Entretien
Texte intégral de l’entretien exclusif
du Président syrien à l’occasion du
cinquantenaire du quotidien « Al-Thawra »
Par
Bachar al-Assad
Mardi 9 juillet 2013
L’expérience de la gouvernance des
Frères Musulmans avait échoué avant même
de commencer. Ce qui se passe en Égypte
traduit la faillite du soi-disant Islam
politique. L’extrémisme religieux tout
autant que l’aliénation à l’Occident
sont destructeurs de notre identité. Le
terrorisme est un cancer qui doit-être
extirpé.
1. Monsieur le Président, en période de
crise, la patrie est censée rassembler
tous ses enfants. Que s’est-il passé
pour qu’en Syrie nous en soyons arrivés
là où nous en sommes ?
Pour commencer, je
vous souhaite la bienvenue. Croyez que
je suis heureux de vous accueillir en ce
jour du cinquantième anniversaire du
quotidien « Al-Thawra », un
quotidien
cher au cœur de tout syrien patriote
quel que soit son engagement politique.
Il nous arrive de
considérer la patrie comme un territoire
géographiquement bien défini qui
rassemble un groupe de personnes, alors
que la patrie est appartenance… que
l’appartenance signifie culture… et que
l’appartenance et
la
culture constituent l’identité. De ce
point de vue, lorsque notre appartenance
est une, notre patrie est pour tous !
Pour mieux me faire comprendre, je
dirais que lorsque le colonialisme s’en
est allé de Syrie, il n’est pas parti
pour nous permettre de nous libérer. Il
est parti pour nous coloniser par de
nouveaux moyens, dont le plus
remarquable fut de semer la discorde
comme préalable à la division puis la
partition.
Or la partition ne se
traduit pas uniquement par une frontière
terrestre dessinée par le colonisateur,
ce n’est pas fondamental. La vraie
partition, la partition la plus
dangereuse est celle qui touche à
l’identité, car lorsque nous vivons sur
une même terre, mais avec des identités
fragmentées, cela signifie qu’existent
des patries fragmentées au sein de ce
que nous pensons être une seule et même
patrie,
chacun des groupes culturels ayant
tendance à s’isoler des autres groupes
dans ce qui deviendrait sa patrie
privée. C’est dans ce cas que vous
pouvez parler d’une patrie qui ne
rassemble plus tous ses enfants. C’est
ce concept qui vous permet de dire que
le colonialisme a réussi, jusqu’à un
certain point, à créer des groupes
isolés et exclusifs les uns des autres,
considérant leur idéologie et leur
appartenance comme seule vérité et, en
quelque sorte, leur patrie ; toutes les
autres n’étant pas autorisées.
Ce succès n’a pas été atteint du jour au
lendemain, mais en plusieurs étapes. Je
pense que la première de ces étapes
remonte à la chute de l’État des
Omeyyades. C’est dès cette époque qu’a
commencé « le jeu sur les identités »
pour créer des fissures au sein de nos
sociétés et démolir ce qu’elles avaient
en partage. C’est ainsi que l’Histoire
ancienne a vu tomber l’État des
Omeyyades puis celui des Abbassides.
C’est ainsi que l’Histoire moderne a vu
tomber la Palestine !
Quant aux fissures dont nous voyons les
conséquences dans notre Histoire
contemporaine, je crois qu’elles ont
commencé avec l'émergence des Frères
Musulmans et qu’elles sont allées en
s’aggravant depuis l'indépendance en
raison du rôle nocif qu’ils ont joué
dans un certain nombre de pays arabes,
dont la Syrie. Les Frères Musulmans sont
à l’origine de la première fissure, la
fissure fondamentale entre l’arabité et
l’Islam. Ils ont essayé de créer deux
patries : une patrie pour les Islamistes
et une patrie pour les nationalistes.
Ainsi, « la pensée
colonisatrice » n’a jamais cessé de se
manifester au travers de guerres
successives, dont la « Guerre du Liban »
qui avait pour objectif la création
d’une patrie pour les Musulmans et d’une
autre patrie pour les Chrétiens. C’est
là que les conséquences de l’activisme
des Frères Musulmans sur le terrain sont
devenues plus lisibles, la plus
importante et la plus dangereuse d’entre
toutes étant la présence d’ « Al-qaïda »
à laquelle l’Occident n’a pas manqué de
prodiguer son soutien sur fond de
révolution islamique en Iran ;
révolution venue soutenir la cause
palestinienne et donc le cœur même de
l'identité pour les Arabes. Cette
nouvelle donne les a poussés à
s’orienter vers la création d’une
nouvelle discorde entre les Sunnites et
les Chiites pour démolir la relation
entre les Arabes et les Perses ; tandis
que le 11 septembre, l'invasion de
l'Afghanistan et de l'Irak consacraient
les fissures entre les Takfiristes et
toutes les branches de l’Islam.
En d’autres termes, plus la discorde
s’intensifie au sein d'une patrie, même
partiellement, plus cette patrie se
rétrécit et ne peut plus rassembler tous
ses enfants. Or, la Syrie est toujours
une patrie ouverte à tous les siens car
si tel n’était pas le cas nous n’aurions
jamais pu résister aux « foyers de la
discorde » qu’ils ont voulu allumer dans
certaines de nos régions. Nous avons pu
leur résister jusqu’ici, parce qu’en
Syrie existe la conscience d’un peuple
capable d’empêcher le plein succès de
telles manœuvres.
Par conséquent, la Syrie est la patrie
capable de rassembler tous ses enfants,
ce qui ne veut pas dire que nous ne
devrions pas nous inquiéter de
l’existence de ces foyers qui, s’ils
n’étaient circonscrits, risqueraient
d’en faire une patrie qui ne serait plus
pour tous les siens !
2. Monsieur le Président, dès le début
vous avez déclaré que ce qui se passait
en Syrie n'était pas une révolution…
Permettez-moi de rappeler ce qu’a
déclaré le ministre russe, M.Sergueï
Lavrov, lors de sa première rencontre
avec une délégation d’opposants syriens
rendus à Moscou où ils se sont présentés
comme des révolutionnaires. Je le cite :
« Si vous êtes des révolutionnaires et
les représentants d’une révolution,
pourquoi auriez-vous besoin de
l’Étranger ? Un dicton historique dit
qu’aucun régime au monde ne peut
résister face à la révolution d’un
peuple ! ». Personnellement, je suis
convaincu que c’est vrai mais vous,
Monsieur le Président, sur quel concept
vous êtes-vous fondé pour dire qu’il ne
s’agissait pas d’une révolution ?
Premièrement et partant de l’Histoire
universelle, toute véritable révolution
est purement interne et n'a rien à voir
avec l'étranger ni de près, ni de loin.
Pour exemples : la révolution russe, la
révolution française, et même la
révolution iranienne ! Toutes les vraies
révolutions sont des révolutions
populaires dont les facteurs sont
purement internes. Mis à part certains
détails, toutes les révolutions
comportent un versant spontané mais sont
dirigées par les élites idéologiques et
intellectuelles. Concernant la Syrie, le
« facteur externe » était d’emblée
évident. C’est justement ce qu’ils ont
essayé de cacher et ce qui est désormais
d’une clarté absolue, alors que
l’étranger nous submerge de déclarations
sur ce que nous devrions faire ou ne pas
faire pour trouver des solutions à ceci
ou cela.
