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Le moment est
venu de construire et donc de se rassembler
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Le 12
mars, François Bayrou était à Evreux sur les terres de Pierre
Mendès France. Devant plus de 3000 personnes, le candidat à l'élection
présidentielle a plaidé pour un rassemblement capable de
refonder notre démocratie : "Il me semble qu'il faut que,
dans le moment démocratique que nous vivons, nous ayons des références.
Pour ma part, j'en ai deux. Pierre Mendès France est l'une
d'entre elles et Charles de Gaulle est la seconde". Seul
le prononcé fait foi Mesdames
et Messieurs, j'ai beaucoup de gratitude vis-à-vis de vous, par
rapport à votre présence si nombreuse ce soir à Évreux, pour
avoir pris sur votre temps, pour réfléchir au destin du pays que
nous formons ensemble.
Je suis très sensible à votre présence en un moment si
particulier de notre Histoire nationale et au moment où, en
effet, la campagne électorale entame sa dernière ligne droite
dans des conditions qui n’étaient absolument pas prévues par
la plupart des observateurs : ceux qui prétendent qu'ils
savent tout d'une élection à l'avance, une élection qui était
attendue par les Français et vous le montrez par votre présence.
C'est à vous d'abord que je voulais dire merci d'être là.
Si vous me le permettez, je veux saluer ceux qui se sont exprimés
avant moi, mais aussi vous présenter les parlementaires qui m'ont
accompagné. Vous avez au premier rang Rudy Salles, député des
Alpes-Maritimes, à la gauche physique de Hervé Morin, Catherine
Morin-Desailly, sénateur de Seine Maritime, mon ami Gérard
Vignoble, député du nord et mon ami Jean-Jacques Jégou, sénateur
du Val-de-Marne.
Je voulais adresser un salut particulier aux deux jeunes femmes
qui font la traduction en langue des signes à destination des
sourds et malentendants présents dans cette salle.
Ayant salué les parlementaires présents au premier rang, je veux
dire un petit mot de Hervé Morin qui est un homme que j'aime
beaucoup, sur lequel je compte beaucoup, qui a l'audace et le
courage, la compétence et la volonté. C'est un parlementaire
brillant, désintéressé, ce qui est assez rare en politique et,
donc, pour toutes ces raisons-là, il a un grand avenir. Il est,
aujourd'hui, député de l'Eure, mais regardez-le bien, demain, je
suis sûr qu'il fera autre chose dans la République.
Je suis très heureux d'être à Évreux aujourd'hui, au lendemain
du jour où le président de la République a annoncé qu'il ne se
représentait pas. Je suis content du discours qu'il a tenu. Je le
dis d'autant plus que, dans ma vie politique, j'ai souvent eu à
entrer en débat et même en confrontation avec Jacques Chirac.
Je n'ai pas souvent eu, sur la politique intérieure, exactement
les mêmes visions que les siennes et j'ai trouvé que le discours
qui avait été le sien, hier soir, était un discours à la
hauteur du geste d'un homme qui annonce qu'il ne se représentera
pas et qui parle à son pays de ce qui lui paraît important.
J'ai salué ce discours. J'ai vu que, ici ou là, on me le
reprochait, parce que je considère que nous ne sommes pas un pays
de barbares et qu'il faut être capable, même quand on a des différences,
de saluer les qualités de quelqu'un qui a dirigé la République
pendant douze ans. Je trouve que cela méritait un coup de
chapeau. Je suis, pour ma part, heureux de la manière dont il
s'est exprimé. Cela n'enlève rien aux différences éventuelles
d'appréciation, mais c'est quelque chose que j'ai apprécié.
Je pense qu'il y a, dans cette élection, et je trouve très juste
que nous soyons à Évreux pour le dire, deux questions
fondamentales et deux seules. La première c'est : qu'avons-nous
fait de notre démocratie ? Qu'avons-nous fait de notre République
?
Comment se fait-il que, dans ce pays pendant lequel, si longtemps,
les citoyens ont eu le sentiment que le pouvoir était indifférent
à leur sort, j'allais dire indifférent à leur égard, qu'il y
avait un gouffre entre le peuple et les "élites" -
j'emploie ce terme entre guillemets, parce que ce que l'on appelle
élite ne ressemble pas exactement à ce que je crois que l'élite
devrait être - nous en soyons arrivés à cette détérioration,
à cette corrosion du sentiment démocratique en France ?
Qu'est-ce qui fait que, peu à peu, nous avons laissé s'étioler
et s'abîmer ce qui devrait nous unir et ce que nous avons de plus
précieux ? Ceci est la première question de cette élection.
Eh bien, je pense que, en effet, nous avons peu à peu abandonné
les vertus qui font le lien républicain. Je suis heureux de le
dire à Évreux, parce que je voulais le dire dans l'Eure et parce
que l'Eure est la terre de Pierre Mendès France qui, à plus de
cinquante ans de distance, demeure, pour beaucoup d'entre nous,
une référence. Il a été député de votre département et c'était
normal que ce soit devant vous que je vienne le dire.
Il me semble qu'il faut que, dans le moment démocratique que nous
vivons, nous ayons des références. Pour ma part, j'en ai deux.
Pierre Mendès France est l'une d'entre elles et Charles de Gaulle
est la seconde.
