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Opinion
Une tache de honte
sur notre drapeau
Dominique de Villepin
Lundi 23 août 2010
Tribune publiée dans Le Monde, 23/08/2010
« Il aura suffi d’un discours à Grenoble et d’un été, d’un
seul été, pour que tout bascule, de la lutte contre l’insécurité
à l’indignité nationale. Je dis bien « nationale » car le
président de la République nous engage tous. Et si on en
doutait, il suffirait alors de lire la presse étrangère, des
Etats-Unis à l’Inde en passant par les journaux européens, pour
mesurer l’effarement devant le visage méconnaissable de la
patrie des droits de l’homme. Il suffirait d’écouter les voix
qui s’élèvent du Comité de l’ONU pour l’élimination de la
discrimination raciale pour condamner la recrudescence raciste
et xénophobe.
Et pourtant me direz-vous, rien n’a changé. Nous savons
pertinemment, les uns et les autres, que ces projets
d’élargissement de la déchéance de nationalité française ne
pourraient déboucher sur rien de concret, rien d’efficace. Nous
savons notre arsenal juridique suffisant, à l’instar de
l’article 25 du code civil.
Nous savons surtout que de tels projets, même mis en œuvre,
ne changeraient rien aux difficultés quotidiennes de nos
compatriotes. C’est d’ailleurs la preuve que la surenchère
sécuritaire n’a d’autre but que la provocation et la division
pour assurer la conservation du pouvoir au service d’intérêts
personnels. Des solutions existent pourtant.
Cela exige de rassembler tous les acteurs, notamment les
maires et les associations, de mobiliser avec raison et
détermination tous les instruments de la prévention et de la
répression en reconnaissant l’ampleur de la question sociale,
économique, éducative.
Rien n’a changé, et pourtant tout a changé. Changé, le regard
sur les autres – Roms, gens du voyage, immigrés, musulmans…
Changé, le regard sur la France, pays qui jadis avait des
repères, des principes. Changé, notre regard sur nous-mêmes,
entre citoyens français et « citoyens d’origine étrangère »
quand l’article premier de notre Constitution « assure l’égalité
devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine,
de race ou de religion ».
Il ne s’agit pas là de simples détails, car nous ne pouvons
oublier, au-delà de l’indigne, jusqu’où peuvent conduire ces
jeux-là. Erreur, dit le philosophe… Non! Faute. Faute morale,
faute collective commise en notre nom à tous, contre la
République et contre la France. Il y a aujourd’hui sur notre
drapeau une tache de honte.
RÉAGIR EN CONSCIENCE
Se taire, c’est déjà être complice. Il appartient à chaque
Française, à chaque Français, de réagir en conscience, quels que
soient son âge et sa condition et où qu’il se trouve, à Paris ou
en province, pour marquer à sa façon son refus de cette dérive
inacceptable. Le défi pour les responsables politiques est sans
doute le plus difficile, comme en témoignent le malaise à
droite, le flottement à gauche et les incertitudes au centre. Il
implique de se hisser au-delà des arrière-pensées électorales et
des clivages partisans.
Une fois de plus, il serait tentant de jouer tactique,
habileté contre habileté, calcul contre calcul, ruse contre
ruse, mais ce serait se tromper de combat. Le moment vient où
les yeux des plus naïfs, des plus incrédules vont enfin
s’ouvrir. La rupture entre le sommet de l’Etat et la nation est
en marche, quoi qu’on veuille faire dire aux sondages d’opinion.
Il y a aujourd’hui un devoir à remplir pour tous les
républicains de France, face à l’hydre qu’un président et ses
courtisans voudraient réveiller au fond de chacun de nous, face
à la tache qui menace de flétrir l’idée même que nous nous
faisons de la France. Un devoir de refus. Un devoir de
rassemblement.
Un devoir de courage politique pour préparer l’alternative
républicaine qui s’impose. Un devoir que nous devons assumer
tous ensemble, aussi longtemps qu’il faudra, avec toute
l’énergie qu’il faudra. »
Dominique de Villepin, ancien premier ministre, président de
République solidaire
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