Deuxièmement, le
quotidien « Al-Thawra » [Révolution en
arabe], dont vous commémorez aujourd’hui
le cinquantième anniversaire, fait
référence à la révolution de 1963. Une
révolution syrienne venue fortifier la
patrie, la société, et l’homme ;
répandre la connaissance et la culture
par la construction de milliers
d'écoles ; éclairer le pays par des
milliers de lignes et de réseaux
électriques dans les campagnes avant les
villes ; promouvoir la situation
économique par la création d'emplois
pour tous, chacun selon ses
compétences ; soutenir le plus grand
nombre de citoyens : paysans, ouvriers,
artisans…
La Révolution de 1963 s’est levée pour
bâtir une armée ayant pour seule
doctrine les valeurs nationales, une
armée qui s’est battue dans les pires
des conditions et les plus féroces des
combats, une armée qui a triomphé en
1973 et qui continue de triompher depuis
50 ans… Son combat actuel, probablement
l’un des plus durs, témoigne de son
ancrage sur des principes et des valeurs
intellectuelle et révolutionnaire ;
valeurs partagées par le peuple et qui
l’ont blindée contre ce qui se passe
aujourd'hui en Syrie… Cette Révolution
s’est faite pour construire un citoyen
et une patrie, non pour les détruire !
Comment pourrions-nous la comparer à une
quelconque prétendue révolution et
comment pourrions-nous parler de
révolution dans les circonstances
actuelles en Syrie !? Ce dernier concept
dont ils ont espéré nous convaincre n’a
pas tenu la route et ce, depuis le
début !
3. Mais, Monsieur le Président, ne
croyez-vous pas qu’à l’intérieur même de
la Syrie, certains ont cru à cette idée
de « révolution » et ont contribué à la
soutenir et à la promouvoir ? Ne
croyez-vous pas que des « foyers
révolutionnaires » existaient dès le
tout début des événements ?
Bien entendu ! Mais ceci nous ramène
à la notion de l’identité. Ceux que vous
évoquez sont de deux types : l’un qui
s’est complètement coupé de son identité
pour se laisser éblouir par le rêve
occidental y compris tous ses
inconvénients ; l’autre qui s’est aussi
dépouillé de son identité mais s’est
dirigé dans le sens contraire, celui de
l’extrémisme religieux. Ce deuxième type
est le plus dangereux mais dans les deux
cas, il y a extrémisme !
Il est évident que nous devons profiter
des apports et des progrès de la
civilisation occidentale, mais que nous
nous laissions éblouir au point de nous
dépouiller de notre propre identité
relève en effet d’un certain
extrémisme ; d’autant plus que
l’identité arabe originale est modérée
socialement, culturellement,
politiquement et religieusement, parce
qu’elle est née de la rencontre de
toutes les civilisations qui se sont
succédées depuis des milliers d'années.
Lorsque l’Étranger cherche à déchirer
cette identité dans un sens ou dans un
autre, il travaille à la création de
ces foyers prétendument révolutionnaires
dont vous parlez. C'est ce qui
m’inquiète en permanence, car
l'extrémisme religieux et le suivisme
occidental sont tous deux destructeurs
de notre identité. Destruction vérifiée
par les perturbations que nous
constatons en Syrie ainsi que dans
d'autres pays. Le problème n'est pas
exclusivement syrien, même si « le
facteur externe » y est plus
dévastateur. C’est toute la région qui
est concernée avec une composante
externe surajoutée pour la Syrie !
4.
Néanmoins,
Monsieur le Président,
ne peut-on considérer
que les
concepts et les
modalités des
révolutions changent et
qu’il n’est pas obligatoire de se
référer aux données historiques déduites
des révolutions russe ou française pour
parler de révolution en Syrie ?
Tout change en ce
monde, mais certains principes humains
fondamentaux sont invariables. Ainsi,
les religions ne changent pas mais
s’adaptent aux changements. Ce sont donc
les mécanismes ou des détails
nécessaires à cette adaptation qui
changent, non les principes essentiels !
Si j’abondais dans votre sens et que je
tombais dans le piège qui consiste à
dire que ce qui se passe en Syrie est
une révolution et que même les principes
fondamentaux varient, nous devrions
accepter l’idée que les exactions
d’Israël en Palestine correspondent à
une révolution des israéliens contre
l’injustice palestinienne, ou que les
USA mènent leur révolution contre
l’injustice en Afghanistan et en Irak !
Dans ces deux cas, nous devrions
accepter l’idée qu’il ne s’agit ni
d’invasion, ni d’occupation. N’est-ce
pas là l’idée maitresse soutenue par
leurs médias avant d’envahir l’Irak ?
Autrement dit, une certaine lecture
contemporaine des événements, telle que
vous l’évoquez et telle qu’ils la
pratiquent, ne devrait pas nous amener à
extirper nos concepts fondamentaux.
L’Occident par la voix de ses médias
cherche inlassablement à nous faire
tomber dans le piège des réalités
inversées. Oui, je dirais comme vous que
le renversement opéré est radical, que
le juste est devenu illégitime et que
l’injuste est devenu légitime. Ceux qui
ont contribué à légitimer cette réalité
inversée ont usé de stratagèmes
politiciens et d’une large couverture
médiatique. Oui, tout cela est sans
doute bel et bien arrivé, mais cela
n’implique absolument pas que nous
adoptions leur point de vue ou celui de
leurs médias.
5. Il n’empêche, Monsieur le Président,
que certains Syriens de l’extérieur et
de l’intérieur continuent à parler de
révolution. Il s’agit donc d’une
véritable controverse qui mériterait
clarification.
Une controverse qui
mériterait plutôt une rectification,
puisque même les « ennemis de la Syrie »
et leurs médias hostiles n'arrivent plus
à soutenir l’idée qu’il s’agit d’une
révolution. Ils ne mentionnent même plus
le mot « révolution » et ne parlent plus
que de « terrorisme ». Désormais, ils se
sont déplacés vers un nouveau registre,
celui de la distinction entre le « bon
terroriste » et le « mauvais
terroriste » à la manière américaine !
Ceci n’a évidemment pas échappé à la
majorité des Syriens de l’extérieur et
de l’intérieur, et nous en constatons
les effets en Syrie. Il n’en demeure pas
moins que certains ne peuvent toujours
pas admettre cette réalité, soit parce
qu’ils partagent la pensée extrémiste
takfiriste des terroristes, soit parce
qu’ils souffrent d’une cécité cérébrale
qui fait que ce que capte leur rétine
n’atteint
pas leur cerveau. Ceux-là, il n’y a rien
à en attendre ! Quoi qu’il en soit, ces
deux groupes d’individus sont désormais
relativement peu nombreux, et nous ne
nous soucions pas trop de ce qui se
passe à l’étranger. Ce qui se passe en
Syrie concerne le peuple syrien et ceux
qui vivent en Syrie, car ce sont eux qui
se battent et qui résistent.
6. Monsieur le Président, concernant le
« nouveau registre », il est désormais
de notoriété publique que des éléments
étrangers combattent en Syrie. À
certaines périodes, leur nombre se
chiffrait en dizaines de milliers selon
les estimations occidentales, et non
seulement les statistiques syriennes.
Comment expliquez-vous que la Syrie se
soit transformée en « Terre de jihad » ?
Comment et pourquoi en si peu de temps ?
La Syrie ne s’est pas transformée en
Terre de Jihad. Le Jihad est motivé par
le bien. Le Jihad appelle à construire,
à développer et à défendre la patrie et
le message divin. Toutes les religions
révélées appellent à la justice, au
droit et à l’équité. Ce qui se passe en
Syrie est l'exact contraire du Jihad. Si
jamais vous aviez raison de dire que la
Syrie s’est transformée, vous devriez
plutôt parler des tentatives actuelles
visant sa transformation en « Terre pour
le terrorisme » et ceci pour diverses
raisons.
Il est clair que le terrorisme se
développe et se multiplie
automatiquement en situation de chaos et
que là où règne le chaos, sévit le
terrorisme. Ainsi, lorsque l'État afghan
s’est affaibli, le terrorisme s’y est
développé ; et lorsque l’Irak a été
envahi, le terrorisme s’y est propagé.
Le chaos attire donc le terrorisme, mais
n’en est pas l’unique facteur de
propagation. Des États étrangers en
arrivent à le soutenir pour atteindre
certains de leurs objectifs. C’est ce
qui s’est passé lorsqu’ils ont voulu
affaiblir l’État syrien en espérant
qu’ils réussiraient à faire fléchir
l’immunité historique de ce pays, ses
prises de positions, et sa résistance.
