Amérique latine
Cuba - Etats-Unis :
« Le président Obama a fait un constat
lucide »
Salim Lamrani
Un premier
pas diplomatique a été franchi.
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Marseillaise
Jeudi 25 décembre 2014
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Salim
Lamrani, universitaire, spécialiste des
relations entre les Etats-Unis et Cuba,
revient sur la décision prise par Barak
Obama et Raul Castro, le 17 décembre
dernier. Beaucoup de questions restent
en suspens.
Docteur
ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
IV-Sorbonne, Salim Lamrani est également
maître de conférences à l’Université de
La Réunion, et journaliste, spécialiste
des relations entre Cuba et les
Etats-Unis. Il revient sur le contexte
géopolitique existant entre Cuba et les
Etats-Unis avant les annonces de cette
semaine concernant un rapprochement
entre les deux pays et entrevoit
quelques pistes pour une véritable
normalisation des relations.
Les annonces de ce 17
décembre 2014 doivent-elles être
considérées comme des surprises ?
La reprise du dialogue entre les deux
pays est historique dans la mesure où
elle met un terme à plus d’un
demi-siècle de relations conflictuelles.
La politique d’hostilité des Etats-Unis
vis-à-vis de Cuba est anachronique car
elle remonte à la Guerre froide.
L’état de siège économique est
également cruel puisqu’il affecte les
catégories les plus vulnérables de la
population. Enfin, les sanctions sont
inefficaces vu que l’objectif d’obtenir
un changement de régime n’a pas été
atteint. Au contraire, elles ont isolé
Washington sur la scène internationale.
Les décisions du côté cubain
sont-elles à ranger dans le cadre des
autres réformes entrées en vigueur
depuis plusieurs années ?
Dès le triomphe de la Révolution
cubaine en janvier 1959, Cuba a toujours
fait part de sa volonté d’entretenir des
relations normales et apaisées avec les
Etats-Unis, à condition qu’elles soient
basées sur la réciprocité, l’égalité
souveraine et la non-ingérence dans les
affaires internes. Il y a toujours eu
une constance à ce sujet de la part de
La Havane.
Il convient de rappeler que
l’hostilité est unilatérale. Ce sont les
Etats-Unis qui ont rompu les relations
avec Cuba en janvier 1961 et qui n’ont
eu de cesse d’adapter leur rhétorique
diplomatique pour justifier le maintien
de cet état de siège. Au départ,
Washington a tenté d'expliquer sa
politique agressive à l’égard de La
Havane officiellement en raison du
processus de nationalisations et
expropriations qui affectait ses
intérêts. Puis ensuite, on a mis en
cause l’alliance avec l’Union
soviétique.
Dans les années 1970-1980, ce fut la
solidarité cubaine avec les mouvements
révolutionnaires et indépendantistes
d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie
qui fut mise à l’index.
Après la chute du mur de Berlin et la
disparition de l’URSS, les Etats-Unis,
au lieu de normaliser les relations avec
La Havane, ont au contraire procédé à
une recrudescence des sanctions
économiques, brandissant cette fois
l’argument de la présence de Fidel
Castro et de Raúl Castro au pouvoir.
Cuba a toujours dit qu'il
était prêt à discuter avec les
Etats-Unis sur la base du respect
mutuel. Mais comment expliquer le
changement de position des Etats-Unis?
Le président Barack Obama a fait un
constat lucide à propos de la politique
actuelle des Etats-Unis vis-à-vis de
Cuba. Washington a échoué sur toute la
ligne car Cuba n’a pas renoncé à son
projet de société et consolide son
processus socialiste en le rendant plus
efficace et en l’adaptant aux nouvelles
réalités. Washington est isolé à tous
les niveaux sur la question cubaine.
La communauté internationale est
favorable à une normalisation des
relations entre les deux pays et
condamne fermement la politique de
sanctions. En octobre 2014, pour la
23ème année consécutive, 188 pays - y
compris les plus fidèles alliés des
Etats-Unis - ont voté en faveur de la
levée des sanctions économiques contre
Cuba. L’Amérique latine est unanime dans
son exhortation à libérer Cuba de l’état
de siège qui l’étouffe depuis plus d’un
demi-siècle. L’Amérique latine a menacé
de boycotter le prochain Sommet des
Amériques de 2015 en cas d’absence de
Cuba.
