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François Bayrou : « L’islamophobie
est un sentiment qui me révulse. »
Lundi 16 avril 2007
Les personnes issues de
l’immigration notamment maghrébine subissent des
discriminations multiformes et en particulier un accès verrouillé
au monde du travail. Des dispositions ont été prises (par
exemple, le projet du CV anonyme malheureusement abandonné) mais
cela n’est pas suffisant. Quels engagements comptez-vous prendre
pour lutter efficacement contre les discriminations ?
La réalité que vous rappelez est insupportable,
contraire à l’idée que je me fais de l’égalité républicaine.
Notre modèle républicain, c’est la lutte incessante contre les
discriminations qui frappent des quartiers entiers, des femmes et
des hommes pour qui l’égalité des chances reste un mot creux.
Cette discrimination est un fer rouge sur notre société. J’ai
défendu l’expérimentation du CV anonyme et suis avec beaucoup
d’attention les multiples initiatives engagées par des
associations de chefs d’entreprises pour lutter contre ce fléau.
Il faut consolider ces démarches qui sont
exemplaires, qui agissent le plus directement sur les mentalités.
Si je suis élu Président de la République, je ferai un plan de
lutte contre les discriminations s’appuyant sur des pratiques
contrôlables, des textes vérifiables dans la vie de tous les
jours et je demanderai qu’on en mesure les résultats, avec le
concours de toutes les associations engagées dans ce combat. Et
pas seulement dans le domaine du travail, car la discrimination
frappe partout, comme par exemple dans le domaine du logement, ou
dans celui des loisirs.
Êtes-vous favorable au droit
de vote des résidents non communautaires ? Si oui, à
quelles élections ?
Je suis favorable au vote des étrangers aux élections
locales : il est normal qu’une personne, quelle que soit sa
nationalité, qui réside depuis dix ans en France et participe à
la vie locale puisse aussi exprimer ses choix dans la vie de la
cité. C’est une voie normale, naturelle du processus d’intégration.
Jacques Chirac a récemment
supprimé le deuxième alinéa de l’article 4 de la loi du 23 février
2005 glorifiant le passé colonial de notre pays. En 1995, Jacques
Chirac reconnaissait la responsabilité de l’Etat français dans
la déportation des Juifs de France et "la dette
imprescriptible" de l’Etat à l’égard des victimes et de
leurs ayants droits. Pensez-vous que cette reconnaissance puisse
être étendue aux victimes des crimes coloniaux ? Si oui,
estimez-vous que ce travail de mémoire puisse être prolongé
dans les programmes de l’Education ?nationale ?
Il n’appartient pas à l’Etat de définir par
la loi la vérité historique. Jacques Chirac a donc eu
parfaitement raison d’abroger l’article 4 de la loi du 23 février
2005. La seule façon de cicatriser les blessures de la guerre
d’Algérie, c’est de laisser travailler les historiens.
C’est de leur ouvrir toutes les archives afin qu’ils puissent
procéder à un inventaire complet et juste de ces évènements
dramatiques qui ont bouleversé des millions de vie.
Le devoir de mémoire que nous devons à toutes
les victimes de la colonisation a besoin, pour être effectif, de
ce travail de fond, dépassionné et objectif. De cette manière,
les futures générations seront des générations de citoyens éclairés,
conscientes de l’importance des valeurs de réconciliation,
d’ouverture et d’amitié ente les peuples.
Pensez-vous supprimer ou
laisser en l’état la loi Ceseda ainsi que les dernières lois
sur l’immigration ? Etes vous notamment favorable ou non à
la disposition de loi criminalisant la solidarité envers les sans
papiers ?
La loi sur l’immigration choisie est un leurre.
C’est un coup médiatique à destination de l’opinion publique
qui n’a rien à voir avec la nécessité de conduire, y compris
avec nos partenaires européens, une politique d’équilibre avec
d’un côté l’intégration des personnes en situation régulière
et le co-développement des pays les plus pauvres, et de l’autre
la lutte contre les filières d’immigration clandestine et de
travail au noir.
Je suis en outre favorable à la régularisation
au cas par cas des étrangers en situation irrégulière, sur la
base de critères objectifs et transparents : maîtrise de la
langue, contrat de travail… Quant à cette pénalisation supplémentaire
dont vous parlez, elle est inutile. Depuis cinq ans, le Parlement
au ordre du Gouvernement, a passé son temps à rajouter des
infractions. Nous en avons aujourd’hui plus de 15000 disséminées
dans tous nos codes. Cette pénalisation excessive est une démarche
absurde. La justice n’est pas là pour régler tous les problèmes
de la société.
La loi SRU est contournée
par de nombreux maires qui préfèrent payer une amende plutôt
que de construire des logement sociaux. Quelles dispositions
comptez-vous mettre en oeuvre pour contraindre au respect de cette
loi ? Et plus généralement pour lutter contre la pénurie
des logements sociaux ?
Le non-respect de la loi SRU me choque beaucoup.
Lorsque des élus locaux sont manifestement de mauvaise volonté,
il faut que le préfet récupère la compétence sur les permis de
construire. Je propose également que tous les programmes
immobiliers comprennent au moins 25 % de leur surface en logements
sociaux. Je pense aussi que moduler les loyers dans le parc HLM,
en fonction de la situation des personnes, est une nécessité de
justice et d’efficacité.
Il faut enfin penser aux plus exclus, les SDF et
les travailleurs pauvres. Pour que le droit au logement soit
effectivement opposable, nous avons besoin de construire 100 000
logements ultra-sociaux sur cinq ans. Dans les Pyrénées-Atlantiques,
le Conseil général que je présidais, avais récupéré et réhabilité
1000 logements en cinq ans : la plus petite surface, la plus
petite maison de garde-barrière abandonnée, le recoin de ferme
inutilisé. Nous en avons garanti le loyer. Cela a été l’œuvre
d’une équipe de deux personnes. En accentuant l’effort et en
le multipliant par le nombre de départements, on peut obtenir des
résultats importants et rapides.
