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Paris-Alger, couple infernal »
Nicolas Sarkozy et Abdel Aziz Bouteflika
Lundi
3 décembre 2007
Le poids de l’histoire
coloniale pèse sur les relations franco-algériennes. Qu’est-ce
qui empêche ces deux pays de porter un regard plus apaisé sur ce
passé colonial ?
L’Histoire justement. L’Algérie est le seul
cas d’un pays colonisé par la France qui a fait l’objet
d’une colonisation de peuplement. En Tunisie, au Maroc, ou dans
les pays d’Afrique noire - je le rappelle dans mon livre - les
Français ne sont pas venus s’installer en masse.
En Algérie oui. Et ça change tout, bien entendu.
Parce que, à l’indépendance, la France s’est retrouvée
avec, sur les bras, des centaines de milliers de déracinés, les
"pieds-noirs", qu’elle a eu beaucoup de mal à ré-assimilier.
Ils sont restés des nostalgiques de l’Algérie, leur pays
natal, et pour une partie d’entre eux, des nostalgiques de l’Algérie
française. Un demi-siècle après, ce départ précipité des
"pieds-noirs" pèse sur notre histoire commune.
Une autre raison tient, je crois, au temps, à la
durée. Des épisodes douloureux de l’histoire comme ceux que
nous avons connus, Français comme Algériens, ne se "digèrent"
pas rapidement. Songez à la réconciliation franco-allemande. Il
a fallu attendre François Mitterrand pour lui donner un contenu
fort. Pourtant, depuis la fin de la guerre nous avions eu de
Gaulle, Pompidou, Giscard. Peut-être que la réconciliation
franco-algérienne doit attendre encore, peut-être que c’était
prématuré de vouloir signer ce fameux traité.
La loi du 23 février 2005
a-t -elle compromis la signature du traité d’amitié franco-algérien ?
Oui, elle a été le révélateur de ce non dit
franco-algérien. S’il n’y avait pas eu la loi du 23 février
2005, sans doute aurait-on signé le fameux traité d’amitié.
Mais les manoeuvres du lobby des nostalgiques ont fait tout
capoter. En catimini, profitant aussi de la mansuétude d’une
partie de la gauche française, qui n’a pas vu - ou qui n’a
rien voulu voir - ils ont réussi à faire voter le texte sur le
"role positif" de la colonisation française.
Ils auront beaucoup fait pour empoisonner les
relations entre les deux pays. Sans eux, peut-être l’histoire
aurait-elle pris une autre tournure. Ils nous ont fait perdre
beaucoup de temps.
Bouteflika a d’ailleurs du se demander si Chirac
ne se payait pas sa tête. D’un côté, le président français
négociait les termes du traité d’amitié entre la France et
l’Algérie ; et de l’autre, il signait le projet de loi
du 23 février ! Quel était le vrai Chirac ? Que
cherchait-il au juste ? La question a du tourner dans la tête
de Bouteflika.
Vous relatez dans votre livre
la visite de Zinédine Zidane en Algérie dont la récupération
politique par ce pays n’a guère été appréciée par Paris, témoignant
ainsi des relations tendues entre la France et l’Algérie
Ca n’est qu’un épisode parmi d’autres mais
il est emblématique. Zidane est la parfaite illustration de l’ambiguité
des relations entre les deux pays. Chacun essaie de récupérer,
de s’approprier le joueur de football emblématique. Au yeux des
Français, Zidane est Français puisqu’il est né en France où
ses parents se sont installés.
Mais pour les Algériens, il suffirait que Zidane
demande la nationalité algérienne pour l’obtenir puisque ses
parents sont d’origine algérienne. Autant dire, vu d’Alger,
que Zidane est presque un Algérien.
Et voilà comment l’homme aux pieds d’or est
tiraillé entre les deux pays. Lorsque Bouteflika envoie son avion
personnel pour l’amener à Alger, les Français ripostent en
organisant à la résidence de l’ambassade de France à Alger
une réception où il n’est question que de célébrer Zidane
"le Français". Tout ça parait un peu ridicule, un peu
sot. Ca fait querelle de gamins mais derrière ressurgit ce lourd
contentieux entre les deux pays.
En dépit de ses diatribes
anticolonialistes, Bouteflika est selon vous le président algérien
le plus attaché à une réconciliation franco-algérienne
Bouteflika est incontestablement le président le
plus francophile. Dans mon livre je reviens sur tous les gestes
qu’il a accomplis dans ce sens. Ils sont trés nombreux et pour
certains comportent une lourde charge symbolique : il a réhabilité
Saint-Augustin, remis au goût du jour l’usage du Français dans
une partie de l’enseignement, s’est rapproché de la
Francophonie.
Peut-être plus important, il n’hésite pas à
prononcer en français plusieurs de ses discours. Avec lui, il y a
eu un changement véritable et incontestable que l’on retrouve
d’ailleurs au niveau des affaires. Avec lui, les échanges
franco-algériens atteignent des sommets !
Mais Bouteflika c’est aussi un nationaliste
arabe et algérien. Il est imprégné de culture arabo-islamique.
C’est une part importante de son personnage. Il s’intéresse
beaucoup plus que Mohammed VI ou Ben Ali, ses deux voisins immédiats,
aux évènements du Proche-Orient, à la Palestine, à l’Irak.
Bref, c’est un personnage complexe avec sa part d’ombre et de
lumière. J’ai essayé dans le livre de faire la part des choses
et de tracer un portrait nuancé de lui.
Que peut-on attendre de la
visite officielle en Algérie de Nicolas Sarkozy ?
Pas grand chose malheureusement. Sarkozy, qui était
trop jeune à l’époque de la guerre d’indépendance, ne
traine aucune casserole de ce côté là. Il aurait pu réussir là
où Chirac a essayé. Il aurait pu finaliser le traité d’amitié
et apurer le passer. Ce ne sera pas le cas. Il veut tourner la
page, la gommer, faire comme si elle n’existait pas.
Les Algériens ne veulent pas de cette amnésie.
Le désaccord subisiste. Il est patent. Dans ces conditions, la
visite n’aura qu’un maigre contenu politique. On parlera
beaucoup "Affaires", un peu "politique". Pour
le devoir de mémoire - un mot que je préfère à celui de
"repentance" - il faudra patienter. C’est dommage.
Propos recueillis par la rédaction
Paris-Alger, couple infernal de Jean-Pierre Tuquoi
aux Editions Grasset
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