes venus nous voir, que vous êtes soucieux de la situation ; c’est nous qui vous remercions parce que nous nous sentons seuls. »

Nous recueillons ensuite la réaction du second chaykh, Amer al-Baldaoui qui a la charge de gérer la ville de Balad, ce qu’on appellerait le maire en France. C’est lui qui nous pressait tout à l’heure de venir commencer à filmer tout de suite. Il se lance aussitôt dans une diatribe enflammée pour dénoncer ce à quoi les habitants et les visiteurs de Balad ont été confrontés : « ce que vous avez vu, c’est un centième, un millième de ce que nous a fait Daech ! Beaucoup de visiteurs (pèlerins) et d’enfants ont été abattus, sont morts ici, également des gens de la sécurité. L’opposition entre les chiites et les sunnites, ce sont les politiciens qui importent ce désastre. Les deux familles se marient entre eux, vivent ensemble. Nous sommes ensemble, nous vivons ensemble, mais les politiciens ils ont ramené des choses, ils ont importé des virus que l’on ne connaît pas, qu’on ne devrait pas avoir, et dont on ne connaît pas la provenance. L’Irak est uni. Ce sont les politiciens qui ont provoqué ça, et qui instrumentalisent cette situation, pour profiter politiquement et financièrement. »

Le secrétaire général adjoint du site renchérit : « Parmi les personnes assassinées par Daech, il y avait des Saoudiens, des Pakistanais, qui sont venus ici pour visiter ce mausolée sacré. Ce ne sont pas seulement les Irakiens qui sont pris pour cibles, mais également les visiteurs étrangers. »

Nous leur demandons quand ils sont parvenus à chasser Daech de la région, et ce qu’il en est maintenant : « Nous les avons chassés trois mois après (juin 2014- sept 2014). Les tribus se sont liguées, avec l’autorisation du gouvernement irakien, et nous avons donné une belle raclée à Daech. Quand les combattants de Daech sont venus ici – le problème est le même un peu partout – ils ont commencé à attaquer les familles et les femmes. La lumière du minaret était éteinte depuis 2011, ce n’est que ces jours-ci que nous l’avons rallumée. Ils s’attaquaient à la lumière. C’est comme s’ils voulaient éteindre une lumière, d’une certaine façon. »

Alors que nous sommes en train de terminer ces entretiens, nos accompagnateurs nous adressent des signes de plus en plus pressants pour y mettre un terme : en effet il est temps d’aller prend un repas en commun dont la vocation est de montrer l’amitié sunno-chiite, des membres de ces deux branches de l’Islam se trouvant assis à une même table pour y partager un même repas.

Quand nous sortons dans la cour nous entamons une série d’entretiens filmés de diverses personnalités de la ville de la région, notamment le chef de la police locale et le préfet de la région de Salah-el-Din.

Nous commençons par recueillir les propos du chef de la police : « Nous remercions votre chaîne d’être venus en Irak, de vous être intéressés à cet endroit sacré, et à l’Irak, et à cette région de Balad en particulier. Je vous rassure, cette région est sécurisée. Daech est venu ici exclusivement pour semer la zizanie et la discorde entre les enfants d’un même pays. Ils ont spécifiquement attaqués les lieux sacrés ici. La stratégie de Daech n’a pas marché dans la région, parce que nos frères sunnites se sont aperçus que c’était un désastre aussi bien pour eux que pour nous. Actuellement nous accueillons des frères sunnites à qui nous apportons une aide sanitaire et alimentaire. D’un point de vue pratique nous ne faisons aucune distinction entre les différentes confessions. Toute personne qui est malade est bienvenue. Nous soignons nos frères sunnites gratuitement. Vous avez pu participer à ce repas. Ce repas était ouvert à tout le monde, aussi bien aux étrangers qu’à tous les habitants de l’Irak, de toutes les tendances. Le repas auquel vous participé est distribué régulièrement dans la mosquée, et notre seul intérêt c’est de suivre les indications de l’imam Ali. »

Nous lui demandons comment ils sont parvenus à chasser Daech de la région : « Daech a d’abord profité d’un effet de surprise, mais ses combattants n’ont pas occupé de points stratégiques. Les tribus sunnites de la région se sont unies, et les jeunes chiites ont répondu à la fatwa de l’ayatollah Al-Sistani pour aller mener le jihad (guerre sainte) contre Daech. Cet engagement s’est fait aux côtés de l’armée irakienne. Ce fut la clé pour repousser Daech. Nous sommes à présent prêts à libérer tout le pays. »

