Algérie Résistance
Le Professeur Simon Petermann : « En
Belgique, dès qu’on parle de certains
pays et de l’Algérie, il y a une espèce
de tabou »
Mohsen Abdelmoumen
Le
Professeur Simon Petermann. DR.
Samedi 28 novembre 2015
Mohsen Abdelmoumen :
Avec les attentats qui ont secoué Paris
et dont la plupart des auteurs sont
d’origine belge, ne pensez-vous pas que
la Belgique est devenue une véritable
plaque tournante du terrorisme en Europe
et dans le monde ?
Le Professeur Simon Petermann
: J’hésite à utiliser
l’expression « plaque tournante ». La
Belgique est sans doute une zone de
repli, parce que c’est un petit pays que
l’on traverse facilement avec une
communauté maghrébine assez importante,
et les derniers attentats qui se sont
produits à Paris et ceux qui se sont
produits aussi en Belgique, montrent
qu’effectivement la Belgique est quelque
part une zone de repli où des cellules
djihadistes sont actives.
Comment pouvez-vous expliquer
cela ? Est-ce dû à la géographie, à
l’emplacement de la Belgique qui est un
carrefour ? Lorsqu’on a constaté que ces
éléments terroristes sont issus de la
communauté marocaine, les facteurs
géographiques ont-ils une importance ?
Il y a plusieurs réponses. Il y a
d’abord la localisation géographique du
pays par rapport aux deux grands
voisins, la France et l’Allemagne, et la
facilité avec laquelle on peut se
déplacer. Deuxième élément, la
sous-estimation par les autorités
publiques, je dirais depuis vingt ans,
du phénomène de la radicalisation de
certains jeunes issus de l’immigration
maghrébine. Ce phénomène a été largement
sous-estimé. On n’a pas pris la mesure à
temps de l’ampleur du phénomène et que
dans certaines villes et quartiers que
ce soit à Bruxelles, Verviers, Charleroi
ou ailleurs dans notre pays, les
salafistes sont très actifs depuis très
longtemps et contrôlent un certain
nombre de mosquées. Ce n’est cependant
pas là que l’on recrute les djihadistes
ou les terroristes potentiels parce que
depuis quelques années, les mosquées les
plus importantes sont surveillées assez
étroitement. Mais la radicalisation se
passe ailleurs, évidemment. Il existait
depuis longtemps sur le territoire de la
commune de Molenbeek dont on parle
beaucoup ces jours-ci, un certain nombre
de petites mosquées dans des
arrière-salles et dans des garages qui
n’étaient pas surveillées où se tenaient
des discours de haine, où l’on tenait
des propos totalement inacceptables de
la part de personnes qui vivent en
Belgique depuis parfois plusieurs
décennies et puis, il y a eu une forme
de laxisme aussi de la part des
autorités politiques. Je ne vise
personne en particulier parce que cette
responsabilité est collective. On a
fermé les yeux et on a fait preuve
d’aveuglement vraisemblablement. On ne
s’est pas donné les moyens de lutter
contre ce phénomène pour des tas de
raisons, parce que ça se passe toujours
ailleurs et pas à notre porte. Voilà
pourquoi, quelque part, la Belgique est
devenue un lieu de rencontre, un lieu où
un certain nombre de djihadistes,
appelons-les comme ça, ou de
terroristes, peuvent se préparer à
commettre des attentats.
Le comité P de la police a
pointé du doigt un manquement dans le
suivi des djihadistes notamment venus de
Syrie. Qu’en pensez-vous ?