Je trouve normal et légitime que, au moment de notre Histoire où
nous sommes, nous ayons ces grandes figures devant nous, non pas
pour nous comparer à elles, non pas pour nous mettre à leur
hauteur, nous savons bien qu'il y a beaucoup de différences entre
les hommes d'Histoire et les hommes du présent, mais parce que,
quand on a de grandes références, on a une chance de faire de
grandes choses.
Quand on cherche des petites références, il est assez rare que
l'on puisse faire de grandes choses. Généralement, ce sont des
ambitions médiocres que l'on a alors.
Qu'avaient-ils de commun ces deux hommes et qu'est-ce que j'aime
dans Pierre Mendès France ? La première chose, c'est que ce n'était
pas des hommes d'intérêts partisans. Ce n'étaient pas des
hommes d'étiquette, c'était des hommes qui avaient à l'esprit
l'intérêt du pays et chacun d'entre eux n'a pas hésité, pour
l'idée qu'ils se faisaient de l'intérêt du pays, de traverser
le désert, de se retrouver, quand il le fallait, seul contre
tous, au nom de l'intérêt supérieur du pays, de renoncer à des
carrières aussi longtemps qu'ils avaient le sentiment que l'intérêt
supérieur du pays ne pourrait pas être servi de manière utile.
Les hommes, qui attachent plus d'importance à leurs valeurs et à
leurs idées qu'à leur carrière, méritent qu'on leur tire un
coup de chapeau et que l'on s'inspire de leur exemple.
Il y avait une deuxième chose que l'un et l'autre ont porté de
la même manière. Je ne suis pas en train de vous dire qu'ils
s'adoraient entre eux, ce n'est pas le cas. Ils avaient des
visions différentes, mais ils ont porté de la même manière
quelque chose qui est tout à fait essentiel pour nous
aujourd'hui, qui est que l'intérêt supérieur de la France exige
que l'on dépasse les frontières habituelles et que l'on soit
capable de faire travailler ensemble des gens qui s'étaient opposés
pendant longtemps, faire travailler ensemble et réunir des gens
qui, pendant longtemps, avaient été plongés dans des
affrontements.
Il y a un moment, si l'on veut reconstruire un pays, il est
essentiel de tourner la page sur les affrontements et nécessaire
de choisir d'agir ensemble pour redresser le pays qui a besoin de
toutes ses forces, "la France de toutes nos forces" pour
qu'on le reconstruise.
Ceci a été le choix de Charles de Gaulle ; cela a été le
choix, à la Libération, quand il a fallu reconstruire le pays détruit
physiquement et moralement et cela a été le choix en 1958, quand
il a fallu reconstruire la République. Chaque fois, il a appelé
les grandes forces du pays. Souvenons-nous qu'en 1945, il a même
appelé le Parti communiste. Chaque fois, il a appelé les grandes
forces du pays en leur disant : "Vous vous êtes beaucoup
affrontés, vous vous êtes beaucoup confrontés, vous vous êtes
beaucoup battus, le temps est venu de construire, parce que l'intérêt
de notre pays exige que l'on fasse ce choix positif et
constructif."
Ma conviction est que nous sommes aujourd'hui dans un temps où de
la même manière il convient de laisser dans le passé les
querelles qui nous ont tant affrontés et de choisir, pour
l'avenir, de réunir nos forces, parce que les plus jeunes et nos
enfants, ont besoin que nous fassions cet acte de courage. Le
moment est venu de construire et donc de se rassembler.
La confrontation de l'UMP et du Parti socialiste a été une
confrontation stérile. Elle dure depuis vingt-cinq ans. Depuis
vingt-cinq ans, ceux qui sont dans l'opposition flingue toute idée
de ceux qui sont au pouvoir. Depuis 25 ans, à chaque élection,
il y a une alternance, c'est-à-dire que l'on sort ceux qui sont
en place pour les remplacer par ceux qui étaient là le coup
d'avant et ceux qui arrivent n'ont pas de plus urgent besoin ou
choix que de détruire ce qu'ont fait ceux qui les avaient précédés.
Ce n'est pas comme cela, dans cette attitude d'affrontement perpétuel,
que l'on peut construire du positif pour un pays.
Du positif pour un pays exige du long terme, de la persévérance.
Ce n'est pas en quelques années que l'on peut changer les choses.
Cela exige du consensus, un accord national sur l'essentiel et
c'est cela que la situation de la France demande aujourd'hui. Nous
le lui proposons et les Français vont le choisir.
De la même manière, vous le savez, Pierre Mendès-France avait
proposé en 1954 ce qu'il avait appelé "des majorités d'idées".
Il avait dit : "Il faut maintenant des majorités d'idées"
parce qu'il savait qu'il y a des choix qui doivent être soutenus
beaucoup plus largement que par les ententes politiques
habituelles.
Or, nous avons une chance et Hervé Morin, avec la justesse de
pensée qui est la sienne, l'a tout à fait senti. Pendant très
longtemps, cela a été impossible, parce que, pendant très
longtemps, on avait oublié l'effondrement de notre République et
que les pouvoirs n’appartiennent pas aux appareils. Le pouvoir
appartient au peuple.