Plus simplement nous nous enquérons de leur travail de policier au quotidien. « Il commence par une exclamation : « On ne demande pas à un délinquant de quelle obédience il est ! Quand quelqu’un commet un larcin, nous tâchons de l’arrêter. Nous luttons contre les voleurs et les agressions. Nous tenons des tours de guet, et bien sûr au besoin nous combattons contre Daech. »

En parlant de Daech, un peu plus tard, le chef de la police, interrogé par Maria, nous rapportera une anecdote étonnante : il y a quelque temps, ils ont arrêté des hommes de Daech équipés de ceintures d’explosifs qui s’étaient déguisés en femmes et s’étaient glissés dans une colonne de réfugiés. Voulaient-ils y réaliser un carton en rendant l’âme par la même occasion ; non : c’est le moyen qu’ils avaient trouvé pour sauver leur peau et échapper à un destin qu’apparemment il n’avait pas choisi.

Nous nous entretenons ensuite avec le préfet de la région, M. Mohamed, en poste depuis 2013, auprès duquel nous nous excusons par avance, puisque la première partie de l’entretien, en raison d’un problème technique, s’est avéré par la suite inaudible et intranscriptible. Voici tout de même une partie des propos qu’il nous a tenus : « (…) La collaboration des différents services a permis de libérer efficacement cette région, et de repousser cette attaque infâme des forces du mal qui ne font aucune différence entre un être humain et un autre. Cela n’est pas un problème de religion, c’est un problème auquel le monde entier est confronté. Il a été imposé à l’Irak… que les gens voient eux-mêmes ce qui se passe chez eux pour se rendre compte du mal que nous subissons, et que, grâce à l’unité et la collaboration des différents services de l’état, nous sommes sur le point, si Dieu le veut, de vaincre définitivement ces intrus. » Pour finir il nous a de nouveau rapporté l’anecdote du mendiant juif que l’imam Ali exhorta à secourir, au nom des valeurs de générosité universelles de l’Islam. L’entretien s’est clos sur une invitation à aller assister à ce match de football « oecuménique ».

Il nous a semblé, pour être tout à fait francs, que les discours qu’ils nous ont tenus successivement étaient un peu stéréotypés, à l’évidence préparés à l’avance. Tous ont extrêmement insisté, pratiquement avec les mêmes mots, sur l’union sacrée qui prévalait entre les sunnites et les chiites, et tous ont rapporté l’histoire du mendiant juif secouru par les gens du mausolée comme symbole de l’esprit d’ouverture chiite. Du reste, lors de chaque entretien, notre interlocuteur était flanqué du même commissaire politique qui répétait en écho, de façon caricaturale, un ensemble d’éléments de langage bien précis. C’est dommage car nous sentions qu’on aurait pu nous en dire beaucoup plus, la présence écrasante de ce personnage dans tous les entretiens rendant de surcroît nos images difficilement exploitables. Nos accompagnateurs, eux-mêmes passablement agacés, concèderons que « cet homme a mal fait son travail ». Mais nous comprenons que la situation est exceptionnelle : c’est la guerre, les équilibres politiques sont fragiles, et tous les discours, surtout quand ils ont un caractère officiel, doivent demeurer dans un certain cadre.

Il était prévu que nous assistions ensuite à une rencontre de football à laquelle devaient participer tant des chiites, que des kurdes et des sunnites. Au dernier moment cet événement est annulé : c’est finalement dans un gymnase dans lequel se déroule un entraînement de ping pong que nous nous rendrons.

Sur le chemin, nous découvrons de nouveau, ce qui n’était pas visible dans notre itinéraire d’arrivée, de nouvelles sinistres galeries de portraits de martyrs victimes des combattants de Daech. Les successions régulières de portraits dans les rues principales sont encore plus poignantes que ce que nous avons vu jusqu’à présent, puisqu’il est évident qu’il s’agit d’habitants de la ville, de connaissances, pour certaines, de gens que nous avons et que nous allons rencontrer. En certains endroits, nous découvrons quelque chose que nous n’avons pas vu le long de la route Najaf/Kerbala : sur les lieux mêmes de tueries collectives, sont érigés de petits mausolées carrés coiffés d’une petite coupole, arborant eux aussi les portraits des martyrs. Me viennent à l’esprit, devant ce spectacle, les innombrables calvaires que l’on trouve un peu partout en Vendée, qui signalent les endroits où des Vendéens ont été victimes de massacres de masse, en 1790, lors du début de génocide perpétré par les maîtres d’oeuvre de la Révolution Française dans cette région demeurée fidèle au Roi et à la religion catholique.