C’est ainsi qu’ils ont cherché à briser
son unité aussi bien culturelle
qu’intellectuelle. C’est pourquoi ils
ont travaillé à détruire son
infrastructure, son économie, et ses
institutions étatiques indispensables à
ses citoyens. Ces États « ennemis de la
Syrie » seraient très heureux de voir sa
destruction se poursuivre même si cela
devait les occuper longtemps encore !
Mais ce n’est pas la
seule raison qui fait que certains pays
occidentaux soutiennent le terrorisme en
Syrie. Une deuxième raison consiste à
croire que ces groupes terroristes
takfiristes, qui leur posent un
véritable problème de sécurité depuis
des décennies, vont tous se diriger vers
la Syrie et se faire tuer ! Ainsi, ils
feraient d’une pierre deux coups ; d’une
part, ils se débarrasseraient d’eux en
transférant la bataille de leurs pays ou
de pays sous leur influence vers la
Syrie ; d’autre part, ils affaibliraient
enfin l’État syrien.
7. Pourtant, Monsieur le Président, ceux
qui combattent en Syrie sous la bannière
de ces groupes armés ne sont pas tous
des étrangers. Oui, les étrangers se
compteraient par dizaines de milliers.
Mais nous avons quand même vu un Syrien
manger le cœur de son frère. Qu’est-ce
qui a pu nous mener jusque là ?
Lors de nos nombreuses réunions, j’ai
souvent commencé par dire
que ce qui se passe en Syrie est une
« crise des morales » avant d’évoquer
extrémisme, takfirisme, facteurs
externes, ou autres. Parce que tout cela
n’aurait jamais pu pénétrer notre
société si elle avait été moralement
protégée. Lorsque vous collaborez à
fomenter ce type de crises, vous
permettez à l’étranger de se mêler des
affaires de votre pays. Lorsque la haine
et l’argent vous gouvernent, vous vous
transformez en mercenaires et tous vos
principes patriotiques disparaissent. Et
lorsque vous perdez vos principes
moraux, vous perdez votre humanité. Vous
vous transformez en une autre créature.
Je ne dirai pas un animal, parce que
l’animal ne mange pas la chair de son
frère à moins de crever de faim.
L’animal ne mange pas la chair de son
frère par rancune. Lorsque vous perdez
et vos principes moraux et vos idéaux,
vous perdez de vue le concept de la
véritable foi. Toutes les religions sont
venues renforcer l’humanité par la
morale et il est absolument inconcevable
que la religion puisse couvrir ces
coupeurs de têtes et nécrophages.
Lorsque vous prétendez appartenir à une
religion en adoptant des pratiques
contraires à tous ses principes et
dénuées de toute morale, comme cela
s'est produit avec certains courants
prétendument religieux, la religion
devient pelures. Une religion véritable
ne peut en aucun cas couvrir de tels
comportements !
8. Vous avez dit «
L’animal ne mange pas la chair de son
frère par rancune ».
Sommes-nous face à l’instinct de haine ?
Contrairement aux véritables croyances
religieuses ou sociales qui se fondent
sur la raison, les croyances déviantes
font que l’être humain peut en arriver à
haïr son frère si ce dernier ne partage
pas sa doctrine. Par conséquent, oui le
haineux peut perdre la raison et se
laisser guider par sa haine. Je n’ai pas
dit que c’est l’instinct qui lui fait
perdre la raison et le pousse à
décapiter ou à manger le cœur de son
semblable, car l’être humain a une
disposition naturelle opposée à la
haine. C’est plutôt la fragilité des
principes moraux et les des doctrines
déviantes qui l’éloignent de sa raison.
9. Monsieur le Président vous avez
redéfini le vrai sens du Jihad, mais
nous constatons malheureusement que son
expression la plus courante consiste à
se battre et à tuer. Que faire ?
Il faut faire en sorte de les renvoyer
au Saint Coran, là où la parole
divine est on ne peut plus claire.
L'islam est une
religion
de miséricorde et de
pardon,
le mot « miséricorde »
y revient
des dizaines de
fois.
L'Islam est venu
pour
promouvoir l’humanité
en l’homme, l’inciter à croire en
l’amour et la compassion et à mépriser
le meurtre. Le
Prophète
Mohamad [PSL] ne
dit-il pas, dans le Hadith
al-Sharif, que
la disparition
de l'univers
est plus facile
à Dieu que
le
crime injustifié
d'un croyant ?
Le
Coran
et
le
Hadith
sont très clairs et
invitent l’humanité à
l'amour d’autrui,
au pardon, à la
justice, à l’équité…
Ceux qui prétendent
imiter
le
Prophète
devraient
se souvenir de son
comportement en tant
qu’être humain à toutes les étapes de sa
vie. Ainsi, ils pourront apprendre que
son message est principalement fondé sur
des principes moraux
et humanistes.
Est-ce que les
actions de ces wahhabites takfiristes
ressemblent un tant soit peu aux
comportements du Prophète Mohamad
[PSL] ? J’ai d’ailleurs beaucoup discuté
de ce sujet avec des dignitaires
religieux syriens ou issus des pays du
Levant. Nous pensons que la vie du
prophète devrait être étudiée plus en
profondeur par le plus grand nombre et à
tous les niveaux, car le Prophète n’a
pas seulement transmis la parole de
Dieu, il l’a aussi mise en pratique sa
vie durant. Et le Coran, le Hadith, et
la vie du Prophète prêchent le contraire
de ce qu’ils font.
10. À qui incombe la responsabilité
d’inviter à revenir vers le Coran et
vers les comportements du Prophète?
Quand un voleur, un
criminel ou un extrémiste surgissent du
cœur de la société c’est la
responsabilité sociale collective qui
est concernée. Mais alors, le premier à
devoir assumer ses responsabilités est
le gouvernement chargé d’en superviser
tous les secteurs, y compris le secteur
religieux. Ceci dit, l’État partage
cette dernière responsabilité avec
l’ensemble des institutions religieuses,
dont le ministère des cultes, les
instituts, les facultés et écoles, avec
une attention particulière pour les plus
récemment autorisées à enseigner la
charia. Il est désormais indispensable
que nous veillions à ce que tous ces
organismes se concentrent sur les
concepts fondamentaux de la
religion plutôt que de laisser le champ
libre aux idées extrémistes qui se sont
malheureusement infiltrées dans l’esprit
de certains de nos enfants.
11. Certains disent que l'Etat porte la
plus grosse part de responsabilité dans
la mesure où cet environnement religieux
extrémiste s’est développé sous ses
yeux. Par exemple, ils lui reprochent de
ne pas avoir suffisamment
encadré et contrôlé les écoles
religieuses, d’avoir autorisé la
construction d’un trop grand nombre de
mosquées et, plus grave encore, de ne
pas avoir tenu compte du fait que
certains en construisaient pour échapper
aux impôts !
En effet, au cours de cette crise j’ai
rencontré beaucoup de personnes qui
m'ont dit quelque chose de semblable,
notamment que l'État avait commis une
erreur en autorisant les écoles
religieuses et qu’aujourd’hui nous en
subirions les conséquences. Ce
raisonnement n'est pas vrai. Bien au
contraire, tout au long de cette crise
nous n’avons rencontré aucun problème
qui ait été causé par l’une de ces
institutions. C'est un sujet très
important dont il faut que nous
discutions, d’autant plus qu’elles sont
les plus aptes à comprendre les racines
du problème et les plus engagées dans le
contrôle de la situation.
