Dimanche 5 avril 2009
Dans cet entretien époustouflant Thierry Meyssan analyse la
situation actuelle, touchant la configuration du pouvoir aux
Etats Unis et les rapports de ceux-ci avec le reste du monde.
Thierry
Meyssan, on ne vous voit plus en France, que devenez-vous ?
Je vis actuellement au Liban. Après l’arrivée de Nicolas
Sarkozy au pouvoir, j’ai été directement menacé par de hauts
fonctionnaires français. Des amis au ministère de la
Défense, m'ont informé que les États-Unis me considèrent
comme un danger pour leur sécurité nationale. Dans le cadre
de l'OTAN, ils ont demandé aux services alliés de me
neutraliser et certains Français semblaient vouloir faire du
zèle. J’ai donc pris la décision non seulement de quitter la
France, mais la zone OTAN. Après avoir erré de Caracas à
Damas en passant par Moscou, je me suis fixé à Beyrouth où
je me suis placé au service de la Résistance.
Sur
quoi travaillez-vous en ce moment ?
Je travaille actuellement à un livre d’analyse sur
l’administration Obama, ses origines, sa composition, ses
projets etc. Une première édition, limitée à quelques
exemplaires, sera adressée à des quelques leaders le mois
prochain. Puis une édition grand public sera publiée dans
diverses langues à l'automne. Je vis exclusivement de ma
plume et je collabore à des journaux ou magazines dans le
domaine de la politique internationale, au Proche-Orient et
en Russie.
Quelle analyse faite vous de l’évolution de la politique
américaine ?
Aujourd’hui se dégage un relatif consensus sur le constat
d’échec de la politique Bush, le surdéploiement militaire,
les conséquences néfastes de l’unilatéralisme sur les
relations avec les alliés et la perte de leadership. A
partir de 2006, James Baker et Lee Hamilton, qui présidaient
une commission créée par le Congrès pour évaluer la
stratégie en Irak, ont milité en faveur d’un retour à une
position plus sage. Ils ont préconisé un retrait d’Irak et
un prudent rapprochement avec les pays riverains (Syrie,
Iran) indispensable pour éviter que le départ des GI's ne
tourne à la débâcle, comme au Vietnam. Ils ont fait tomber
la tête de Donald Rumsfeld, et ont imposé un membre de leur
commission, Robert Gates, pour lui succéder. Mais s'ils ont
gelé la politique de « remodelage du Grand Moyen-Orient »,
ils ne sont pas parvenus à y faire renoncer George Bush et
Dick Cheney; raison pour laquelle il a fallu organiser une
rupture avec Barack Obama.
En réalité Obama avait été lancé dans la course au Sénat
fédéral et à la présidence dès 2004. Il a fait son entrée en
scène lors de la convention démocrate pour l'investiture de
John Kerry. Il n'était alors qu'un obscur parlementaire de
l'Assemblée de l'Illinois, mais il était déjà encadré et
entrainé par Abner Mikva et ses hommes (Jews for Obama) et
soutenu par la finance anglo-saxonne (Goldman Sachs, JP
Morgan, Excelon…). Les multinationales inquiètes de perdre
des parts de marché au fur et à mesure de la montée de
l'anti-impérialisme (Business for Diplomatic Action), les
partisans de la Commission Baker-Hamilton, les généraux en
révolte contre les aventures erratiques des
néo-conservateurs, et d'autres encore, se sont
progressivement ralliés à lui.
Les Français croient souvent que le président des États-Unis
est élu au second degré par de grands électeurs. C'est faux.
Il est élu par un collège dont les membres sont désignés par
des notables. En 2000, la Cour suprême a rappelé que le vote
des citoyens n'était que consultatif et que le gouverneur de
Floride pouvait nommer les délégués de son État au collège
électoral présidentiel sans même attendre le dépouillement
du scrutin général.
Dans ce système oligarchique, il y a un parti unique avec
deux courants : les républicains et les démocrates.
Juridiquement, ils ne forment pas des entités distinctes.
Ainsi, ce sont les États qui organisent les primaires, pas
les pseudos-partis. Il n'y a donc rien de surprenant à ce
que Joe Biden et Barack Obama soient l'un et l'autre de
vieux amis de John McCain. Ainsi, McCain préside l'Institut
Républicain International, un organe du département d'État
chargé de corrompre les partis de droite dans le monde;
tandis qu'Obama travaille au sein de l'Institut Démocrate
National, présidé par Madeleine Albright et chargé de la
corruption des partis de gauche. Ensemble, Obama, McCain et
Albright ont participé à la déstabilisation du Kenya, lors
d'une opération de la CIA pour imposer un cousin d'Obama
comme Premier ministre.