Dans la Constitution, il est marqué, non pas que ce sont les
partis qui sont souverains, mais le peuple, c'est-à-dire chacune
et chacun d'entre nous qui, en dépit de tous les pronostics, en dépit
de toutes les analyses, en dépit de tous les scénarios écrits
à l'avance, ce peuple souverain qui a admirablement compris la démocratie
- cela fait deux siècles qu'il vit avec elle - il en a l'habitude
et même l'expertise. Ce peuple souverain sait que si l'on veut
que soit reconnu son pouvoir souverain, il est nécessaire, à
intervalles réguliers, qu'il crée une surprise pour que tous les
experts se souviennent de qui est le véritable patron dans une démocratie
comme la nôtre.
C'est cela que nos institutions avaient parfaitement compris
lorsque, en 1962, le général de Gaulle a dit : « C'est
vous qui choisirez le président de la République, vous les
citoyens, vous le peuple des citoyens ». Ce choix a une très
grande signification parce que imaginez que l'on en soit resté à
la situation où nous étions il y a encore quelques années,
j'allais dire quelques mois : on était entrés dans un
calendrier tellement stupide - je l'avais appelé le calendrier
dingo - tellement bizarroïde, que l'on avait organisé notre République
de manière à ce que les élections législatives aient lieu
avant l'élection présidentielle.
Si l'on avait laissé la situation en l'état, l'affaire était réglée.
Avec le privilège des sortants, les sortants qui constamment se
représentent, le système était verrouillé et on avait à tout
jamais le pouvoir aux deux appareils que vous connaissez si bien,
mais nous avons été un certain nombre à remettre le calendrier
à l'endroit et à faire que l'élection présidentielle précède
les élections législatives.
C'est cela qui va nous permettre de redessiner le paysage
politique français, parce que, le 22 avril, vous allez décider
d'un deuxième tour. Le 6 mai, le peuple français choisira le président
de la République. Le 17 ou le 18 mai, ce président de la République
choisira un gouvernement. Si je suis élu, ce gouvernement sera un
gouvernement qui rassemblera des compétences venant des camps
différents, s'entendant sur l'essentiel et décidées à
reconstruire le pays dans une démarche de rassemblement.
Et alors, on dit : "Mais avec quelle majorité
gouvernerez-vous la France ?" Je veux d'abord rappeler que
cette question posée inlassablement à François Mitterrand
lorsque, en 1981, on sentait bien - les sondages le montraient -
qu'il allait être élu président de la République, on lui
disait : "Monsieur Mitterrand - je ne prends pas toujours
exemple sur lui, je fais une analyse ! Mais au moins il
connaissait la politique assez bien et l'Histoire pas mal - vous
allez être peut-être élu président de la République, mais il
y a, à l'Assemblée Nationale, une majorité de droite comme l'on
disait à l'époque. Comment ferez-vous pour gouverner ?
Il avait cette réponse admirable, il disait : "Faites aux
Français le crédit de la cohérence". Si les Français
choisissent d'écarter les deux appareils qui ont le monopole du
pouvoir au moment de l'élection présidentielle, ce n'est pas
pour leur rendre le pouvoir au moment des élections législatives
cinq semaines après. Le peuple français est un peuple qui sait
ce qu'il veut et, donc, le 10 juin, c'est le premier tour et le 17
juin, c'est le deuxième tour, les Français choisiront une
majorité nouvelle.
Je veux que vous sachiez comment cette majorité, dans mon esprit,
se présentera devant les Français. Naturellement, il y aura,
dans toutes les circonscriptions, un candidat de cette grande
famille politique du centre qui est en train de proposer à la
France une voix politique nouvelle, mais je n'ai pas l'intention
de verrouiller le pouvoir. Je n'ai pas critiqué l'Etat UMP et l'Etat
PS pour remplacer l'Etat UMP et l'Etat PS par un Etat UDF ou d'une
nouvelle étiquette quelle qu'elle soit. Je suis déterminé à
faire que le pouvoir, en France, soit ouvert à ceux qui voudront
le soutenir et, donc, je dis : « élu président de la République,
je formerai un gouvernement qui sera un gouvernement pluraliste,
ouvert sur les grandes sensibilités du pays avec des personnalités
nouvelles, parce qu'il faut du renouvellement, diverses par leur
expérience, ayant fait leurs preuves dans la vie, d'accord sur le
plan de redressement que j'aurais proposé aux Français et ce
gouvernement dira à toutes les femmes et tous les hommes
politiques de France : "Si vous avez entendu le message que
les Français viennent de vous envoyer, si vous souhaitez entrer
dans ce rassemblement pour soutenir le redressement, vous y avez
toute votre place." Ce n'est pas verrouillé, ce n'est pas
fermé. Ce n'est pas un gouvernement de parti, c'est un
gouvernement ouvert sur tous ceux qui, en France, voudront
reconstruire le pays.
Je veux vous dire pourquoi je tiens tellement à ce rassemblement.
Ce n'est pas uniquement parce que j'ai de bons sentiments. Il
m'arrive d'avoir des bons sentiments, mais il m'arrive également,
comme à chacun et même à chacune d'entre vous, d'avoir des
sentiments un peu moins bons. C'est vrai que j'ai été un homme
de combat politique. J'en ai assumé un certain nombre et même
vous m'en avez reproché quelques-uns. Pour un certain nombre
d'entre vous, vous trouviez que j'y allais un peu fort.