Il y a des manquements à tous les
niveaux, que ce soit au niveau national
et surtout au niveau européen. J’exagère
peut-être en disant que l’Europe est une
passoire, ainsi que les frontières
extérieures de la zone Schengen. On l’a
vu tout récemment avec l’affaire
Abdelhamid Abaaoud qui est rentré de
Syrie en passant par l’Allemagne
semble-t-il et qui a fanfaronné en se
vantant de passer les frontières
facilement, et la preuve c’est qu’il
était à Paris, à Saint Denis, alors
qu’on le croyait en Syrie. Peut-être
même était-il sur le lieu des attentats
ou à proximité. Donc, il y a
manifestement des failles dans ce
système au niveau national, sans doute,
au niveau européen, certainement. Si
l’on n’y remédie pas, si l’on ne prend
pas les mesures indispensables, on va
malheureusement encore au-devant de
catastrophes.
Au niveau du comité R qui
travaille sur les renseignements et qui
a fait une évaluation récente portant
sur des mesures visant à renforcer la
Sûreté de l’État, est-ce une évaluation
de routine ou est-ce une évaluation
extraordinaire par rapport aux derniers
évènements ?
Il faut malheureusement toujours que
se produisent des attentats graves,
comme celui du musée juif à Bruxelles ou
d’autres de ce type, pour qu’on prenne
conscience de la nécessité de renforcer
nos moyens. En réalité, cela fait des
années que les responsables des services
de police et de la Sûreté de l’État
demandent des moyens supplémentaires.
Ces moyens, ils les ont obtenus, on a
recruté un certain nombre d’agents dans
le cas de la Sûreté de l’État, mais la
formation de ces agents demande du
temps. Il faut des habilitations de
sécurité, ce qui prend énormément de
temps. Après les attentats de Paris,
lorsque le gouvernement français
proclame l’état d’urgence et que ces
terroristes sont franco-marocains ou
belgo-marocains, il est évident que la
collaboration entre les services doit
être plus efficiente et que l’on doit se
donner les moyens de lutter
efficacement. Nous sommes engagés dans
une véritable lutte pour la survie de
nos démocraties parce que Daech nous a
déclaré la guerre. Il y a quelques
années, on parlait beaucoup du choc des
civilisations, mais nous y sommes. En
fait, ce que les responsables et les
idéologues de Daech veulent, c’est nous
détruire et détruire nos valeurs qu’ils
n’acceptent pas. Et donc, il faut faire
face à ce défi majeur pour nos
démocraties. La guerre froide est
terminée depuis 1991, depuis l’implosion
de l’Union soviétique, et le monde n’est
pas devenu plus stable pour autant. Nous
sommes confrontés aujourd’hui à un défi
qui est totalement neuf et dont on
commence seulement maintenant à mesurer
l’importance.
Pensez-vous que les services
de renseignement marocains, le Makhzen,
qui contrôlent la communauté marocaine
en Belgique n’aient rien vu venir ou
aient omis de communiquer des
informations ? Est-il normal qu’ils
contrôlent l’immigration marocaine en
Belgique et qu’aucune information ne
passe ?
Ce n’est certainement pas normal que
des agents d’un pays étranger agissent
sur notre territoire. Même si nous avons
de bonnes relations, et je sais que les
services échangent des informations,
c’est toujours du donnant-donnant.
Peut-être que certaines informations ne
sont pas transmises à temps et qu’on
aurait peut-être pu insister, puisque
tout le monde sait que ces agents sont
actifs sur notre territoire, pour savoir
si ces services ne détenaient pas des
informations-clé qui auraient permis au
moins d’identifier ou de démanteler l’un
ou l’autre réseau. Certains réseaux ont
été démantelés parce qu’il y a un
travail effectif, parfois efficace, de
la part de services de renseignement
belges, la Sûreté de l’État, la police
fédérale, etc. mais sans une coopération
plus avancée, ce travail ne peut pas
aboutir.
J’ai eu écho que les services
algériens, dans le domaine de la
coopération, ont transmis beaucoup
d’informations à la Sûreté de l’État
avec laquelle ils ont des accords depuis
longtemps. Pensez-vous qu’on a appris de
l’expérience algérienne dans la lutte
antiterroriste en Belgique et en Europe
?
