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IRIS
Le bilan
diplomatique de Jacques Chirac
Pascal Boniface
Pascal Boniface / L’Essentiel des relations
internationales / mai-juin 2007 Jacques
Chirac va, après douze années de présidence, quitter l'Elysée.
Il laissera une bonne image de son action diplomatique, tant en
France qu'à l'étranger.
Un bilan globalement
positif. L'expression est galvaudée, mais elle s'applique avec
pertinence à l'héritage diplomatique que laissera Jacques
Chirac après douze années passées à l'Elysée. Il a maintenu
haut et fort la tradition diplomatique de la Ve République établie
par le général de Gaulle, poursuivie et développée par François
Mitterrand. Les Français lui en savent gré, et ont une image
positive de son action internationale, dans laquelle ils se
reconnaissent avec une certaine satisfaction. Si le bilan de
politique intérieure de Jacques Chirac sera très probablement
contesté par une partie importante des Français, la grande
majorité lui délivre un satisfecit pour son action
internationale. Celle-ci est également bien perçue dans la
plupart des pays, à l'exception sans doute d'Israël et des
Etats-Unis. Jacques Chirac est populaire dans le monde, non
seulement auprès de nombreux chefs d'Etat, mais surtout auprès
des populations. S'il n'y avait qu'un fait à retenir, c'est évidemment
son opposition à la guerre d'Irak qui fut le plus éclatant et
qui restera dans les mémoires, expliquant en grande partie sa
forte popularité. Il restera la référence de sa double présidence.
UNE
VOLONTE INITIALE DE RUPTURE
Il n'était pas évident
au départ que Jacques Chirac suive le cours diplomatique qui
aura finalement été le sien, au point que l'on parle désormais
de " gaullo-mitterrando-chiraquisme ". Il ne faut pas
oublier que, sous les deux septennats de François Mitterrand,
Jacques Chirac s'est, à de nombreuses reprises, opposé à la
politique étrangère du président socialiste. Le paradoxe est
que Chirac, le néo-gaulliste, critiquait Mitterrand, qui avait
des prises de position tout à fait gaulliennes. Chirac était
plus atlantiste que Mitterrand et lui reprochait les critiques -
excessives selon lui - adressées aux Etats-Unis. Il avait voulu
soutenir le programme de " Guerre des étoiles " de
Ronald Reagan, que Mitterrand avait très vivement critiqué. Il
s'était également querellé avec lui sur les questions nucléaires
en soutenant des positions qui auraient écarté la France de sa
posture traditionnelle en matière de dissuasion, pour la
rapprocher de la riposte graduée des Etats-Unis et donner plus
d'importance aux armes nucléaires tactiques et à leur fonction
d'armes de combat. Mitterrand qui avait dans l'opposition
combattu la diplomatie de De Gaulle, la création de la force de
dissuasion et le départ des organes militaires intégrés de
l'OTAN, se projetait dans une continuité gaulliste que
combattait l'héritier officiel du général. On se souvient
aussi que Jacques Chirac avait mis beaucoup plus de temps que
François Mitterrand à soutenir Gorbatchev et sa politique de
perestroïka.
Les deux premières décisions
de Jacques Chirac, arrivé à la présidence en 1995, s'écartaient
d'ailleurs très nettement et des principes gaullistes, et de la
politique établie par François Mitterrand. Il annonça la
reprise des essais nucléaires français auxquels Mitterrand
avait voulu mettre fin par un moratoire en 1992 qu'il avait par
la suite qualifié de définitif. Cette reprise des essais
suscita une tempête de protestations dans le monde, et,
contrairement à ce que pensait l'équipe élyséenne, ne se
limitant pas aux pays du Pacifique Sud mais traversant également
l'Europe, et notamment le principal partenaire de la France,
l'Allemagne.
La France fut à cette
époque extrêmement impopulaire et accusée de mener une
politique unilatérale qui ne prenait pas en compte les
aspirations des autres peuples. Elle se retrouva isolée et mise
en accusation. La série d'essais terminée, Jacques Chirac,
prenant en compte l'ampleur des protestations, indiqua que la
France fermait définitivement son centre d'essais de Mururoa et
lançait un plan de désarmement.
De même, en décembre
1995, le président français prôna un renforcement de la coopération
avec l'OTAN et envisagea même une réintégration de la France
en son sein, afin d'accentuer la coopération avec les Américains.
Le refus de Washington d'européaniser l'OTAN, et surtout
l'alternance gouvernementale après la défaite aux élections législatives
de juin 1997, ne lui offrirent pas le temps de mener à bien
cette politique qui aurait inversé l'acte fondateur de la Ve République.
