Réseau Voltaire
Robert Baer : « Les autorités militaires
US opposent un véto à toute guerre contre l'Iran »
Propos recueillis par Omid Memarian
Robert Baer
Jeudi 2 juillet 2009
Article original:
http://www.ipsnews.net/...
Robert Baer, ancien agent de la CIA et défenseur intelligent de
l’Empire états-unien, multiplie les critiques sur la gestion US
du dossier proche-oriental. Dans un entretien accordé à l’agence
IPS, il livre sa vision de l’affrontement qui oppose Washington
et Téhéran, et du rôle de Tel-Aviv dans les perceptions
déformées de cette région.
IPS : Certains analystes pensent que
l’attaque israélienne contre le Hamas à Gaza, deux ans après la
guerre des Trente-Quatre jours entre Israël et le Hezbollah,
s’inscrit dans un plan plus vaste qui aboutira à une offensive
armée contre les installations nucléaires de l’Iran ? Israël en
prend-il vraiment le chemin ?
Robert Baer : [1]
Non. Je pense qu’il y a un veto des autorités militaires contre
toute attaque contre l’Iran [2].
C’est tout simplement impossible.
IPS : Pourquoi donc est-ce impossible ?
Robert Baer : Eh bien, c’est impossible ne
serait-ce que parce que nous savons qu’il y aurait des
représailles iraniennes dans le Golfe (arabo-persique). S’il
était attaqué, l’Iran ne se contenterait pas de répliquer très
localement comme le fait le Hamas. L’Iran répondrait au niveau
international. Il n’a d’ailleurs pas le choix : c’est en cela
que consiste sa puissance de dissuasion. Dès lors qu’il est
question de l’Iran, nous marchons sur des œufs, et nous avons
des tas de leçons à assimiler.
Si vous étudiez le site ouèbe des GRI [Gardiens de la
Révolution Iranienne], vous prendrez connaissances des leçons
qu’ils ont retenues de la guerre Iran-Irak. Ce fut une guerre
d’usure, le genre de guerre qui ne se termine pour ainsi dire
jamais. Ce genre de guerre, vous ne pouvez pas la gagner, en
particulier pas contre les Etats-Unis. Alors ils ont mis au
point un autre moyen stratégique, alternatif et asymétrique,
redoutablement efficace : la guérilla.
Je ne sais pas si vous le savez, mais les forts en thème, en
Iran, sont entrés dans les Pasdaran [les Gardiens de la
Révolution], sans être pour cela nécessairement des fanatiques.
Dans un certain sens, ce sont essentiellement des nationalistes.
A ce que j’en ai vu, ces gens, chez les Pasdaran, au niveau
opérationnel, sont probablement les penseurs politiques et les
commandos de guérilla les plus capables et les plus intelligents
au Moyen-Orient, Israël et Jordanie inclus. Ils savaient et ils
savent exactement ce qu’ils faisaient et font. De plus, il est
évident qu’ils ne rentrent dans aucune des cases de la vie
politique iranienne.
IPS : L’éventualité d’une attaque
israélienne limitée contre les installations nucléaires
iraniennes est-elle également exclue ? En particulier lorsqu’on
sait, grâce à un article du New York Times, qu’en 2008, les
dirigeants israéliens ont demandé au Président Bush de procéder
à une telle attaque, ce que le président américain a, toutefois,
refusé ?
Robert Baer : C’est totalement hors de
question. Même Bush l’avait compris ! Le New York Times
voit juste, quand il écrit que si Bush a mis son veto à toute
attaque israélienne, c’est pour la simple et bonne raison qu’il
existe, au Moyen-Orient, un équilibre des forces entre les
Etats-Unis et l’Iran, et que cet équilibre est vraiment, comment
dire ?... équilibré ! Je précise : bien entendu, pas en termes
de nombres de tanks projetables par voie aérienne ou en
sous-marins, mais bien en matière de monopole de la violence.
Là, il y a égalité.
Cela ne fait aucun doute qu’il y a égalité. Nous pourrions
bombarder Téhéran, certes. Et puis après ? Après : rien. Cela
équivaudrait au bombardement d’un complexe de l’Onu par Israël à
Gaza. Qu’est-ce que cela apporte aux Israéliens ? Rien. Oui, ils
ont pu le détruire, le compound de l’Onu, mais qu’est-ce que
cela leur a apporté ? Le Hamas est toujours là.