A la vérité, j'ai toujours pensé que je n'y allais pas un peu
fort, j'ai toujours pensé que je n'y allais pas assez fort parce
que, quand on connaît la réalité de la manière dont le pouvoir
est organisé dans notre pays, la réalité d'un système dans
lequel chaque fois qu'il y a une alternance il y a un nouveau clan
qui s'installe et ce nouveau clan installe ses copains partout,
sans considération des compétences, uniquement en considération
de l'alignement, j'allais dire de l'aliénation que l'on consent
pour être serviteur d'une étiquette d'un parti ou d'un homme.
Quand on voit comme le Parlement est méprisé dans notre pays, et
je dis cela sur la terre de Pierre Mendès France, comment le
Parlement est traité dans notre pays, depuis des dizaines d'années...
Songez que l'on a pu décider, dans notre pays, de la
privatisation des autoroutes qui appartenaient aux Français, qui
avaient été construites avec leurs impôts ou leurs péages,
sans même que soient consultés ceux qui les représentaient à
l'Assemblée Nationale et au Sénat, au mépris de toute la légalité,
on l'a fait sans leur demander leur avis. Quand vous pensez que,
pour la décision la plus lourde de conséquences que nous ayons
eu à connaître dans notre histoire récente, c'est-à-dire
l'ouverture des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union
européenne, décision historique, on pouvait être pour, on
pouvait être contre, pour ma part, j'étais contre, mais je
reconnaissais le poids des arguments de ceux qui étaient pour,
quand vous pensez que, pour une décision comme celle-là, on a
interdit au Parlement de dire son avis. On lui a dit : "Cela
ne vous regarde pas."
Alors, qu'est-ce que c'est une République qui envoie des députés,
femmes et hommes, à l'Assemblée Nationale, qui élit des sénateurs
au Sénat, à qui l'on interdit de s'exprimer sur la décision la
plus importante des premières années du siècle que nous allons
vivre ? Ce n'est pas une démocratie. Pour moi, la République est
une démocratie ou n'est pas. Nous allons reconstruire la République
démocratique qui respecte ses institutions, c'est-à-dire qui
respecte les citoyens. Quand on voit cette dégradation, alors,
oui, en effet, on sait qu'il faut reconstruire.
J'étais en train d'illustrer, devant vous, cette certitude que,
pour moi, il est nécessaire qu'il y ait du rassemblement pour que
le redressement ait toute sa valeur. Vous comprenez bien que l'on
va devoir corriger ou réécrire nos institutions sur un certain
nombre de points, par exemple, pour que le gouvernement n'ait plus
perpétuellement la tentation du passage en force par le 49.3 ou
ce que l'on appelle, à l'Assemblée nationale et au Sénat,
l'urgence, c'est-à-dire l'interdiction de faire des
allers-retours entre les deux assemblées pour améliorer un texte
ou réfléchir ensemble.
Je veux parler d'Internet, cela intéressera un certain nombre
d'entre vous qui s'intéressent à Internet. Je crois qu'Internet
est une révolution. C'est très important pour l'avenir. Beaucoup
de choses qui sont en train de changer dans cette élection, ont
commencé à changer sur Internet.
Lorsqu'on avait le sentiment d'un verrouillage de la campagne électorale,
c'est sur Internet que cette campagne s'est déverrouillée. Il y
a eu comme un mouvement de résistance des citoyens pour que se
fassent entendre des voix et des convictions qui n'étaient pas
entendues jusque-là. Mais Internet, c'est un changement de monde,
c'est une révolution pas seulement démocratique, culturelle et
naturellement il y a un certain nombre de grandes questions qui se
posent sur Internet, par exemple, comment règle-t-on la question
des droits des auteurs dès l'instant que l'on peut copier immédiatement
un film ou une chanson et, à la limite, une seule copie répandue
sur l'univers fait qu'il n'y a plus aucune possibilité pour un
auteur ou un éditeur de rembourser son investissement ?
C'est une question qui est parmi les plus compliquées
techniquement, culturellement et moralement que je connaisse,
parce que vous voyez bien que, si vous voulez reconnaître le
droit des auteurs, empêcher le piratage, il faut réfléchir à
la manière dont vous régulez, pour ne pas dire dont vous
surveillez les échanges sur Internet et nous sommes un grand
nombre à ne pas avoir envie qu'il y ait une police de plus qui
s'introduise dans ce système. C'est un des sujets les plus
difficiles pour experts les plus élaborés.
Sur un tel texte qui aurait mérité deux allers-retours ou quatre
allers-retours entre l'Assemblée Nationale et le Sénat, pour que
chacun puisse réfléchir et que l'on améliore les dispositions,
on a fait avorter le débat et décrété l'urgence. Résultat :
on a un texte dont tout le monde sait qu'il ne conviendra pas à
l'avenir, qu'il ne règle rien et qu'il faudra le reprendre. On a
voulu couper court au débat et on n'a pas gagné du temps, on en
a perdu. On a cru que c'était une commodité, c'était en réalité
un handicap.
Il faut avoir l'humilité de reconnaître que, lorsque des problèmes
sont importants, il est capital qu'ils prennent le temps nécessaire
pour mûrir, pour grandir, pour que chacun les fasse évoluer.
