Opinion
Du printemps arabe
à l'impasse islamiste (3/4)
Hédi Chenchabi
Photo:
Kapitalis
Jeudi 5 janvier
2012
Hédi Chenchabi* écrit
- Le printemps arabe, né le 17 décembre
2010 à Sidi Bouzid, a propulsé au
pouvoir en Tunisie, en Egypte, en Libye
et au Maroc, des islamistes qui ont pris
tous le ton de la «modération».
Décryptage…
Parce que le Printemps arabe n’a pas
accouché de révolutions, nous pensons
que celles-ci sont à venir. La
révolution française de 1789 n’a donné
des lois démocratiques que quelques
décennies plus tard. Ces bouleversements
peuvent, comme en Iran, être détournés
de leurs objectifs si les islamistes qui
l’ont emporté par les urnes gagnent
aussi, dans les débats idéologiques et
dans les têtes. Alors, ces sociétés,
plutôt ouvertes, seront mises en coupe
réglée par les rigoristes – toutes
tendances confondues – en alliance avec
les politiciens les plus opportunistes,
y compris ceux qui se présentent comme
de tendance «socialiste», «libérale» ou
«nationaliste».
Et si la
révolution était toujours à venir ?
Sur le plan économique rien n’a été
assaini. En Tunisie, les mêmes qui se
sont enrichis sous Ben Ali s’apprêtent
ou ont déjà investi l’espace économique,
financier et politique et veulent
continuer à faire des affaires sous le
parapluie déployé de la finance
islamique. Ceux qui ont prospéré et
gangréné l’économie sous l’ère Rcdiste
(Rassemblement constitutionnel
démocratique de Ben Ali) n’ont pas
trouvé meilleure protection que celle de
l’adhésion à l’islam politique,
pragmatique et affairiste. La réforme
fiscale, la levée juste des impôts, la
redistribution des richesses, le
nettoyage, la restructuration de
l’administration, le renforcement de
l’Etat de droit, ou le développement
durable et à échelle humaine, ce n’est
pas non plus pour demain, les objectifs
des révolutions arabes resteront, sans
doute, et pour très longtemps des
chimères inatteignables et dépendront
des rapports de forces dans la société.
Mais la révolte guettera toujours car
le sacrifice des martyrs ne s'est pas
fait pour rien. Les tentatives de
constitutionnalisation de l’islam est
une ligne rouge qui ne peut être
franchie sans risques. L’arrivée en
force des islamistes en Egypte constitue
à la fois un danger mais aussi le
laboratoire social, économique, culturel
et politique que vont mettre en place
les islamistes égyptiens au service du
projet des obscurantistes dans le monde
musulman. Les réformes promises des
Constitutions est l’autre épreuve à
venir, va-ton garantir plus de droits,
faire avancer les droits des femmes,
va-t-on tenir compte des minorités
religieuses et politiques, ou revenir à
la culture du parti ou de la vision
unique de la société?
Ces débats, d’une grande importance
pour les générations à vernir, ne
peuvent ignorer les travaux de nos
éminents juristes, comme dans le cas
tunisien, la Commission présidée par
Iadh Ben Achour. Ces assemblées élues
dans les pays du printemps arabe ne
peuvent pas ne pas tenir compte des 40 à
50% du corps électoral qui n’a pas pris
part aux votes organisés.
Les Tunisiens, les Egyptiens, les
Libyens, mais aussi, en quelque sorte,
les Marocains, avec le mouvement du 20
Février, ont réussi, par une résistance
plus ou moins longue, selon les
contextes et les pouvoirs en place, à
vaincre des dictateurs, à les obliger à
céder ou à s’ouvrir aux changements.
Mais ont-ils pour autant fait une vraie
révolution ?
En cette fin du mois de décembre, au
vu des résultats électoraux, la réponse
est non. Car le pouvoir, gagné, par les
urnes, est entre les mains des
islamistes et nous pouvons douter de
leurs capacités à mettre en œuvre des
changements profonds sur le plan
économique, politique, social et
culturel. Il s’agit, à travers leurs
textes, leurs orientations et les
réactions de leurs dirigeants et bases
sociales, de remettre en cause des
droits censés être acquis. Certains
analystes parlent, les concernant, des
forces de la réaction pour ne pas dire
de la contre-révolution qui bénéficient
de la bienveillance des puissances qui
dominent le monde.
En Tunisie, comme en Egypte puis au
Maroc, nous pouvons être fiers de
l’émergence d’une nouvelle ère, avoir
des espoirs pour un avenir meilleur.
Mais, dans tous ces pays, les premiers
pas des représentants des partis
islamistes nous donnent une idée sur
leur organisation, leurs solidarités à
l’échelle arabe, leurs intentions et
leurs valeurs partagées. Leur soif du
pouvoir est inégalée, traduite par leur
volonté exacerbée de s’attribuer les
ministères régaliens, leurs
doubles-discours et leur gestion ambigüe
de leurs alliés «salafistes» lâchés dans
la Cité, dans les quartiers pour
endoctriner ou harceler ceux qui ne
partagent pas leur vision de l’islam ou
du monde.