Tout ceci pour dire qu’Obama n’est pas sorti de nulle part.
C'est un spécialiste de l’action secrète et de la
subversion. Il a été recruté pour faire un travail bien
précis.
Si les objectifs de la coalition hétéroclite qui le soutient
sont globalement les mêmes, il n’existe pas de consensus
dans le détail entre ses composantes. Ceci explique
l’incroyable bataille à laquelle ont donné lieu les
nominations et l'aspect toujours équivoque des discours d'Obama.
Quatre pôles se livrent bataille :
Le pôle Défense, autour de Brent Scowcroft, des généraux
opposés à Rumsfeld et bien sûr de Robert Gates, aujourd'hui
le véritable maître à Washington. Ils préconisent la fin de
la privatisation des armées, une sortie « honorable »
d’Irak mais la poursuite de l’effort états-unien en
Afghanistan pour ne pas donner l'impression d'une débandade,
et enfin un accord avec les Iraniens et les Syriens. Pour
eux, la Russie et la Chine restent des rivaux qu'il faut
isoler et paralyser. Ils abordent la crise financière comme
une guerre au cours de laquelle ils vont perdre des
programmes d'armement et diminuer le format des armées, mais
doivent maintenir une supériorité relative. Peu importe
qu'ils perdent en puissance, s'ils restent les plus forts.
Les départements du Trésor et du Commerce, autour de Tim
Geithner et Paul Volcker, les protégés des Rockefeller. Ils
sont issus de la Pilgrim's Society et s'appuient sur le
Groupe des Trente, le Peterson Institute et la Commission
trilatérale. Ils sont soutenus par la reine Elizabeth II et
veulent sauver à la fois Wall Street et la City. Pour eux la
crise est un coup dur puisque les revenus de l'oligarchie
financière sont en chute libre, mais c'est surtout une
occasion rêvée de concentrer le capital et de piétiner les
résistances à la globalisation. Ils sont obligés
temporairement de réduire leur train de vie pour ne pas
susciter de révolutions sociales, mais ils peuvent
simultanément s'enrichir en rachetant des fleurons
industriels pour une bouchée de pain. Sur le long terme, ils
ont le projet d'instaurer —non pas un impôt mondial sur le
droit de respirer, ce serait grossier—, mais une taxe
globale sur le CO2 et une Bourse des droits d'émission —ce
qui revient à peu prés au même en paraissant écolo—.
Contrairement au Pentagone, ils militent pour une alliance
avec la Chine, du fait notamment qu’elle détient 40 % des
bons du Trésor US, mais aussi pour empêcher l'émergence d'un
bloc économique extrême-asiatique centré sur la Chine et
drainant les matières premières africaines.
Le pôle du département d’État autour d’Hillary Clinton, une
chrétienne fondamentaliste, membre d'une secte très secrète,
la Fellowship Foundation (dite « La » Famille). C'est le
refuge des sionistes, l'ultime réserve des néo-conservateurs
en voie de disparition. Ils préconisent un soutien
inconditionnel à Israël, avec une pointe de réalisme car ils
savent que l'environnement a changé. Il ne sera plus
possible de bombarder le Liban comme en 2006, car le
Hezbollah dispose maintenant d'armes anti-aériennes
performantes. Il ne sera plus possible de pénétrer dans Gaza
comme en 2008 car le Hamas a acquis des missiles anti-char
Kornet. Et si les États-Unis ont du mal à payer les factures
de Tel-Aviv, il est peu probable que les Saoudiens pourront
y suppléer sur le long terme. Il faut donc gagner du temps,
au besoin par quelques concessions, et trouver une utilité
stratégique à Israël.
La principale mission de Madame Clinton, c'est d'améliorer
l'image des États-unis, non plus en faisant des relations
publiques (c'est-à-dire en justifiant la politique de
Washington), mais par la publicité (c'est-à-dire en vantant
les qualités réelles ou imaginaires du modèle US). Dans ce
contexte, les sionistes devraient pousser le projet Korbel-Albright-Rice
de transformation de l'ONU en un vaste forum impotent et de
création d'une organisation concurrente, la Communauté des
démocraties, appuyée sur son bras armé, l'OTAN. Pour
l'heure, ils sont occupés à saboter la conférence de Durban
II qui, au lieu de célébrer la « seule démocratie du
Proche-Orient », dénonce le régime d'apartheid au pouvoir à
Tel-Aviv.
