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Algérie Résistance

Le Professeur Simon Petermann : « En Belgique, dès qu’on parle de certains pays et de l’Algérie, il y a une espèce de tabou »

Mohsen Abdelmoumen


Le Professeur Simon Petermann. DR.

Samedi 28 novembre 2015

Mohsen Abdelmoumen : Avec les attentats qui ont secoué Paris et dont la plupart des auteurs sont d’origine belge, ne pensez-vous pas que la Belgique est devenue une véritable plaque tournante du terrorisme en Europe et dans le monde ?

Le Professeur Simon Petermann : J’hésite à utiliser l’expression « plaque tournante ». La Belgique est sans doute une zone de repli, parce que c’est un petit pays que l’on traverse facilement avec une communauté maghrébine assez importante, et les derniers attentats qui se sont produits à Paris et ceux qui se sont produits aussi en Belgique, montrent qu’effectivement la Belgique est quelque part une zone de repli où des cellules djihadistes sont actives.

Comment pouvez-vous expliquer cela ? Est-ce dû à la géographie, à l’emplacement de la Belgique qui est un carrefour ? Lorsqu’on a constaté que ces éléments terroristes sont issus de la communauté marocaine, les facteurs géographiques ont-ils une importance ?

Il y a plusieurs réponses. Il y a d’abord la localisation géographique du pays par rapport aux deux grands voisins, la France et l’Allemagne, et la facilité avec laquelle on peut se déplacer. Deuxième élément, la sous-estimation par les autorités publiques, je dirais depuis vingt ans, du phénomène de la radicalisation de certains jeunes issus de l’immigration maghrébine. Ce phénomène a été largement sous-estimé. On n’a pas pris la mesure à temps de l’ampleur du phénomène et que dans certaines villes et quartiers que ce soit à Bruxelles, Verviers, Charleroi ou ailleurs dans notre pays, les salafistes sont très actifs depuis très longtemps et contrôlent un certain nombre de mosquées. Ce n’est cependant pas là que l’on recrute les djihadistes ou les terroristes potentiels parce que depuis quelques années, les mosquées les plus importantes sont surveillées assez étroitement. Mais la radicalisation se passe ailleurs, évidemment. Il existait depuis longtemps sur le territoire de la commune de Molenbeek dont on parle beaucoup ces jours-ci, un certain nombre de petites mosquées dans des arrière-salles et dans des garages qui n’étaient pas surveillées où se tenaient des discours de haine, où l’on tenait des propos totalement inacceptables de la part de personnes qui vivent en Belgique depuis parfois plusieurs décennies et puis, il y a eu une forme de laxisme aussi de la part des autorités politiques. Je ne vise personne en particulier parce que cette responsabilité est collective. On a fermé les yeux et on a fait preuve d’aveuglement vraisemblablement. On ne s’est pas donné les moyens de lutter contre ce phénomène pour des tas de raisons, parce que ça se passe toujours ailleurs et pas à notre porte. Voilà pourquoi, quelque part, la Belgique est devenue un lieu de rencontre, un lieu où un certain nombre de djihadistes, appelons-les comme ça, ou de terroristes, peuvent se préparer à commettre des attentats.

Le comité P de la police a pointé du doigt un manquement dans le suivi des djihadistes notamment venus de Syrie. Qu’en pensez-vous ?

Il y a des manquements à tous les niveaux, que ce soit au niveau national et surtout au niveau européen. J’exagère peut-être en disant que l’Europe est une passoire, ainsi que les frontières extérieures de la zone Schengen. On l’a vu tout récemment avec l’affaire Abdelhamid Abaaoud qui est rentré de Syrie en passant par l’Allemagne semble-t-il et qui a fanfaronné en se vantant de passer les frontières facilement, et la preuve c’est qu’il était à Paris, à Saint Denis, alors qu’on le croyait en Syrie. Peut-être même était-il sur le lieu des attentats ou à proximité. Donc, il y a manifestement des failles dans ce système au niveau national, sans doute, au niveau européen, certainement. Si l’on n’y remédie pas, si l’on ne prend pas les mesures indispensables, on va malheureusement encore au-devant de catastrophes.