Lors d’un précédent entretien j’ai parlé
du rôle des dignitaires religieux, mais
ici je veux parler de toutes les
institutions religieuses, lesquelles
n’ont jamais soutenu aucune
manifestation appelant au désordre et au
sectarisme. Parallèlement, j’aimerais
vous donner une idée exacte de ce que
sont ces takfiristes. Sachez que la
plupart ne connaissent rien à la
religion ; et que si certains
connaissent les mosquées, ils
n’entendent rien aux vertus de la
prière. Dès le début des événements ils
se rendaient tous les Vendredi dans les
mosquées, juste pour pouvoir hurler leur
« Allahou Akbar » à la sortie. Tandis
que les institutions religieuses
existent depuis des décennies et ont été
appelées à jouer un rôle important
depuis les années quatre-vingt sur fond
de crise déjà fomentée par les Frères
Musulmans ; crise qui a alerté l'État
sur la nécessité de porter une plus
grande attention au secteur religieux
pour l’encourager à renforcer la
conscience religieuse chez ceux dont les
connaissances étaient dangereusement
lacunaires, car c’est dès les années
soixante-dix que les Frères Musulmans
avaient réussi à pénétrer divers milieux
de notre société et de notre clergé
faisant croire que leur organisation
était là pour promouvoir la religion
face à « l’État athée » ! Par
conséquent, nous devons nous occuper
encore plus de l’enseignement religieux
comme facteur de rectitude des
consciences, non l’inverse.
12. Monsieur le Président, un conflit
confessionnel a frappé le Liban il ya
quelques décades. La même chose est
arrivée en Irak après son invasion ...
Ne pouvions-nous pas imaginer que ce qui
s’est passé dans les pays voisins
viendrait inévitablement frapper chez
nous ? Qu’avons-nous fait pour y faire
face ?
Évidemment que nous l’avons imaginé.
Sinon, nous n’aurions pas pu nous
opposer à une série de politiques
étrangères occidentales qui nous
paraissaient devoir mener au chaos.
Ainsi nous avons catégoriquement refusé
la guerre contre l’Irak en dépit de
toutes les menaces américaines, et
malgré toutes les offres alléchantes en
retour…
Nous sommes, par
principe, opposés à toute agression
contre un pays frère ou ami. Mais si
nous avons dit « non », ce n’était pas
uniquement par souci fraternel pour
l’Irak mais aussi parce que nous
mesurions les conséquences désastreuses
de cette guerre. Nous avions exprimé
cette même inquiétude en ce qui concerne
l’Afghanistan. Après le 11 Septembre, je
n’ai cessé de mettre en garde les
fonctionnaires américains. En ce temps
là ils nous rendaient encore visite en
Syrie et répétaient à l’envi qu’ils
allaient s’attaquer aux terroristes et
les frapper partout où ils se
trouvaient. Ils supposaient que nous
étions ravis de leur discours puisque
dès 1985 la Syrie avait été la première
à définir clairement le terrorisme et
avait appelé à la formation d’une
coalition internationale contre ce
fléau. À l’époque, cet appel n’avait pas
intéressé grand monde parce qu’ils
n’avaient pas encore goûté au terrorisme
dans leurs pays.
J’ai moi-même dit et répété aux
Américains que leur guerre en
Afghanistan allait le renforcer et le
répandre.
Car le terrorisme est comme le cancer.
Si vous lui donnez un coup de bistouri
sans pratiquer une exérèse totale, il
métastase. Il faut donc l’éradiquer, non
se contenter de le frapper. Mais la
guerre n’est pas un moyen suffisant pour
réussir son éradication. Il faut y
ajouter l’éducation, la culture, la
communication et même l'économie. Ils
n’ont pas voulu écouter et nous
souffrons toujours des conséquences de
la guerre en Afghanistan. Ou alors ils
ont écouté mais ont choisi de refaire
leur coup en Irak bien que nous les
ayons prévenus que la situation allait
se transformer en guerre sectaire et
mener vers la partition, et c’est ce à
quoi nous assistons. Quant à nous, dès
1976 nous sommes entrés au Liban en
raison des répercussions immédiates de
la guerre sur la Syrie. Oui nous sommes
entrés pour protéger le Liban, mais pour
protéger la Syrie aussi !
Donc, pour répondre à votre question, je
dirai que nous observions ce qui se
passait autour de nous quittes à
intervenir quand nous le devions et que
nous le pouvions. Mais vous ne pouvez
pas vous soustraire à votre
environnement et ce qui devait arriver
est arrivé ! Pourtant, ces dernières
années et notamment après la Guerre
d’Irak, nous nous sommes employés à
prévenir, autant que possible, les
retombées néfastes de l’extérieur vers
l’intérieur. Là aussi, vous pouvez
prévenir partiellement, retarder quelque
temps, mais vous ne pouvez interdire
toutes les retombées tout le temps.
Aussi, les foyers extrémistes ont
commencé à apparaître en Syrie dès 2004.
Au départ il s’agissait de foyers
étrangers mais malheureusement, avec le
temps, une proportion non négligeable de
Syriens les ont rejoints.
13. Des tentatives visant à créer des
divisions sectaires existeraient donc
depuis le début et même avant cette
crise. Que pensez-vous de la dernière
tentative consistant à accuser le
Hezbollah de dérive confessionnelle ?
Ils ont utilisé tous les moyens pour
déstabiliser notre région : colonialisme
direct ou indirect, menaces,
déstabilisations sécuritaire et
culturelle… Mais la Syrie est restée
l’obstacle empêchant la réussite de ce
qu’ils avaient planifié. Dernièrement et
suite aux événements survenus dans
certains pays arabes, ils se sont
imaginés que le moment était propice
pour frapper la Syrie et à travers elle
atteindre « l’Axe de la Résistance » en
inversant les réalités de la région.
Pour cela, ils s’évertuent à redéfinir
et l’ennemi et l’allié. Israël doit se
transformer en « ennemi invisible » et
pourquoi pas en « ami » ; alors que la
Résistance doit apparaître comme
l’ennemi dont le projet est à visée
confessionnelle, non un mouvement de
lutte contre l’occupation israélienne !
C'est là leur dernière trouvaille pour
frapper le concept même de la Résistance
contre Israël, et c’est dans ce but
qu’ils ont cherché à modifier la
perception du peuple syrien. Ils ont cru
qu’ils réussiraient à aveugler nos
consciences, modifier nos idéaux, nous
faire reculer ou hésiter, nous faire
peur étant données les retombées
prévisibles de toutes ces déviances. Ils
ont échoué aujourd’hui, comme ils
avaient échoué par le passé.
Pour nous comme pour la Résistance et
pour tous ceux qui nous soutiennent, la
voie est claire. L’Étranger pourra
continuer à manigancer autant qu’il le
voudra. Nous atteindrons nos objectifs
autant par notre résistance que par
notre immunité intérieure. Nous y
arriverons sans jamais hésiter et par
nos propres moyens. Ils peuvent toujours
continuer à discuter, nous ferons ce que
nous jugerons bon dans l’intérêt de la
Syrie.
14. Avions-nous
besoin que les
soldats du
Hezbollah se battent à nos côtés ?
Ce n'est pas la
première fois que l’on me pose cette
question. Ma réponse sera très claire :
l'armée syrienne se bat dans de
nombreuses régions du pays, si nous
avions eu besoin d’une aide étrangère
nous aurions pu l’obtenir. S’agissant de
la bataille d’Al-Qusayr, la question
relève plus de la Résistance que de la
situation interne en Syrie. De plus,
cette ville n’a pas l'importance
stratégique qu’ils ont cherché à lui
accorder.
15.
Mais l'Occident l’a présentée comme la
bataille des batailles !
Exact ! Ceci parce
qu’elle devait avoir une incidence aussi
bien sur la situation interne syrienne
que sur la Résistance ; d’autant plus
que la ville d’Al-Qusayr, située en zone
frontalière, est considérée comme
l’arrière cours de la Résistance. Une
Résistance forte a nécessairement besoin
d’une réelle profondeur. La Syrie est la
profondeur de la Résistance. D’où
l’importance stratégique de cette ville
par rapport aux relations entre la Syrie
et le Liban, et plus spécialement entre
la Syrie et la Résistance. C’est la
raison fondamentale qui explique que la
Résistance devait se joindre à la
bataille qui la concernait autant que la
Syrie. Oui, il était nécessaire qu’elle
le fasse. Nous n’avons pas hésité, nous
ne nous en sommes pas cachés, et nous
n’avons pas à en rougir.
