Opinion
Du printemps arabe
à l'impasse islamiste (1/4)
Hédi Chenchabi
Photo:
Kapitalis
Mardi 3 janvier
2012
Hédi Chenchabi* écrit
- Le printemps arabe, né le 17 décembre
2010 à Sidi Bouzid, a propulsé au
pouvoir en Tunisie, en Egypte, en Libye
et au Maroc, des islamistes qui ont pris
tous le ton de la «modération».
Décryptage…
Partout où le vent du printemps arabe
a soufflé, des facebookeurs, twitteurs,
bloggeurs et autres adeptes de la toile,
jeunes ou moins jeunes, ainsi que tous
ceux et celles qui, dans le monde arabe
et même à travers la planète, ont
mobilisé un courant de sympathie autour
des revendications de liberté, de
dignité, de démocratie et de justice
sociale, ont vu leur rêve s’écrouler
après l’annonce des résultats des
premières élections libres et
démocratiques. C’est, avec amertume,
qu’ils ont constaté la déferlante
islamiste qui a remporté haut la main
ces scrutins, avec les voix d’une
société traditionnaliste et
conservatrice qui les a considérés – à
tort ou à raison – comme l’alternative
la plus crédible aux dictatures qui ont,
depuis les indépendances, monopolisé
tous les pouvoirs.
Les islamistes ont certes connu la
répression et les tortures physiques et
morales, mais les démocrates et les
défenseurs des droits humains aussi, et
qui plus est, des plus féroces.
Le printemps arabe, né le 17 décembre
2010 en Tunisie, a propulsé au pouvoir
dans ce pays, en Egypte, en Libye et au
Maroc, des islamistes qui ont pris tous
le ton de la «modération».
Les observateurs ont relevé le peu
d’implication des islamistes du monde
arabe dans les mouvements contestataires
et révolutionnaires qui ont abouti à la
chute des dictateurs mais ils ont aussi
constaté la faiblesse et la division du
camp progressiste et moderniste. Les
victoires des islamo-conservateurs n’ont
pas été remises en cause, les résultats
ont été acceptés avec civisme et calme.
En Egypte, l’ancrage des Frères
Musulmans est le plus ancien dans la
région. Ceux-ci ont investi, grâce à
Sadate puis Moubarak, certains espaces
économiques et sociaux comme les
syndicats. Ils ont également toujours
disposé d’une représentation politique.
Libéraux et démocrates ont quant à eux
été exclus, alors qu’ils ont été le fer
de lance de la lutte contre la
dictature.
Faut-il rappeler que dans ce pays,
l’emprise des islamistes sur la société
a été l’une des plus fortes dans le
monde arabe, les grands dirigeants des
Frères musulmans égyptiens sont aussi
des ultralibéraux favorables à la
mondialisation libérale. Ils seront,
pour les années à venir, les garants de
la continuité d’un système dominé par la
bourgeoisie compradore, un système
profondément injuste(1). La
présence des leaders de la mouvance
islamiste arabe, toutes tendances
confondues, dans ces pays est liée à des
raisons historiques. C’est souvent de
là-bas que partent les fatwas(2)
et que se développent les conceptions
les plus rétrogrades de la femme et de
la vie en société. C’est aussi là-bas
que se concentrent les aides au projet
salafiste, déversées par l’Arabie
Saoudite et le Qatar, souvent sous
couvert d’aide humanitaire…
A côté des Frères musulmans égyptiens
prospère la nébuleuse salafiste d’Al-Nour
(Lumière en arabe). Celle-ci a obtenu
plus de 28% des suffrages lors des deux
premières phases des dernières élections
tout de suite après les Frères musulmans
qui ont comptabilisé 36% des voix (soit
plus de 64% de vote islamiste), alors
que fondamentalement, ils défendent une
idéologie qui s’oppose au système
démocratique, comme, d’ailleurs, les
salafistes tunisiens d’Attahrir
(Libération en arabe), un parti non
légalisé, à l’origine de toutes les
violences intégristes depuis la fin de
la dictature de Ben Ali.
Ces partis du Salaf ont une base
militante jeune et extrémiste. On parle
de plus 100.000 adhérents pour Al Nour.
Ceux-ci, même s’ils jouent le jeu
électoral, constituent les principaux
acteurs de la division ethnique et
religieuse par leurs attaques des lieux
de cultes chrétiens, des confréries
soufies et par leur violence vis-à-vis
des défenseurs de l’option moderniste.
Des millions de soufis égyptiens ne se
retrouvent ni dans le projet des Frères
musulmans ni dans celui des salafistes.
Comment vont-ils se positionner,
après la compromission de leurs chefs
religieux avec l’ancien pouvoir ? C’est
peut-être là un des espoirs pour
l’émergence d’un islam ouvert, tolérant
et moderne.