Vous pouvez bombarder toutes les bases militaires iraniennes
durant deux semaines, mais l’Iran sera toujours là ; et il aura
toujours la capacité de projeter sa puissance, de projeter sa
volonté et sans doute même de ressortir encore plus fort
qu’avant de ce type de conflit. Et puis, pour l’Iran, la
puissance militaire est tellement bon marché que le prix du
pétrole lui importe peu, pour la simple et bonne raison que le
fait d’armer le Hezbollah ou de soutenir le Hamas à Damas ne lui
coûte pratiquement rien. Vous voyez, même si le prix du pétrole
chutait jusqu’à 10 dollars le baril, l’Iran pourrait sans aucun
problème se payer ce type de défense.
IPS : Obama ne cesse de mentionner sa
volonté de parler avec les dirigeants iraniens et sa volonté
d’apporter un changement à la politique étrangère des
Etats-Unis. Jusqu’à quel point la nomination de Dennis Ross en
tant que principal conseiller en matière de politique iranienne
peut-il contribuer à la réalisation de ses promesses ? [3]
Robert Baer : En ce qui concerne Dennis
Ross, le point important, c’est que les Israéliens sont à l’aise
avec lui. Si un dialogue avec l’Iran s’instaure, les Israéliens
savent qu’il ne les trahira point. Je veux dire qu’ils ont eu
des années et des années pour mettre ce type à l’épreuve. Il est
juif, il a toujours été franc avec les Israéliens, il a
accompagné leurs projets, y compris les plus fous. Si un
dialogue s’ouvre entre les Etats-Unis et l’Iran, les Israéliens
savent qu’ils n’auront pas de mauvaise surprise. Si Obama avait
recruté un homme totalement neuf, quelque professeur de Harvard
que les Israéliens ne connaîtraient pas, ils l’auraient
immédiatement ostracisé et mis au congélateur, et il y aurait eu
d’énormes contrecoups, d’ordre politique.
IPS : Quand on connaît les positions de
Ross sur certaines questions au Moyen-Orient et en particulier
sur l’Iran, ces dix dernières années, comment Obama pourrait-il
adopter une politique étrangère nouvelle dans cette région du
monde ?
Robert Baer : Bon. Obama a besoin du soutien
du parti démocrate pour faire passer ces choses sur le plan
politique, et c’est la raison pour laquelle il a fait appel à
des gens tels que Dennis Ross et Dennis Blair [4],
le Directeur du Renseignement National, tout simplement parce
qu’il a besoin de ce soutien politique. Il ne peut pas recruter
des gens qui n’auraient pas fait leurs preuves et les laisser
affronter le parti démocrate. En effet, s’il y a une ouverture
américaine en direction de l’Iran, cela se fera avec une
certaine connivence d’Israël, sans doute silencieuse, tout
simplement parce que les Israéliens ne pourront rien faire
d’autre que l’accepter.
Dans la vie politique américaine, vous ne pouvez rien faire
au Moyen-Orient sans le feu vert de Tel Aviv, tout au moins à un
certain niveau. C’est totalement impossible. Je veux dire : je
ne vois pas d’autre cas, dans l’Histoire, ou un pays (de plus,
une superpuissance) qui soit aussi pieds et poings liés
vis-à-vis d’un pays aussi minuscule qu’Israël ! Non, je n’en
vois aucun. Je ne peux même pas y songer.
IPS : Et pourquoi est-ce ainsi ?
Robert Baer : Voyez New York City. Prenez
tous les plus grands journaux. Ils ont un agenda sioniste. C’est
une évidence. Je ne suis pas juif. Moi (du point de vue
religieux), je ne suis rien du tout, d’ailleurs. Je ne suis pas
intéressé par les Israéliens. Et je ne suis pas antisémite non
plus. C’est simplement une donnée de fait. J’ai proposé à mon
éditeur d’écrire un nouvel ouvrage, sur Israël. Il m’a dit :
« Vous feriez mieux de laisser tomber ». Personne ne peut dire
la vérité, au sujet d’Israël. Personne. Le seul endroit au monde
où vous pouvez dire la vérité sur Israël, c’est en Israël.
Là-bas, en Israël, les gens vous raconteront des choses que vous
n’entendrez jamais aux Etats-Unis.
IPS : Quel genre de choses ?
