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Un gros mot
Laurent Lévy
Mercredi 14 mars 2007
« Évoquer l’identité
nationale, ce n’est quand même pas dire un gros mot »,
proteste Nicolas Sarkozy !
Si.
La polémique fait rage, et c’est bien comme ça,
après que Nicolas Sarkozy a évoqué la création d’un « ministère
de l’immigration et de l’identité nationale ». Le plus
souvent, il lui a été répondu, à juste titre, sur ce qu’il y
a de scandaleux à mettre dans le même sac ces deux thèmes,
laissant entendre que l’immigration serait cause de dommages à
l’identité française.
On pourrait s’amuser de voir ces remarques
faites par diverses personnalités, émanant de divers courants
politiques, qui n’ont jamais hésité à mettre ensemble les
mots « immigration et insécurité » (comme si l’insécurité,
réelle ou supposée, résultait de l’immigration), ou encore
les mots « immigration et laïcité » (comme si
l’immigration faisait courir un risque particulier au principe
de l’indépendance de l’État vis à vis des églises).
S’agissant de la proposition du Ministre de la
chasse à l’enfant, on pourrait également ironiser, en se
demandant quelles administrations dépendraient d’un ministère
de « l’identité nationale ».
Mais le plus surprenant à vrai dire, est que les
critiques – qui n’ont généralement pas contesté l’idée
d’un « ministère de l’immigration » aient semblé
tenir pour acquis qu’était légitime de vouloir préserver
cette fameuse, et semble-t-il sacro-sainte « identité
nationale ». C’est plus, donc, l’association de ces deux
thèmes, que chacun d’eux pris à part, qui est apparue
scandaleuse.
Et pourtant…
S’agissant de l’immigration, l’idée de lui
conférer son propre « ministère », quand même le
nom de ce ministère ne ferait aucune référence à « l’identité
nationale » ne va pas sans interroger : elle présume
en effet que « l’immigration » est un tel problème
qu’il faille rassembler entre les mains d’un seul ministre
l’ensemble des compétences qui la concernent de près ou de
loin ; telle est l’explication que Nicolas Sarkozy en a
expressément donnée. Or, ce dont les populations immigrées,
toutes générations confondues, on besoin, ce n’est pas qu’on
s’occupe spécifiquement d’elles : c’est que la société
change – y compris dans les rapports qu’elle entretient avec
elles.
Quant à « l’identité nationale »,
de quoi parle-t-on ? De quel projet ethnique ? Même la
Serbie de Milosevic n’a pas connu de « Ministère de
l’identité nationale ». L’affirmation qu’il
existerait une telle « identité », susceptible de
faire l’objet de politiques publiques, est en elle-même
scandaleuse. L’identité nationale, toujours et partout, se définit
par rapport à ses ennemis. Elle se construit autour des marches
militaires. Elle en est le corollaire. La haine est la face cachée
de la nation. Et vice versa.
Il arrive, dira-t-on, que les nationalismes
portent des combats émancipateurs. On rappellera par exemple les
nationalismes des colonisés, des dominés. Voire. Même dans ces
cas là, l’idée nationale, singée sur celle du dominant ou du
colonisateur, apprise dans ses écoles, par la lecture de ses
grands auteurs, reprise de son folklore d’évidences intimes,
pourrait bien être mise en question, comme le dernier cadeau,
empoisonné tout à loisir, de la puissance que l’on entend
mettre à bas.
Mais ce n’est de toutes façons pas ce dont il
s’agit avec le « ministère de l’identité nationale »
proposé par Nicolas Sarkozy. Il s’agit au contraire de flatter
le narcissisme de tous les amoureux de « grandeur nationale »,
de ceux dont la bouche dégouline de « rôle de la France »,
de ceux qui sont « fiers d’être français », comme
s’il s’agissait d’une noblesse, corollaire sans doute de la
« honte d’être étranger ».
Si la proposition du candidat de l’UMP est
raciste, ce n’est pas seulement par la façon dont elle articule
deux problématiques qui auraient dû demeurer séparées. C’est
parce qu’il avance l’une et l’autre.
Laurent Lévy. Auteur du livre " Le
spectre du communautarisme" aux éditions Amsterdam.
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