Mais je répète que si
nous avions besoin de la Résistance,
pourquoi en aurions eu besoin à Al-Qusayr
et non à Damas, Alep ou dans d’autres
régions ? Pourquoi exagérer cette
participation ? Nous avons notre Armée
et désormais les nombreux éléments de
notre Défense nationale qui se battent à
ses côtés. Aucun pays étranger ne
pourrait nous garantir un tel nombre de
défenseurs prêts à soutenir nos Forces
armées.
16. Monsieur le Président,
contrairement à tout
ce que vous venez de nous dire certains
opposants, en particulier ceux de
l’extérieur, continuent à prétendre que
ce qui se passe en Syrie est un conflit
confessionnel et que c’est l’État qui a
créé une structure sectaire dans son
propre intérêt.
Dire que c’est l’État qui a créé une
structure sectaire, c’est dire que
l’État contribue à diviser la société
syrienne. C’est dire que l’État cherche
à diviser la patrie. Ces allégations
sont-elles compatibles avec tous les
combats que nous menons pour l’unité de
la Syrie ? Ne sont-elles pas
catégoriquement contredites par, à la
fois, notre répartition démographique et
la nature des batailles que nous
menons ? Pour qu’un État reste fort,
n’a-t-il pas intérêt à ce que le pays
reste uni et que la situation sociale
soit apaisée ? N’est-ce pas là un
principe universel qui contredit toutes
ces allégations ? En réalité, la
structure sectaire pousse l’État vers la
faillite et non vers la réussite, et
aucun État au monde ne s’orienterait
dans cette direction à moins qu’il ne
soit un état ignorant. Ce qui n’est pas
le cas de la Syrie !
17. Monsieur le Président, permettez
encore plus de précision. Certains, dont
particulièrement les occidentaux, vous
accusent d’avoir été suffisamment malin
pour faire croire « aux minorités »
qu’elles étaient menacées dès le tout
début des événements. Ainsi vous auriez
réussi à les fidéliser. De leur point de
vue, vous seriez donc responsable de la
division de la société syrienne.
Si ce discours était vrai, nous serions
tout de suite entrés en guerre civile et
l’État serait tombé ! Si nous avions
fonctionné selon cette logique, la Syrie
toute entière l’aurait refusée ; car en
Syrie on ne parle jamais de minorités et
de majorités. Mais admettons que nous
puissions adopter une telle
terminologie, il est évident que les
minorités ne peuvent pas protéger
l’État. L’État tient sur des majorités,
pas nécessairement sur des majorités
confessionnelles ou religieuses, mais
obligatoirement sur des majorités
populaires. Par conséquent, l’État et le
peuple syriens ayant tenu bon, cela
implique qu’il ne s’agit pas de
minorités mais de majorités qui ont
soutenu leur État. Et, dans notre cas,
les majorités ne peuvent qu’inclure
toutes les communautés ; ce qui démolit
toutes ces accusations.
Il est remarquable de
constater que le projet hégémonique
occidental a toujours essayé de se
servir de cette notion de minorité,
témoin en est le colonialisme français
et la façon dont il a divisé la Syrie :
un état alaouite, un état druze, Damas,
Alep… En toutes choses, ils se sont
fondés sur cette notion de minorité.
Mais, quatre-vingt-dix ans plus tôt, nos
grands parents avaient pris conscience
de la gravité d’une telle partition.
Est-il raisonnable que malgré nos
expériences passées nous soyons moins
conscients que nos ainés ? N’y
voyez-vous pas une deuxième
contradiction ? Ils ont déjà tenté cette
même expérience et bien qu’ils aient
battu monnaie et accumulé les documents
de propriété, elle a échoué.
L’expérience a échoué hier et il est
impossible qu’elle réussisse
aujourd’hui, sauf si la pensée
takfiriste ou l’idéologie des
Frères Musulmans arrivaient à
s’enraciner en Syrie. La discorde
aidant, la partition deviendra possible
comme cela s’est passé pour d’autres
pays arabes. Mais cela ne se produira
pas !
18. Mais les accusations, prétendant que
c’est l'État qui a créé une structure
sectaire, ne sont pas formulées que par
des extrémistes. Elles sont aussi
soutenues par certains intellectuels qui
se présentent comme des laïcs.
C’est
malheureusement vrai. Les discours
sectaires que nous entendons ne sont pas
uniquement tenus par des
extrémistes
mais sont aussi tenus par de prétendus
laïcs. Aujourd'hui, nous sommes face à
deux groupes versant dans le sectarisme.
Un groupe qui se prétend laïc, bien que
nous ayons dit et répété que la laïcité
n'est pas contre les religions, mais
signifie la liberté des cultes.
Un autre groupe qui se prétend religieux
mais qui ignore tout de la religion. Ce
qui est essentiel est que la majorité de
ceux qui sont instruits des religions et
qui ont la foi ne sont absolument pas
tentés par le sectarisme et pensent,
comme nous tous, que le sectarisme est
l'antithèse de la religion.
Le trait d’union,
entre le premier groupe qui se prétend
instruit et laïc et le deuxième qui
prétend connaître l’essence de la
religion, est l’ignorance. L’ignorance
religieuse plus précisément, car c’est
ce qui mène vers le sectarisme dans le
sens péjoratif
de
ce terme. Autrement dit, je ne parle pas
ici de ceux qui partagent une même
doctrine religieuse réfléchie. Entre les
deux existe une nette différence, la
doctrine étant fondée sur la pensée
intellectuelle. Ainsi, nos anciens
dignitaires religieux nous ont construit
des écoles de pensées qui ont enrichi
notre compréhension des religions. Ils
ne nous ont jamais encouragés à adhérer
à ce type de sectes et de sectarisme.
C’est ceux qui ignorent la religion qui
font que leur secte se substitue à la
religion, ce qui est grave et
destructeur. Par conséquent, nous ne
sommes pas surpris par ces groupes qui
se vantent d’être laïcs, alors qu’ils ne
savent pas ce qu’est la religion, ni ce
qu’est la laïcité. Tout ce qu’ils
connaissent c’est le confessionnalisme !
19. Compte tenu de toutes ces idées
fausses et de toutes ces pratiques
perverses qui ont envahi notre société
apportant leurs lots de meurtres, de
décapitations, de fanatismes et de
divisions, assistons-nous aux prémices
de la faillite du projet d’unité
panarabe au profit des intolérants et
des takfiristes ?
L'identité arabe est menacée par trois
facteurs : le premier est son aliénation
à l’Occident, le deuxième est
l'extrémisme, et le troisième est la
triste performance de certains États
arabes qui a conduit à s’éloigner du
concept de l’arabité. Ces trois facteurs
ont d’ores et déjà porté des coups
sévères au projet d’unité panarabe. Ce
projet bien que moribond est encore en
vie. C’est ce qui ressort des attitudes
du peuple qui n’a pas abandonné son
identité. Certes, il a été affecté, ici
ou là, par les foyers de la discorde ;
mais la société arabe n'a pas changé. Au
contraire, elle reste toujours enracinée
dans son identité première : l’arabité !
20. Au début de la crise, la Turquie
nous a appelés à négocier avec les
Frères Musulmans en tant que mouvement
politique. La Syrie a opposé un
refus catégorique et la voici qui
accepte de se rendre à Genève « sans
conditions préalables ». Monsieur le
Président, allons-nous dialoguer avec
les Frères Musulmans ?
Nous dialoguons avec toutes les parties.
Nous dialoguons en partant du principe
que nous pourrions amener l'autre partie
sur la bonne voie, la voie de la patrie.
Nous avons dialogué avec les Frères
Musulmans même après qu’ils nous aient
frappés en Syrie, en 1982. Nos dialogues
ont été ininterrompus, mais franchement,
à chaque fois nous avons eu à constater
que les Frères Musulmans
n’abandonneraient jamais leur logique
hypocrite, et surtout pas leur unique
objectif : le pouvoir. Ils n’ont jamais
raisonné en termes de patrie.
