Opinion
Du printemps arabe
à l'impasse islamiste (4/4)
Hédi Chenchabi
Photo:
Kapitalis
Vendredi 6 janvier
2012
Hédi Chenchabi* écrit
- Le printemps arabe, né le 17 décembre
2010 à Sidi Bouzid, a propulsé au
pouvoir en Tunisie, en Egypte, en Libye
et au Maroc, des islamistes qui ont pris
tous le ton de la «modération».
Décryptage…
Le décryptage du discours islamiste,
sous toutes ses formes, montre, par
exemple, qu’à travers les déclarations
de leurs chefs charismatiques sur des
sujets de société, les islamistes ont un
autre visage. Dans tous les pays du
printemps arabe, on constate une défense
ambiguë des salafistes qui sont aussi
les «fils de ce peuple» qui peuvent dans
une démocratie «s’exprimer» et que nous
ne devons pas «exclure» mais les laisser
défendre leurs valeurs...
Les
islamistes s’appuient partout sur le
même socle idéologique
La démocratie devient le maître mot
dans les débats, souvent polémiques et
caractérisés par la contestation et la
remise en cause des valeurs communes.
Tout ceci s’inscrit dans le cadre d’un
projet sociétal et idéologique qui va,
par petites touches, tenter de modifier
les bases des sociétés qui aspirent à la
modernité, dans le respect de leur
identité arabo-musulmane mais aussi de
la diversité, dans une région où les
migrations, vecteur de développement,
jouent un rôle à la fois économique mais
aussi d’ouverture aux autres cultures.
Pour qui s’y connaît en décryptage
politique et pour qui sait lire entre
les lignes, pas de leurre : les
intégristes islamistes tentent de saper
les fondements d’une société attachée à
son histoire, à ses valeurs et à la
modernité qu’ils n’ont jamais acceptés,
depuis Bourguiba ou Nasser.
Dans tous les pays du printemps
arabe, les islamistes ont les mêmes
arguments, ils sont nourris par la même
source : le «Wahhabisme», leurs
arguments sont identiques, ils se
déploient à travers les thèmes
récurrents de l’arabité, de l’identité
et de l’authenticité, puisés dans la
culture politique nationaliste et «Baassiste».
Partout où les islamistes ont accédé
au pouvoir, de l’Iran à Gaza en passant
par le Sud Liban, le progrès social et
économique n’est pas au rendez-vous :
corporatisme, népotisme, inégalité et
libéralisme sauvage sont de mise. La
charité quant à elle, a remplace l’Etat
Providence.
L’Etat moderne et démocratique ne
doit pas les laisser reproduire ce
schéma utilisé en Egypte, pour toucher
les catégories les plus paupérisées. Il
doit être le seul à mettre en place et à
garantir la mise en œuvre de politiques
de solidarité, de lutte contre les
exclusions, avec l’appui d’associations
humanitaires de la société civile, qui
ne doivent être le relais ni d’un parti
ni celui d’une obédience religieuse.
L’Etat social, pour lequel sont tombés
les nationalistes lors de la période
coloniale, les jeunes martyrs
d’aujourd’hui, doit veiller à cette
neutralité pour empêcher toute
instrumentalisation des associations et
encourager l’action citoyenne
indépendante. Les Ong sont aujourd’hui
les cibles principales de l’aide
intéressée des monarchies du Golfe.
L’option
ultralibérale des islamistes arabes
Dans le domaine de l’économie et des
finances, ce n’est certainement pas le
recours aux principes religieux qui
aidera à la résolution des problèmes de
pauvreté, des déséquilibres entre les
régions(6).
En effet, seule la mobilisation de
toutes les ressources est la solution,
au service du développement durable,
tant souhaitée par les couches
précarisées de la population, car il est
un vecteur de progrès.
La morale même islamique, ne suffira
pas pour s’attaquer aux sources des
inégalités, aux injustices sociales,
politiques et culturelles que
connaissent les sociétés arabes, en
ébullition depuis longtemps et plus
particulièrement au cours de cette année
2011.
Ce que veut une grande majorité des
peuples arabes, c’est que l’islam reste
dans les mosquées et que celles-ci ne se
transforment pas en espaces
d’endoctrinement sous la coupe des
salafistes. Ces agissements intégristes
qui se multiplient sont contraires à la
religion, c’est la porte ouverte à la
division des peuples d’une même nation.
Partout, les islamistes arabes ont
les mêmes réponses pour l’économie et
les finances : une ouverture promise et
certaine au capital international, le
même slogan : enrichissez vous à l’ombre
de l’islam politique libéral ! La
recherche forcenée d’alliances avec les
puissances occidentales et leur défense
de la mondialisation libérale qui n’a
aucune pitié pour les peuples exploités
à travers la planète, nous donne une
idée sur les orientations stratégiques
et politiques, loin des attentes des
peuples.
Partout dans le monde arabe et
musulman, les islamistes ont compris que
l’accès au pouvoir passe par la
démocratie. Le recours à la force et au
terrorisme est laissé à Al-Qaida et aux
factions salafistes qui veulent imposer
leur foi par la force.
S’agit-il d’un partage des rôles
entre tendances qui se retrouvent sur
l’essentiel ? Est-ce que l’acceptation
du jeu démocratique est un réel tournant
dans la vision islamiste de la société ?
Est-ce que l’arrivée des islamistes est
une impasse ou une étape nécessaire pour
installer des régimes démocratiques dans
les pays arabes ? Les islamistes arabes
sont-ils dans un schéma de rupture ou de
continuité avec les mêmes systèmes
économiques ultralibéraux qui ont
conduit à l’impasse et aux désespoirs de
la jeunesse ? Quelle est leur posture,
dans les faits, quant au maintien de la
domination de la région arabe par
l’impérialisme américain et l’Europe
avec leur volonté de poursuivre
l’exploitation des ressources et des
cerveaux arabes tout en consacrant cette
idée que les Arabes et les musulmans
sont fondamentalement contre l’avènement
de systèmes démocratiques ?
Face à la déferlante islamiste, les
démocrates arabes divisés font jeu égal
et même plus, parfois, si l’on tient
compte du poids électoral en termes de
voix. Il est temps de tenir compte des
réalités, du conservatisme d’une partie
de la population, de la distance réelle
entre peuple et élite, pour défendre un
choix différent, celui d’un Etat
séculier, combattre le populisme et
donner à notre jeunesse des réponses
concrètes en la replaçant au centre des
options nouvelles et des alternatives
aux dérives islamistes ou aux migrations
suicidaires.
Fin
* Militant associatif, co-fondateur
du Collectif citoyen pour des élections
libres en Tunisie et de l’association
Collectif Culture-Création-Citoyenneté,
co-auteur de ‘‘Un siècle d’immigration
en Ile de France’’, 1993 et de ‘‘Cités &
Diversités : l’Immigration en Europe’’,
1996.
Notes :
6 - Lire l’entretien « Il n’est pas sûr
que les Salafistes soient capables de
gérer un Etat » avec Bernard Haykel dans
le Monde, Cahier Géo & Politique, numéro
spécial "Tour du monde des élections en
2012", daté du samedi 24, dimanche 25 et
lundi 26 décembre 2011. Pour plus de
precisions, consulter son ouvrage,
Revival and Reform in Islam: Cambridge
University Press, 2003.
Lire aussi :
Du Printemps arabe à l'impasse islamiste
(1/4) !
Du Printemps arabe à l'impasse islamiste
(2/4)!
Du Printemps arabe à l'impasse islamiste
(3/4) !
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Publié le 7 janvier 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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