Au niveau du comité R qui travaille sur les renseignements et qui a fait une évaluation récente portant sur des mesures visant à renforcer la Sûreté de l’État, est-ce une évaluation de routine ou est-ce une évaluation extraordinaire par rapport aux derniers évènements ?

Il faut malheureusement toujours que se produisent des attentats graves, comme celui du musée juif à Bruxelles ou d’autres de ce type, pour qu’on prenne conscience de la nécessité de renforcer nos moyens. En réalité, cela fait des années que les responsables des services de police et de la Sûreté de l’État demandent des moyens supplémentaires. Ces moyens, ils les ont obtenus, on a recruté un certain nombre d’agents dans le cas de la Sûreté de l’État, mais la formation de ces agents demande du temps. Il faut des habilitations de sécurité, ce qui prend énormément de temps. Après les attentats de Paris, lorsque le gouvernement français proclame l’état d’urgence et que ces terroristes sont franco-marocains ou belgo-marocains, il est évident que la collaboration entre les services doit être plus efficiente et que l’on doit se donner les moyens de lutter efficacement. Nous sommes engagés dans une véritable lutte pour la survie de nos démocraties parce que Daech nous a déclaré la guerre. Il y a quelques années, on parlait beaucoup du choc des civilisations, mais nous y sommes. En fait, ce que les responsables et les idéologues de Daech veulent, c’est nous détruire et détruire nos valeurs qu’ils n’acceptent pas. Et donc, il faut faire face à ce défi majeur pour nos démocraties. La guerre froide est terminée depuis 1991, depuis l’implosion de l’Union soviétique, et le monde n’est pas devenu plus stable pour autant. Nous sommes confrontés aujourd’hui à un défi qui est totalement neuf et dont on commence seulement maintenant à mesurer l’importance.

Pensez-vous que les services de renseignement marocains, le Makhzen, qui contrôlent la communauté marocaine en Belgique n’aient rien vu venir ou aient omis de communiquer des informations ? Est-il normal qu’ils contrôlent l’immigration marocaine en Belgique et qu’aucune information ne passe ?

Ce n’est certainement pas normal que des agents d’un pays étranger agissent sur notre territoire. Même si nous avons de bonnes relations, et je sais que les services échangent des informations, c’est toujours du donnant-donnant. Peut-être que certaines informations ne sont pas transmises à temps et qu’on aurait peut-être pu insister, puisque tout le monde sait que ces agents sont actifs sur notre territoire, pour savoir si ces services ne détenaient pas des informations-clé qui auraient permis au moins d’identifier ou de démanteler l’un ou l’autre réseau. Certains réseaux ont été démantelés parce qu’il y a un travail effectif, parfois efficace, de la part de services de renseignement belges, la Sûreté de l’État, la police fédérale, etc. mais sans une coopération plus avancée, ce travail ne peut pas aboutir.

J’ai eu écho que les services algériens, dans le domaine de la coopération, ont transmis beaucoup d’informations à la Sûreté de l’État avec laquelle ils ont des accords depuis longtemps. Pensez-vous qu’on a appris de l’expérience algérienne dans la lutte antiterroriste en Belgique et en Europe ?

Je crois qu’on n’en a pas tiré les leçons parce que, en Belgique, dès qu’on parle de certains pays et de l’Algérie, il y a une espèce de tabou. On considère que c’est un régime autoritaire où l’armée occupe une position tout à fait stratégique. Nous vivons en Belgique dans un État de droit et il n’est pas question de tirer des leçons, alors qu’on aurait dû le faire. L’Algérie dans les années 1990 a été confrontée à une situation épouvantable qui a fait pratiquement 200 000 morts sans compter les blessés et les traumatismes. On aurait dû tirer les leçons à l’époque et certains l’ont fait, mais on ne les a pas écoutés.

Ne croyez-vous pas qu’il est temps d’intensifier les relations entre les services de renseignement belges, notamment la Sûreté de l’État, avec les services de renseignement algériens pour prévenir et déjouer d’éventuels attentats ? Ne serait-il pas temps que la Belgique et l’Europe se réveillent pour voir en face la réalité du djihadisme et de Daech ?