D'autre part, nous dialoguons avec eux
en tant qu'individus, non en tant que
parti politique ; le principe même d’un
parti religieux étant inacceptable pour
nous. Notre nouvelle constitution ainsi
que nos lois sur les partis sont très
claires là-dessus. Une fois de plus,
cela ne veut absolument pas dire que
nous sommes contre la religion. C’est
tout le contraire. Nous sommes pour la
religion, mais nous pensons que la
religion est un appel à toute
l’humanité. Par conséquent, elle ne peut
être reliée à une catégorie limitée de
personnes, et elle est bien trop noble
pour être mêlée aux détails
partisans…Nous pensons aussi que la
vraie religion ne peut que renforcer
l’éthique et la morale, qui à leur tour
contribuent à renforcer les partis
politiques, l’économie, le commerce et,
en fin de compte, la patrie elle-même.
C’est ce que nous pensons et c’est
pourquoi nous ne les reconnaissons pas
comme parti politique. Pour nous, ce
sont des terroristes qui ont assassiné
des milliers de Syriens. Nous ne l’avons
pas oublié ! Leurs directions et leurs
dirigeants qui ont ordonné les meurtres
de Syriens sont maintenant à l’étranger,
mais n’ont pas changé. Nous dialoguerons
avec tout le monde tout en ayant à
l’esprit quelles sont leurs véritables
tendances. Nous dialoguerons en sachant
qu’il est très peu probable qu’ils aient
pu évoluer et qu’ils soient soudain
devenus modérés ou patriotes après près
d’un siècle d’immobilisme. Ici, il faut
rappeler que certains de leurs
dirigeants, avec lesquels nous avions
justement dialogué en 1982, sont rentrés
au pays à titre personnel. Ils n’ont pas
abandonné leur croyance doctrinaire, ce
qui ne nous empêche pas de les respecter
dans la mesure où lis sont revenus pour
contribuer à construire le pays et non à
le détruire.
En tout cas, comme je
l'ai dit à plusieurs reprises, le plus
important est que les données du
dialogue avec telle ou telle partie
seront soumises à un référendum
populaire. Le peuple ne peut choisir que
ce qui est bon pour la patrie !
21. S’agissant des Frères Musulmans que
pense le Président Al-Assad de ce qui se
passe en ce moment même en Égypte ?
Il s’agit, tout simplement, de la
faillite du dit « Islam politique »,
faillite d’un type de gouvernance que
les Frères Musulmans ont voulu vendre
non seulement en Égypte… Quoi qu’il en
soit, je dis et je répète que nous
n'acceptons pas que l’Islam descende au
niveau de la politique, car la religion
est au-dessus de la politique. Pour
nous, le message religieux doit suivre
son propre chemin indépendamment et
séparément de la gouvernance, de ses
tours et ses détours.
C’est donc une
expérience qui a très vite échoué, car
fondée
sur des principes erronés. Le regard que
nous portons sur les Frères Musulmans
est maintenant compatible avec la
situation en Égypte. Quiconque utilisera
la religion au profit de la politique,
ou d’un groupe exclusif, subira l’échec
tôt ou tard et n’importe où en
ce monde.
22. Les
Frères
musulmans ont échoué parce qu’ils ont
trompé le peuple égyptien,
ou bien est ce le peuple qui s’est
soudainement aperçu de ce qu’ils étaient
en réalité ?
Lorsque vous parlez de l'Egypte, de
l'Irak et de la Syrie, vous parlez de
pays situés dans des zones stratégiques
et enracinés dans l'Histoire et la Terre
depuis des milliers d'années. Par
conséquent, leurs peuples ont accumulé
une sensibilité et des connaissances
particulières qui font que vous ne
pouvez plus les tromper. Certes vous
pouvez tromper une partie du peuple, une
partie du temps ; mais vous ne pouvez
pas tromper tout le peuple, tout le
temps. Ceci, sans oublier que le peuple
égyptien porte en lui des milliers
d'années de civilisation et une pensée
arabe et nationaliste évidente. Ce qui
s’est passé cette dernière année est
peut-être une réaction en rapport avec
le gouvernement précédent. Mais cette
année aura permis à ce peuple de
découvrir les mensonges du nouveau. Il
semble qu’il ait été aidé en cela par
les pratiques des Frères Musulmans
eux-mêmes.
23. Un an !
C’est une vitesse record.
En effet. Le mérite en revient aux
Frères Musulmans.
24. Est-il juste de dire que
l'expérience des Frères Musulmans au
pouvoir est un échec ?
Pour nous, elle avait échoué avant même
de commencer. Ce type de gouvernance ne
peut qu’échouer car il est incompatible
avec la nature humaine. Le projet des
Frères Musulmans est un projet hypocrite
destiné en réalité à créer des troubles
dans le monde arabe. Ils ont été les
premiers à fomenter les conflits
sectaires en Syrie dès les années 1970,
alors que nous ne savions même pas ce
que signifiaient le sectarisme et le
communautarisme. Nous n’en avions jamais
entendu parler comme nous ne pouvions
pas en comprendre les concepts. Leur
projet est donc un projet de discorde
qui n’est pas durable pour les sociétés
conscientes. D’où notre verdict avant
même qu’il ne soit mis en application.
25. Certains disent que la décision de
rompre les relations avec la Syrie est
l'une des causes de ce que nous
observons aujourd’hui dans la rue
égyptienne. Reuters, citant une source
militaire, avait rapporté que l’armée
elle-même avait commencé à changer
d’avis suite aux déclarations de Morsi
lors de sa rencontre avec l'opposition
syrienne.
Je ne veux pas parler
au nom des Egyptiens, mais je peux vous
dire que lorsqu’il y a quelques semaines
Mohamad Morsi a annoncé la rupture des
relations avec la Syrie, des contacts
ont eu lieu entre les deux parties pour
parvenir à un compromis. Cela a
d’ailleurs été révélé par le ministre
syrien des Affaires étrangères, M. Walid
al-Mouallem, lors de sa dernière
conférence de presse. Ce qui implique
qu’au sein même du gouvernement égyptien
certains désapprouvent cette décision,
parce que c'est une mauvaise décision.
Jugement partagé par de nombreux
intellectuels et éminents journalistes
égyptiens qui n’ont pas tardé à
clairement exprimer leur indignation.
C’est une mauvaise
décision parce que la relation
stratégique entre les deux pays remonte
très loin dans le temps. Il y a des
milliers d’années, les pharaons en
avaient pleinement conscience tant du
point de vue politique que du point de
vue militaire. D’où la bataille entre
Égyptiens et Hittites à Kadesh [située
non loin d’Al-Qusayr et de Homs] en 1280
av. J.-C. ;
les Hittites d’Anatolie ayant déjà
réalisé l'importance des relations avec
la Syrie pour leurs propres intérêts,
les pharaons considérant la Syrie comme
la profondeur stratégique de l'Egypte.
Il n’y a eu ni vainqueur ni vaincu, et
la bataille s’est soldée par l’un des
plus anciens accords connus. Voilà ce
que les pharaons avaient compris dès
1280
av. J.-C.
Comment se fait-il qu’une personne
vivant au XXIe
siècle ne l’ait pas compris ? C’est
d’une ignorance éhontée !
26. Monsieur le Président, le processus
que vous avez enclenché est en marche :
les travaux préparatoires sont bien
avancés, le dialogue se poursuit, Genève
2 est à l’horizon… Mais toutes ces
questions sont d’ordre politique, alors
que je voudrais vous interroger sur des
questions d’ordre humain concernant la
tolérance, la réconciliation, le pardon…
Certains se demandent comment
pourrions-nous pardonner aussi bien dans
le domaine interne que dans le
domaine externe ?