Je crois qu’on n’en a pas tiré les
leçons parce que, en Belgique, dès qu’on
parle de certains pays et de l’Algérie,
il y a une espèce de tabou. On considère
que c’est un régime autoritaire où
l’armée occupe une position tout à fait
stratégique. Nous vivons en Belgique
dans un État de droit et il n’est pas
question de tirer des leçons, alors
qu’on aurait dû le faire. L’Algérie dans
les années 1990 a été confrontée à une
situation épouvantable qui a fait
pratiquement 200 000 morts sans compter
les blessés et les traumatismes. On
aurait dû tirer les leçons à l’époque et
certains l’ont fait, mais on ne les a
pas écoutés.
Ne croyez-vous pas qu’il est
temps d’intensifier les relations entre
les services de renseignement belges,
notamment la Sûreté de l’État, avec les
services de renseignement algériens pour
prévenir et déjouer d’éventuels
attentats ? Ne serait-il pas temps que
la Belgique et l’Europe se réveillent
pour voir en face la réalité du
djihadisme et de Daech ?
Il est plus que temps. Il est même
peut-être un peu trop tard. On aurait dû
agir plus tôt parce que cela fait des
années que le phénomène existe et qu’il
se développe. Il est plus que temps que
l’on prenne conscience de la nécessité
d’éradiquer ce phénomène parce que,
évidemment je ne peux pas le prévoir,
mais je pense qu’à court ou moyen terme,
Daech ou le pseudo État islamique, sera
vaincu. Que se passera-t-il quand un
certain nombre de jeunes qui sont partis
là-bas vont revenir en Europe ? Ils se
sont radicalisés, ils ont acquis un
savoir-faire militaire, et nous risquons
alors d’être confrontés à une situation
qui va devenir difficilement maîtrisable
si on ne se donne pas les moyens pour
lutter contre ce type de phénomène. Ne
faisons pas preuve d’angélisme, nous
allons devoir affronter des situations
qui seront difficiles et qui exigent
aussi un engagement de la population. On
peut se baser évidemment sur les
services mais si la population, quelle
qu’elle soit, ne s’implique pas, et en
particulier nos compatriotes de religion
musulmane, nous connaîtrons beaucoup de
difficultés. Si eux ne s’impliquent pas
dans cette lutte, nous aurons d’énormes
difficultés.
Ne pensez-vous pas que cette
image nous renvoie aux Algériens afghans
qui ont combattu contre l’URSS et que
l’Algérie a vus revenir pour semer la
terreur, ces groupes terroristes s’étant
formés en Afghanistan ? Ne pensez-vous
pas qu’il y ait un risque que ce
processus se répète avec les Européens
et les Belges partis en Syrie ?
Ce risque existe évidemment.
Cependant, un certain nombre de jeunes
qui sont partis là-bas sont parfois
décrits comme des « pieds nickelés », ce
sont des jeunes qui sont partis pour
diverses raisons, et dont certains sont
déjà revenus parce qu’ils ne
s’attendaient pas à ce qu’on leur confie
des tâches subalternes. D’autres, au
contraire, sont partis et les gens qui
viennent de commettre les attentats à
Paris le montrent très clairement. Ces
gens-là sont prêts à tuer et à tuer
massivement, donc sont prêts à tuer le
plus de gens possible et de manière
indiscriminée, il faut le souligner.
C’est peut-être la première fois qu’une
erreur a été commise de la part de ces
terroristes car ils ont frappé de
manière indiscriminée. Mohamed Merah
s’était attaqué à des Juifs et à des
militaires français, d’ailleurs
d’origine souvent algérienne,
aujourd’hui on s’attaque à une salle de
concerts, à un stade, on tue des
personnes qui sont attablées
paisiblement à des terrasses de cafés,
et donc on tue de manière indiscriminée.