Robert Baer : Par exemple, pourquoi les gens
qui vivent à Gaza sont-ils tellement malheureux ? Eh bien, si
vous deviez vivre toute votre vie en prison, vous, vous seriez
heureux ? Voilà le genre de chose que vous ne lirez jamais dans
le New York Times. Ouvrez le New York Times :
c’est quasiment un prolongement d’Israël.
IPS : Quel est l’impact du conflit à Gaza
sur le devenir des relations irano-israéliennes et des relations
irano-américaines ? Les dernières attaques israéliennes
ont-elles totalement détruit le Hamas ?
Robert Baer : Bien sûr que non ; c’est
totalement impossible. Le Hamas, c’est un concept, c’est une
idéologie. Le Hamas n’est pas une organisation. Oui, c’est ça :
le Hamas, c’est une idée, et à moins que les Israéliens
n’entrent à Gaza et ne forcent un million et demi de personnes à
fuir en Egypte, ils ne contrôleront jamais la bande de Gaza. Ils
peuvent faire une opération terrestre, massacrer tous les
dirigeants et jeter dix mille personnes en prison : le Hamas
n’en ressortira qu’encore plus puissant. Les grands perdants,
dans l’histoire, ce sera les gens du Fatah.
IPS : Quelles sont les principales
caractéristiques du comportement militaire et politique du Hamas
et du Hezbollah ?
Robert Baer : Les deux ont redéfini le
concept de l’inscription de la guerre à l’intérieur d’une
géographie donnée. Le fait que le Hezbollah se soit installé
dans des souterrains, ou qu’il utilise des fibres optiques pour
ses communications démontre une combinaison entre une énorme
sophistication et une stratégie guerrière quasi primitive. Je
veux dire : quelle armée, au monde, utilise-t-elle des fibres
optiques, mis à part le Hezbollah ? Il est totalement impossible
d’intercepter des communications par fibre optique, c’est
imparable.
Regardez [le leader du Hezbollah Hassan] Nasrallah : il a
totalement redéfini la politique islamique, du simple fait qu’il
a conclu une alliance avec des chrétiens. Ben Laden, lui, les
chrétiens, il veut les occire. Si je voulais symboliser
l’opposition totale entre eux, je ne retiendrais que cela :
Nasrallah considère, quant à lui, que les chrétiens sont ses
alliés.
Propos recueillis par Omid Memarian pour
Ipsnews.net.
Notes du Réseau Voltaire
Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier
[1]
Ancien agent de la CIA, Robert Baer a été considéré comme l’un
des meilleurs agents de terrain au Proche-Orient. Depuis son
départ de l’Agence, il a publié de nombreux livres à succès,
dont La Chute de la CIA - Les
mémoires d’un guerrier de l’ombre sur les fronts de l’islamisme,
Gallimard, collection « Folio documents », Paris, 2002. et
Or noir et Maison-Blanche - Comment
l’Amérique a vendu son âme pour le pétrole saoudien,
Gallimard, collection « Folio documents », Paris, 2002. Ces
ouvrages ont inspiré le film
Syriana.
M. Baer fait partie des
nombreux experts US qui contestent la
version bushienne des attentats du 11-Septembre.
[2]
Le Réseau Voltaire a été le premier média à analyser le
revirement de Washington face à l’Iran. Voir « Washington
décrète un an de trêve globale »,
par Thierry Meyssan, Réseau
Voltaire, 3 décembre 2007. « Pourquoi
McConnell a-t-il publié le rapport sur l’Iran ? »,
Horizons et débats,
17 décembre 2007.
[3]
Dennis Ross a longtemps été l’alter ego de Paul Wolfowitz. Il a
mené une brillante carrière au Pentagone, puis au département
d’État. Il a co-fondé le Washington Institute for Near East
Policy (WINEP), le think tank du lobby pro-Israélien aux
États-Unis (AIPAC). Il est aujourd’hui conseiller spécial de la
secrétaire d’État Hillary Clinton pour les questions
proche-orientales, mais devrait prochainement rejoindre le
Conseil de sécurité nationale à la Maison-Blanche comme
conseiller du président pour l’Iran.
[4]
L’amiral Dennis Blair a notamment été directeur associé de la
CIA pour le soutien militaires aux opérations, puis chef du
Pacific Command. Considéré comme un possible chef d’état-major
interarmes, il avait été écarté par Donald Rumsfeld,
principalement en raison de son amitié personnelle avec les
Clinton. Obama en a fait le directeur du Renseignement national
malgré la désapprobation affiché de John McCain pour les
républicains.
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