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Palestine - Solidarité

 

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Palestine Chronicle

Lettre ouverte à M. Jacob Zuma,
Président de la République d'Afrique du Sud
Dr. Haidar Eid (Gaza)


Manifestation de solidarité avec la Palestine, à Johannesburg :
« L’apartheid : s’il appartient à l’histoire de l’Afrique du Sud,
c’est la réalité, aujourd’hui, en Israël »

on PalestineChronicle.com, 10 septembre 2009
http://www.palestinechronicle.com/view_article_details.php?id=15413

Monsieur le Président,

Si je vous écris, c’est afin d’exprimer mon mécontentement et ma déception en raison à la fois de votre participation à la conférence nationale du South African Jewish Board of Deputies [JBD] [équivalent du Crif en Afrique du Sud, ndt] – une organisation raciste à tous points de vue – et du contenu de votre discours lors de ce forum.

Je suis palestinien d’origine et je suis naturalisé Sud-Africain. J’ai vécu plus de cinq ans à Johannesburg, où j’ai obtenu un doctorat PhD à l’Université et où j’ai enseigné à ce qui était alors l’Université Vista de Soweto et la Rand Afrikaans University de Johannesburg.

Je tiens à m’élever en faux contre la manière dont vous avez exprimé votre soutien à la solution à deux Etats. Je vous cite : « C’est une solution qui satisfait les aspirations des deux parties à des patries indépendantes, via deux Etats pour deux peuples, Israël, et un Etat indépendant, voisin et viable de Palestine ». Permettez-moi, M. le Président, en tant qu’habitant de Gaza, d’exprimer à quel point cela me choque, que huit mois, à peine, après le massacre de Gaza, au cours duquel 1 500 civils, dont 434 enfants, ont été assassinés brutalement, vous continuiez à penser qu’il y aurait deux camps de force égale, opposés par un conflit symétrique.

Vous allez même jusqu’à qualifier cela de « conflit israélo-palestinien » ! Que pensiez-vous, dans les années 1970 et 1980 : qu’il y avait « deux camps » dans le « conflit » sud-africain ?? Y avait-il deux camps de force comparable, à savoir les Blancs et les Noirs, avec une revendication également légitime à la terre et une responsabilité historique identique dans le statu quo alors en vigueur ? Nul doute que cela ressemblerait à une interprétation pour le moins baroque de l’histoire sud-africaine – une interprétation que nous, les Palestiniens, nous trouvons tout aussi renversante, appliquée à notre histoire et à notre réalité d’aujourd’hui.

Monsieur le Président, vos propos sont d’autant plus perturbants, étant donné votre propre engagement dans le louable combat contre le système brutal et antihumain de l’apartheid et contre la notion de « homelands indépendants », qui étaient fondés sur une séparation entre des êtres humains. Votre combat, en tant que Sud-Africains Noirs, était moralement supérieur à l’apartheid, parce que c’était un combat inclusif, là où l’apartheid se focalisait sur la séparation ; c’était un combat englobant, là où l’apartheid insistait sur la division ; c’était un combat affirmant la primauté de la vie, là où l’apartheid était violent et meurtrier.

L’objectif du mouvement sud-africain anti-apartheid, adopté par les militants contre la discrimination raciale, dans le monde entier, était sans ambigüité : la fin du système et de l’idéologie racistes de l’apartheid. Il ne pouvait y avoir le moindre rapprochement avec les idéologues de l’apartheid ; ni de création de homelands et de dirigeants fantoches : le système devait être totalement démantelé. Beaucoup de Sud-Africains, soutenus par une campagne mondiale anti-apartheid conséquente, ont fait le sacrifice de leur vie pour en finir avec les Bantoustans, appelés par euphémisme « homelands indépendants » par le régime d’apartheid. M. le Président, Steve Biko, Oliver Tambo, Chris Hani, les Mxenges, le Slovosac, pour ne citer que quelques-uns des héros du combat anti-apartheid, ont certainement entendu votre discours au JBD : ils ont dû se demander ce qu’il était arrivé aux valeurs universelles et aux droits humains que l’ANC avait fait siens ?

Camarade Jacob (vous permettez que je vous appelle ‘camarade’, n’est-ce pas ?…),

J’aimerais vous informer de la nature de la partie dominante, à savoir Israël – avec laquelle votre gouvernement postapartheid continue, étonnamment, à maintenir des relations diplomatiques et économiques tout à fait exceptionnelles.

A la différence de la nouvelle Afrique du Sud postapartheid, que vous avez contribué à créer, dans l’Etat d’Israël, tous les êtres humains NE SONT PAS égaux. Dans cet Etat, il y a une couche de citoyens artificiellement créée et sélectivement rétribuée. Israël se définit comme un Etat juif. Ce faisant, il crée une étrange distinction entre la « nationalité » et la « citoyenneté ». Près de 22 % des citoyens d’Israël sont des Palestiniens, qui sont exclus de cette définition. Ainsi, Israël, par définition, n’est PAS l’Etat de (tous) ses citoyens, mais bien celui du « peuple juif », dont la majorité, comme les membres du JBD auxquels vous vous adressiez, n’ont aucun lien de naissance avec ledit pays. La question pendante est la suivante : quel est donc le statut de ces citoyens palestiniens, dans un Etat juif ? La réponse est, comme tout Sud Africain – pour utiliser un mot que vous devez abhorrer, « non-blanc » - ne le sait que trop bien : le racisme.

