IRIS
L’élection
peut-elle changer la politique étrangère de la France ?
Pascal Boniface
Pascal Boniface par Rosa
Moussaoui / L’Humanité / 24 janvier 2007
Nicolas
Sarkozy serrant la main d’un George W. Bush empêtré dans le
bourbier irakien, Ségolène Royal posant sur la Grande Muraille
de Chine... Ces clichés ne peuvent tenir lieu de programme en
matière de politique étrangère. Dans un contexte de tensions
internationales, où la globalisation brouille chaque jour
davantage les frontières entre intérieur et extérieur, Pascal
Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales
et stratégiques (IRIS), interpelle le (la) futur(e) élu(e) dans
une Lettre ouverte sur le rôle de la France dans le monde. Ses
convictions : on ne pourra assurer la sécurité du monde sans
s’attaquer au terreau du terrorisme. La France et l’Europe
peuvent peser en faveur d’une résolution pacifique des conflits.
Dans
votre Lettre à notre futur(e) président(e) de la République
sur le rôle de la France dans le monde, vous émettez l’hypothèse
d’un dépassement de la séparation classique entre intérieur
et extérieur. Pour quelles raisons ?
Nous vivons désormais
dans un monde où ce qui se passe à l’extérieur a des répercussions
directes sur notre vie quotidienne. Sur le plan économique
comme sur le plan stratégique, la globalisation bouleverse la
notion de frontière. Protection de l’environnement, sécurité,
terrorisme, conflits : on voit bien que les différentes parties
de la planète sont interreliées. On ne peut donc plus opérer
de césure nette entre ce qui relève du domaine intérieur et
ce qui relève du domaine international. Dans la mesure où les
interpénétrations sont quotidiennes et globales, les Français,
contrairement à ce que pense une partie des élites, s’intéressent
aux questions internationales et sont conscients des enjeux
mondiaux. Évidemment, ce sont d’abord les questions économiques
et sociales qui détermineront les choix des électeurs. Mais je
reste persuadé que les questions internationales feront partie
de l’équation des futures élections.
Dans
un contexte de risques liés au terrorisme, vous appelez le ou la
futur(e) président(e) à s’attaquer au terreau de cette
violence...
Si l’on veut soigner un
mal, il faut s’attaquer aux symptômes mais aussi aux causes.
Certains intellectuels assimilent toute réflexion sur les
causes du terrorisme à une forme de légitimation. Je crois ce
raisonnement spécieux. Il faut un volet militaire dans la lutte
contre le terrorisme, pour répondre au danger immédiat. Mais
il faut également essayer d’enrayer les causes, en apportant
des réponses aux conflits non réglés (la guerre d’Irak, le
Proche-Orient) et à l’ensemble des frustrations politiques
qu’ils engendrent. Si on démantèle des cellules terroristes
sans modifier l’environnement stratégique qui en a permis la
création, d’autres cellules se reconstitueront au fur et à
mesure.
Vous
vous montrez critique sur le rôle que joue et qu’entend jouer
l’OTAN. Comment l’Europe doit-elle, selon vous, assurer sa défense
?
Pour la sécurité européenne,
l’OTAN est à la fois une solution et un problème. Si l’OTAN
a longtemps assuré la sécurité de l’Europe, elle a également
empêché l’émergence d’une identité européenne de défense.
L’OTAN doit rester, mais un tel cadre ne doit pas empêcher
les Européens de construire leur propre outil de défense.
Au-delà de ce débat déjà ancien, se pose la question des
projets pour l’OTAN. Certains cercles développent l’idée
de faire de l’OTAN une sorte de « sainte alliance des démocraties
» contre le terrorisme ou contre la Chine, avec des projets
d’intégration de pays aussi divers que le Japon, la Corée ou
l’Australie. Sous couvert de bons sentiments, cela me paraît
relever d’une dérive extrêmement dangereuse.
Face
à l’hégémonie américaine, comment la France et l’Europe
peuvent-elles favoriser le multilatéralisme et la recherche de
solutions diplomatiques aux conflits ?
Il faut d’abord en finir
avec le débat sur « l’antiaméricanisme ». Dès que l’on
s’oppose à la politique étrangère de George W. Bush, surgit
ici ou là l’accusation d’antiaméricanisme. C’est
d’ailleurs là un phénomène comparable à l’accusation
d’antisémitisme dès lors que l’on critique la politique du
gouvernement israélien. Ces raccourcis sont à mettre sur le
compte d’une paresse intellectuelle qui consiste à diaboliser
ceux qui ne sont pas d’accord avec telle ou telle politique.
Le problème américain n’est pas celui de la société américaine,
qui, à bien des égards, peut être une source d’inspiration
pour la France (représentation de la diversité, intégration),
mais bien celui de la politique étrangère conduite par les États-Unis.
Celle-ci apparaît comme une source d’insécurité. On le voit
avec la guerre d’Irak. On peut le craindre, demain, avec une
éventuelle guerre d’Iran. Il est indispensable que la France
constitue, avec les autres pays européens, un contrepoids pour
limiter les tendances les plus néfastes de cette politique extérieure
américaine.
Comment
faire entendre cette voix originale dans un contexte de montée en
puissance des pays émergents ?
Le monde se multipolarise
: le monopole de la puissance échappera inévitablement au
monde occidental. La France et l’Europe, face à ces évolutions,
peuvent bénéficier d’un immense avantage en développant une
vision globale des questions internationales sans pour autant
nourrir l’illusion de l’hyperpuissance. Elles
contribueraient ainsi à leur propre sécurité comme à la sécurité
mondiale.
Que
dire de l’alignement atlantiste prôné par le candidat de l’UMP
?
L’immense réticence
qu’une telle position suscite dans l’électorat l’a
contraint à l’atténuer avec deux signaux : son article dans
le Monde condamnant l’exécution de Saddam Hussein et
l’affirmation de la justesse de l’opposition à la guerre
d’Irak au congrès de l’UMP. Nicolas Sarkozy a compris que
l’affichage d’une trop grande proximité avec la politique
étrangère aujourd’hui menée par les États-Unis lui faisait
courir le risque d’un rejet jusque dans son propre électorat.
Peut-on
interdire à l’Iran l’accès au nucléaire civil, comme le
propose Ségolène Royal ?
C’est contraire au texte
du traité de non-prolifération. Que l’Iran n’ait pas le
droit d’accéder à l’arme nucléaire est un fait. Qu’il
n’ait pas accès à l’enrichissement, ce n’est pas tout à
fait conforme au texte du TNP, mais c’est la position de la
communauté internationale. Mais prétendre lui interdire
l’accès à l’énergie nucléaire civile ne correspond pas
à l’état du droit.
Quel
rôle la France peut-elle jouer pour retrouver le chemin d’une
solution diplomatique au conflit au Proche- Orient ?
Seule, la France ne peut
rien. Mais elle peut être le moteur d’une politique européenne
plus active en ce sens. L’Europe est le principal donneur
d’aides aux Palestiniens et le premier partenaire commercial
des Israéliens. Elle a des marges de manoeuvre beaucoup plus
importantes qu’elle ne le pense elle-même. Il faut donc
qu’elle lève son inhibition à ce sujet.
(1)
Lettre ouverte à notre futur(e) président(e) de la République
sur le rôle de la France dans le monde, Pascal Boniface, Armand
Colin, 2007, 15,80 euros.
Pascal Boniface
Directeur de l'IRIS
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