Interview
Libye:
Interview de Ali al-Ahwal, coordinateur
du Forum des tribus
Gilles Munier
Samedi 2 juillet
2011
Le pouvoir légitime des tribus libyennes
(Afrique-Asie – juillet 2011)
Propos recueillis par Gilles Munier
Un
Forum national des tribus libyennes,
réuni à Tripoli en mai dernier, a plaidé
entre autre pour l’adoption d’une
nouvelle constitution. Seïf al-islam,
fils du colonel Kadhafi, n’attendait que
cela. Le 16 juin, il en a annoncé
l’élaboration dans une interview au
quotidien italien
Corrierre della Serra,
ainsi que l’organisation d’une élection
présidentielle avant la fin de l’année,
surveillée par des observateurs
internationaux. Pour couvrir les débats
passionnés entre tenants du Livre Vert
et partisans du changement, il a promis
de libérer l’information. La preuve sera
faite, a-t-il dit, que le Guide
jouit toujours d’un soutien populaire
majoritaire. Il a assuré qu’en cas
d’échec son père quitterait le pouvoir.
Les rebelles de Cyrénaïque
accepteront-ils le challenge ? La
réponse n’est pas à attendre de
Benghazi, selon Seïf al-islam, mais de
Nicolas Sarkozy qui les sponsorise.
Hillary Clinton, la secrétaire d’État
américaine, a coupé court à cette
proposition arguant que c’était «
un peu tard
» ! Jusqu’à la fin de la crise, le
Forum des tribus
siégera en permanence. Si nécessaire, il
assurera la continuité de l’Etat en cas
de vacance du pouvoir.
Les tribus font une entrée remarquée sur
la scène libyenne. Comment
expliquez-vous ce retour en force ?
Le peuple libyen est composé d’environ
2000 tribus, clans et notables qui
jouent un rôle primordial dans la
défense du pays. Le Forum des tribus
a élu un conseil de 200 membres et
partagé la Libye en quatre zones
représentées par des comités.
Dernièrement, nous avons condamné les
visites de Sarkozy et de Cameron à
Benghazi. Ce sont des immixtions
inacceptables dans les affaires
intérieures d’un pays souverain, une
preuve qu’il encourage la partition de
la Libye. Ce n’est pas la première fois
que les tribus sont sur le devant de la
scène nationale. C’était déjà le cas
dans l’Antiquité égyptienne, grecque et
romaine. Plus récemment, après la chute
de l’Empire ottoman, les Italiens ont
cru occuper la Libye en une semaine. Il
suffisait, disaient-ils, de bombarder
les côtes du pays pour le conquérir. Ils
ont vite déchanté. La menace à laquelle
nous faisons face aujourd’hui est du
même ordre. On veut recoloniser la Libye
et nos ennemis sont l’OTAN, la France,
la Grande-Bretagne, l’Italie, et des
Emirats du Golfe, notamment Qatar.
Alors, nous reprenons les armes pour
repousser l’agression et préserver
l’unité de notre pays. Nous ne voulons
pas que le sang libyen coule. La crise
peut se régler pacifiquement, par la
négociation. Dans le communiqué final de
notre forum des 5 et 6 mai, nous avons
demandé une amnistie générale. Plusieurs
centaines de prisonniers arrêtés les
armes à la main, ont été libérés.
Etes-vous parvenu à entrer en contact
avec les rebelles ?
Nous avons envoyé des émissaires
rencontrer les chefs de tribus de l’Est.
Les rebelles ont tué l’un d’eux. Nous
avons alors organisé une réunion de
dignitaires religieux à Brega et demandé
aux tribus de l’Est d’envoyer des
représentants : l’Otan a bombardé le
bâtiment où ils dormaient, tuant 16
imans et blessant 55 personnes. Un
carnage… C’est clair, l’OTAN ne veut pas
que les Libyens se concertent entre-eux
pour décider de leur avenir. Pour nous,
le Conseil de Benghazi n’a aucune
légitimité. Qui en a élu ses membres ?
Personne. Ils ne règnent que par la
grâce et les armes de l’OTAN, l’argent
des Emirs du Golfe. Que les Emirats
libèrent les Iles Abou Moussa, occupées
par l’Iran, au lieu de s’occuper de nos
affaires !
Quelle est votre relation avec le Guide?
Lors du Forum des tribus, nous
avons dit que Mouammar Kadhafi est un
leader historique, un symbole de la
Révolution et le fondateur de la
Jamahiriya. Il a libéré la Libye des
bases britanniques et américaines,
libéré les puits de pétrole. A l’époque,
90% des revenus étaient empochés par les
compagnies étrangères. Aujourd’hui,
c’est l’inverse. Alors, l’OTAN voudrait
qu’il quitte le pays. Cette question ne
concerne que lui et les Libyens. Lui
absent, il y aurait des risques de
conflits entre les tribus, de luttes
pour le pouvoir.
Mais, Mouammar Kadhafi n’est pas
éternel…
Les tribus ont toujours pris leurs
responsabilités. Par exemple, en 1918,
quand les Turcs ont quitté le pays,
elles ont fondé la première république
libyenne. Elles ont ensuite lutté contre
la colonisation italienne. De Gaulle,
Churchill, Mao, Nasser, Tito, sont
morts… ils ont été remplacés. Un autre
leader surgira inévitablement du peuple
libyen. Mais, je dois tout de même faire
remarquer que Mouammar Kadhafi a remis
tous ses pouvoirs au peuple, qu’il n’est
plus président depuis 42 ans. Le peuple
décidera donc de la façon dont il voudra
être dirigé et par qui.
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 2 juillet 2011 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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