Les délégués à la conférence annuelle du JBD sud-africain, qui sont juifs, mais qui sont en même temps des citoyens sud-africains, « jouissent de droits pleins et entiers » en Israël – des droits que l’Israël, Etat d’apartheid, nous dénie, à nous, nous qui sommes la population indigène de cette terre. Ils nous appellent également « Arabes israéliens », « résidents de Jérusalem », « Arabes des territoires », pour ne pas parler des réfugiés vivant dans la diaspora palestinienne, dont la simple mention a le don de gâcher n’importe quelle soirée et dont le droit au retour et à compensations a été reconnu par le droit international (Assemblée générale de l’Onu – Résolution 194).

Par conséquent, la nationalité israélienne n’existe pas. En lieu et place, il existe une « nationalité juive ». Pour rendre compréhensible cette expression déroutante, pensez à « nationalité blanche », par opposition à sud-africaine. Dans votre discours devant le JDB, vous affirmez, très éloquemment, qu’ « autant nous sommes conscients de qui nous sommes, tant culturellement que dans bien d’autres domaines, cela ne doit pas effacer notre identité nationale : nous devons être sud-africains avant toute chose ».

La Convention Internationale pour l’interdiction et la pénalisation du crime d’apartheid [ICSPSA], dans son article 2, partie 3, définit clairement l’apartheid comme :

« Toutes mesures législatives et autres prévues afin d’empêcher un groupe racial (ou des groupes raciaux) de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays et la création délibérée de conditions empêchant le développement complet de tel groupe (ou de tels groupes), en particulier en déniant aux membres d’un groupe racial donné (ou de groupes raciaux donnés) le droit de quitter leur pays et d’y retourner, le droit à une nationalité, le droit à la liberté de déplacements et de résidence. »

Cette définition, dans son intégralité, s’applique manifestement non seulement au peuple palestinien résidant en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, mais aussi aux Palestiniens habitant en Israël même. C’est précisément pour cette raison que le Rapporteur spécial de l’Onu sur la situation des droits de l’homme dans les territoires occupés, un collègue sud-africain, John Dugard, a conclu que « la convention internationale de 1973 pour l’interdiction et la pénalisation du crime d’apartheid [ICSPSA] semble être violée par un nombre considérable de pratiques. »

Si vous étiez né de parents palestiniens vivant en Israël – un sort qui vous a été épargné, Monsieur le Président – vous aussi, vous vous verriez dénier le droit à une « nationalité juive », et vous aussi, vous seriez contraint à vous soumettre à votre infériorité institutionnalisée, ou choisir d’y résister.

De plus, l’ICSPCA (citée plus haut), en son article 2, partie 4, affirme sans la moindre ambiguïté ce qui suit :

« L’expression « le crime d’apartheid » s’appliquera à « toutes mesures, dont les mesures législatives, visant à diviser la population en fonction de considérations raciales, au moyen de la création de mesures et de ghettos séparés pour les membres d’un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux, dont l’expropriation de propriétés foncières appartenant à un groupe racial ou à des groupes raciaux, ou à certains de leurs membres. »

Camarade Jacob, le mot apartheid n’apparaît à aucun moment, dans votre discours au JBD ! Un auditeur non informé ne croira jamais que vous étiez en train de vous adresser à un public qui soutien activement l’apartheid dans un pays étranger !

Les lois racistes utilisées afin d’interdire aux Noirs de posséder des biens dans les zones blanches, dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, sont en vigueur, aujourd’hui, dans l’Israël de l’apartheid : vous ne le saviez pas ? Les citoyens indigènes palestiniens d’Israël se voient non seulement interdire de vivre sur des terres détenues par des « institutions juives », mais ils ne sont pas non plus autorisés, de par la « loi », de résider dans une quelconque zone qualifiée de « juive ».

Ainsi, je vous prends mon cas personnel, Monsieur le Président : je réside à Gaza, et comme énormément de Palestiniens, je possède les actes de propriété des terres de mes parents, en Israël, mais je n’ai aucun droit « légal » à ces terres parce que les biens de mes parents, à l’instar de ceux de millions de Palestiniens, nous ont été confisqués et ont été donné à des propriétaires juifs. Les faits, c’est que les juifs ne possédaient que 7 % de la Palestine, avant 1948, et qu’aujourd’hui, 93 % de la Palestine sont considérés « terres d’Etat », et ne peuvent être détenus que par des juifs ou par l’Etat d’Israël.