Portraits de combattants martyrs dans la ville de Balad

Nous ne saisissons pas très bien l’intérêt de la visite du gymnase. Cela donne au moins un aperçu de la vie locale, et l’occasion d’un contact direct et touchant avec la population, très jeune dans son ensemble. Nous sommes chaleureusement accueillis par des gens qui semblent extrêmement surpris de rencontrer des Européens, journalistes de surcroît. Nous avons un peu l’impression d’être des ovnis.

Tous les enfants et adolescents présents se bousculent pour faire des selfies avec nous, c’est à peu près le seul souvenir que je garde de cet épisode un peu confus.

Il est 16 heures et il nous faut reprendre le chemin de Bagdad. Pour finir, nos hôtes tiennent à nous faire passer par des lieux où des hommes de Daech ont commis des exactions. On nous montre un pavillon abandonné qui hébergeait une famille de trente personnes. Les terroristes, nous explique le maire de Balad, prétendant leur fournir une aide alimentaire, ont pu tous les faire sortir au dehors, moment qu’ils ont choisi pour faire exploser une voiture piégée qui les a décimés. On nous montre également une oasis avec ce commentaire énigmatique : avant il y avait des gens qui habitaient dans cette oasis ; Daech est venu, et depuis, personne ne les a jamais revus.

Nous nous séparons au milieu de nulle part comme nous nous sommes rencontrés.

Nous apprenons que finalement nous ne rencontrerons pas la fameuse héroïne irakienne qui a sauvé 18 soldats irakiens en les cachant, et que nous allons finalement dormir à Kerbala. Nous allons tout de même faire un crochet par Bagdad, pour visiter le mausolée de Musa al-Kazim et de Muhammad al-Jawad, respectivement 7ème et 9ème imams du chiisme duodécimain.

Les mesures et dispositifs de sécurité pour pénétrer dans Bagdad sont impressionnants, et encore plus impressionnnants ceux permettant d’accéder au quartier du sanctuaire.

Les barrages sont installés assez en amont du monument, si bien que l’on doit traverser à pied, sur près de 300 mètres, une large voie piétonne y menant. Comme nous y sommes maintenant habitués après seulement deux jours, le lieu saint se signale par ses deux vastes coupoles dorées, entourées de quatre minarets. La large artère menant au mausolée est intensément commerçante, avec une multitude de boutiques en tous genres, à l’image de ce que nous avons pu voir à Kerbala : vendeurs de chawarmas, de thé, de pâtisseries et de sucreries, d’instruments de musique, bijouteries, etc. Comme à Kerbala elles sont toutes très vivement éclairées et abondamment décorées.

La voie piétonne menant au mausolée est très commerçante. Remarquez l’affiche de propagande suspendue au-dessous des arches, sur laquelle on distingue des marjas chiites, et au centre, un peu à droite, une représentation stylisée de l’imam Husseïn


Une vue extérieure du mausolée

Après nous être un peu restaurés, nous pénétrons dans le mausolée. Sa structure est la même que celle des deux précédents. Après être entrés par un haut mur d’enceinte, nous débouchons sur une vaste cour intérieure au centre de laquelle, comme à Balad, un bâtiment de coeur abritant les dépouilles des deux imams sont conservées, dans ces mêmes volumineux sarcophages entourés d’un lourd grillage d’argent que les fidèles viennent enserrer et embrasser, avec des supplications. Comme dans le sanctuaire de l’imam Husseïn c’est un va-et-vient perpétuel de fidèles qui entrent dans le bâtiment par un endroit et en ressortent par un autre. Dans des coins des hommes font leurs prières ou lisent des corans enluminés. De nouveau nous sommes frappés par l’intensité des regards et des attitudes, même impression qu’à Kerbala de voir des gens qui viennent de perdre un proche alors qu’ils sont en communion avec des Saints morts il y a plus de mille ans, dont la mémoire se perpétue depuis de génération en génération. Dans la cour d’enceinte, un sayyid psalmodie un discours qui recueille l’attention d’un parterre de fidèles assis sur des dizaines de tapis qui sont ajoutés ou retirés à mesure de l’affluence. Ces larges tapis sont entassés dans des sortes d’armoires en plein air que les fonctionnaires du lieu sortent ou rentrent avec des gestes experts. La moitié des lieux est dévolue aux hommes, l’autre moitié aux femmes.

En quittant le sanctuaire et en prenant le chemin du retour nous traversons le Tigre par le pont Al-Aïmah, dont l’apparence nous intrigue. Alors que nous aurions aimé profiter du coup d’oeil sur ce fleuve et la ville de Bagdad, nous en sommes empêchés par de hautes rangées de panneaux métalliques renforçant les deux rambardes d’un bout à l’autre.

