|
IRIS
« La France ne doit pas rentrer
dans le rang »
Pascal Boniface

Pascal
Boniface par Denis Sieffert / Politis / 5 avril 2007 Auteur
d’une lettre aux présidentiables, le directeur de l’Institut
de relations internationales et stratégiques se dit très déçu
du traitement de la politique étrangère dans la campagne. Comment
expliquez-vous l’absence des sujets de politique étrangère
dans cette campagne, sauf lorsqu’ils prennent l’apparence de
causes humanitaires, comme à propos du Darfour ?
C’est une erreur
difficilement compréhensible de la part des candidats, car on
ne va pas élire le Premier ministre mais celui ou celle qui
incarnera la France à l’étranger. J’avais fait le pari
d’un certain nombre de clivages sur la politique étrangère,
et j’avoue ma déception. Ce n’est pas faute que les Français
s’y intéressent. Que ce soit sur les problèmes du
Proche-Orient ou sur les problèmes Nord-Sud, on observe une
mobilisation à l’occasion de débats publics auxquels il
m’arrive de participer.
Sur le Proche-Orient,
on a l’impression que c’est « y penser toujours mais n’en
parler jamais ». Du côté de Nicolas Sarkozy, on tient pour
acquis le vote de ceux pour qui Israël est une cause sacrée.
Du côté de Ségolène Royal, après avoir fait naître des
espoirs dans le débat interne au parti socialiste, au cours
duquel elle s’était dé-marquée de Laurent Fabius et de
Dominique Strauss-Kahn, son voyage au Proche-Orient n’a pas eu
le succès es-compté. La polémique artificiellement montée
lorsqu’elle était à Beyrouth est parvenue à créer une
sorte d’inhibition, si bien qu’arrivée à Jérusalem, elle
a déclaré l’inverse de ce qu’elle venait de dire. Depuis,
elle n’aborde plus vraiment le sujet. Ce qui est une erreur.
On ne peut se contenter de slogans unanimistes.
Autre déception, à
propos d’un vrai problème – le Darfour – mais d’une
fausse mobilisation médiatique, largement inspirée
d’organisations communautaires américaines, et montée par
une personnalité, Bernard-Henri Lévy, dont l’intégrité
intellectuelle n’est pas le propre. François Bayrou,
Dominique Voynet et Ségolène Royal ont signé sa pétition, en
dépit des prises de position des organisations de terrain qui,
toutes, mettent en garde contre une vision binaire et manichéenne
de ce conflit. La façon dont s’organise le débat médiatique
est un vrai sujet d’interrogation. Les candidats ont
l’impression de s’engager sur une question qui fait
consensus. On préfère être en décalage avec la réalité
plutôt que de prendre le risque d’un vrai débat clivant.
À propos du conflit
israélo-palestinien, il est paradoxal de voir que ce sont les
« petits » candidats – José Bové, Marie-George Buffet,
Olivier Besancenot – qui, finalement, sont en phase avec la
politique traditionnelle de la Ve République dans le monde
arabe. Ce sont les candidats qui pèsent peu qui sont en phase
avec l’opinion.
Le
paradoxe, c’est que les principaux acquis de Jacques Chirac au
cours de ses deux mandats présidentiels résultent de sa
politique étrangère…
En effet, Jacques Chirac
ne laissera peut être pas une grande trace dans le domaine de
la politique intérieure, mais, ce qui restera de lui, ce sera
son geste symbolique en 1996, quand, dans les rues de Jérusalem-Est,
il s’empoigne avec les services de sécurité israéliens. Et
son « non » à George Bush, en 2003, au moment de la guerre
d’Irak, contre une partie de sa majorité parlementaire. Cela
a permis de conserver ce que je qualifierais de « biodiversité
géostratégique ». C’est la preuve que l’on peut encore
s’opposer aux Américains dans un monde présenté comme
unipolaire.
Quand
on interroge l’entourage des candidats sur cette frilosité en
politique étrangère, il n’est pas rare que l’on s’entende
répondre qu’il ne faut pas s’isoler de l’Europe. Serait-ce
la faillite de ce que vous appelez « l’Europe puissance » par
opposition à une « Europe espace », simple zone de libre-échange
?
L’Europe est vraiment un
faux argument. Lorsque Mitterrand, en 1982, va devant la Knesset
pour dire le droit à la sécurité d’Israël et le droit à
l’existence d’un État palestinien, il est beaucoup plus en
décalage avec les autres pays européens que ne le serait un Président
français qui dirait la même chose aujourd’hui.
Vous
plaidez pour que le futur (ou la future) président(e) défende la
conception d’une « Europe puissance »…
J’ai peut-être là une
différence d’approche avec la mouvance altermondialiste, qui
a toujours une réticence à parler d’« Europe puissance »,
parce qu’elle la considère trop souvent comme correspondant
à une politique agressive de domination. Mais on peut concevoir
une puissance mise au service du droit et destinée à équilibrer
les autres puissances qui n’ont pas cette conception du droit.
Vous
dites « ni militarisme ni pacifisme »…
On voit bien que les 626
milliards que les États-Unis consacrent aux dépenses
militaires cette année contribuent plus à leur insécurité
qu’à leur sécurité. Si ces sommes étaient consacrées à
l’accès à l’éducation de tous les citoyens ou au développement,
les choses iraient mieux.
Il y a des
circonstances où la non-violence est le meilleur moyen de
combattre. Mais on ne peut poser comme principe que le recours
à la force serait interdit en toutes circonstances. Ce recours
peut être autorisé s’il est strictement encadré par des règles
de droit, comme le prévoit la charte de l’ONU.
Vous
évoquez un « désir de France », notamment parmi les pays du
Sud. Est-ce encore le cas ?
Il y a une tradition des
Lumières et de la Révolution. Les discours du général de
Gaulle à Phnom Pen, en 1966, et de Mitterrand à Cancún, en
1981, puis l’opposition de Chirac à la guerre d’Irak
s’inscrivent dans cette tradition. Dans des circonstances
particulières, la France a été le porte-parole des sans-voix.
Du fait de son indépendance vis-à-vis des États-Unis, elle a
pu manifester son opposition à Washington. Beaucoup rêvent de
voir la France rentrer dans le rang. Mais nous sommes au
contraire dans une configuration où l’intérêt français
correspond à une attente internationale.
Lettre ouverte à
notre futur(e) président(e) de la République sur le rôle de
la France dans le monde, Pascal Boniface, Armand Colin, 192
p., 15,80 euros.
 |