Il est plus que temps. Il est même peut-être un peu trop tard. On aurait dû agir plus tôt parce que cela fait des années que le phénomène existe et qu’il se développe. Il est plus que temps que l’on prenne conscience de la nécessité d’éradiquer ce phénomène parce que, évidemment je ne peux pas le prévoir, mais je pense qu’à court ou moyen terme, Daech ou le pseudo État islamique, sera vaincu. Que se passera-t-il quand un certain nombre de jeunes qui sont partis là-bas vont revenir en Europe ? Ils se sont radicalisés, ils ont acquis un savoir-faire militaire, et nous risquons alors d’être confrontés à une situation qui va devenir difficilement maîtrisable si on ne se donne pas les moyens pour lutter contre ce type de phénomène. Ne faisons pas preuve d’angélisme, nous allons devoir affronter des situations qui seront difficiles et qui exigent aussi un engagement de la population. On peut se baser évidemment sur les services mais si la population, quelle qu’elle soit, ne s’implique pas, et en particulier nos compatriotes de religion musulmane, nous connaîtrons beaucoup de difficultés. Si eux ne s’impliquent pas dans cette lutte, nous aurons d’énormes difficultés.

Ne pensez-vous pas que cette image nous renvoie aux Algériens afghans qui ont combattu contre l’URSS et que l’Algérie a vus revenir pour semer la terreur, ces groupes terroristes s’étant formés en Afghanistan ? Ne pensez-vous pas qu’il y ait un risque que ce processus se répète avec les Européens et les Belges partis en Syrie ?

Ce risque existe évidemment. Cependant, un certain nombre de jeunes qui sont partis là-bas sont parfois décrits comme des « pieds nickelés », ce sont des jeunes qui sont partis pour diverses raisons, et dont certains sont déjà revenus parce qu’ils ne s’attendaient pas à ce qu’on leur confie des tâches subalternes. D’autres, au contraire, sont partis et les gens qui viennent de commettre les attentats à Paris le montrent très clairement. Ces gens-là sont prêts à tuer et à tuer massivement, donc sont prêts à tuer le plus de gens possible et de manière indiscriminée, il faut le souligner. C’est peut-être la première fois qu’une erreur a été commise de la part de ces terroristes car ils ont frappé de manière indiscriminée. Mohamed Merah s’était attaqué à des Juifs et à des militaires français, d’ailleurs d’origine souvent algérienne, aujourd’hui on s’attaque à une salle de concerts, à un stade, on tue des personnes qui sont attablées paisiblement à des terrasses de cafés, et donc on tue de manière indiscriminée. Il n’y a pas de cible spécifique alors qu’en général, les mouvements terroristes ciblent quand même un certain nombre d’éléments. Dans ce cas-ci et c’est ça le danger, maintenant plus personne ne se sent en sécurité.

Je reviens à l’expérience algérienne, parce qu’à un certain moment les groupes terroristes ont déclaré tout le peuple algérien impie, ne sommes-nous pas dans le même processus de ne plus viser des cibles de militaires, gendarmes, policiers, intellectuels, journalistes, comme on l’a vu chez nous, pour arriver à un terrorisme du type où tout le monde est susceptible d‘être une cible ?

Justement, nous sommes dans un processus idéologique et pour beaucoup de ces djihadistes, même les musulmans qui vivent dans les pays occidentaux sont de mauvais musulmans. Et lorsqu’on considère qu’ils sont de mauvais musulmans, il faut les punir. Ces gens-là se sont totalement retirés de la société dans laquelle ils vivent. Ils vivent dans un monde presque virtuel et l’offre djihadiste leur convient, parce qu’elle leur offre quelque chose qui ressemble à un idéal. En réalité, c’est une organisation criminelle car quand on brosse le profil type, on s’aperçoit que beaucoup de ces jeunes sont de petits délinquants et que beaucoup d’entre eux sont passés par la case prison où ils se sont radicalisés, d’autres ont été radicalisés par des recruteurs sur le terrain, mais il n’y a pas que des petits délinquants. Ici, le maître d’œuvre supposé des attentats de Paris a fréquenté une école huppée lorsqu’il était jeune, le père était commerçant, alors cessons de victimiser les gens. Ce n’est pas la misère nécessairement qui engendre ce genre de comportement, nous sommes dans le domaine de l’idéologie pure, complètement déconnectée des réalités. C’est là qu’est le danger. Nous avons connu un phénomène semblable dans les années ’70 avec la Rote Armee Fraktion en Allemagne, les Brigades Rouges en Italie, les Cellules Communistes Combattantes en Belgique, par exemple, qui se réclamaient du prolétariat alors que le prolétariat n’attachait aucun intérêt à leur discours. À la limite, ces gens-là aussi qui étaient issus plutôt de milieux petit-bourgeois et même bourgeois ont dit qu’au fond ce prolétariat ne comprend rien du tout. C’est un peu le même phénomène aujourd’hui. Ils disent que la plupart des musulmans ne sont plus musulmans ou sont de mauvais musulmans, donc il faut les punir.