Cette apparition du phénomène
majoritaire «islamiste» nous donne des
indices quant au fonctionnement de ces
partis en Tunisie, en Egypte, en Libye
et au Maroc et bientôt ailleurs…
Aujourd’hui, face à la propagation
des idées salafsites et à la
multiplication des actes de violence
commis par leurs militants de base, il
faut développer une argumentation claire
dans le camp démocratique séculier et
moderne. Il ne peut pas y avoir de
compromis sur les valeurs fondamentales:
la défense de tous les droits reconnus
universellement, la promotion et/ou le
renforcement de la sécularisation par la
séparation entre le religieux et le
politique et la mise en œuvre urgente
des projets économiques et de
développement de l’emploi.
Cette urgence doit tenir compte des
ressources des pays sans pétrole, riches
de leur histoire de leurs paysages et de
la matière grise de leurs enfants –
produit d’un système d’éducation
performant. Ces atouts ne peuvent être
mobilisés pour le développement sans que
cette image de marque positive, ne soit
imprégnée-ne serait-ce qu’un moment par
le printemps arabe.
Les peuples arabes sont fiers. Non,
ils n’accepteront jamais de vivre de la
charité, même islamique! Ils aspirent à
toutes les libertés, grandes, petites,
fondamentales, universelles.
La démocratie
«arabo-musulmane» au service du «Grand
Moyen Orient»
Aujourd’hui, le revirement de
positions de certains analystes ou
spécialistes de l’islam politique et du
monde arabe est complexe(4)
ou consternant(5), car
contrairement à ce que certains d’entre
eux affirment, il n’existe pas
d’islamistes «modérés». Un religieux qui
s’investit avec ardeur dans le champ
politique, ne pense pas les choses en
termes de «modération», il a une vision
du monde, de la société et des valeurs
qu’il veut imposer au corps social. Sa
cible privilégiée est toujours la femme
et sa libération. Invoquer leur
authenticité ou leur légitimité par
rapport à la lutte anticoloniale et
postcoloniale, au détriment des
mouvements nationalistes et baasistes,
est une nouvelle lecture inquiétante de
l’histoire des peuples.
Cette vision soi-disant en phase avec
les attentes des sociétés arabes
conservatrices, tente de faire oublier
l’aspiration des forces islamistes à un
régime autocratique et répand l’idée que
les porteurs de l’islam politique sont
légitimes et les garants de la
démocratie «à la mode arabe ou
musulmane». Celle-ci, vécue au
quotidien, s’exprime à travers des
attaques systématiques de la liberté de
penser, d’agir, de se vêtir, de
festoyer, d’aimer et de défendre des
valeurs universelles.
Cette vision édulcorée de l’islam
politique, stigmatisé hier et remis au
goût du jour aujourd’hui, n’apporte pas,
non plus, des réponses à l’urgence de la
création d’emplois durables et dignes,
ne cherche pas nécessairement des
solutions concrètes pour le partage des
richesses. Elle ne s’intéresse pas non
plus à la question de l’évolution de nos
institutions, de l’appareil économique,
administratif et éducatif, en prenant
appui sur les acquis de la modernité.
Laisser faire les islamistes sans
réagir, c’est déclencher la machine de
la régression sociale, culturelle et
admettre l’idée de restrictions de nos
libertés. C’est accepter, avec la
complicité des tenants de la
mondialisation libérale, le
conservatisme culturel et la domination
néocoloniale qui s’annonce.
Sacrifier nos libertés individuelles,
laisser se poursuivre le projet
ultralibéral au service de minorités
(les mêmes que celles du temps des
dictatures mais protégées par la
parapluie islamiste), c’est à coup sûr
le renforcement de la corruption, c’est
la poursuite de l’exploitation de la
région arabe avec pour seul objectif la
protection et le maintien des monarchies
du Golfe, au service du «Grand Moyen
Orient» tant souhaité par l’impérialisme
américain, ses néoconservateurs et leurs
alliés.
A suivre
* Militant associatif, co-fondateur du
Collectif citoyen pour des élections
libres en Tunisie et de l’association
Collectif Culture-Création-Citoyenneté,
co-auteur de ‘‘Un siècle d’immigration
en Ile de France’’, 1993 et de ‘‘Cités &
Diversités: l’Immigration en Europe’’,
1996.
Notes:
4 - Lire l’entretien de Henry
Laurens « Aujourd’hui la modernité vient
des pays arabes », dans le dossier
spécial de l’Express « La grande
histoire des peuples arabes » de
décembre 2011
5 - Lire l’entretien de François Burgat
(Politologue) avec Nicolas Valiadis -Le
mot “islamiste” ne veut plus dire
grand-chose »- sur le site Agents
d’Entretien, Décembre 2011.
Lire aussi :
Du Printemps arabe à l'impasse islamiste
(1/4) !
Du Printemps arabe à l'impasse islamiste
(2/4)!
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Publié le 6 janvier 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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