Interview
« Les politiques
d'austérité sont économiquement
inefficaces »
Salim
Lamrani
© Salim
Lamrani
Samedi 5 mai 2012
PROGRAMME: Radio Miami (Miami. 14.50 AM,
4:00-5:00 PM)JOURNALISTE:
Max Lesnik
INVITÉ: Professeur Salim Lamrani
DATE: 25 avril 2012
http://www.radio-miami.org/images/stories/nuevas/audio/replica/04-25-2012.mp3
Max
Lesnik : Bonjour, je suis Max Lesnik,
directeur de Radio Miami dans cette
section de « Dialogue Ouvert » avec
Salim Lamrani, professeur universitaire
français de La Sorbonne à Paris, qui
vient d’arriver de la ville de
Washington où il a participé à un
colloque en faveur de la liberté des
cinq Cubains antiterroristes incarcérés
dans les prisons nord-américaines. Sa
présence à Miami, à l’invitation de la
Alianza Martiana, coïncide avec les
élections françaises, lesquelles
revêtent une grande importance non
seulement pour l’Europe mais également
pour les futurs développements
politiques aussi bien aux Etats-Unis
qu’à Cuba, puisque nous sommes en pleine
année électorale, avec des scrutins au
Mexique et aux Etats-Unis. La France,
première nation de la démocratie, avec
sa Révolution de 1789, fut un exemple
pour le monde à un moment donné de
l’histoire. Peut-être est-ce de nouveau
le cas maintenant, avec cette nouvelle
situation d’affrontement entre le
gouvernement du Président Sarkozy et une
opposition qui vient de remporter le
premier tour, amenée par François
Hollande. Nous verrons si votre analyse
de la situation se confirme dans les
faits.
Première question : Croyez-vous
que le candidat socialiste Hollande
puisse remporter le second tour de
l’élection présidentielle ?
Salim Lamrani : Bonjour Max Lesnik.
Toutes mes salutations aux auditeurs.
Merci de votre l’invitation. Je crois en
effet que le candidat socialiste
François Hollande remportera le second
tour de la présidentielle pour plusieurs
raisons. C’est la première fois qu’un
président candidat ne remporte pas le
tour initial. C’est la première fois
dans l’histoire de la Vème république,
c’est-à-dire depuis 1958, si je ne
m’abuse. Ensuite, Nicolas Sarkozy,
l’actuel président, qui a effectué une
campagne en reprenant les thèmes de
l’extrême droite, avec l’objectif
d’obtenir l’adhésion de ces voix, n’a
pas réussi à convaincre ces électeurs,
lesquels ont voté en majorité pour
Marine le Pen, la candidate du Front
National. Cela ne signifie pas que ces
derniers, déçus par le mandat de Nicolas
Sarkozy, porteront leur voix en sa
faveur au second tour.
ML : Quelle importance revêt un
changement de gouvernement d’abord en
France et ensuite en Europe ou il y a
également une grande crise économique,
excepté le cas de l’Allemagne ? Il est
vrai également que la France a fait face
à la situation d’une manière plus ou
moins efficace, par rapport à des pays
comme la Grèce, l’Espagne et l’Italie.
En réalité, il y a deux Europe : une
Europe plus riche et industrialisée et
une autre un peu en retrait. La France
fait partie du premier groupe comme
l’Allemagne, lequel représente les
économies les plus développées.
L’Allemagne prétend imposer un type de
politique générale d’austérité. En cas
de défaite de Sarkozy et donc de
victoire de Hollande, il y aura un
affrontement idéologique, politique et
économique, au sein de la rivalité
traditionnelle entre les deux pays.
Comment voyez-vous cette situation ?
SL :
C’est pour ces raisons que l’élection de
François Hollande à la présidence de la
République française est d’une grande
importance, car elle mettrait fin aux
politiques d’austérité qui sont
actuellement appliquées à travers
l’Europe.
Le cas emblématique
est le cas de la Grèce. Le peuple grec
subit une crise sans précédent justement
à cause de ces mesures d’austérité. On
aurait pu éviter la crise grecque d’une
façon très simple : il suffisait que la
Banque Centrale Européenne prête
directement à Athènes l’argent dont elle
avait besoin, au même taux d’intérêt que
celui réservé aux banques privées. Mais
le Traité européen, le Traité de
Lisbonne, que le peuple français a
rejeté en 2005 par référendum et qui a
ensuite été approuvé par voie
parlementaire en 2008 contre la volonté
du peuple français, interdit à la Banque
Centrale Européenne de prêter
directement aux Etats. Que se passe-t-il
actuellement ? La Banque Centrale
Européenne prête de l’argent aux banques
privées à un taux de 1% et ces mêmes
banques prêtent à la Grèce à un taux qui
peut atteindre 18%. La dette de la Grèce
est mathématiquement impayable
puisqu’elle doit contracter de nouveaux
prêts rien que pour rembourser les
intérêts de la dette.