Avec le secrétaire d'État adjoint, James Steinberg, ils
envisagent la crise financière comme un Blitzkrieg. Il va y
avoir beaucoup de casse, mais c'est le moment de détruire
des rivaux et de s'emparer par surprise de leviers de
commande. Leur problème n'est pas d'accumuler des richesses
par des achats et des fusions, mais d'imposer leurs hommes
partout dans le monde aux ministères des Finances et à la
tête des institutions bancaires.
Enfin le Conseil National de Sécurité sur s'exerce
l'influence de Zbignew Brzezinski, qui fut le professeur d'Obama
à Columbia. Celui-ci devrait abandonner son rôle
traditionnel de coordination pour devenir un véritable
centre de commandement. Il est dirigé par le général Jones,
qui a été suprême commandeur de l'OTAN et a porté l'Africa
Command sur les fonds baptismaux. Pour eux, la crise
financière est une crise de la stratégie impériale. C'est
l'endettement faramineux souscrit pour financer la guerre en
Irak qui a précipité l'effondrement économique des
États-Unis. Contrairement à 1929, la guerre ne sera pas la
solution, c'est le problème. Il faut donc mener trois
desseins simultanés : forcer les capitaux à rentrer aux
Etats-Unis en cassant les paradis fiscaux concurrents et en
déstabilisant les économies des pays développés (comme cela
a été testé en Grèce); maintenir l'illusion de la puissance
militaire US en poursuivant l'occupation de l'Afghanistan;
et étouffer les alliances naissantes Syrie-Iran-Russie, et
surtout Russie-Chine (Organisation de coopération de
Shanghai). Le Conseil va privilégier toutes les formes
d'action clandestine pour donner au Pentagone le temps
nécessaire à sa réorganisation.
Obama essaie satisfaire tout le monde d’où la confusion
ambiante.
Comment voyez-vous évoluer la situation au Proche-Orient, au
regard de cette nouvelle administration ?
Il y a consensus sur un point : Washington doit faire
baisser la tension dans cette région, sans pour autant
abandonner Israël. Deux options sont sur la table, mais
quelle que soit celle qui sera mise en œuvre, elle requiert
d'être signée par les courants les plus radicaux. C'est
pourquoi Washington a encouragé un gouvernement
Netanyahu-Lieberman en Israël et laissera le Hamas et le
Hezbollah gagner les prochaines élections dans les
Territoires palestiniens et au Liban.
Le premier scénario, imaginé par Zbignew Brzezinski prévoit
simultanément la reconnaissance d'un État palestinien et la
naturalisation des réfugiés palestiniens dans les pays où
ils se trouvent. Le tout arrosé d'argent pour indemniser les
États absorbant les réfugiés et pour développer Gaza et la
Cisjordanie. En outre, le maintien de cette paix serait
assuré par une force d’interposition de l’OTAN, sous mandat
de l’ONU. Ce plan a le soutien de Nicolas Sarkozy.
La seconde approche est plus rude pour les deux
protagonistes. Elle préconise de contraindre les Israéliens
à abandonner leurs revendications les plus extravagantes ;
tandis qu'elle obligerait les Palestiniens à considérer que
la Jordanie est leur patrie naturelle. Ce serait une paix
plus économique pour Washington et viable sur le long terme,
même si elle serait dure à accepter par les uns et par les
autres, et qu'elle impliquerait au passage la fin de la
monarchie hachémite. Cette formule est notamment poussée par
l'ambassadeur Charles Freeman que le lobby sioniste vient de
contraindre à démissionner de la présidence du Conseil
National du Renseignement, mais qui dispose de solides
appuis dans l'appareil d'État.
Selon vous, quelle formule d’imposera ?
Aucune parce que la crise économique sera d’une telle
ampleur qu’elle conduira à mon sens à une dislocation des
États-Unis et la fin de l’État d’Israël.
Washington va devoir revoir une nouvelle fois ses ambitions
à la baisse. Elle va probablement se replier sur le maintien
du statu quo. Son action se limitera à empêcher de nouveaux
acteurs de prendre sa place.
Que
préconisez-vous à titre personnel ??