Tous les agriculteurs qui sont là le savent, il y a des moments où
il faut prendre du temps. En démocratie, c'est pareil, la plupart
des problèmes que nous avons à régler pour l'avenir de la République,
sont difficiles, compliqués et lourds. Je propose que l'on arrête
de se précipiter et que l'on prenne le temps nécessaire pour régler
les problèmes. Il y a un très grand homme politique, plus que
cela, très grand homme d'Etat, très grand homme d'Histoire, très
grand dramaturge, très grand écrivain et philosophe dont vous
connaissez le nom, c'est l'ancien président de la République tchèque.
Il s'appelle Vaclav Havel. Il a des formules formidables et il en
a une qui m'est revenue en mémoire quand les journalistes
m'interrogeaient sur ce point. Ils voulaient absolument que je
leur donne le nom de mon futur Premier ministre. Il se trouve que
j'ai l'intention d'être élu avant de nommer un Premier ministre
! En tout cas, de permettre aux Français de m'élire avant de
nommer un Premier Ministre ! Il se trouve que je viens d'un pays où
l'on a ce dicton que vous avez aussi : "il ne faut pas mettre
la charrue avant les bœufs". Nous considérons qu'il est nécessaire
d'avoir, d'abord, une élection et, après, de réfléchir à la
manière dont les conséquences seront tirées de cette élection.
Donc, je leur opposais un sourire aux questions réitérées qui
étaient les leurs et, tout d'un coup, m'est revenu en mémoire
cette phrase de Vaclav Havel que j'aime beaucoup. Commentant ou en
tout cas réfléchissant ou souriant à propos de ces
commentateurs qui voudraient toujours que l'on soit demain ou après-demain,
avant de vivre ce que l'on a à vivre aujourd'hui, il disait une
très jolie phrase que je vous conseille de méditer : "Ils
sont comme ces enfants qui, pour faire pousser des arbres plus
vite, leur tirent sur les feuilles ! "
Eh bien, c'est une très jolie et très admirable phrase. On a
besoin de retrouver la respiration d'une démocratie où l'on
consacre aux problèmes compliqués, le temps nécessaire pour y réfléchir
tous ensemble. C'est d'ailleurs ce que je ferai sur des sujets
aussi importants - je les évoquerai dans un instant - que la
question des retraites. Je n'ai pas l'intention qu'une fois de
plus on fasse, sur les retraites, une réforme avortée, une réforme
bâclée et surtout une réforme où les citoyens se sentent trompés.
J'ai l'intention que - je l'ai dit ce matin à M. Chérèque, de
la CFDT, comme je le dirai à tous les leaders syndicaux que je
rencontrerai - sur des sujets comme cela, nous conduisions une réflexion
de citoyens.
Voyez-vous, la question des retraites est une question pour chacun
d'entre nous. Ce n'est pas une question seulement pour eux, les
jeunes ; c'est une grande question pour eux, mais pas seulement.
Contrairement à ce que l'on croit généralement, c'est une
question pour tout le monde et d'abord pour les retraités, car si
nous n'équilibrons pas nos régimes de retraite, je vais vous
dire ce qui va se passer : un effondrement du pouvoir d'achat des
retraités. On leur coupera leurs capacités et vous aurez des
retraites dont le pouvoir d'achat réel sera de 20, 30, 40 % de
moins de ce qu'elles sont aujourd'hui.
La situation d'un certain nombre de petites retraites ou du
minimum vieillesse en France ou des retraites de reversions des
veuves, est scandaleuse. Je ne veux pas trahir de secrets, dire
des choses trop intimes, mais ma mère est devenue veuve très tôt,
mon père était agriculteur. Elle a 641 euros de retraite par
mois et, donc, quand certains de mes concurrents disent : "On
va augmenter les retraites de 5 %". Je salue l'effort, mais
5% de 641 euros, cela fait 1 euro par jour et je ne crois pas que
la situation de ce type de retraité -ce n'est pas de ma mère
dont je parle évidemment- s'améliore beaucoup avec 1 euro de
plus par jour.
Comme vous le savez, nous avons décidé de ne pas faire de
promesses abusives. Nous avons décidé de ne pas multiplier les
engagements, mais il y a une décision que nous avons prise, c'est
d'augmenter le minimum vieillesse en France et de le porter à 630
euros, soit à 90 % du SMIC pour que la vieillesse et les
retraites et les pensions permettent une vie digne dans notre
pays. Et, cela, nous le ferons en cinq ans, et c'est entièrement
financé, comme une grande organisation a eu l'occasion de le
confirmer en lisant le programme qui était le nôtre et dont
Charles-Amédée de Courson qui est le plus grand budgétaire français
a assumé la coordination... Nous nous sommes faits, en effet, une
fierté de ne présenter que des mesures équilibrées par des économies
et, donc, de présenter devant les Français un projet où tous
les engagements, en petit nombre, n'aggraveraient pas le déficit
et la dette du pays que nous avons, par ailleurs, l'intention de
corriger.
Donc, il faut prendre le temps, il faut rétablir nos
institutions, mais je veux insister auprès de vous sur cette idée.