Pour moi, le domaine interne est le plus
important. Nous avons parfois tendance à
mettre tout le monde dans le même
panier, alors qu’il y a celui qui a
saboté mais n’a pas assassiné, celui qui
a porté des armes mais n’a pas tué,
celui qui a aidé mais n’a pas commis de
crime… Autrement dit, nous avons à faire
à toutes sortes de gens. Nous pensons
que l’État peut pardonner à ceux qui
n’en sont pas arrivés à assassiner à
condition qu’ils reviennent dans le
giron de la patrie. C’est alors une
question de Droit public qui relève de
la responsabilité de l’État.
En revanche, en cas
d’assassinat nous sommes dans le domaine
du Droit des personnes et l’État ne peut
pousser à renoncer à un droit personnel.
Ceci dit, un certain nombre de familles
que j’ai rencontrées m’ont dit mot pour
mot : «Si le sang de notre fils ou de
notre frère peut résoudre le problème,
nous pardonnerons ! ». Lorsque vous
entendez de tels propos tenus par des
familles qui ont perdu leurs enfants,
vous ne pouvez qu’en retenir la leçon et
en conclure que le pardon est
indispensable pour résoudre les crises
nationales à condition qu’il soit
personnel et non réglementé.
Le pardon est en effet une force
et une marque de patriotisme. Nous
devrions tous adopter cette attitude.
Comme tant d’autres familles, ma famille
a été frappée et a perdu des proches ;
mais nous devons faire passer notre
patrie avant nos sentiments personnels
et ceci aussi bien en interne qu’en
externe.
Concernant le domaine
externe il relève de la politique
étrangère qui repose sur des principes
et tient compte des intérêts du pays
beaucoup plus que des émotions. Il y a
donc à la fois des principes à respecter
et des intérêts à défendre, l’idéal
consistant
à trouver la liaison
indispensable entre les deux. Liaison
indispensable, car lorsque vos principes
sont incompatibles avec vos intérêts,
les premiers sont faux ou les seconds
sont mauvais. S’agissant de pardon et de
réconciliation en matière de relations
étrangères, ils sont bénéfiques
lorsqu’ils servent notre objectif
premier qui est l’intérêt du citoyen
syrien. Pourquoi exclurions-nous cette
possibilité ? Nous ne l’avons pas fait.
Nous avons déjà accueilli un certain
nombre de personnalités politiques
représentant des gouvernements qui ont
démontré leur hostilité à notre égard,
toujours dans le but de servir les
intérêts du citoyen syrien.
27. Monsieur le Président, les citoyens
syriens sont aujourd’hui face à deux
préoccupations majeures. D’une part, le
terrorisme avec son lot de sang et de
destructions. D’autre part, la
dégradation de la situation financière.
Que pensez-vous de la rumeur qui court
sur les conséquences désastreuses dues à
de la hausse démentielle du taux de
change du Dollar ? Que diriez-vous au
citoyen syrien ?
Une évaluation objective de la situation
doit se fonder sur des évidences. La
première évidence implique que le
bien-être du citoyen nécessite une bonne
situation économique, laquelle exige une
bonne situation sécuritaire. Par
conséquent, le problème de l’insécurité
influe directement ou indirectement sur
la situation économique de chacun que
nous le voulions ou pas, et malgré les
meilleurs compétences que nous
chargerions de ce secteur.
Une autre évidence est que nous payons
notre refus d’obtempérer aux exigences
de gouvernements étrangers. Les États
qui ont cherché à nous frapper, en
soutenant une prétendue révolution puis
le terrorisme et qui ont été mis en
échec par notre peuple et notre armée,
n’avaient plus d’autre solution que de
s’attaquer à notre économie. Telle est
leur vengeance contre le citoyen syrien
pour avoir soutenu sa patrie avant toute
autre considération. Il faut qu’il paye
le prix en endurant parallèlement les
sanctions financières et les violences
terroristes. Si vous tenez compte de ces
deux éléments, vous mesurerez ce que
nous coûte notre indépendance ; un prix
exorbitant, mais que nous sommes obligés
de payer !
Maintenant, nous
pouvons toujours limiter les dégâts en
luttant contre les inévitables
profiteurs de guerre et les éventuelles
erreurs des fonctionnaires.
Nous devons
identifier les
politiques qui
conviennent aux circonstances du moment,
et ne pas tomber dans les erreurs de
ceux qui évaluent les performances du
gouvernement
actuel selon les critères d’avant la
crise. C’est là un comportement
irréaliste car la situation est toute
autre. De même, il est
impossible que nous
consommions de la même manière qu’avant
la crise. Cela aboutirait à exercer une
pression supplémentaire sur l’économie
et sur la Livre
syrienne. Nous sommes obligés de nous
adapter et de modifier nos modes de vie
et de consommation jusqu’à ce que nous
parvenions à la solution politique qui
va de paire avec le rétablissement de
la pleine sécurité.
Nous devons comprendre que nous ne
pourrons mettre un terme à nos
difficultés
économiques tant que nous n’aurons pas
restauré la sécurité.
Et c’est parce que
ces difficultés
économiques
touchent toute la société abstraction
faite de l’appartenance politique, nous
devons tous nous unir pour battre le
terrorisme, condition préalable pour le
rétablissement de notre économie. Il
faut savoir que même les citoyens qui
ont rejoint les foyers de la discorde et
qui ont adhéré à la prétendue révolution
sont maintenant frappés par la pauvreté.
Il est regrettable qu’ils en soient
arrivés là pour se mettre à réfléchir.
Comme il est regrettable de toujours
compter sur les autres, problème courant
dans nos sociétés.
Oui, nous devons absolument tous
travailler ensemble que l’on soit
responsable politique, fonctionnaire ou
citoyen. Nous devons inventer de
nouvelles idées et travailler ensemble à
les concrétiser. Nous devons solliciter
toute notre créativité pour trouver des
solutions à la crise, sinon c’est la
crise qui nous imposera ses solutions.
Oui nous avons encore cette option, et
je dis et je répète que si nous
coopérons tous ensemble pour en finir
avec le terrorisme dans le plus court
délai possible, nous n’aurons plus à
craindre pour notre économie qui sera
encore plus prospère qu’avant, parce que
notre peuple déborde d’énergie
Nous sommes un pays de civilisations.
Nous avons construit notre pays avec nos
moyens et nos compétences. Pour cela,
nous n’avons pas sollicité l’aide de
l’étranger. Nous avons rencontré des
difficultés… mais nous l’avons
construit. Nous sommes donc capables de
le reconstruire une fois cette crise
vaincue, comme nous sommes capables de
rétablir notre économie. Mais d’abord,
il nous faut rétablir la sécurité.
28. Quelle est la vérité sur les
ressources de nos eaux territoriales en
pétrole et en gaz, ressources qui ont
fait l’objet de rapports issus de divers
centres de recherche ?
C'est la vérité, que ce soit dans nos
eaux territoriales ou dans notre sol.
Les premières études ont fait état
d'importants gisements de gaz dans nos
eaux territoriales. Puis, nous avons su
que d’autres gisements s’étendaient de
l’Egypte, à la Palestine et sur tout le
long de la côte ; ces ressources étant
plus abondantes dans le nord.
Certains disent que l’une des raisons de
la crise syrienne est qu’il serait
inacceptable qu’une telle fortune soit
entre les mains d’un État opposant mais,
évidemment, personne ne nous en a parlé
de façon directe. C’est une analyse
logique de la situation et nous ne
pouvons ni la réfuter, ni la considérer
comme une raison secondaire. C’est
peut-être la raison principale de ce qui
se passe en Syrie mais, pour le moment,
elle reste du domaine de l’analyse.
29. Monsieur le Président, j’aimerais
revenir sur les conditions de vie mais
sous un autre angle. Le gouvernement a
procédé à deux augmentations de salaire
depuis le début de cette crise. La
première était attendue et certains
pensaient qu’elle était nécessaire. En
revanche, la deuxième était inattendue
dans le sens où certains ont été surpris
de voir l’État accorder cette
augmentation dans ces circonstances
difficiles. C’est certes un élément
d’espoir pour les projets d’après la
crise. Nous dirigeons-nous dans ce
sens ? Avons-nous fait ce qu’il fallait
pour notre avenir ?