Les cinq millions de juifs, les neuf millions de
Palestiniens, et les autres populations de Palestine,
doivent se retrouver au sein d’un État unique sur le
principe « un homme, une voix ». C’est du reste à mon sens
la seule solution qui évite à terme l’expulsion des juifs.
Il faut se souvenir de l’Apartheid en Afrique du Sud, dont
certains annonçaient que sa remise en cause provoquerait
l’expulsion ou l’extermination des blancs. On connaît la
suite. La mort d’Arafat n’est pas un obstacle car il existe
d’autres Mandela en Palestine. Le vrai problème est de
trouver un De Clerk coté Israélien. Le Hamas soutiendrait
sans aucun doute une telle solution, car elle aurait
l’assentiment du peuple.
Plus on repousse les échéances, plus on rend une solution
pacifique difficile. La CIA étudie d'ailleurs le scénario
catastrophe avec un soulèvement sanglant qui chasserait 2
millions de juifs vers les États-Unis.
Quid selon vous de la Syrie et l’Iran ? Pensez-vous la
guerre possible ?
Je ne pense pas que les accords secrets conclus entre les
militaires US, la Syrie et l’Iran soient remis en cause :
les États-Unis n’en ont ni les moyens, ni même la volonté.
En premier lieu, ils savent que la menace nucléaire
iranienne est une intox qu'il ont eux-mêmes fabriquée comme
ils avaient inventé les armes de destruction massive
irakiennes. Au demeurant, l'imam Khomeiny avait condamné la
fabrication et l'usage de la bombe atomique comme immorales
et on ne voit pas quels groupes seraient capables en Iran de
passer outre un tel commandement.
Deuxièmement, la politique de George Bush a poussé Téhéran
et Damas dans les bras de Moscou qui prépare d'ailleurs une
grande conférence internationale sur la paix au
Proche-Orient. C'est désormais une priorité pour Washington
de démanteler cette alliance naissante et de tenter de
ramener l'Iran et la Syrie dans son orbite. Il est bien sûr
probable que ces derniers feront monter les enchères et se
garderont de basculer d'un côté ou de l'autre.
Enfin, les États-Unis ont le sentiment de l'urgence. Leur
économie s'effondre et ils n'auront peut-être plus longtemps
la possibilité de défendre Israël au prix fort. D'autant que
Tsahal n'est plus ce qu'elle était. L'armée israélienne
n'est plus invincible. Elle a accumulé les échecs au Liban,
à Gaza et aussi, ne l’oublions pas, en Géorgie.
Vous vivez, on l’a vu, au Liban, quelle est la situation là
bas ?
L'Alliance nationale regroupée autour du Courant patriotique
libre de Michel Aoun et du Hezbollah d'Hassan Nasrallah va
gagner les prochaines élections, cela ne fait pas de doute,
si elles peuvent se tenir librement. La famille Hariri ne
survivra que tant que les grandes puissances compteront sur
elle pour prélever des impôts et faire payer par le peuple
la dette extérieure du Liban, alors même que celle-ci
provient pour moitié de l'enrichissement illicite des
Hariri. Le criminel de guerre Walid Joumblatt
—vice-président de l'Internationale socialiste, excusez du
peu—, ou encore les néo-fascistes comme le tueur
pathologique Samir Geagea, vont être lâchés par leurs
sponsors. Ces exécuteurs de basses œuvres ont perdu leur
efficacité et ne sont plus présentables.
Le Tribunal spécial pour le Liban chargée d’instruire
l’affaire Hariri et divers assassinats politiques va soit se
faire oublier, soit donner lieu à un coup de théâtre. Il a
été conçu comme une machine de guerre pour accuser la Syrie,
la placer au ban de la communauté internationale et la
désigner comme cible militaire. Je sais que des éléments
nouveaux lui sont parvenus dans les dernières semaines. Ils
disculpent la Syrie et placent l’Arabie Séoudite sur la
sellette. C’est à cette aune qu’il faut apprécier la reprise
en main de l'Arabie saoudite par le roi Abdallah et le
limogeage des ministres qui ont financé la lutte contre le
Hezbollah et le Hamas. Pour revenir aux élections
législatives libanaises de juin, la question est de savoir
si l’on s’oriente vers une victoire de la Résistance à 55 ou
à 70 %. Cela dépendra essentiellement de l’apparition ou non
d’une nouvelle force chrétienne de division et de diversion
autour du président Sleimane. En définitive, les
collaborateurs des États-Unis et d'Israël négocieront
peut-être un compromis tant qu'ils sont en position de le
faire. On se dirigerait alors vers la désignation d'un
milliardaire comme Premier ministre (Saad Hariri ou un
autre), mais à la tête d'un gouvernement entièrement
contrôlé par la Résistance nationale. Ce serait une formule
très orientale : les honneurs et la lumière pour les
perdants, tandis que le vrai pouvoir resterait dans l'ombre.