Vous pensez que l’on peut faire un parallèle entre les mouvements d’extrême-gauche européens qui, à l’exemple de l’IRA, annonçaient les attentats, contrairement à Daech et aux autres groupes islamistes qui cherchent à faire un maximum de victimes ?

Non. On peut faire des comparaisons mais chaque organisation a ses spécificités. Je rappelle toujours que dans l’histoire du terrorisme qui remonte très loin, par exemple, les terroristes russes à la fin du XIXe siècle évitaient de tuer parce qu’il y avait la présence de femmes et d’enfants. En ce qui concerne l’IRA, avant de commettre un attentat, l’IRA prévenait pour éviter les victimes civiles. Ici, nous sommes dans un autre type de terrorisme, je dirais que ça correspond vraiment à la définition combien difficile et controversée du terrorisme. Il s’agit de terroriser en tuant le plus de gens possible. C’est la grande différence.

Pour revenir à l’idéologie, les dirigeants européens et occidentaux en général n’ont-ils pas joué avec le feu en pactisant avec les principaux bailleurs de fonds, les sources matricielles de ce terrorisme, en l’occurrence l’Arabie saoudite et le Qatar, surtout l’Arabie saoudite ? En s’alliant avec l’Arabie saoudite, n’est-ce pas une faute stratégique ?

Il est évident que c’est une faute stratégique. Un certain nombre de ces pays, l’Arabie saoudite, le Qatar, ont souvent des fondations privées et subventionnent des organisations terroristes et continuent à subventionner des organisations terroristes pour des raisons géopolitiques et d’intérêt économique. On a fermé les yeux. On commence seulement à peine, à la fois aux États-Unis et en Europe, à mettre en cause ces liens privilégiés qui existent avec ces pays. Évidemment, c’est un peu tard. On aurait pu s’en apercevoir beaucoup plus tôt et en tirer les leçons. On ne l’a pas fait pour des raisons qu’on connaît, essentiellement le pétrole et les investissements importants que ces pays font dans un certain nombre de pays européens.

Vous êtes l’un des seuls à proposer de recruter des agents arabophones maîtrisant les différents dialectes et l’arabe classique dans les services de renseignement belges, c’est-à-dire la Sûreté de l’État. Comment cette idée a-t-elle cheminé ?

Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’agents qui sont des arabisants confirmés, je sais parfaitement qu’il en existe mais pas suffisamment. Ils sont peu nombreux parce que jusque là les priorités étaient ailleurs. La Sûreté de l’État est une organisation qui n’est active que sur le territoire belge et qui ne peut pas agir sur un territoire étranger, sauf pour assister à des conférences et dans le cadre de coopération avec d’autres services. Donc, le besoin maintenant se fait sentir de recruter des arabisants ne fut-ce qu’avec les flux migratoires importants de réfugiés ou de migrants venus du Moyen-Orient ou de l’Afrique subsaharienne, d’Erythrée, de Somalie, on a besoin de plus d’agents arabisants qui maîtrisent aussi un certain nombre de dialectes. Tous ces gens ne parlent pas l’arabe classique, utilisent des expressions, et nous avons besoin, si l’on utilise des méthodes très intrusives d’écoutes téléphoniques, etc. de gens capables de déchiffrer les messages qui sont d’ailleurs souvent cryptés. On a besoin de gens qui ont suffisamment de savoir-faire pour essayer de décrypter ces messages.

Votre proposition a été retenue, notamment par le ministre de la Justice Koen Geens. Qu’en dites-vous ?