Il n’y a pas de cible spécifique alors
qu’en général, les mouvements
terroristes ciblent quand même un
certain nombre d’éléments. Dans ce
cas-ci et c’est ça le danger, maintenant
plus personne ne se sent en sécurité.
Je reviens à l’expérience
algérienne, parce qu’à un certain moment
les groupes terroristes ont déclaré tout
le peuple algérien impie, ne sommes-nous
pas dans le même processus de ne plus
viser des cibles de militaires,
gendarmes, policiers, intellectuels,
journalistes, comme on l’a vu chez nous,
pour arriver à un terrorisme du type où
tout le monde est susceptible d‘être une
cible ?
Justement, nous sommes dans un
processus idéologique et pour beaucoup
de ces djihadistes, même les musulmans
qui vivent dans les pays occidentaux
sont de mauvais musulmans. Et lorsqu’on
considère qu’ils sont de mauvais
musulmans, il faut les punir. Ces
gens-là se sont totalement retirés de la
société dans laquelle ils vivent. Ils
vivent dans un monde presque virtuel et
l’offre djihadiste leur convient, parce
qu’elle leur offre quelque chose qui
ressemble à un idéal. En réalité, c’est
une organisation criminelle car quand on
brosse le profil type, on s’aperçoit que
beaucoup de ces jeunes sont de petits
délinquants et que beaucoup d’entre eux
sont passés par la case prison où ils se
sont radicalisés, d’autres ont été
radicalisés par des recruteurs sur le
terrain, mais il n’y a pas que des
petits délinquants. Ici, le maître
d’œuvre supposé des attentats de Paris a
fréquenté une école huppée lorsqu’il
était jeune, le père était commerçant,
alors cessons de victimiser les gens. Ce
n’est pas la misère nécessairement qui
engendre ce genre de comportement, nous
sommes dans le domaine de l’idéologie
pure, complètement déconnectée des
réalités. C’est là qu’est le danger.
Nous avons connu un phénomène semblable
dans les années ’70 avec la Rote Armee
Fraktion en Allemagne, les Brigades
Rouges en Italie, les Cellules
Communistes Combattantes en Belgique,
par exemple, qui se réclamaient du
prolétariat alors que le prolétariat
n’attachait aucun intérêt à leur
discours. À la limite, ces gens-là aussi
qui étaient issus plutôt de milieux
petit-bourgeois et même bourgeois ont
dit qu’au fond ce prolétariat ne
comprend rien du tout. C’est un peu le
même phénomène aujourd’hui. Ils disent
que la plupart des musulmans ne sont
plus musulmans ou sont de mauvais
musulmans, donc il faut les punir.
Vous pensez que l’on peut
faire un parallèle entre les mouvements
d’extrême-gauche européens qui, à
l’exemple de l’IRA, annonçaient les
attentats, contrairement à Daech et aux
autres groupes islamistes qui cherchent
à faire un maximum de victimes ?
Non. On peut faire des comparaisons
mais chaque organisation a ses
spécificités. Je rappelle toujours que
dans l’histoire du terrorisme qui
remonte très loin, par exemple, les
terroristes russes à la fin du XIXe
siècle évitaient de tuer parce qu’il y
avait la présence de femmes et
d’enfants. En ce qui concerne l’IRA,
avant de commettre un attentat, l’IRA
prévenait pour éviter les victimes
civiles. Ici, nous sommes dans un autre
type de terrorisme, je dirais que ça
correspond vraiment à la définition
combien difficile et controversée du
terrorisme. Il s’agit de terroriser en
tuant le plus de gens possible. C’est la
grande différence.
Pour revenir à l’idéologie,
les dirigeants européens et occidentaux
en général n’ont-ils pas joué avec le
feu en pactisant avec les principaux
bailleurs de fonds, les sources
matricielles de ce terrorisme, en
l’occurrence l’Arabie saoudite et le
Qatar, surtout l’Arabie saoudite ? En
s’alliant avec l’Arabie saoudite,
n’est-ce pas une faute stratégique ?