L’islamophobie est un phénomène
dont la gravité est attestée par des études de la CNCDH
(Commission nationale consultative des droits de l’Homme), ainsi
que par diverses organisations de défense des droits de
l’Homme. Quelles dispositions comptez-vous prendre pour lutter
contre l’islamophobie ?
L’islamophobie est un sentiment qui me révulse.
C’est un racisme qui fabrique des rejets extrêmes, qui porte en
germe des violences considérables. C’est donc un devoir d’Etat
de lutter contre cette montée de l’islamophobie qui n’est
rien d’autre qu’un refus de l’autre, qu’une méconnaissance
« crasse » de l’Islam.
Nous avons besoin que l’école apprenne
l’histoire des religions et nous avons besoin que les musulmans
disent les valeurs d’humanisme et de tolérance de leur
religion. Aujourd’hui, il y a une confusion dangereuse entre
l’Islam et l’intégrisme. C’est contre cet amalgame qu’il
faut lutter de toutes nos forces. A chaque fois qu’il y a menace
de dissolution, il faut rapprocher ceux qui s’éloignent.
La loi de la mars 2004 qui
bannit les signes religieux ostensibles de l’école a eu pour
conséquence la déscolarisation de dizaines de jeunes filles et
leur éviction du monde du travail. Quelles mesures pourrez-vous
prendre pour faciliter leur réintégration dans la société ?
J’ai eu à connaître de la question du voile à
l’école lorsque j’étais ministre de l’Education nationale.
On se souvient des trois étapes de cette affaire : le
premier fut l’avis rendu par le Conseil d’Etat à la demande
de Lionel Jospin. La deuxième est ma circulaire, qui va plus loin
et interdit les signes ostentatoires au sein des écoles. La
troisième est la loi de 2004 sur laquelle je me suis abstenue
parce que je pensais que la solennité de la loi risquait de
cristalliser les opinions, de rompre le dialogue plutôt que
d’apaiser le climat.
Je pense toujours qu’une démarche rectorale
plus souple, plus réglementaire, et qui ne laisse pas les chefs
d’établissement en première ligne, doit être privilégiée.
L’objectif, ce n’est pas l’exclusion, c’est l’intégration
dans le cadre républicain laïque. Je crois d’ailleurs qu’un
code de la laïcité est devenu nécessaire, un code qui reprenne
de manière simplifiée et solennelle les textes qui fondent
l’architecture juridique de notre laïcité et ont construit le
compromis laïque.
La légitimité du CFCM et
notamment le mode d’élection de ses responsables est
aujourd’hui contesté par de nombreux citoyens français de
culture musulmane. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
J’ai souhaité et encouragé l’émergence
d’une représentation officielle de l’islam en France qui soit
digne de sa place dans la République : l’islam doit être
visible, c’est une question de respect et de dignité due à nos
compatriotes musulmans. C’est aussi le sens qu’il faut donner
à la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’Etat,
qui n’est pas une interdiction absolue du dialogue entre l’Etat
et les représentants des différentes religions mais bien la base
même de ce dialogue fondé sur le respect mutuel.
Ceci veut donc dire que la communauté des
musulmans français doit être organisée et se sentir représentée.
Sur ce dernier point, je pense que l’on n’a pas trouvé le bon
équilibre avec le CFCM. A mon sens, son mode d’élection
et de fonctionnement gagnerait à être revu. Comme toute
institution neuve, il a besoin d’un bilan et d’une
consolidation.
Le gouvernement de M. Bush,
loin de retenir les leçons de son aventure militaire dramatique
en Irak multiplie les menaces de guerre totale contre l’Iran.
Quelle position adopterez-vous en cas de guerre contre l’Iran ?
Face à de tels enjeux internationaux, la France
ne peut avoir qu’une ligne : la rigueur et
l’intransigeance dans le respect du droit international. Cela
implique évidemment un strict respect par les Etats de leurs
obligations au titre du traité de non prolifération nucléaire.
Mais cela signifie aussi qu’en cas de non respect, toute
sanction doit s’inscrire dans un cadre multilatéral, être
conforme à la légalité internationale.
Je suis en tout état de cause opposé à toute
forme d’hégémonisme ou de domination d’une superpuissance.
Nous devons savoir être fermes quand il le faut, mais sans jamais
clore la porte au dialogue. Cette démarche a été celle de la
France lors du dernier conflit en Irak et je me suis plusieurs
fois félicité de l’attitude juste et raisonnée de Jacques
Chirac. Elle reste la seule qui vaille.
Israël persiste à mépriser
le droit international en toute impunité. Colonisation toujours
plus étendue, répression continue du peuple palestinien, non
respect des résolutions de l’ONU. La France peut-elle imposer
contre le droit à la force la force du droit ?
La France doit manifester en toute occasion
l’indépendance qui est la sienne et, du fait de ses liens avec
les pays de la région et de ses responsabilités particulières
comme membre permanent du conseil de sécurité des Nations Unies,
jouer le rôle de modérateur. Elle doit aussi s’appuyer sur son
poids au sein de l’Union européenne pour faire en sorte que sur
ces problématiques essentielles l’Europe parle d’une seule
voix : celle de la paix et du respect permanent de la légalité
internationale, en particulier des résolutions des Nations Unies.
C’est de cette manière que nous pourrons encourager un règlement
politique et la création d’un Etat palestinien à coté de l’Etat
israélien, tous deux dans des frontières sûres et reconnues.
Propos recueillis par la rédaction
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