Je ne sais pas si ma proposition a été retenue, je crois surtout qu’elle correspond à un besoin. J’ai effectivement parlé de ce besoin et je m’aperçois que cette idée fait son chemin. Heureusement, d’ailleurs.

Pensez-vous que les semaines, voire les jours à venir, ne comporteront pas des risques très élevés d’attentats ? Avez-vous des informations à ce sujet ?

C’est très difficile à dire. Il est évident qu’avec les mesures qui sont prises, l’état d’urgence qui a été prolongé par le congrès à Paris de trois mois, le déploiement de militaires en Belgique dans les gares et autres endroits, l’annulation d’un certain nombre d’activités culturelles et sportives, etc. comme le défilé de la Saint-V des étudiants de l’Université de Bruxelles du 20 novembre par exemple. Toutes ces mesures sont évidemment dissuasives. Maintenant la plupart des spécialistes et responsables disent que le risque zéro n’existe pas. Dans la mesure où l’on est parvenu à neutraliser un certain nombre de terroristes qui ne sont pas seuls, d’autres vont chercher peut-être à les venger, d’autres vont préparer de nouveaux attentats, et donc il faut être extrêmement vigilant. Cela peut se passer dans une semaine comme dans six mois. D’où la nécessité, j’insiste une fois de plus, d’une coopération de tous les services, que ce soient les services européens, mais une coopération avancée aussi avec les services marocains, algériens, égyptiens, y compris syriens, bref tous ceux qui détiennent des informations intéressantes sur ces criminels.

Dans le cadre des services marocains que l’on a évoqué plus haut, ils ne sont pas très coopératifs.

Je ne peux pas répondre à cette question parce que je ne suis pas engagé moi-même mais je pense que c’est une question que l’on doit légitimement se poser.

Notre amie commune, la regrettée Anne-Marie Lizin, qui était une spécialiste du terrorisme et des questions sécuritaires, avait commencé un travail sur la propagande djihadiste de Daech sur Twitter. Malheureusement, ce travail n’est pas terminé. Ne pensez-vous pas que les réseaux sociaux et la révolution technologique ont profité largement aux terroristes, d’autant que certaines de nos sources dans le renseignement belge nous ont affirmé que les terroristes disposent de moyens parfois plus importants que les services de renseignement belges ?

Effectivement, Anne-Marie Lizin, une amie très chère disparue récemment, s’était engagée dans cette voie. Elle avait pris conscience de la nécessité de déconstruire le discours djihadiste et notamment sur internet et les réseaux sociaux. Je pense que c’est très important. Ce combat contre Daech ou Al-Qaïda ou d’autres organisations passe aussi par là. C’est un combat qui n’est pas seulement policier, militaire, c’est aussi un combat idéologique. Je crois qu’Anne-Marie Lizin avait vu juste et je rends hommage à sa mémoire.

Ne pensez-vous pas qu’une coopération avec tous les services de renseignement algériens, syriens, russes, iraniens, est très importante ?

Je pense que c’est une nécessité. Je sais qu’il y a beaucoup de réserve vis-à-vis des Iraniens qui dans le passé ont soutenu des actions terroristes, il faut le constater, mais en même temps, on rappelle toujours qu’en 1940, Churchill a fait alliance avec Staline pour battre l’Allemagne hitlérienne. Une coopération avec la Russie, avec l’Iran, y compris avec le régime de Bachar el-Assad, est indispensable parce que la priorité des priorités est la destruction et l’éradication de ce qu’on appelle à tort l’État islamique.

Quelles sont pour vous les actions ou les propositions prioritaires concrètes que vous pourriez conseiller aux renseignements et aux autorités belges ?

On peut donner beaucoup de conseils évidemment, mais je pense que la chose importante à faire est d’impliquer ce qu’on appelle les responsables des communautés et d’impliquer les familles de faire de gros efforts au niveau des écoles et des établissements scolaires, à tous les niveaux, pour déconstruire ce discours djihadiste, de faire appel à des référents religieux mais qui ne soient pas des wahhabites ou qui n’appartiennent pas à la mouvance salafiste. C’est très important. En dehors des mesures sécuritaires qui sont prises, je crois que là aussi, il y a un travail à faire très très important.