Il est évident que c’est une faute
stratégique. Un certain nombre de ces
pays, l’Arabie saoudite, le Qatar, ont
souvent des fondations privées et
subventionnent des organisations
terroristes et continuent à
subventionner des organisations
terroristes pour des raisons
géopolitiques et d’intérêt économique.
On a fermé les yeux. On commence
seulement à peine, à la fois aux
États-Unis et en Europe, à mettre en
cause ces liens privilégiés qui existent
avec ces pays. Évidemment, c’est un peu
tard. On aurait pu s’en apercevoir
beaucoup plus tôt et en tirer les
leçons. On ne l’a pas fait pour des
raisons qu’on connaît, essentiellement
le pétrole et les investissements
importants que ces pays font dans un
certain nombre de pays européens.
Vous êtes l’un des seuls à
proposer de recruter des agents
arabophones maîtrisant les différents
dialectes et l’arabe classique dans les
services de renseignement belges,
c’est-à-dire la Sûreté de l’État.
Comment cette idée a-t-elle cheminé ?
Je ne dis pas qu’il n’y a pas
d’agents qui sont des arabisants
confirmés, je sais parfaitement qu’il en
existe mais pas suffisamment. Ils sont
peu nombreux parce que jusque là les
priorités étaient ailleurs. La Sûreté de
l’État est une organisation qui n’est
active que sur le territoire belge et
qui ne peut pas agir sur un territoire
étranger, sauf pour assister à des
conférences et dans le cadre de
coopération avec d’autres services.
Donc, le besoin maintenant se fait
sentir de recruter des arabisants ne
fut-ce qu’avec les flux migratoires
importants de réfugiés ou de migrants
venus du Moyen-Orient ou de l’Afrique
subsaharienne, d’Erythrée, de Somalie,
on a besoin de plus d’agents arabisants
qui maîtrisent aussi un certain nombre
de dialectes. Tous ces gens ne parlent
pas l’arabe classique, utilisent des
expressions, et nous avons besoin, si
l’on utilise des méthodes très
intrusives d’écoutes téléphoniques, etc.
de gens capables de déchiffrer les
messages qui sont d’ailleurs souvent
cryptés. On a besoin de gens qui ont
suffisamment de savoir-faire pour
essayer de décrypter ces messages.
Votre proposition a été
retenue, notamment par le ministre de la
Justice Koen Geens. Qu’en dites-vous ?
Je ne sais pas si ma proposition a
été retenue, je crois surtout qu’elle
correspond à un besoin. J’ai
effectivement parlé de ce besoin et je
m’aperçois que cette idée fait son
chemin. Heureusement, d’ailleurs.
Pensez-vous que les semaines,
voire les jours à venir, ne comporteront
pas des risques très élevés d’attentats
? Avez-vous des informations à ce sujet
?
C’est très difficile à dire. Il est
évident qu’avec les mesures qui sont
prises, l’état d’urgence qui a été
prolongé par le congrès à Paris de trois
mois, le déploiement de militaires en
Belgique dans les gares et autres
endroits, l’annulation d’un certain
nombre d’activités culturelles et
sportives, etc. comme le défilé de la
Saint-V des étudiants de l’Université de
Bruxelles du 20 novembre par exemple.
Toutes ces mesures sont évidemment
dissuasives. Maintenant la plupart des
spécialistes et responsables disent que
le risque zéro n’existe pas. Dans la
mesure où l’on est parvenu à neutraliser
un certain nombre de terroristes qui ne
sont pas seuls, d’autres vont chercher
peut-être à les venger, d’autres vont
préparer de nouveaux attentats, et donc
il faut être extrêmement vigilant. Cela
peut se passer dans une semaine comme
dans six mois. D’où la nécessité,
j’insiste une fois de plus, d’une
coopération de tous les services, que ce
soient les services européens, mais une
coopération avancée aussi avec les
services marocains, algériens,
égyptiens, y compris syriens, bref tous
ceux qui détiennent des informations
intéressantes sur ces criminels.
