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RIA Novosti
Sarkozy, Royal, Bayrou: la campagne
vue de Moscou
Olga Soukhova *

Photo RIA Novosti
29 mars 2007
La lutte électorale prend de l'ampleur en France. Selon les
sondages de l'Institut Ipsos, Nicolas Sarkozy (29,5%), président
de l'UMP au pouvoir, et la candidate socialiste Ségolène Royal
(25,5%) restent favoris. François Bayrou, leader des centristes
(20,5%) s'est soudain rapproché d'eux ces dernières semaines.
Les chances de Jean-Marie Le Pen (Front national) sont considérées
comme insignifiantes (12,5%). Il convient d'analyser les élections
en France dans le contexte des prochains changements dans d'autres
pays et de se demander comment cela influera sur les rapports
entre les Etats européens et la Russie.
L'absence de leader évident retient l'attention dans cette
campagne électorale. Bien entendu, les positions de Nicolas
Sarkozy sont les plus fortes, mais son succès est mis en doute
par la montée vertigineuse de la popularité de François Bayrou.
Ségolène Royal, dont les positions se sont un peu affaiblies
depuis son investiture officielle, reste tout de même une
concurrente assez forte pour l'ex-ministre de l'Intérieur. Bref,
dans tous les cas de figure, l'écart sera minimal. La même
situation a été observée ces derniers temps lors des élections
dans plusieurs grands pays européens: en Allemagne, en Italie et
en Suède, le gagnant l'a emporté en recueillant une majorité
insignifiante très serrée.
Comme l'explique Fedor Loukianov, rédacteur en chef de la
revue "La Russie dans la politique globale", Ségolène
Royal et Nicolas Sarkozy se disputent les voix des centristes. En
outre, le candidat de l'UMP essaie de s'attirer les faveurs de l'électorat
d'extrême-droite, et la représentante du parti socialiste tente
de flirter avec l'extrême-gauche. Ce double jeu est inévitable,
estime Iouri Roubinski, directeur du Centre d'études françaises
de l'Institut de l'Europe de l'Académie des sciences de Russie:
"Il est vrai, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy ont tous
les deux un profil inhabituel - elle est une femme, il est le fils
d'un immigré n'ayant pas une seule goutte de sang français, mais
ils n'ont pas de distinctions radicales". Leurs programmes
sont traditionnels: les réformes sociales, la protection de
l'ordre public, etc. C'est pourquoi ils cherchent à séduire un
certain électorat: Nicolas Sarkozy, celui de Le Pen, Ségolène
Royal, les communistes et les trotskistes. Et cela les
affaiblit".
Cet affaiblissement se manifeste dans l'accroissement de la
cote de popularité de François Bayrou qui, selon les sondages, a
réussi à pratiquement doubler son électorat ces deux derniers
mois. Bayrou est le résultat de la déception suscitée chez les
Français par la gauche et la droite. Mais le centre n'est pas une
force indépendante, estime l'expert, par conséquent, il est prématuré
de prédire une victoire du leader centriste au second tour (à
condition bien sûr qu'il y participe). "Sarkozy n'est pas Le
Pen et, d'ailleurs, une bonne partie de la gauche n'est pas prête
à voter Bayrou uniquement pour lui barrer la route. En 2002,
Jacques Chirac a recueilli 82% grâce à la participation de Le
Pen au second tour. Mais Nicolas Sarkozy ne suscite pas autant de
craintes", affirme Iouri Roubinski.
Comment les résultats des élections influeront-ils sur les
rapports entre Paris et Moscou? "Jacques Chirac a réussi à
maintenir les relations avec Moscou à un niveau élevé, malgré
l'état d'esprit de ses concitoyens qui ont une attitude défavorable
à l'égard de la Russie, souligne Alexandre Ignatov, un des présidents
de l'Association des amis de la France. Un homme nouveau, quel
qu'il soit, n'aura pas un tel prestige, un tel courage et une
telle expérience pour faire ce qu'il juge nécessaire de la manière
dont il l'entend. Le départ de Jacques Chirac, de même que celui
de Gerhard Schröder, entraînera, sinon une détérioration, en
tout cas un certain refroidissement dans les rapports avec
Moscou".
Il est à noter qu'en Italie, après l'arrivée au pouvoir du
centre-gauche avec à sa tête Romano Prodi et en Allemagne, après
l'arrivée au pouvoir des partis de droite avec à leur tête
Angela Merkel, une situation semblable s'est créée en ce qui
concerne l'attitude à l'égard de la Russie: la coopération se développe
comme par le passé, mais sans la chaleur politique d'antan. Iouri
Roubinski se dit certain que le successeur de Jacques Chirac se
comportera de la même façon: les relations ne subiront pas une
crise, mais il n'y aura plus de "déclarations d'amour".
Qui plus est, M. Roubinski juge nécessaire de considérer le
changement de politique étrangère de Berlin et Paris dans
l'optique du changement de pouvoir en Grande-Bretagne où, en 2007
déjà, l'actuel ministre des Finances Gordon Brown succédera à
Tony Blair au poste de premier ministre. "Les positions de
Gordon Brown sont faibles aussi bien dans le pays qu'au sein du
parti, c'est pourquoi on ne sait pas s'il pourra maintenir le
statut européen de principal compagnon d'armes des Etats-Unis",
poursuit le directeur du Centre d'études françaises. Mme Merkel
a fait preuve de sagesse politique en "reprisant" les
relations avec les Etats-Unis, il est peu probable que Nicolas
Sarkozy ne profite pas du changement de pouvoir à Londres, estime
Iouri Roubinski. D'autant plus que ce dernier a maintes fois
manifesté sa tendance atlantiste, notamment au cours de ses
nombreux voyages aux Etats-Unis.
En ce qui concerne la victoire éventuelle de Ségolène Royal,
dans ce cas, il ne faut pas non plus s'attendre à une chaleur des
contacts politiques, car la gauche critique traditionnellement la
Russie pour la situation dans le domaine de la défense des droits
de l'homme. Bref, les rapports russo-français connaîtront une
certaine évolution, dont l'orientation sera claire après l'achèvement
du cycle électoral, la présidentielle étant suivie par les élections
législatives. Les experts sont unanimes à estimer que tout
candidat qui l'emportera placera au premier plan l'édification
européenne. Même une intensification possible des contacts avec
les Etats-Unis doit être considérée dans le contexte de
l'objectif de confirmer le leadership français dans l'UE.
"Les Européens comprennent parfaitement que, avec des
Etats-Unis pas forcément hostiles, mais tout de même
malveillants, il sera très difficile de compter sur des succès
en matière d'intégration européenne, car les Etats-Unis ont
beaucoup de leviers pour mettre en échec une véritable
unification politique de l'Europe", résume Fedor Loukianov.
Olga Soukhova, commentatrice du site rian.ru
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à
la stricte responsabilité de l'auteur.
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