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L'EXPRESSIONDZ.COM
VISITE
DU GUIDE LIBYEN À PARIS
El Gueddafi,
la France et Sarkozy
Marilyne Chaumont
Nicolas Sarkozy et Mouammar El Gueddafi
15 décembre 2007 Le
«Guide» a planté sa tente bédouine à l’hôtel Marigny, au
coeur de la capitale française. Mais sa venue a animé, tout au
long de la semaine, une vive controverse. Nicolas
Sarkozy avait mené une opération brillante en juillet, un coup
d’éclat, une sorte de gageure héroïque, en se rendant à
Tripoli pour «délivrer» les infirmières bulgares.
Enfermées dans les geôles libyennes depuis huit ans, elles en étaient
sorties raccompagnées par le président français et sa femme,
sous le feu des projecteurs médiatiques. Six mois après leur libération,
Nicolas Sarkozy se retrouve empêtré dans une opération des plus
délicates: en conviant le dirigeant libyen à effectuer une
visite de cinq jours à Paris, provoquant des réactions indignées
et des sursauts d’humeur, jusque dans les rangs de son
gouvernement.
Rama Yade, la secrétaire d’Etat aux Droits de l’homme, a
entonné le chant de la révolte, en déclarant, dès lundi: «Le
colonel El Gueddafi doit comprendre que notre pays n’est pas un
paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir
s’essuyer les pieds du sang de ses forfaits.» Bernard
Kouchner, le ministre des Affaires étrangères, a tôt fait de
joindre sa voix aux dissonances, en jugeant «pitoyables»
certains propos du dirigeant libyen et en refusant de participer
à un dîner en sa compagnie. Certains parlementaires, y compris
parmi la majorité «sarkozyste» ont boycotté l’Assemblée
nationale, l’opinion publique se montrant, elle aussi, divisée.
Ainsi, selon un sondage, 54% des Français ont estimé que leur
pays ne doit recevoir que des chefs d’États démocratiquement
élus. Mardi, les attentats de Ben Aknoun et Hydra ont pris une
place importante dans le cours de la visite de Mouammar El
Gueddafi, sous l’impulsion du président français. Nicolas
Sarkozy, critiqué sans trêve pour sa courtoisie envers cet «ancien
terroriste», qui aurait poussé le colonel El Gueddafi à
s’exprimer. «Ce sont des actes condamnables» a donc déclaré
le «Guide», le visage fatigué. Le dirigeant libyen
aurait d’ailleurs «immédiatement appelé» Abdelaziz
Bouteflika après les attentats, pour lui exprimer son «entière
solidarité».
Car pour Nicolas Sarkozy, il apparaissait «important qu’il
fasse ce geste, lui qui a soutenu les mouvements de libération
dans les années 70 et 80 et qui a tourné le dos au terrorisme;
et qui, aujourd’hui, lutte aux côtés d’autres puissances,
notamment occidentales, contre le terrorisme». C’était là
encore pour lui une occasion de justifier du bon accueil réservé
au chef de la Jamahiriya, de se laver les mains tel un Pilate bien
intentionné.
«C’est clair ce que j’ai dit, je suis dans la lutte contre
le terrorisme»: si le «Guide» a été interrogé
avec insistance sur cette question, c’est aussi parce que son
nom y est encore associé. Une arrière-pensée n’est jamais
loin, celle de l’attentat de Lockerbie, qui avait visé un
Boeing 747 le 21 décembre 1988, tuant 270 personnes, et dont la
Libye de Mouammar El Gueddafi fut accusée en première ligne.
Des familles de victimes ont dit leur défiance face à la venue
du dirigeant libyen. «Le terrorisme est condamnable, ce
n’est pas à débattre mais cela ne suffit pas. Il faut lutter
contre et contre ses causes. Pour soigner une maladie, il faut
aussi soigner ses causes», a, néanmoins, estimé le colonel
El Gueddafi lors d’une interview sur la chaîne d’actualité
internationale France 24, sans que s’apaisent pour autant toutes
les polémiques. Considéré comme un dictateur peu soucieux des
droits de l’homme, El Gueddafi n’a pas semblé ébranlé par
les attaques d’adversaires nombreux. Cependant, Nicolas Sarkozy
voyait aussi en son hôte un partenaire économique et un acheteur
potentiel. Ce dernier l’a tout à fait compris.
Pour inciter les entreprises françaises à l’investissement, le
dirigeant libyen a vanté son pays, «une mer de pétrole et un
réservoir de gaz qui jouit de la stabilité». La présidence
française a, d’ores et déjà, annoncé que des contrats
seraient signés pour un montant de 10 milliards d’euros:
Nicolas Sarkozy continue à un rythme effréné sa grande pêche
miraculeuse aux contrats, que les dollars pleuvent de Chine ou de
Lybie. De notre correspondante à Paris, Marilyne
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Publié le 15 décembre avec l'aimable autorisation de l'Expression
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