Dans le cadre des services
marocains que l’on a évoqué plus haut,
ils ne sont pas très coopératifs.
Je ne peux pas répondre à cette
question parce que je ne suis pas engagé
moi-même mais je pense que c’est une
question que l’on doit légitimement se
poser.
Notre amie commune, la
regrettée Anne-Marie Lizin, qui était
une spécialiste du terrorisme et des
questions sécuritaires, avait commencé
un travail sur la propagande djihadiste
de Daech sur Twitter. Malheureusement,
ce travail n’est pas terminé. Ne
pensez-vous pas que les réseaux sociaux
et la révolution technologique ont
profité largement aux terroristes,
d’autant que certaines de nos sources
dans le renseignement belge nous ont
affirmé que les terroristes disposent de
moyens parfois plus importants que les
services de renseignement belges ?
Effectivement, Anne-Marie Lizin, une
amie très chère disparue récemment,
s’était engagée dans cette voie. Elle
avait pris conscience de la nécessité de
déconstruire le discours djihadiste et
notamment sur internet et les réseaux
sociaux. Je pense que c’est très
important. Ce combat contre Daech ou
Al-Qaïda ou d’autres organisations passe
aussi par là. C’est un combat qui n’est
pas seulement policier, militaire, c’est
aussi un combat idéologique. Je crois
qu’Anne-Marie Lizin avait vu juste et je
rends hommage à sa mémoire.
Ne pensez-vous pas qu’une
coopération avec tous les services de
renseignement algériens, syriens,
russes, iraniens, est très importante ?
Je pense que c’est une nécessité. Je
sais qu’il y a beaucoup de réserve
vis-à-vis des Iraniens qui dans le passé
ont soutenu des actions terroristes, il
faut le constater, mais en même temps,
on rappelle toujours qu’en 1940,
Churchill a fait alliance avec Staline
pour battre l’Allemagne hitlérienne. Une
coopération avec la Russie, avec l’Iran,
y compris avec le régime de Bachar
el-Assad, est indispensable parce que la
priorité des priorités est la
destruction et l’éradication de ce qu’on
appelle à tort l’État islamique.
Quelles sont pour vous les
actions ou les propositions prioritaires
concrètes que vous pourriez conseiller
aux renseignements et aux autorités
belges ?
On peut donner beaucoup de conseils
évidemment, mais je pense que la chose
importante à faire est d’impliquer ce
qu’on appelle les responsables des
communautés et d’impliquer les familles
de faire de gros efforts au niveau des
écoles et des établissements scolaires,
à tous les niveaux, pour déconstruire ce
discours djihadiste, de faire appel à
des référents religieux mais qui ne
soient pas des wahhabites ou qui
n’appartiennent pas à la mouvance
salafiste. C’est très important. En
dehors des mesures sécuritaires qui sont
prises, je crois que là aussi, il y a un
travail à faire très très important.
Donc pour vous, la première
priorité, c’est le combat idéologique,
c’est-à-dire combattre l’idéologie.
Avant de combattre par les armes, il
faut les combattre par l’idée ?
Je pense qu’il faut faire les deux,
parce qu’aujourd’hui on n’a pas le
choix. Si on ne mène pas des actions
militaires contre Daech, il va continuer
bien sûr dans certaines limites parce
qu’il est évident que sur le plan
géopolitique, les limites, c’est le
terrain sunnite. Ils ont en face d’eux
les Gardiens de la Révolution iraniens,
le Hezbollah, les bombardements russes,
les bombardements américains, ils ont
des milices chiites, donc on imagine mal
qu’une ville comme Bagdad puisse être
prise par Daech. Il faut mener ces deux
actions de pair : le combat idéologique,
pour déconstruire ce discours et puis le
combat sur le terrain, en évitant
d’envoyer des troupes occidentales,
d’ailleurs personne n’envisage
sérieusement de le faire, parce que ça
risque d’être contreproductif. Il faut
tirer les leçons des expériences qui ont
été menées dans le passé.