La gauche plurielle, qui allait former un gouvernement sous la
direction de Lionel Jospin, avait d'ailleurs affiché son
opposition à un tel revirement atlantiste et l'absence de réaction
positive américaine priva ce projet de tout fondement. Il fut
donc abandonné.
La cohabitation ne posa
guère de problèmes particuliers. A l'exception de la
mini-crise lors de la visite de Lionel Jospin au Proche-Orient
et des incidents à l'Université Bir Zeit, les questions
internationales n'ont pas donné lieu à des polémiques.
Jacques Chirac, Lionel Jospin et Hubert Védrine se sont employés
à ne pas entraver l'action internationale de la France par des
querelles intestines.
LE
FAIT MARQUANT : L'OPPOSITION A LA GUERRE D'IRAK
Comment expliquer que
l'opposition de Jacques Chirac à la guerre en Irak restera
comme le fait marquant de ses deux mandats ? Car après tout, il
n'a pas empêché la guerre et il n'a pu que constater,
impuissant, la réalisation des catastrophes annoncées lors de
ses mises en garde. Son constat était pertinent, mais il n'a
pas été réellement suivi d'effet. Il n'est pas de tradition
de célébrer les Cassandre. Mais au-delà de la possibilité ou
non d'enrayer la machine de guerre américaine une fois que les
néo-conservateurs avaient convaincu George W. Bush de la mettre
en route, la position de la France aura été malgré tout une
contribution utile avant, pendant et après la guerre.
Peut-être faut-il se
remémorer le contexte de l'époque. Une majorité de
gouvernements européens, arabes et autres, et la quasi-totalité
des populations craignaient le déclenchement d'une guerre
contre l'Irak et s'exprimaient en défaveur d'une telle option.
Mais la détermination
américaine était extrêmement forte du fait de la conviction
d'avoir raison et de servir une juste cause, mais aussi du fait
du sentiment d'avoir été agressés avec le 11 septembre et en
raison de la puissance inégalée dans l'histoire : jamais un
pays n'avait été aussi fort que les Etats-Unis dans un monde
globalisé, au début du XXIe siècle. En France même, de
nombreux intellectuels et moralistes essayaient de disqualifier
ceux qui s'opposaient à la guerre en les réduisant à un
statut de soutiens de Saddam Hussein ou d'amis des dictatures
arabes. Dans la propre majorité de Jacques Chirac, de nombreux
parlementaires s'exprimaient en faveur des thèses américaines.
Certains par conviction et adhésion aux vues de Washington,
d'autres par faiblesse et esprit de soumission, par peur
d'entraver la marche d'un pays surpuissant.
Dans cette affaire,
Jacques Chirac a donc fait preuve non seulement de courage mais
aussi de lucidité. Courage de s'opposer à la première
puissance mondiale, et lucidité à la fois quant aux
catastrophes qui s'annonçaient (élargissement du fossé monde
musulman/monde occidental, erreur de s'attaquer à l'Irak avant
d'avoir avancé sur la question palestinienne, déstabilisation
supplémentaire de la région, développement du terrorisme,
etc.). Lucidité également sur le fait que le monde unipolaire
n'existait pas et que, quelle que soit leur volonté, les Américains
n'arriveraient ni à punir la France, ni à oublier l'Allemagne.
Pardonner à la Russie, mais également aux autres, restait
l'unique option possible.
La France seule
n'aurait pas pu tenir une posture d'opposant à la guerre
d'Irak, mais elle seule pouvait amorcer le mouvement qui était,
pour des raisons politiques et stratégiques, difficile à
lancer par l'Allemagne ou par la Russie, et encore plus par tout
autre pays. Ce courage a valu une très grande popularité à
Jacques Chirac, non seulement dans le monde arabe ou musulman,
mais également partout ailleurs, pour justement avoir incarné
une résistance à une politique agressive jugée injuste et
dangereuse.
Jacques Chirac a été
l'homme qui a osé dire non et qui a - reprenant les habits de
De Gaulle et Mitterrand - su s'opposer aux Etats-Unis lorsque la
politique de ces derniers lui paraissait ne pas correspondre à
l'intérêt général, ni même aux objectifs qu'ils avaient
eux-mêmes déterminés. Il reprenait également le rôle de De
Gaulle et Mitterrand en étant à la fois le plus ferme soutien
des Américains dans les circonstances difficiles et le plus
vigoureux censeur lorsqu'il l'estimait indispensable.