Dans les années 1960, Cuba était
isolée sur le continent américain. Seul
le Canada et le Mexique disposaient de
relations avec La Havane. Aujourd’hui,
La Havane entretient des relations
diplomatiques et commerciales avec tous
les pays du continent, à l’exception des
Etats-Unis. En persistant à appliquer
une politique absurde et obsolète,
Washington s’est isolé du monde.
Par ailleurs, au niveau national,
l’opinion publique des Etats-Unis, à
près de 70% selon un sondage de CNN, est
favorable à la normalisation des
relations avec Cuba.
Le peuple étasunien ne comprend pas
pourquoi il peut voyager en Chine,
principal adversaire politique et
commercial des Etats-Unis, au Vietnam,
pays contre lequel Washington a été en
guerre pendant près de 15 ans, et en
Corée du Nord, qui dispose de l’arme
nucléaire, mais pas à Cuba, qui n’a
jamais agressé les Etats-Unis de son
histoire, et qui constitue une
destination touristique naturelle pour
des raisons historiques et géographiques
évidentes.
La communauté cubaine des Etats-Unis
est favorable à 52% selon une étude à un
rapprochement bilatéral car elle aspire
à des relations apaisée avec sa patrie
d’origine et souhaite que les Cubains de
l’île vivent dans le bien-être, sans
être victimes de sanctions.
De la même manière, le monde des
affaires étasunien est partisan de la
levée des sanctions contre Cuba, car il
voit un marché naturel de 11,2 millions
d’habitants prêt à être investi par
l’Amérique latine, l’Europe, le Canada
et l’Asie.
Tous ces facteurs ont amené
Washington à infléchir sa position et à
adopter une approche plus constructive
et rationnelle.
Les défaites électorales
successives de Barack Obama et la fin
prochaine de son mandat peuvent-elles
expliquer ce revirement ?
La réalité constitutionnelle a
peut-être joué un rôle. En effet, Barack
Obama en est à son deuxième mandat
présidentiel et il ne peut plus se
représenter.
Mais, il me semble qu’il s’agit
surtout d’une prise de conscience de
l’isolement croissant des Etats-Unis sur
la scène internationale sur la question
cubaine, et de l’échec patent d’une
telle politique agressive.
Quelles seront les réactions
sur l'île ?
Cuba a accueilli avec joie le retour
de ses trois compatriotes Antonio
Guerrero, Gerardo Hernández et Ramón
Labiñino, qui purgeaient des peines de
prison sévères, pour avoir tenté de
neutraliser les groupuscules terroristes
de l’exil cubain qui avaient causé la
mort de plusieurs personnes en réalisant
des attentats à la bombe. Il s’agissait
véritablement d’une cause nationale à
Cuba et le maintien en détention de ces
personnes constituait le principal
obstacle à la normalisation des
relations entre Washington et La Havane.
Le peuple cubain, qui a toujours eu un
lien spirituel très fort avec le peuple
étasunien, a accueilli la nouvelle du
rétablissement des rapports bilatéraux
avec satisfaction.
Peut-on s'attendre à d'autres
avancées ?
Le rétablissement des relations
diplomatiques est un premier pas
indispensable. Néanmoins, il reste
insuffisant. Les Etats-Unis doivent
d’abord lever les sanctions économiques
contre Cuba. Obama peut faire jouer ses
prérogatives en tant que président en
permettant par exemple aux touristes
étasuniens de se rendre librement à
Cuba. Cela signerait la fin des
sanctions contre Cuba, car le Congrès ne
résisterait pas aux pressions du monde
des affaires et serait contraint
d’abroger les lois sur le blocus.
Ensuite, Washington doit également
accepter la réalité d’une Cuba
différente, indépendante et souveraine
et cesser ses politiques hostiles
destinées à déstabiliser le pays en
finançant une opposition interne.
Enfin, il doit mettre un terme à
l’occupation illégitime de Guantanamo et
mettre hors d’état de nuire les secteurs
extrémistes de l’exil cubain de Floride
qui n’ont pas renoncé à la violence
terroriste.
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