Donc, à votre avis, il faut
assécher le potentiel économique de
Daech et des groupes terroristes et, en
même temps, les frapper sur le plan
idéologique. Mais qui pourra les
combattre sur le plan des idées ? Vous
avez proposé de recruter des
arabophones, est-ce qu’il n’est pas
temps de recruter de véritables
théologiens musulmans ?
J’en ai fait état dans mes
déclarations dans les médias. Il faut
non seulement que les services de
sécurité de la police, la Sûreté de
l’État (services de renseignement
dépendant du Ministère de la Justice
belge) ou même les SGRS (Service général
du renseignement et de la sécurité
dépendant du Ministère de la Défense
belge) recrutent des arabophones mais il
faut faire aussi appel à des référents
religieux sérieux et qui ne sont pas
sous influence. C’est indispensable si
l’on veut faire passer un discours
différent en direction des nos
communautés et de nos concitoyens de
religion musulmane.
Interview réalisée par Mohsen
Abdelmoumen
Qui est le Professeur Simon
Petermann ?
Simon Petermann, docteur en sciences
politiques et diplomatiques de l’ULB,
est professeur honoraire de l’Université
de Liège (ULg) et de l’ULB (Université
Libre de Bruxelles). Il a été président
du département de sciences politiques de
l’ULg et est actuellement vice-président
de l’Académie internationale de
géopolitique (Paris, France). Il a été
maître de conférences à l’Institut Royal
Supérieur de Défense en Belgique.
Spécialiste des questions
internationales, du terrorisme et des
conflits, il a été professeur invité
dans de nombreuses universités
européennes, aux Etats-Unis, au Brésil
et en Russie. Il a également été
conseiller spécial pour le Moyen-Orient
auprès de l’Institut Royal des Relations
Internationales – Egmont (IRRI). Il
organise des formations pour les
magistrats, les fonctionnaires de la
police fédérale et les agents de la
Sûreté de l’État (services de
renseignement belges) en Belgique dans
le domaine des relations internationales
et de la géopolitique. Il est
actuellement expert auprès des tribunaux
pour les questions relatives à l’islam.
Auteur de plusieurs rapports sur le
centre de détention de Guantanamo pour
l’Assemblée parlementaire de l’OSCE, il
a effectué trois visites sur place. Il a
été observateur de longue durée de
l’Union européenne pour les élections
palestiniennes du 20 janvier 1996 et,
plus récemment, conseiller politique de
l’EUBAM (Mission européenne de
surveillance) pour la Bande de Gaza
(2008). Il a également effectué des
missions dans divers pays d’Europe
orientale et dans l’ex-Yougoslavie pour
le Conseil de l’Europe.
Il est l’auteur de plusieurs
ouvrages, dont : Guantánamo. Les
dérives de la guerre contre le
terrorisme, Bruxelles, éd. André
Versaille, 2009 ; Les 100 discours
qui ont marqué le XXe siècle,
Bruxelles, (coll.), éd. André Versaille,
2008 ; Les services de renseignement
en Belgique et les nouvelles menaces(dir.),
Bruxelles, éd. Politeia, 2005 ; La
coopération militaire entre la Russie et
les pays de la CEI (en russe),
Editions de l’Université de
Saint-Pétersbourg, 2002 ;Devenir
citoyen : initiation à la vie
démocratique, Bruxelles, De Boeck,
3e édition, 2001 ; Le Processus de
paix au Moyen-Orient, Paris, PUF, «
Que sais-je ? », n° 3034, 1995.
Published in Oximity, November
27, 2015:https://www.oximity.com/article/Le-Professeur-Simon-Petermann-En-Belgi-1
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