Jacques Chirac fut le
premier chef d'Etat à se rendre à New York après le 11
septembre. A titre personnel, il est admiratif de la société
américaine et ne peut être qualifié d'anti-américain. Ce
sont donc bien les excès de la puissance et de la politique étrangère
américaine qui sont en cause. En son temps déjà, De Gaulle
avait été du côté des Etats-Unis lors de la construction du
Mur de Berlin ou de la crise des fusées de Cuba, car l'équilibre
Est-Ouest était en cause. Ce qui ne l'avait pas empêché de
s'opposer à la guerre du Vietnam ou à la politique américaine
dans le tiers-monde. Tout comme Mitterrand qui fut décisif dans
son soutien au rééquilibrage nucléaire en Europe dans
l'affaire des euromissiles, mais qui s'opposa au SDI et à la
politique de Reagan vers les pays du Sud.
LE
DOSSIER DU PROCHE-ORIENT
Dans le même ordre d'idée,
Jacques Chirac aura été celui qui dans le monde occidental fut
le plus actif soutien des Palestiniens après la mort du
processus d'Oslo et la reprise de l'Intifada en septembre 2000,
au moment où les Etats-Unis rompaient les ponts avec l'Autorité
palestinienne et adoptaient une politique suiviste à l'égard
des gouvernements israéliens, quelles que soient les décisions
de ces derniers.
En Europe, les
gouvernements italien et espagnol, traditionnellement sensibles
aux thèses palestiniennes étaient dirigés par Berlusconi et
Aznar, pour qui satisfaire Washington était une priorité. Et
si Tony Blair était conscient de la nécessité d'avancer sur
ce dossier afin de réduire l'espace du terrorisme, la priorité
qu'il accordait à l'alliance avec Washington l'empêchait de
passer du constat à l'action.
Là encore, la France
apparaissait comme le porte-parole de ceux n'ayanr pas voix au
chapitre, comme la seule dans le monde occidental semblant être
sensible à la situation des Palestiniens qui entre-temps était
devenue une cause commune dans tous les pays arabes, voire même
dans tous les pays musulmans.
Tant dans le dossier
irakien que sur le conflit israélo-palestinien, l'action
diplomatique de la France aura été de s'inscrire en faux
contre la thèse du choc des civilisations, nouvel horizon de
combat du président français, au moment même où, si d'autres
dirigeants occidentaux condamnaient cette thèse, leur action
avait à l'inverse pour effet de lui donner une certaine
consistance.
Le tempérament
personnel de Jacques Chirac, finalement le moins
occidentalo-centré des dirigeants du Nord de la planète,
certainement le plus ouvert aux autres civilisations et autres
cultures, y est certainement pour beaucoup.
Dans cette optique il
faut noter un certain relâchement de la détermination à
partir de 2005. Le même président qui en 1996 s'empoignait
avec des soldats israéliens voulant l'empêcher de se déplacer
librement dans Jérusalem-Est, et qui menaçait de reprendre son
avion pour rentrer à Paris, accueillait en grande pompe Ariel
Sharon, sans dire un mot sur la construction du mur, sur le
blocage du processus de paix, sur la répression des
Palestiniens et sur le caractère unilatéral - et donc porteur
d'impasse - du retrait de Gaza, pour lequel on faisait au
contraire semblant de croire qu'il avait une portée historique
pour l'avenir de la paix.
Les campagnes sur
l'antisémitisme supposé de la France contre lesquelles Jacques
Chirac s'était élevé avaient peut-être fini par avoir un
impact psychologique auprès de lui. Il faut surtout y voir son
affaiblissement personnel après l'échec du référendum du 29
mai 2005, suivi de peu par un accident cérébral, qui avait
semblé accélérer le temps de la succession. La priorité était
alors accordée à la réconciliation avec les Etats-Unis et
surtout - après l'assassinat de son ami Hariri - à la punition
de la Syrie qui devint un enjeu diplomatique de la France dans
la région.
Dans l'affaire
irakienne le président français a défendu le multilatéralisme,
les institutions et le droit internationaux, conformément
d'ailleurs à l'intérêt national français.
On pourra également
remarquer l'investissement personnel de Jacques Chirac dans la
protection de l'environnement et la lutte contre le réchauffement
climatique, avec un discours très fort prononcé au Sommet de
la Terre de Johannesburg en 2002. Mais les actes de la France
n'ont peut-être pas tout à fait suivi les discours en la matière.
Quant à la contribution à l'aide aux pays du Sud, pour limitée
qu'elle puisse paraître, la création d'une taxe - fût-elle
volontaire - sur les billets d'avions est certainement un geste
appelé à avoir un impact assez fort par la suite.
Pascal Boniface est
directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques
et vient de publier " Lettre ouverte à notre futur(e)
président(e) de la République sur le rôle de la France dans
le monde " (Armand Colin).
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