Il faut réformer –
espérons que cela soit l’un des
objectifs de François Hollande – ce
Traité européen et autoriser la Banque
Centrale à prêter directement aux Etats.
ML : Que signifierait une victoire de
Hollande pour le reste de l’Europe ?
SL:
Cela signifierait qu’il y a un autre
chemin possible, d’autres alternatives.
Les politiques d’austérité ne sont pas
la seule voie possible. De plus, elles
sont politiquement inefficaces.
Permettez-moi de m’en expliquer. Que se
passe-t-il avec les politiques
d’ajustement, d’austérité ? On réduit
les salaires, on diminue les pensions de
retraites, on détruit les services
publics. Tout cela débouche sur une
contraction de l’économie. Les gens
consomment moins car ils disposent d’un
pouvoir d’achat plus réduit. Donc, les
entreprises réduisent leur production
car la demande est en baisse. Si l’on
réduit la production, il se produira
inévitablement des licenciements, ce qui
augmentera le taux de chômage. Par
conséquent, l’Etat devra dépenser
davantage en aides aux chômeurs et
disposera de moins de revenus puisque
les personnes à la recherche d’un emploi
cesseront de payer des impôts.
ML : Vous croyez qu’une victoire des
socialistes français engendrerait une
nouvelle vague de mouvements et de
partis politiques plus libéraux – dans
le bon sens du terme américain
Libéral, c’est-à-dire progressiste ?
Vous croyez que cela peut avoir une
influence sur les élections futures en
Europe ?
SL :
Sans aucun doute, cela aura une grande
influence, car ce serait la première
fois depuis le début de la crise
économique en 2008 qu’un gouvernement
socialiste, de gauche, gagne dans un
grand pays européen. De plus, l’année
prochaine auront lieu des élections en
Grèce et en Allemagne. Nous, Français,
ouvririons une voie vers une nouvelle
politique, vers un nouveau monde où la
répartition des richesses serait la
finalité. Nous savons pertinemment que
la pauvreté n’est pas due à un manque de
richesses mais à leur mauvaise
répartition.
ML : Donc…
SL :
Pardon, Max. Pourquoi est-il important
d’augmenter le salaire minimum.
Permettez-moi d’effectuer une
démonstration. Si l’on augmente le
salaire minimum, à l’évidence, les gens
qui vivent de ce salaire et qui ont de
nombreux besoins consommeront davantage.
Donc les entreprises produiront plus
pour satisfaire cette nouvelle demande.
Pour cela, elles devront embaucher et
cela aura un impact positif sur le taux
de chômage qui s’en trouvera diminué.
Ces nouveaux travailleurs paieront des
impôts, ce qui augmentera les ressources
de l’Etat, lequel n’aura plus à leur
venir en aide, comme cela était le cas
auparavant. Avec ces nouvelles
ressources, l’Etat pourra développer de
nouveaux programmes sociaux.
ML : Par rapport à Cuba, la victoire des
socialistes signifierait-elle quelque
chose pour les relations entre La Havane
et Paris ?
SL :
A vrai dire, je crois que les relations
bilatérales se sont améliorées peu à
peu, y compris durant les dernières
années du gouvernement de Sarkozy.
L’arrivée au pouvoir d’un gouvernement
socialiste en France renforcerait
davantage ces liens. Elle augmenterait
le commerce bilatéral. En effet, la
présence française à Cuba représente
1,7% du commerce de l’île alors qu’il
était de 10% il y a dix ans, en 2001. Il
y a eu, de la part de la France, une
grande négligence dans le maintien des
rapports commerciaux solides avec Cuba
ML : Les relations avec Cuba
étaient-elles meilleures sous le
gouvernement socialiste de François
Mitterrand ?
SL :
Les relations bilatérales entre Cuba et
la France n’ont jamais été aussi bonnes
que sous le gouvernement de Mitterrand.
ML : Nous savons que l’Espagne, sous le
gouvernement de droite de José María
Aznar, a été le leader de la position
anti-cubaine qui a amené l’Europe à
exiger une série de mesures qui ont
débouché sur une confrontation. La
France pourrait-elle être la nation
leader qui mettrait un terme à cette
position ?