L'intérêt de cette solution serait de délégitimer toute
intervention militaire contre le Liban.
Vous êtes désormais très connu en Russie, où vous avez
rassemblé près de 30 millions de téléspectateurs à
l’occasion d’une émission sur le 11 septembre. Comment
appréciez-vous la situation de la Russie ?
Paradoxalement, malgré la victoire militaire et diplomatique
en Géorgie, la Russie traverse une passe difficile. Après la
guerre du Caucase, les banques anglo-saxonnes ont encouragé
les oligarques à punir Moscou en déplaçant leurs capitaux
vers l'Ouest. Puis, les Anglo-Saxons ont poussé les
dirigeants ukrainiens à trahir leur intérêt national et à
couper les gazoducs lors des négociations sur les prix. Le
Kremlin, qui croyait être maître du jeu et avoir
l'initiative de ces coupures, s'est fait piéger. La perte de
deux mois de chiffre d’affaire a dévoré les réserves
monétaires. Le tout a provoqué une chute affolante du rouble
alors que la crise mondiale fait baisser le prix des
matières premières et donc les revenus de la Russie.
Medvedev et Poutine ont évalué cette situation de faiblesse
avec beaucoup de sang-froid. Ils connaissent les atouts dont
ils disposent, notamment la supériorité technologique de
leur industrie d'armement sur celle des États-Unis. Ils sont
convaincus que les États-Unis ne se relèveront pas de la
crise, mais se disloqueront à moyen terme comme le Pacte de
Varsovie et l'URSS dans les années 89-91. Ils espèrent donc
inverser les rôles. Malgré la période de vaches maigres, ils
équipent leurs armées avec les nouveaux matériels, et ils
attendent sans broncher l'effondrement de l'Ouest.
Publiquement ou en sous-main selon les cas, ils équipent
tous les adversaires des États-Unis des dernières armes
disponibles, du Proche-Orient que j'ai évoqué tout à l'heure
au Venezuela. Économiquement, ils ont fait le choix de
construire des voies commerciales vers la Chine, tout autant
que vers l'Europe occidentale, dont ils observent avec
regret l'asservissement obstiné aux Anglo-Saxons.
Cette situation peut avoir d’importantes conséquences au
plan interne, où s’affrontent l’ancienne et la nouvelle
génération. Les anciens ont un fort tropisme américain,
quand les jeunes affichent un patriotisme décomplexé.
Paradoxalement, les élites issues de Saint-Petersbourg sont
historiquement favorables à un arrimage européen de la
Russie, au contraire des Moscovites dont la vision est plus
eurasiatique. Or Poutine et Medvedev, tous deux de
Saint-Petersbourg, partagent cette vision eurasiatique. Ils
rêvent la Russie en protecteur de l'Islam et l'ont faite
entrer, comme observatrice, à l'Organisation de la
conférence islamique. Tout en valorisant le Patriarcat
orthodoxe, ils ont placé des musulmans à de nombreux postes
à haute responsabilité —le contraste avec la France est
flagrant—. Même si le traumatisme du démantèlement de la
Yougoslavie et des deux guerres de Tchétchénie reste fort et
que la vague de racisme qui s'en est suivie n'est toujours
pas maîtrisée, la Russie a fait le choix de la civilisation
et pris le chemin de la synthèse entre l'Europe et l'Asie.
Si la Russie parvient à traverser les toutes prochaines
années de graves turbulences internationales sans être trop
affectée, elle se retrouvera en position d'arbitre dans un
monde multipolaire.
Continuons cet intéressant tour du monde géopolitique avec
la Chine…
Je m’interroge sur leur stratégie. Pourquoi ces achats
massifs de bons du Trésor US ? Pékin a pris l'initiative
d'un rapprochement avec Moscou à travers l'Organisation de
coopération de Shanghai. Beaucoup de contentieux ont été
soldés. En retour, les Russes ont accepté de vendre de
l'énergie à un tarif préférentiel aux Chinois et demandé un
contrôle plus strict de l'émigration chinoise en Sibérie. La
logique aurait voulu que les deux grands se renforcent
multuellement en refusant le dollar comme monnaie d'échange
international. Mais Pékin répugne à choisir son camp et ne
veut pas froisser Washington. Les Chinois mènent une
stratégie douce de renforcement de leurs alliances tous
azimuts. Cela me paraît un peu étrange, car cela pourrait
leur couter cher. Les USA pourraient les emporter dans leur
effondrement prévisible.