Donc pour vous, la première priorité, c’est le combat idéologique, c’est-à-dire combattre l’idéologie. Avant de combattre par les armes, il faut les combattre par l’idée ?

Je pense qu’il faut faire les deux, parce qu’aujourd’hui on n’a pas le choix. Si on ne mène pas des actions militaires contre Daech, il va continuer bien sûr dans certaines limites parce qu’il est évident que sur le plan géopolitique, les limites, c’est le terrain sunnite. Ils ont en face d’eux les Gardiens de la Révolution iraniens, le Hezbollah, les bombardements russes, les bombardements américains, ils ont des milices chiites, donc on imagine mal qu’une ville comme Bagdad puisse être prise par Daech. Il faut mener ces deux actions de pair : le combat idéologique, pour déconstruire ce discours et puis le combat sur le terrain, en évitant d’envoyer des troupes occidentales, d’ailleurs personne n’envisage sérieusement de le faire, parce que ça risque d’être contreproductif. Il faut tirer les leçons des expériences qui ont été menées dans le passé.

Donc, à votre avis, il faut assécher le potentiel économique de Daech et des groupes terroristes et, en même temps, les frapper sur le plan idéologique. Mais qui pourra les combattre sur le plan des idées ? Vous avez proposé de recruter des arabophones, est-ce qu’il n’est pas temps de recruter de véritables théologiens musulmans ?

J’en ai fait état dans mes déclarations dans les médias. Il faut non seulement que les services de sécurité de la police, la Sûreté de l’État (services de renseignement dépendant du Ministère de la Justice belge) ou même les SGRS (Service général du renseignement et de la sécurité dépendant du Ministère de la Défense belge) recrutent des arabophones mais il faut faire aussi appel à des référents religieux sérieux et qui ne sont pas sous influence. C’est indispensable si l’on veut faire passer un discours différent en direction des nos communautés et de nos concitoyens de religion musulmane.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

Qui est le Professeur Simon Petermann ?

Simon Petermann, docteur en sciences politiques et diplomatiques de l’ULB, est professeur honoraire de l’Université de Liège (ULg) et de l’ULB (Université Libre de Bruxelles). Il a été président du département de sciences politiques de l’ULg et est actuellement vice-président de l’Académie internationale de géopolitique (Paris, France). Il a été maître de conférences à l’Institut Royal Supérieur de Défense en Belgique. Spécialiste des questions internationales, du terrorisme et des conflits, il a été professeur invité dans de nombreuses universités européennes, aux Etats-Unis, au Brésil et en Russie. Il a également été conseiller spécial pour le Moyen-Orient auprès de l’Institut Royal des Relations Internationales – Egmont (IRRI). Il organise des formations pour les magistrats, les fonctionnaires de la police fédérale et les agents de la Sûreté de l’État (services de renseignement belges) en Belgique dans le domaine des relations internationales et de la géopolitique. Il est actuellement expert auprès des tribunaux pour les questions relatives à l’islam. Auteur de plusieurs rapports sur le centre de détention de Guantanamo pour l’Assemblée parlementaire de l’OSCE, il a effectué trois visites sur place. Il a été observateur de longue durée de l’Union européenne pour les élections palestiniennes du 20 janvier 1996 et, plus récemment, conseiller politique de l’EUBAM (Mission européenne de surveillance) pour la Bande de Gaza (2008). Il a également effectué des missions dans divers pays d’Europe orientale et dans l’ex-Yougoslavie pour le Conseil de l’Europe.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont : Guantánamo. Les dérives de la guerre contre le terrorisme, Bruxelles, éd. André Versaille, 2009 ; Les 100 discours qui ont marqué le XXe siècle, Bruxelles, (coll.), éd. André Versaille, 2008 ; Les services de renseignement en Belgique et les nouvelles menaces(dir.), Bruxelles, éd. Politeia, 2005 ; La coopération militaire entre la Russie et les pays de la CEI (en russe), Editions de l’Université de Saint-Pétersbourg, 2002 ;Devenir citoyen : initiation à la vie démocratique, Bruxelles, De Boeck, 3e édition, 2001 ; Le Processus de paix au Moyen-Orient, Paris, PUF, « Que sais-je ? », n° 3034, 1995.

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Source : Mohsen Abdelmoumen
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