Interview
Seyed Hossein Mousavian*: “L’embargo
pétrolier, erreur stratégique de l’Union
européenne”
Seyed
Hossein Mousavian
Dimanche 29 janvier
2012 Marina Forti est
journaliste -et ancienne rédactrice
en chef- au quotidien
il
manifesto et écrit le plus
souvent des articles sur les
questions de politique intérieure,
dissidence, environnement,
droits-de-l'homme et surtout des
femmes (de préférence dissidentes)
de certains pays dont les
gouvernements (appelés "régimes")
sont systématiquement attaqués par
son journal, au premier rang
desquels la République islamique
d'Iran.
Sans accès, évidemment, à l'échange
original, voici la traduction
intégrale du compte-rendu de
l'interview qu'elle a réalisée par
email à Seyed Hossein
Mousavian.
Je me suis abstenue de traduire la
présentation faite par l'auteur et/ou la
rédaction du journal, que vous trouverez
grâce au lien en bas de texte.
M.-A. P.
Interview réalisée
par email par Marina Forti
S. H. Mousavian
a été ambassadeur de la République
Islamique d’Iran en Allemagne, chef de
la commission affaires étrangères du
Conseil de sécurité nationale pendant la
présidence Khatami, et a conduit, de
2003 à 2005, les négociations entre
l’Iran et les trois nations européennes
sur le nucléaire. Après l’élection de M.
Ahmadi Nejad à la présidence de la
République Islamique d’Iran, il a été
conseillé du nouveau négociateur en chef
Ali Larijani. Il est actuellement
chercheur associé à l’université
Princeton, aux Etats-Unis.
Comment
commentez-vous la décision européenne de
déclarer l’embargo sur le pétrole d’Iran
et de geler les biens de la Banque
centrale iranienne en Europe ?
Pensez-vous que les sanctions pousseront
l’Iran à modifier sa politique
nucléaire ?
Les Européens ont
fait une grave erreur stratégique. Ils
pouvaient jouer un rôle constructif en
engageant un dialogue avec Téhéran : au
contraire, ce geste a détruit les
fondements des relations entre Europe et
Iran établies au dernier siècle. Les
sanctions, de tous types, vont créer des
dommages pour l’économie iranienne et
pour ses citoyens, mais ne pousseront
pas l’Iran à renoncer à ses droits
légitimes garantis par le Traité de Non
Prolifération, qui incluent
l’enrichissement de l’uranium. L’Iran a
subi des sanctions depuis la révolution
de 1979, et cela n’a pas empêché le pays
de faire de grands progrès dans les
domaines du nucléaire et des
technologies chimiques, biologiques et
balistiques.
L’embargo
s’accompagne de l’échange de menaces à
propos du Détroit d’Ormuz, tandis que se
multiplient les voix d’une attaque
possible militaire d’Israël contre les
sites nucléaires iraniens. Aux
Etats-Unis aussi on parle d’ « option
militaire ». Croyez-vous que le risque
d’affrontement militaire soit réel ?
D’après
les dernières déclarations officielles
des ministères des affaires étrangères
et de la défense, l’Iran ne menace pas
de fermer le Détroit d’Ormuz. Le risque
d’attaque militaire est réel, mais j’ai
confiance dans le fait que les
Etats-Unis ne la cherchent pas et sont
bien conscients qu’elle aurait des
conséquences catastrophiques, qui
entraînerait la communauté
internationale dans un chaos ingérable.
Les Israéliens ? Je ne crois pas qu’ils
attaqueront l’Iran sans l’accord de
Washington, et du reste une attaque
militaire contre l’Iran menacerait plus
que jamais l’existence d’Israël.
Néanmoins, je crois que tant que la
politique des Etats-Unis est fondée sur
« toutes les options sont sur la
table », la politique iranienne ne
changera pas.
Et le Détroit d’Ormuz serait une
des victimes d’une attaque militaire
contre l’Iran.
Les citoyens
occidentaux entendent dire que l’Iran
veut construire des armes nucléaires, et
que même un Iran doté seulement de
« capacité nucléaire » serait une menace
inacceptable. L’Iran est-il en mesure de
construire des armes atomiques ? Et
selon vous, Téhéran continue-t-il à ne
pas vouloir la bombe atomique ?
Je peux dire avec
certitude que l’Iran n’entend pas
développer des armes atomiques. L’Iran
est membre du Traité de Non
Prolifération et ne veut pas d’armes
nucléaires. Ce n’est pas tout : l’Agence
internationale pour l’énergie atomique,
Aiea, a confirmé en de nombreuses
occasions que l’Iran n’a pas dévié son
programme nucléaire vers des objectifs
belliqueux -tandis qu’Israël est le seul
pays au Moyen-Orient qui a des armes
nucléaires et rejette les requêtes de
l’Aiea et de la communauté
internationale (d’ouverture de ses
sites aux inspecteurs de l’Aiea, NdT).
Oui, l’Iran a atteint la capacité
nucléaire, c’est-à-dire est en mesure de
construire des armes atomiques s’il
décidait de le faire. Avoir cette
capacité n’est cependant pas une
violation du Tnp. D’autres états membres
du Traité sont en capacité de construire
des armes atomiques et ne sont pas pour
autant sous surveillance internationale.