Quand on veut rétablir des institutions, il faut que chacun, en
France, ait la certitude que ce sera fait de manière juste. Il ne
faut pas qu'on ait le soupçon que c'est ceux qui sont au pouvoir
qui font des textes qui les arrangent et que ceux qui ne sont pas
au pouvoir sont écartés de la réflexion.
Quand on corrige ou que l'on écrit, comme il faut les écrire,
les institutions qui seront les nôtres, alors, il faut que tout
le monde ait la certitude qu'il va être pris en compte. C'est la
raison pour laquelle, m'adressant à toutes les sensibilités du
peuple français, de la droite à la gauche et même de l'extrême
droite à l'extrême gauche que je n'aime pas et que j'ai
combattues toute ma vie, je dis : dans les nouvelles institutions
que nous adopterons, tout le monde sera représenté au Parlement
de la République, tout le monde aura des députés, tout le monde
pourra se faire entendre, même ceux qui ne pensent pas comme la
majorité, parce que, pour moi, la démocratie, cela ne devrait
pas être la représentation seulement des majorités, cela
devrait être la représentation de tout le monde.
Nous sommes tous citoyens, même ceux qui ne pensent pas comme les
autres. J'ai été suffisamment longtemps un citoyen minoritaire
pour vouloir assumer la défense des minorités et, même quand je
serai majoritaire, je continuerai à assumer la défense des
minorités. Tous les citoyens français ont droit à la parole.
Ils ont tous droit d'être représentés, ils ont tous le droit de
participer au débat parce que, la France, cela se fait avec tout
le monde et pas seulement avec des majorités et, donc, il faut
que tout le monde, avec ses valeurs, avec son idéal, avec son
histoire, avec sa tradition, participe à la réflexion sur la
manière dont nous pouvons et devons avoir des institutions
justes.
Voilà pourquoi, sur la première question qui se pose à nous,
qu'avons-nous fait de notre démocratie et qu'allons-nous en faire
? Sur la terre de Pierre Mendès France, grand défenseur de la démocratie,
grand homme de respect du peuple, des engagements pris avec le
peuple, du respect des promesses et des calendriers qu'il avait
assumés devant les Français, sur la terre de Pierre Mendès
France, je dis : pour reconstruire des institutions et une République
démocratique, on a besoin de tout le monde et il faut le
rassemblement qui, il y a cinquante ans, ce grand Homme de notre
Histoire avait proposé.
La deuxième question devant nous qui, elle aussi, exige le
rassemblement, est : qu'avons-nous fait de notre projet républicain,
de notre projet de société, nous, le peuple français ? Nous
sommes le seul peuple à avoir eu cette audace incroyable de
choisir comme devise nationale : « liberté, égalité,
fraternité », c'est-à-dire l'énoncé de trois vertus
morales. Tous les autres peuples, dans leur devise nationale,
parlent de leur pays, de son histoire, de sa nation ou du bon Dieu
et ils relient généralement l'un à l'autre. Vous connaissez les
devises des grands pays qui nous entourent ; tous disent, pour les
uns, « l'unité à partir de la diversité » ou bien
« On a confiance en Dieu » ; tout cela, ce sont des
grandes devises nationales qui parlent du pays ou du rapport à
Dieu.
Nous, les Français, on n'a pas parlé de la France dans notre
devise nationale. On a dit : liberté, égalité, fraternité,
c'est-à-dire que l'on a parlé de trois vertus qui décrivent un
projet de société. Si l'on veut bien y réfléchir... Je vous
demande pardon, ce n'est pas le thème habituel de discours de
meeting, mais c'est plus important que des thèmes habituels de
meeting. Je ne suis pas là pour vous faire siffler le candidat de
l'UMP, la candidate du PS, comme l'on fait habituellement dans les
autres meetings. Je ne suis pas là pour vous expliquer qu'ils ont
tort sur tout et que j'ai raison sur tout, que l'essentiel est de
les battre. Je ne le crois pas, je crois que l'essentiel est de
reconstruire la France et nous ne reconstruirons la France que si
nous partons des fondations avec une idée nette de ce qui a fait
notre maison commune et de ce que nous voulons qu'elle devienne
pour l'avenir.
C'est cela la différence que je fais entre projet et programme
politique, programme électoral habituel. Le projet, c'est pour
dire comment est notre bateau et où l'on va dans la traversée,
quel cap on se fixe, quel avenir on veut rejoindre, ce que l'on
veut faire de notre pays pour nos enfants, ce que l'on veut que
notre pays soit dans vingt, trente, cinquante ans, parce que,
croyez-le, cela se décide aujourd'hui et je trouve que ce sujet
est plus important qu'aucun des autres sujets de promesses électorales
coûteuses que l'on peut faire pour essayer de faire basculer une
catégorie des Français.
Partant des fondations et réfléchissant à cette idée « liberté,
égalité, fraternité », je pense que l'on peut dire ceci :
ces trois vertus qui font la République, ont quelque chose en
commun. Elles sont toutes les trois des vertus de résistance,
parce que la liberté, cela ne va pas de soi ; ce qui est naturel,
c'est la servitude, c'est la domination du fort sur le faible.
