Interview
« Les Français ont
soif de justice sociale »
Salim
Lamrani
© Salim
Lamrani
Vendredi 11 mai 2012
Cecilia Diwan
Radio Nacional de Argentina
http://www.radionacional.com.ar/
Cecilia Diwan : Quel impact aura le
triomphe de Hollande dans ces élections
présidentielles en France, d’abord au
niveau national et ensuite en Europe ?
Salim Lamrani :
Je crois que l’élection de François
Hollande à la présidence de la
République français revêt une importante
primordiale pour plusieurs raisons. Elle
marque sans aucun doute une rupture avec
le gouvernement néolibéral précédent,
qui s’en est pris aux acquis sociaux. Le
bilan du gouvernement de Nicolas Sarkozy
est désastreux à cet égard. Il est
l’auteur du plus important plan social
de la Ve République avec la suppression
de 150 000 postes de fonctionnaires en 5
ans. Il a augmenté l’âge de départ à la
retraite. Il a privatisé de nombreux
services publics. Il a fermé des écoles
et des hôpitaux. Il a offert des cadeaux
fiscaux aux classes les plus aisées de
la société. La dette française a
explosé. Elle a été multipliée par deux
en l’espace de cinq ans. Elle s’élève
désormais à 2 000 milliards d’euros. Par
ailleurs, il y a près de 10% de la
population française active qui se
trouve sans emploi. Il y a également
plus de 8 millions de citoyens qui
vivent en dessous du seuil de pauvreté
dans un pays qui est la cinquième
puissance mondiale et qui est deux fois
plus riche qu’il y a 20 ans.
Le grand problème en France n’est pas le
manque de richesse mais sa mauvaise
répartition. Ceux qui ont voté pour
François Hollande attendent de lui qu’il
résolve cette situation. De fait,
Hollande a parlé de justice lors de son
premier discours, car les Français,
après cinq ans de gouvernement
néolibéral, ont soif de justice sociale
et ils l’ont démontré lors de cette
élection. Il convient de rappeler que la
devise officielle de notre République
est « liberté, égalité, fraternité ».
Ceci est un premier point.
Au niveau européen, l’élection de
Hollande est importante car pour la
première fois depuis la crise financière
de 2008 et l’application de mesures
d’une austérité extrême, un candidat de
gauche remporte des élections
présidentielles. Dans toute l’Europe, il
y a une majorité de gouvernements
conservateurs, partisans de
l’application de plans d’ajustement
sévères. Avec l’élection de Hollande,
une brèche est ouverte en Europe en
faveur d’une alternative politique qui
ne soit pas cette vague néolibéral qui
est en train de détruire tous les acquis
sociaux. L’axe Sarkozy-Merkel est ainsi
rompu. Désormais, l’Allemagne d’Angela
Merkel, favorable à l’austérité, se
trouve isolée. Hollande a déclaré lors
de son premier discours que
« l’austérité ne peut pas être une
fatalité en Europe ». Il s’agit d’une
rupture très importante.
Le nouveau président français semble
avoir compris que les politiques
actuelles d’austérité promues par les
institutions financières internationales
et la Banque Centrale Européenne, et qui
s’appliquent en Europe, ont exactement
l’effet inverse de ce qu’elles
prétendent susciter. En effet, la
réduction des coûts, la diminution des
salaires et des pensions de retraites –
au-delà des conséquences sociales et
humaines qu’elles entraînent –
conduisent inévitablement à la
récession, à une contraction de
l’économie.
CD : Quelles mesures peut-on espérer
donc suite à cette rupture ? Il affirme
qu’il va rompre avec cette voie de
l’austérité. Quelles mesures peut-on
espérer de Hollande, surtout si l’on
prend en compte que Merkel n’est pas
disposée à renégocier ce pacte
budgétaire (le traité européen) qui est
en train d’être appliqué en Europe ?
SL :
Effectivement, le principal problème est
celui de la dette. Il y a deux options :
le statut quo que préconise Angela
Merkel ou une réforme de la Banque
centrale européenne afin de lui
permettre de prêter directement aux
Etats.
Le cas emblématique de la crise
financière en Europe est le cas de la
Grèce. Nous savons que la crise grecque
aurait pu être évitée. Il aurait suffi
que la Banque centrale européenne prête
directement à la Grèce, à Athènes, les
sommes nécessaires, avec le même taux
d’intérêt que celui réservé aux banques
privées, c’est-à-dire entre 0% et 1%.
Cela aurait empêché toute spéculation
sur la dette de la part de la finance.
Mais le problème est que le Traité de
Lisbonne, qu’Angela Merkel veut
maintenir à tout prix, et que – soit dit
en passant – le peuple français a rejeté
par référendum en 2005, mais que le
président Sarkozy a imposé par voie
parlementaire trois ans plus tard contre
la volonté des citoyens, interdit la
possibilité que la BCE prête directement
aux Etats.
Je crois que Hollande peut convaincre
les autres nations parce que d’abord,
les politiques d’austérité sont
économiquement inefficaces, et ensuite
il est difficile de construire l’Europe
sans la France qui est la seconde
puissance, tout comme il serait
difficile d’édifier une Amérique latine
unie sans l’Argentine qui en est la
troisième puissance.
CD : Nous sommes en train de parler de
ce qui va se passer en Europe après le
triomphe de Hollande. Que peut-on
espérer en France en tenant compte du
fait qu’en général quand un président
gagne les élections, il dispose de 100
jours d’état de grâce ? Ensuite les
exigences se font sentir. Mais Hollande
devra faire face en juin à des élections
législatives. Qu’attend-t-on de ces
élections en prenant en compte le fait
que l’extrême droite a obtenu un grand
pourcentage des votes au premier tour ?
SL :
Il est vrai que l’extrême droite a
obtenu 17,9%. Mais si l’on compare ce
résultat à celui des élections de 2002,
nous constatons que le pourcentage de
l’extrême droite a baissé. En réalité,
le niveau de l’extrême droite s’est plus
ou moins maintenu.
La nouvelle force politique qui a émergé
du premier tour électoral en France est
le Front de Gauche qui a obtenu 11%,
c’est-à-dire 4 millions de voix,
lesquelles ont permis l’élection de
François Hollande au second tour. 82% de
ceux qui ont voté pour le Front de
Gauche ont opté ensuite pour François
Hollande.
Il est évident que le nouveau président
français souhaite une majorité au
Parlement. Mais il doit axer sa
politique sur le social, améliorer les
conditions sociales du peuple français.
A l’évidence, cela doit passer par
l’augmentation du salaire minimum
(SMIC), ce qui est indispensable. Dans
l’histoire française, dans l’histoire
politique française, à chaque fois que
la gauche l’emporte, on augmente le
salaire minimum.
Il faut augmenter le salaire minimum
parce que c’est logiquement ce qui est
le plus adapté d’un point de vue
économique. En effet, lorsque l’on
augmente le salaire minimum, on stimule
la consommation. Si on stimule la
consommation, les entreprises produisent
davantage pour répondre à cette nouvelle
demande. Pour ce faire, elles devront
embaucher et le chômage baissera. L’Etat
est, bien sûr, gagnant car il dépensera
moins en termes d’allocations chômage et
récoltera des impôts de ces nouveaux
salariés. Je crois que le chemin viable
est l’augmentation du salaire minimum.
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
enseignant chargé de cours à
l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et
l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée,
et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
Salim.Lamrani@univ-mlv.fr
;
lamranisalim@yahoo.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
Le sommaire de Salim Lamrani
Les dernières mises à jour
|