Plus encore : dans une situation
manifeste de double standard, les
Etats-Unis et l’Occident ont établi des
relations stratégiques avec des états
qui ont des armes atomiques et ne sont
pas membres du TNP, comme l’Inde, le
Pakistan et Israël. Le fait est que
l’attitude contradictoire de l’Occident
sur les armes nucléaires et de
destruction de masse est justement un
désastre pour l’avenir de la
non-prolifération. Les pressions et
l’hostilité imposées à l’Iran sont
énormes, sans aucune comparaison avec
celles qu’on fait à la Corée du Nord :
et pourtant l’Iran est membre du TNP et
n’a pas de bombes atomiques alors que la
Corée du Nord s’est retirée du TNP et a
des armes nucléaires. En substance,
l’Occident se trouve ainsi en train de
dire à l’Iran : si tu dois payer un prix
aussi cher, autant avoir la dissuasion,
c’est-à-dire avoir la bombe atomique.
Dans ces
circonstances, voyez-vous la possibilité
d’une reprise du dialogue entre l’Iran
et les puissances du Conseil de
sécurité ?
Les Iraniens ont
fait savoir qu’ils sont prêts à des
rencontres fondées sur le respect
mutuel, même en présence de nouvelles
sanctions, menaces et isolement.
Récemment le ministre des affaires
étrangères iranien Ali Akbar Salehi a
dit que Téhéran est prêt à reprendre les
pourparlers avec les six puissances
mondiales, dès que lieu et date seront
convenus. Les négociations passées ont
échoué parce que les P5+1 n’étaient pas
disposés à reconnaître les droits
légitimes de l’Iran sur la base du TNP,
qui incluent l’enrichissement de
l’uranium. Si l’Occident modifie sa
position irréaliste, l’Iran sera ouvert
à la plus grande transparence et à des
mesures de « construction de la
confiance ». Je me souviens que les
Iraniens avaient récemment offert de
limiter l’enrichissement de l’uranium à
20% en échange de la fourniture de
barres de combustible nucléaire pour le
Réacteur de recherche de Téhéran.
Cette offre est encore sur la
table : et si l’Occident est préoccupé
par la possibilité que l’Iran puisse
enrichir son uranium jusqu’au niveau
nécessaire à des usages belliqueux,
cette offre devrait les rassurer. Plus
important encore, il y a le "plan russe
step by step », pas à pas, qui
couvre toutes les principales requêtes
de l’Iran, du P5+1, et des résolutions
de l’Aiea et du Conseil de sécurité. Ce
plan comporte l’intégration du Protocole
adjonctif et des Accords subsidiaires,
traite des « présumées études
militaires » et même de la suspension
pour procéder pendant une période brève
à la révocation des sanctions et
normaliser le dossier nucléaire iranien.
Aussi bien le président Mahmoud Ahmadi
Nejad que le premier ministre Salehi ont
dit que l’Iran était disponible pour en
discuter les détails. C’est un plan qui
peut conduire à une solution
diplomatique réaliste et
pacifique. Mais les Etats-Unis et
l’Union européenne l’ont rejeté.
En 2004 vous
avez négocié l’accord entre Téhéran et
trois nations européennes qui ont
conduit à la suspension du programme
d’enrichissement. Téhéran a ensuite
dénoncé l’accord : est-ce la conséquence
du changement d’administration en Iran
après le présidentielles de 2005, quand
le président Mahmoud Ahmadi Nejad a été
élu ?
Non : depuis le
début, la suspension du programme
d’enrichissement
acceptée par Téhéran était un
geste volontaire, temporaire et non
aliénant, une mesure de « construction
de la confiance ». Six mois avant ces
présidentielles, quand personne ne
pouvait imaginer que Mahmoud Ahmadi
Nejad allait devenir président, nous
avions déjà dit à nos interlocuteurs
européens que l’Iran n’aurait pas toléré
une suspension indéfinie et que si eux
n’étaient pas en mesure de faire avancer
l’accord, Téhéran aurait repris
l’enrichissement sans préjuger des
conséquences. Le droit légitime de
l’Iran à la technologie nucléaire,
enrichissement inclus, a été une ligne
rouge pour toutes les administrations
iraniennes, avant et après la
révolution, et le restera à l’avenir
malgré des pressions et sanctions.
Pouvez-vous
nous dire pourquoi vous avez été arrêté
en 2007, et pourquoi après les
présidentielles de 2009 vous avez choisi
de quitter l’Iran, fut-ce
temporairement ?
En
avril 2008 la magistrature iranienne m’a
condamné à deux années de prison, à
présent suspendues, et à cinq années
d’interdiction de charges diplomatiques.
J'ai quitté le pays en juillet 2009
parce que j’ai décidé d’utiliser ce
temps pour me consacrer au travail
universitaire, et c’est ce que je suis
en train de faire comme chercheur à
l’université de Princeton. Quant aux
raisons de mon arrestation, j’ai décidé
à l’époque de garder le silence et je
continuerai à le faire.
* Curieusement,
on ne trouve pas sa biographie en
français sur Wikipedia, ni d’articles de
lui ou sur lui disponibles en français
sur Internet, NdT.
Edition de samedi
28 janvier 2012 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20120128/manip2pg/09/manip2pz/317179/
Traduit de
l’italien par Marie-Ange Patrizio
Le
dossier Iran
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