L’égalité, cela ne va pas de soi ; ce qui est naturel, c'est
l'inégalité. La fraternité, cela ne va pas de soi ; ce qui est
naturel, c'est le chacun pour soi, chacun, enfermé dans son égoïsme
et considérant que, après tout, qu'importe ce qui arrive aux
autres pourvu que, pour nous, ce soit bon.
Eh bien, dire « liberté, égalité, fraternité »,
c'est dire un projet de société. Il y a une grande question à
laquelle nous devons répondre : est-ce que ce projet de société
est valable pour le XXIe siècle ? Est-ce qu'il est valable devant
la mondialisation ou est-ce que nous devons, comme certains ont
souvent dit, considérer qu'il est dépassé, considérer qu'il
appartient à un autre temps et qu'il faut maintenant que, dans la
modernisation nécessaire du pays, on oublie les raisons que nous
avions de vivre ensemble.
Moi, je considère que le projet de société de « liberté,
égalité, fraternité » est un projet, non pas pour le passé,
mais pour l'avenir. C'est un projet pour le XXIe siècle. C'est un
projet pour tous ceux en France qui ont besoin de justice et de
solidarité et je considère que, dans notre pays, nous avons la
chance de pouvoir, non seulement le défendre, mais aussi le
sauver, et je n'ignore rien de la mondialisation et de ses
pressions. Je sais exactement la dureté de la compétition que
nous allons devoir vivre. Je connais ses contraintes.
Nous étions tout à l'heure dans un laboratoire d'une très
grande entreprise qui fait de la chimie de pointe dans le monde à
partir de matières premières d'origine végétale. Cette très
grande entreprise de l'Eure est naturellement confrontée à tous
les autres centres de recherche de la planète et à toutes les
autres entreprises de la planète, mais c'est une entreprise qui
relève les défis et qui est capable d'avancer.
Je sais que la France peut relever ces défis. Je connais les
contraintes, mais je vous dis : dans ce monde de contraintes que
représente la mondialisation, être soudé dans notre pays, être
solidaire dans notre pays, vouloir l'égalité des chances dans
notre pays, c'est un atout et ce n'est pas un handicap, exactement
comme dans une équipe sportive. Tout le monde sait que, dans une
équipe sportive, ce n'est pas les individualités qui compte,
sans cela le Paris Saint-Germain serait champion de France ! Ce
qui compte, c'est l'esprit d'équipe... L'esprit d'équipe : on
est soudé ensemble ; l'esprit de l'équipe : on s'est fixé un idéal
commun. Avec l'esprit d'équipe, on fait même gagner des
individualités qui sont moins fortes que les autres et nous, en
France, nous avons les meilleures individualités.
Il faut que nous retrouvions le projet qui nous soude. Il faut que
nous sachions comment nous allons relever les défis de la
mondialisation et je veux vous dire ceci : pour réaliser l'égalité
des chances et la solidarité et pour relever les défis de la
mondialisation, il y a une chose à faire, une chose principale,
prioritaire, c'est considérer que l'éducation est la clef de
tout, que nous avons besoin de bâtir une France dans laquelle les
jeunes qui m'entourent, soient les mieux formés de la planète.
C'est cela le défi que nous devons nous fixer, c'est cela le défi
qu'il faut relever. C'est cela la loi, l'article premier que nous
devons souligner ou écrire en lettres d'or pour que l'on n'y
manque pas et, si vous y réfléchissez, l'éducation, c'est à la
fois un formidable atout dans la mondialisation et une immense
chance, parce que c'est l'égalité, la justice, l'égalité entre
ceux qui sont plus favorisés par la naissance et ceux qui le sont
moins. Voilà pourquoi l'éducation est la clef de tout.
Je veux vous dire, en quelques mots, ce que j'ai l'intention de
faire pour l'éducation.
Premièrement - même si je ne suis pas et je ne veux pas être à
la mode et je n'ai pas l'intention de choisir comme critère pour
mon élection d'être à la mode, cela fait longtemps que j'ai
choisi, au contraire, d'assumer de ne pas être à la mode, cela
permet souvent de se faire entendre des Français quand ceux qui
sont à la mode n'y réussissent plus - pour aider, soutenir,
promouvoir, le meilleur système éducatif de la planète, celui
que nous méritons, la première chose que je ferai, c'est de ne
pas laisser critiquer jour après jour l'Éducation nationale.
Applaudissements…
Cela, ce sont les enseignants qui applaudissent ! Mais les autres
devraient applaudir aussi s'ils y réfléchissent !
Je ne vous dis pas cela par hasard. Comme vous savez, j'ai été
ministre de l'Éducation nationale et, un jour, il y avait un
problème qui me tarabustait depuis longtemps, alors que tout le
monde disait que c'était dans la famille que se jouait toute l'éducation,
que quand on était favorisé, on réussissait et défavorisé on
échouait, culturellement ce qui est assez vrai entre nous et qui
est un signe de nos difficultés. Lorsqu'on disait cela, j'avais
à l'esprit un certain nombre d'exemples.
J'étais tarabusté par cette question qui était : comment se
fait-il que des enfants intelligents, issus de milieux favorisés,
cependant, échouaient ? Comment ce fait-il que des enfants issus
de milieux défavorisés cependant réussissaient très bien ?