Dans ce pays, une partie de la jeunesse
islamiste a été exclue, par les Frères
musulmans, pour divergences politiques
et idéologiques et parce qu’ils sont
solidaires et partagent, les mêmes
thèses que les autres jeunes
révolutionnaires de la place Al-Tahrir.
Le système prôné par la grande confrérie
des Frères musulmans est plus proche des
choix de l’armée que des aspirations du
peuple. Ce grand pays donne donc la
possibilité aux islamistes, de tous
bords, d'une place particulière qui peut
influer sur l’action des forces
islamistes dans le monde arabe et
«nourrir idéologiquement» les Frères des
autres pays du monde arabe et islamique.
Tous les ingrédients sont réunis en
Egypte, qui peut être le modèle à suivre
: l’organisation militante et politique,
l’économie et les finances version
islamiste, les réseaux de pouvoir et
d’influence, l’entrisme dans les
syndicats et les organisations
professionnelles, dans les médias avec
une prédilection pour les programmes
d’endoctrinement qui n’ont rien à envier
aux évangélistes américains, avec leur
corollaire qu’est la haine de l’autre,
de la modernité et la promotion de
l’idéologie wahhabite, dernier rempart
contre l’avancée des idées
émancipatrices.
Au Maroc, comme en Tunisie, le vote
islamiste n’est pas majoritaire mais
avec le jeu des alliances ou le mode de
scrutin choisi, les partis islamistes
accèdent au pouvoir.
Ce pays a été intégré dans l’ensemble
économique et politique voulu par les
pays monarchiques du Golfe. Même s’il a
ses caractéristiques propres : une
société civile active et un système
dominé par les institutions royales et
l’armée, l’activisme des partis et
groupes islamistes est une réalité. Les
intégristes y ont les mêmes références
idéologiques que leurs frères Egyptiens
et Tunisiens, ils brillent aussi par
leur défense de l’option libérale. Ils
ne veulent pas changer LE système, celui
qui exclut les couches sociales
paupérisées et empêche l’expérimentation
des alternatives populaires.
Les mouvements du 20 février au Maroc,
le Mouvement des jeunes de la Révolution
en Egypte, le Mouvement de la Kasbah.1
et 2 et du Bardo en Tunisie… sont
porteurs d’un désir de transformations
radicales et démocratiques. Partout dans
ces pays en effervescence, le peuple
lutte pour une rupture avec les systèmes
prédateurs et compradores installés
depuis les indépendances, pour
l’exploitation et le partage des
richesses. Le combat pour la dignité est
aussi commun à tous les peuples arabes.
Ce sont donc partout du Maroc à
l’Egypte, les mêmes méthodes qui donnent
les mêmes résultats : une forte
mobilisation, l’occupation des espaces
cultuels et une argumentation à
l’identique sur le respect des
traditions, l’application de la charia,
un discours rodé sur le respect de
l’autre et des points de vue
différents…, des campagnes bien
organisées visant les milieux populaires
mais aussi les gens aisés. Partout, ces
forces agissent pour la diabolisation
des «laïcs», des mécréants, des
infidèles et des femmes libres.
C’est cette emprise
islamo-conservatrice sur les débats de
société qui donne finalement un vote
majoritairement islamiste dans les
quartiers populaires et les zones
rurales mais aussi dans les quartiers
résidentiels chics de la bourgeoisie
enrichie par le système monarchiste au
Maroc, par les systèmes corrompus mis en
place en Tunisie et en Egypte par des
dictateurs qui contrôlaient tout. Dans
tous ces pays du printemps arabe, le
poids de l’armée est incontournable.
Si par l’action sociale et de
proximité, les mouvements islamistes
gagnent les cœurs et les esprits, c’est
aussi par le biais de slogans
démagogiques, relayés par la multitude
de chaînes satellitaires salafistes, que
les voix basculent vers ces forces
rétrogrades.
Une question s’impose aujourd’hui :
pourquoi les islamistes sont-ils les
grands gagnants des Printemps arabes ?
A suivre
...
* Militant associatif, co-fondateur
du Collectif citoyen pour des élections
libres en Tunisie et de l’association
Collectif Culture-Création-Citoyenneté,
co-auteur de ‘‘Un siècle d’immigration
en Ile de France’’, 1993 et de ‘‘Cités &
Diversités : l’Immigration en Europe’’,
1996.
Notes :
1 - Lire à ce sujet l’article
de l’économiste Samir Amin dans
‘‘Afrique Asie’’ (décembre 2011).
2 - C'est la réponse donnée par un mufti
(ou un imam) à un cas juridique
équivoque dans la charia.
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Publié le 4 janvier 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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