SL :
Effectivement, un gouvernement avec
François Hollande pourrait suivre la
voir du gouvernement espagnol de José
Luis Rodríguez Zapatero qui,
contrairement à son prédécesseur, avait
parfaitement compris que la politique
européenne vis-à-vis de Cuba devait être
indépendante et non pas une copie de
celle de Washington. L’Europe est un
groupe de nations économiquement fort
mais il doit également l’être
politiquement et s’affranchir de la
tutelle de Washington sur sa position
vis-à-vis de La Havane.
Le problème est que
pour lever la Position Commune – qui
réduit les relations entre La Havane et
Bruxelles et qui constitue le principal
obstacle à la normalisation des
relations bilatérales –, il faut un vote
unanime de l’Europe des 27. Si une seule
nation s’oppose à la levée de la
Position Commune de 1996 – qui est
injuste, discriminatoire et inefficace –
on ne pourra pas changer la politique
vis-à-vis de Cuba.
ML : Vous venez d’arriver à Miami en
provenance de Washington où vous avez
participé à un colloque pour la
libération des cinq Cubains
antiterroristes incarcérés aux
Etats-Unis. Pourriez-vous nous en dire
davantage.
SL :
Il s’agit d’un colloque organisé dans le
but de diffuser le cas des Cinq Cubains,
auquel ont participé d’anciens
diplomates étasuniens tel que Wayne S.
Smith, des professeurs d’Université tel
que Arturo López Levy, des avocats tel
que José Pertierra, des acteurs tel que
Danny Glover, ainsi que d’autres
personnes. L’objectif fondamental de cet
évènement était de diffuser la réalité
de ce cas judiciaire extrêmement injuste
qui illustre la grande contradiction de
la politique nord-américaine, dont
l’objectif officiel est de lutter contre
le terrorisme et la réalité des faits
avec l’emprisonnement de cinq Cubains
qui se sont infiltrés dans des groupes
violent dans le but justement d’empêcher
la réalisation d’actes terroristes. En
même temps, ici, à Miami, un terroriste
tel que Luis Posada Carriles, qui a
publiquement confessé ses crimes, reste
impuni. Il est désormais peintre et
exhibe ses tableaux dans des banques de
la ville.
ML : Vous êtes français de naissance et
vous vivez en Europe. Quelle est la
vision d’un jeune professeur français
sur les Etats-Unis et sur les prochaines
élections présidentielles de 2012 entre
le candidat démocrate Barack Obama et le
candidat républicain Mitt Romney ?
Comment voit-on ce processus électoral
depuis la France ? Comment voit-on le
futur des Etats-Unis, qu’ils soient
gouvernés par Obama ou par Romney ?
SL :
En France, nous pensons que Barack Obama
l’emportera sur son rival. En effet, le
candidat républicain Mitt Romney a peu
de chances de vaincre l’actuel président
et…
ML : Vous savez que la droite cubano-américaine
soutient Romney. Vous croyez qu’en
Europe, il y a une opinion positive à
propos de la domination de la politique
étrangère des Etats-Unis vis-à-vis de
Cuba de la part d’une minorité
extrémiste cubano-américaine de Miami ?
SL :
Pour nous, les Européens, la politique
des Etats-Unis vis-à-vis de Cuba est
absurde, irrationnelle, anachronique et
inefficace. Elle va à l’encontre de la
volonté de l’immense majorité de la
communauté internationale qui a voté en
octobre 2011 pour la vingtième année
consécutive pour la fin de l’état de
siège économique que Washington impose à
La Havane, et qui affecte les catégories
les plus vulnérables de la société
cubaine. Le monde préconise la
normalisation des relations entre Cuba
et les Etats-Unis et la fin de
l’hostilité unilatérale de la part de
Washington vis-à-vis de Cuba. Cela doit
commencer par la lever des sanctions
économiques qui ont un coût humain et
matériel terrible.
ML : Vous venez d’entendre Salim Lamrani
dans « Dialogue ouvert » de Radio Miami.
Nous nous retrouvons demain sur Radio
Miami, la radio ouverte à toute opinion
responsable. Merci beaucoup Salim
Lamrani.
SL :
Merci à vous Max et j’en profite pour
saluer de nouveau tous les auditeurs.
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
enseignant chargé de cours à
l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et
l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée,
et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
Salim.Lamrani@univ-mlv.fr
;
lamranisalim@yahoo.fr
Page Facebook :
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