Cela n’est qu’un exemple, parmi bien d’autres, Camarade Jacob, de la nature de l’Etat que votre gouvernement estime « démocratique » et « amical », en dépit de ses liens stratégiques passés avec l’Afrique du Sud de l’apartheid. Dans votre campagne présidentielle, vous avez, a-t’il été rapporté, chanté : « Tuez les Boers ! ». Et pourtant, dans votre discours, vous condamnez « sans aucune équivoque » « toutes les formes de violence, d’où qu’elle provienne », en particulier lorsque des civils sont pris pour cibles !

Je ne comprends pas cette contradiction. Est-elle un reflet de la différence entre le camarade Jacob et le Président Zuma ? Pensez-vous, en tant que président, que les Palestiniens n’ont pas le droit de résister à leur dépossession, ni à l’occupation de leur pays ? Vous allez jusqu’à assimiler notre résistance aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité perpétrés par l’armée israélienne d’occupation en Cisjordanie et, en particulier, à Gaza.

Est-ce trop vous demander, camarade Jacob, pour nous qui sommes des représentants des organisations de la société civile palestinienne, d’exiger de votre gouvernement qu’il coupe tous ses liens diplomatiques avec l’Israël de l’apartheid et qu’il soutienne, pour ne pas dire dirige, la campagne croissante de Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre Israël ? Est-ce vraiment là trop demander d’une Afrique du Sud démocratique postapartheid ? Est-ce la réalisation de la prophétie de Franz Fanon, au sujet des « chausse-trappes de la conscience nationale (raciale) » ? 

La raison en est-elle que la classe moyenne noire, que votre gouvernement représente, et qui a repris le pouvoir à la classe moyenne blanche est sous-développée ? Fanon, que vous avez dû lire à l’époque où vous fuyiez la police raciste, dit que cette classe moyenne nationale n’a « pratiquement aucun pouvoir économique ; en tous les cas, son pouvoir (économique) n’est en rien comparable à celui de la bourgeoisie de la métropole, qu’elle espère supplanter ». Est-ce la raison pour laquelle vous êtes prêt à vous mettre dans les petits papiers de la communauté juive sud-africaine, qui a été qualifiée de « l’une des plus soudées au monde, et quasi-unanime, dans son soutien à Israël » ?

Votre pays, Monsieur le Président, ferme les yeux sur les crimes de guerre de ses propres citoyens contre les Palestiniens. Le criminel de guerre sud-africain David Benjamin a été autorisé à se déplacer partout en Afrique du Sud pour y faire part de ses tactiques de soutien et de défense des forces d’occupation israéliennes dans son agression récente contre la bande de Gaza et, ce, en toute impunité. Soixante-dix autres Sud-Africains, connus pour leur implication dans les destructions causées par les forces israéliennes d’occupation, jouissent d’une même impunité. Il incombe aux individualités  et aux organisations de la société civile sud-africaine de prendre des mesures contre ces criminels – des mesures qui incomberaient, normalement, au gouvernement de votre pays.

Votre gouvernement postapartheid, Monsieur le Président, de manière éhontée, soutient la « solution » à deux Etats : un Etat pour les Palestiniens (musulmans et chrétiens), et un Etat pour les juifs. Autrement dit : vous soutenez la renaissance des bantoustans, au Moyen-Orient, cette fois-ci. La « solution » à deux Etats est une « solution » raciste, camarade Jacob. Puisque vous l’avez refusée pour vous-mêmes en Afrique du Sud, alors pourquoi l’imposer aux Palestiniens, au lieu de nous soutenir dans notre exigence de recouvrer notre droit à notre patrie - jusqu’au dernier pouce carré de notre patrie ?

Monsieur le Président,

Une politique fondée sur un pragmatisme étroit et égoïste a été rejetée par toutes les forces antiapartheid, localement et internationalement, durant les années du combat antiapartheid. Ce qui fut promu, en lieu et place, ce fut l’adhésion à des principes universels d’égalité et de dignité.

J’espère sincèrement que vous allez reconsidérer votre position. Je sais qu’il relève de mon droit constitutionnel, en ma qualité de citoyen de la Nouvelle Afrique du Sud – ce dont je suis fier – de m’adresser directement à vous. Je le fais en exprimant mon profond désaccord et ma profonde insatisfaction eu égard à la politique moyen-orientale de votre gouvernement et à son soutien indéfectible aux politiques d’apartheid du gouvernement israélien, étant donné que ce soutien sape et porte activement atteinte au combat des Palestiniens en vue de leur libération et de leur autodétermination.

Sincèrement,

Professeur Haidar Eid
Gaza, Palestine.

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

[* Le Dr Haidar Eid est professeur associé à la Faculté de littérature anglaise de l’Université Al-Aqsa, dans la bande de Gaza, en Palestine. Il est un membre fondateur de l’ODSG (One Democratic State Group – Association pour un Unique Etat Démocratique) et il est membre de la Campagne Palestinienne pour le Boycott Universitaire et Culturel d’Israël (Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel – PACBI)]



Source et traduction : Marcel Charbonnier


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