L’explication est sinistre : le 31 août 2005, jour anniversaire de la mort de l’imam al-Kazim, des milliers de fidèles se dirigent à pied en pèlerinage vers son mausolée tout proche. Soudain, éclate la rumeur de la présence de kamikazes dans le cortège : c’est la panique et le mouvement de foule. Dans le tumulte, les rambardes du pont cèdent et des milliers de personnes sont piétinées ou précipitées dans le fleuve, dans lequel beaucoup se noient. Le bilan est terrible : 965 morts et 815 blessés.

Plus loin nous faisons halte sur l’immense place principale de Bagdad, la place Tahrir (« de la victoire », comme au Caire). La nuit est pratiquement tombée, la circulation est peu dense et nous ne croisons aucun piéton. Le côté de la place par lequel nous arrivons, et où nous nous arrêtons, est surplombé par une fresque monumentale appelée le « monument de la liberté » (el haria).(lien vidéo)

Conçu par le peintre et sculpteur Jawad Saleem en 1959 et achevé en 1961, ce monument grandiose est destiné à commémorer la révolution du 14 juillet 1958, date à laquelle un groupe de nationalistes arabes connus sous le noms d’ « officiers libres » renversèrent la monarchie hachémite inféodée au Royaume-Uni, pour instaurer la république irakienne. Aboutissant à la formation d’un gouvernement autoritaire dominé par les militaires auteurs du coup d’état, celui-ci sera renversé en 1968, avec le concours décisif de la CIA, par les partisans du Baas qui comptait dans ses rangs un certain… Saddam Husseïn.

Il est composé de 14 blocs de bronzes comprenant 25 figures humaines en plus d’un cheval et d’un taureau, incrustés dans une gigantesque dalle de marbre. Son propos est de résumer sommairement l’Histoire de l’Irak en exaltant son combat « millénaire » contre toute forme de tyrannie. Son concepteur est mort avant d’avoir pu en contempler la forme finale.

Mais là n’est sans doute pas l’essentiel. Je remarque en deux endroits de l’esplanade des rangées d’affiches où sont représentées des autorités chiites : c’est un vestige d’une manifestation monstre qui s’est tenue la veille ici même, vendredi 7 mai. Depuis des semaines, les partisans de l’imam Moqtada Sadr se rassemblent tous les vendredis sur cette place pour mettre la pression sur le gouvernement irakien accusé d’immobilisme et de corruption.


Une affiche des partisans de Moqtada Sadr sur la place Tahrir. A droite en barbe blanche Mohammed Sadek al-Sadr, en haut à droite Mussa al-Sadr, en bas Mohammed Bakr al-Sadr, à gauche un homme politique. Quant au texte, de haut en bas: un verset coranique, un slogan: « le peuple est plus fort que les despotes », « l’alliance des forces de l’antifadha en Irak organisera le grand festival annuel pour commémorer le martyre du philosophe du siècle dernier, le sayyid Mohammed Bakr al-Sadr (que son secret soit sacré) ».

Cet homme, sayyid chiite bien reconnaissable à son turban noir (comme l’ayatollah al-Sistani et Hassan Nasrallah), est un marja de la communauté chiite, dont l’influence est très importante à Bagdad, notamment dans le populeux quartier de « Sadr City », baptisé ainsi en 2003 à la mémoire de son père, l’ayatollah Muhhamad Sadek as-Sadr, assassiné sur ordre de Saddam Husseïn en 1999 (comme son cousin Mohamed Bakr as-Sadr en 1980). Moqatada Sadr a été en pointe dans la contestation de l’occupation étasunienne après 2003.

Capable de mobiliser des dizaines de milliers de partisans derrière son nom, c’est à son appel que ces derniers, il y a quelques jours à peine, le 30 avril, ont envahi le parlement irakien situé à quelques centaines de mètres, de l’autre côté dans la zone verte ultrasécurisée de Bagdad, dont la partie nord-est commence à quelques centaines de mètres d’ici, avec le Parlement Irakien.

Après cette ultime halte, nous retournons vers Kerbala, où nous arrivons aux alentours de minuit.

Pour nous reposer de ces deux premières journées on ne peut plus longues et denses, nos hôtes pour le lendemain nous annoncent un programme un peu plus « touristique », à commencer par les ruines de Babylone.

François Belliot

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Belliot

*« François Belliot vient de publier aux éditions SIGEST, le second volume de ses chroniques sur la « Guerre en Syrie » sous-titré : « Quand médias et politiques instrumentalisent les massacres » : http://edsigest.blogspot.fr/2016/06/guerre-en-syrie-v2.html »

 

 

   

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Source: Arrêt sur Info
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