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The Guardian
La vision déformée
de Sarkozy
Lundi
15 janvier 2007
Il y a une supposition partagée à la fois dans les cercles
intérieurs de Tony Blair et de Gordon Brown : Nicolas Sarkozy
sera élu prochain président de la France le 6 mai. Mais l'actuel
et le futur (probable) occupants travaillistes de Downing Street
vont plus loin que cela. Ils pensent aussi que la victoire de
Sarkozy sera dans les meilleurs intérêts de la France, de la
Grande-Bretagne et de l'Europe. Ces points de vue sont partagés
avec enthousiasme par David Cameron, du Parti Conservateur. Les
suppositions de Londres en disent plus sur la politique
britannique que sur la politique française. La vérité est que
M. Sarkozy n'est ni le favori, ni le président dont la France a
besoin, à une période aussi difficile et délicate de son
histoire.
Hier, M. Sarkozy a été élu comme candidat officiel du parti
droite, l'UMP. Pourtant, étant donné qu'il était seul en lice
dans le scrutin, il a eu remarquablement eu du mal à gagner.
Seulement 69% de l'ancien parti gaulliste a voté dans cette élection,
significativement moins que ce que M. Sarkozy avait espéré, et
cela s'est vu sur son visage lorsque les chiffres furent annoncés.
Ce résultat a ébranlé sa revendication selon laquelle le
spectaculaire Sarko show d'hier avait montré que la famille de
centre-droit est unie. M. Sarkozy avait travaillé avec assiduité
pour capturer le soutien de ses rivaux potentiels, tout dernièrement
de la ministre de la défense, Michèle Alliot-Marie. Mais le
Premier ministre Dominique de Villepin a refusé de voter pour lui
et n'a fait qu'une brève apparition au congrès d'hier, tandis
que le Président Chirac, qui n'a pas totalement levé l'hypothèse
de se représenter, est resté entièrement à l'écart. Si M.
Sarkozy effraye un grand nombre de ses propres électeurs, pensez
à ce que le public pourrait faire en général.
Tout ceci est une preuve supplémentaire, s'il en était besoin
après la manière dont il s'est comporté lors des émeutes de
banlieue de 2005, que M. Sarkozy est un politicien extrêmement
diviseur. Il a du mal, pas seulement pour remporter la présidence
contre la candidate de gauche, Ségolène Royal (qui est aussi peu
diviseuse que Sarkozy est diviseur) mais aussi de rassembler la
droite autour de sa propre cause. Cela sera un acte d'équilibre
difficile. M. Sarkozy doit minimiser la menace de l'extrême
droite d'un Jean-Marie Le Pen qui n'a jamais été aussi dangereux
et minimiser la contestation au centre de la part de l'UDF, François
Bayrou, tout en essayant simultanément d'empêcher M. Chirac ou
un autre gaulliste plus classique de monter une contestation de
dernière minute. Un faux pas politique, n'importe quand, pourrait
avoir des conséquences désastreuses pour sa cause. Les sondages
donnent actuellement M. Sarkozy et Mme Royal (respectivement à
33% et 32%) comme les deux clairs favoris pour le premier tour du
22 avril. Pour le deuxième tour, ils sont à égalité à 50%
chacun. Donc, les enjeux ne sauraient être plus grands.
Cela justifie difficilement la supposition à Londres selon
laquelle M. Sarkozy sera le probable vainqueur. Mais l'interprétation
erronée de ce qu'il est constitue une faute encore plus grave que
l'interprétation erronée de ses chances. Les dirigeants
britanniques ont une habitude paresseuse de ne voir que les choses
qu'ils veulent voir dans le candidat UMP - l'homme politique dur,
pro-américain et économiquement libéral - sans prendre
suffisamment en compte, ni les inconvénients, ni de ce que ces
qualités impliqueront probablement dans les contextes français
et européen des cinq prochaines années. Que M. Sarkozy représente
une rupture nécessaire des aspects importants de la version en
faillite du Gaullisme de M. Chirac sur le plan intérieur est sans
aucun doute. Il est un challenger de tabous. Sa candidature marque
un changement de l'économie d'Etat centralisée et des modèles
sociaux qui ont dominé les deux branches de la politique française
pendant le 20ème siècle. Mais la nouveauté ne suffit pas. M.
Sarkozy est provocateur et impitoyable et son appel électoral -
qui combine un populisme anti-immigrés, un conservatisme de
classe-moyenne et une dérégulation économique extensive -
n'offre pas un modèle européen pour le 21ème siècle que la
Grande-Bretagne devrait épouser. Mme Royal offre aussi à la
France et à l'Europe une rupture par rapport au passé politique.
Mais son approche pragmatique et d'inclusion sociale offre à son
pays et à notre continent un moyen bien plus constructif et
fiable d'avancer que celle de M. Sarkozy.
Traduit
de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]
Article original : "Sarkozy's
distorted vision"
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