Au passage, permettez-moi de dire mon agacement face à la
stupide dénonciation des violations des Droits de l'homme en
Chine. Ils sont sans aucun doute possible beaucoup mieux
respectés par Pékin que par Washington—ce qui n'est pas une
excuse pour ne pas s'améliorer, mais relativise ces
accusations—. Et qu'on arête de dire que le Tibet a été
annexé par la Chine en 56, alors qu'il a été repris par les
communistes chinois aux Chinois de Tchang Kaï-Chek.
Un
mot sur l’Amérique du Sud avant de revenir à la France ?
Au-delà de la tendance à l’unification, des stratégies se
sont affirmées face à l'impérialisme. Mais
l’affaiblissement, en attendant plus, des États-Unis crée
une nouvelle situation et peut inciter certains à rebattre
leurs cartes. La protection des économies nationales revient
au premier plan des préoccupations. Paradoxalement, les
États qui souffrent de sanctions sont mieux armés pour
résister à la crise. C’est notamment le cas de Cuba, du
Vénézuela, de la Bolivie ou de l’Équateur —comme c’est le
cas de la Syrie et de l’Iran au Proche-Orient—. Gageons que
nouvelles institutions nationales vont se développer,
parallèlement à la Banque du Sud. C’est la revanche de
l’Histoire.
La
France enfin, ou plus exactement la France de Sarkozy…0;0;0;
La France est une vieille nation que l'on ne peut manœuvrer
en tous sens. Elle a un passé glorieux et s'identifie à un
idéal. Souvent elle s'en écarte, mais toujours elle y
revient. Elle traverse aujourd'hui une mauvaise période car
elle est gouvernée par le « parti de l'étranger ». Ses
dirigeants font le mauvais choix, dans la plus mauvaise
période. Ils ont décidé de placer les armées sous le
commandement de l'OTAN, concrètement sous celui du général
Banz Craddock, le criminel qui créa le centre de torture de
Guantanamo. Et cette trahison, ils l'ont décidée au moment
où les États-Unis s'enfoncent dans la crise. Ils placent la
France à la remorque d'un bateau qui sombre au risque de
l'entraîner dans son naufrage.
Leur servilité ne les pousse pas uniquement à vassaliser les
armées, mais aussi à transformer en profondeur la société
française pour la cloner sur le « modèle » américain. C’est
vrai dans le domaine économique, avec la remise en cause des
services publics, mais également dans les domaines de la
justice ou de l’éducation, de la discrimination positive et
j’en passe.
Sarkozy n’est ni de droite ni de gauche, il imite les
yankees.
Comme je l'ai expliqué de manière détaillée dans un dossier
du magazine russe Profile, il satisfait trois forces : les
Anglo-Saxons, la mafia et la banque Rothschild. Ces gens
sont conscients depuis plusieurs années de l'essoufflement
des États-Unis et pensent garantir le pouvoir de
l'oligarchie financière globale en rééquilibrant l'Empire :
il aurait deux piliers, un états-unien et un européen,
tandis que le Royaume-Uni en serait la charnière. C'est ce
projet que sert Nicolas Sarkozy depuis son élection. C'est
lui qui l'a conduit à casser le couple franco-allemand et à
se rapprocher des Anglais, puis qui l'a conduit à proposer
diverses réorganisations de l'Union européenne, notamment la
création d'un gouvernement économique. Ceci aura pour
conséquence de nous rendre beaucoup plus vulnérables aux
convulsions US.
Pourtant, la France est toujours attendue, et pas seulement
dans le monde francophone. Nous sommes ce pays hors norme
qui a proclamé la souveraineté populaire. On sous-estime
totalement en France le degré de ridicule de Nicolas Sarkozy
et de sa clique aux yeux du reste du monde. Sarkozy apparaît
comme un agité vantard, un instable bourré de tics, jouant
la mouche du coche dans tous les conflits internationaux
possibles, et servant à ses frais de poisson-pilote aux
changements d'humeur de Washington.
Reconstruire une alternative prendra hélas du temps, mais ce
n'est pas une raison pour y renoncer.