Vu les destructions que nous avons
subies, il est évident que l’économie
syrienne devra essentiellement
travailler à la reconstruction ; ce que
nous avons d’ores et déjà commencé à
faire. Nous avons planifié et validé nos
projets, puis nous avons commencé leur
mise à exécution. Le retard n’est dû
qu’à la situation sécuritaire, la
sécurité étant essentielle pour que les
divers corps de métiers puissent se
rendre à leur lieu de travail. Quant à
l’augmentation des salaires, il est
certain qu’il est surprenant qu’un État
qui subit une telle agression guerrière
puisse continuer à payer les salaires et
à assurer les services, même de moindre
qualité, là ou d’autres États beaucoup
plus puissants auraient failli. C’est un
succès non négligeable, mais je répète
que nos ambitions sont plus grandes et
que nous pouvons mieux faire si nous
nous épaulons les uns les autres.
30. Reste une autre question en relation
avec les conditions de vie des citoyens.
Certains considèrent que c’est l’État
qui est responsable de l’insécurité des
frontières, du désordre du marché, et de
la flambée des prix. L’État serait
absent. Est-ce que nous en sommes là
parce nous avons été surpris par la
crise, ou bien est-ce nos institutions
qui sont déficientes?
Il est certain que les lacunes et
dysfonctionnements de certaines
institutions étatiques existaient avant
la crise.
J’ai régulièrement abordé ces problèmes,
y compris ceux
relatifs à la corruption, à la
négligence, à l’incompétence de certains
responsables… La crise a évidemment mis
à découvert tous ces déséquilibres et
les a même multipliés, ce qui est
normal. Mai dire que l’État est absent
ou présent sur la seule base de la
situation interne avant et après la
crise, c’est considérer que cette crise
est strictement d’origine interne, ce
qui n’est pas le cas. Certes, la
situation interne souffre
de la
corruption, de l’insécurité, du
chaos, des exactions
des bandes armées… comme c’est les cas
pour d’autres pays. Mais
notre
situation est complètement différente.
Nous sommes en situation de guerre, une
guerre venue de l’extérieur mais qui
utilise des outils de l’intérieur.
L’État travaille à la défense de la
patrie et, dans ces conditions, il est
illogique d’évaluer son action globale
sans tenir compte de l’ensemble de la
situation.
La présence de l’État se juge avant tout
sur le maintien ou l’abandon de ses
principes. Est-ce que l’État syrien a
renoncé à ses principes ? Non, il n’a
renoncé ni aux principes fondamentaux de
sa politique interne, ni aux principes
fondamentaux de sa politique externe. Il
est toujours pour la Résistance. Il est
toujours aussi concerné par la question
palestinienne. Il continue à payer les
salaires et à assumer ses
responsabilités vis-à-vis des ouvriers
et des cultivateurs. Il continue à
embaucher là où il le peut. Il continue
à assurer les services dus aux citoyens,
malgré la destruction des
infrastructures. En plus des réformes,
ils lancent autant de projets que la
situation le permet. Par conséquent
l'Etat syrien n'est pas absent, il est
en situation de guerre !
31. Nos institutions et nos
infrastructures sont vandalisées ou
détruites, ce qui est perçu par certains
comme
le début de
la faillite de l'Etat
syrien. Est-ce le cas ?
S’ils frappent nos
infrastructures, détruisent notre
économie, cherchent à installer
l’insécurité et le chaos dans notre
société, c’est justement pour nous mener
à une situation d’État en faillite. Mais
nous n’en sommes
pas
encore là, la preuve en est que
l’économie fonctionne toujours malgré
les graves difficultés que personne ne
s'attendait à nous voir dépasser. Les
ouvriers, les employés, les commerçants…
continuent à se rendre à leur travail
malgré les énormes problèmes de
sécurité. La vérité est que le peuple
syrien a prouvé qu’il était résistant et
plein de vie. Après les explosions, une
fois que les victimes ont été évacuées
et les gravats retirés, chacun reprend
son travail même si tous s’attendent à
ce qu’un obus tombe, qu’une bombe
explose, qu’une attaque terroriste
survienne… Nous n'avions jamais connu
cela en Syrie. Nous ne savions même pas
que nous en étions capables. Nous savons
aujourd’hui que nous sommes un peuple
vivant qui croit en son destin, ce qui
fait que nous ne prendrons pas le chemin
de la faillite.
Maintenant, je pense qu'ils ont épuisé
toutes les armes possibles et
imaginables, pour nous atteindre
moralement, physiquement,
psychologiquement… Il ne leur reste plus
que l’intervention militaire directe,
mais je ne crois pas qu’ils en
arriveront jusque là pour de multiples
raisons. J’ai souvent dit que commencer
une guerre est une chose, en finir c’est
autre chose ! Nul ne peut prévoir la fin
d’une guerre. D’où les hésitations ou
les refus de la majorité des
gouvernements. Quant à nous si nous
continuons à en franchir les étapes avec
autant de conscience, nous n’avons rien
d’autre à craindre. Je ne suis pas
inquiet.
32. Vous êtes donc optimiste, Monsieur
le Président ?
Si je n’étais pas
optimiste, je n’aurais pas pu résister
aux côtés du peuple syrien ; et si le
peuple syrien n’était pas optimiste, il
n’aurait pas pu résister. Le désespoir
est à la base et le début de la défaite.
La défaite est avant tout psychologique.
Si les gens que je rencontre n’étaient
pas optimistes ils ne me répéteraient
pas : « La crise touche à sa fin », « la
Syrie est protégée par Dieu », « Nous
n’avons pas peur ». Ils ne reviendraient
pas sans cesse sur les paroles de feu le
cheikh Mohamad Saïd
Al-Boutî
qui croyait que la Syrie s’en sortira …
C’est animé d’une vraie foi, religieuse
et patriotique, que le peuple syrien
attend la fin de cette crise. Il faut
donc croire que sans optimisme il n’y
aurait pas foi, et que sans foi il n’y
aurait pas optimisme.
24. À l’occasion de ce cinquantenaire,
Monsieur le Président, puis-je me
permettre de vous demander d’adresser un
message personnel à tous mes collègues
de la presse écrite ?
En un mot, ils
ont été exemplaires
par
leur dévouement, leur
abnégation et leur
travail acharné. Je
pense en cet instant à l’un de nos
collaborateurs, simple ouvrier à
l’imprimerie, qui se met en danger
toutes les nuits en risquant sa vie à
chaque poste de contrôle routier. Il n’a
aucune ambition politique et n’est
motivé que par son patriotisme et son
sentiment d’appartenance à notre
institution. Je dois dire que cette
remarque s’applique à tous les employés
des médias nationaux qui ont témoigné de
leur fidélité à notre patrie.
Ce que vous dites des
employés de votre quotidien, et qui en
effet s’applique à tous les employés des
médias nationaux, confirme que le peuple
syrien est bien vivant et résiste !
J'espère que vous transmettrez mes
chaleureuses salutations à tous vos
collègues, d’autant plus que vous
commémorez le cinquantenaire de l’un des
plus anciens quotidiens patriotes
syriens et qui coïncide avec le
cinquantième anniversaire de la
Révolution du 8 Mars 1963 dont nous
venons de rappeler tout ce qu’elle a
apporté à la Syrie. Et puisque la vraie
révolution que nous vivons est la
« Révolution du peuple et de l'armée
contre les terroristes » et certainement
pas celle dont ils font la publicité
mensongère, j’espère que désormais le
nom du quotidien
« Al-Thawra »
rappellera non pas une seule révolution
mais deux à la fois : la Révolution de
1963 et la révolution de 2013 !
Dr Bachar al-Asad
Président de la République arabe
syrienne
04/07/2013
Texte traduit de
l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Texte original : Al-Thawra [Rédacteur en
chef : Ali Kassem]
http://thawra.alwehda.gov.sy/_archive.asp?FileName=63241515720130704021727
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