C'était pour moi une question. J'ai demandé à des sociologues
intelligents, ce qui est un pléonasme !…
Rires…
…Ou en tout cas devraient l'être, je vous prie d'avoir autre
chose que ce rire peu charitable que vous venez d'avoir à
l'instant ! La sociologie française mérite une défense.
Plaider pour la sociologie française sous la halle d'Évreux,
cela ne s'était pas fait depuis longtemps !
Donc j'ai demandé à des sociologues intelligents, car il en
existe, de bien vouloir me dire quels étaient leurs avis sur ce
sujet.
Ils ont mené des enquêtes et ils ont trouvé un résultat que je
considère encore aujourd'hui comme une des choses les plus éclairantes
que j'ai apprises, au fond que je soupçonnais et, vous allez le
voir, que vous soupçonnez tous, mais qui est tout à fait
profonde et tout à fait éclairante. Ils m'ont dit : réussissent
les enfants dans les familles desquelles l'école est soutenue,
estimée et où l'on en dit du bien et échouent les enfants dans
les familles desquelles l'école est critiquée, méprisée et où
l'on en dit du mal.
Je trouve qu'il y a là quelque chose de formidable, non pas
seulement pour les familles, mais pour le pays parce que je crois
que cela est vrai pour les familles, mais c'est encore plus vrai
pour les nations.
la France a été un grand pays d'éducation au moment où dans
toutes les familles d'ouvriers, dans toutes les familles de
paysans, dans toutes les familles d'artisans, on considérait que
l'instituteur ou l'institutrice était un bienfaiteur pour la
famille et la commune, on le soutenait et on disait : "Si tu
n'es pas sage, Monsieur ou Madame te donnera une punition, - on
disait même quelquefois une taloche - et il aura bien raison de
le faire."
Eh bien, c'est la même chose pour les nations. A l'heure
actuelle, les nations en tête dans le classement international,
nations scandinaves ou du sud-est asiatique, sont des nations dans
lesquelles tout le monde s'unit pour soutenir l'école.
Moi, je veux que l'on s'unisse en France pour soutenir l'école en
étant exigeant, mais en étant fort dans le soutien qu'on lui
apporte, on en a besoin pour notre nation.
Alors je dis que, malgré les contraintes budgétaires qui seront
les nôtres, au lieu de perpétuellement chasser les moyens de l'école,
je garantirai les moyens de l'école et de la recherche. Je ferai
en sorte que nous ayons, de la part de ce grand système éducatif,
la certitude qu'il ne va pas être perpétuellement être pris
pour cible. Et, en échange, je passerai un contrat avec l'éducation :
je demanderai que l'on s'accorde sur l'amélioration mesurable des
résultats de notre école notamment à l'endroit des enfants les
plus défavorisés.
Je demanderai en particulier qu'il n'y ait plus d'enfants qui
entrent en 6e sans savoir lire ni écrire et que nous fassions de
cet engagement une règle d'or du contrat républicain. Je ferai
en sorte que nous considérions tous ensemble qu'il faut que le
calme qui fait les bons établissements et l'excellence qui fait
les établissements de prestige, soient présents désormais dans
tous les établissements de tous les cantons, de tous les
quartiers, y compris des banlieues qui sont aujourd'hui mal réputées
du territoire national.
Je ne veux pas d'établissement ghetto, je veux que tous les établissements
offrent la même chance à tous les enfants de France et ceci sera
le critère de la réussite et du contrat républicain que nous
pourrons lier ensemble.
De la même manière, je sais qu'il faut que nous pensions à
notre université. Il faut que, ensemble, nous réfléchissions à
ce qu'elle est parce que, je suis sûr que parmi vous très
nombreux sont ceux qui, aujourd'hui, se font du souci pour leurs
enfants diplômés. Je ne parle même pas des étudiants qui ne
sont pas diplômés, et qui devraient faire encore plus notre
souci. Le nombre de jeunes qui font aujourd'hui souci à leur
famille parce que simplement on n'a pas clarifié ce que
l'université française devrait faire, est très grand.
Vous savez bien ce qu'a été la République dans notre pays, ce
qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être, la République, c'était
ceci - je vais traduire en français de base, en français des Pyrénées
: si les enfants travaillent bien à l'école, ils auront une
situation meilleure que celle de leurs parents.
Tout le monde vivait avec cette idée. Puis les enfants ont bien
travaillé à l'école, sont arrivés à bac+4, bac+5, bac+6 et
ils sont au chômage et cela a sapé le moral des familles. Cela a
sapé le moral des parents spécialement de ceux qui n'ont pas de
relations, de ceux qui ne savent pas comment donner un coup de
pouce à leurs enfants.
Cette question lancinante pour beaucoup de familles est un devoir
pour nous. Cela veut dire que l'on va avoir au moins trois choses
à faire :
L'une n'est pas universitaire, mais c'est trouver un moyen pour
que des jeunes, diplômés ou pas, qui ne réussissent pas à
avoir leur première expérience professionnelle, puissent l'avoir
dans une entreprise.
Il faut discuter de cela avec la représentation des entreprises,
avec les syndicats : comment faire pour que, dans un pays comme le
nôtre, on donne la chance à tous les jeunes d'avoir une première
expérience ?
Je vous dis ce que font les autres. J'ai défendu cette idée à
la tribune de l'Assemblée Nationale au moment du conflit du CPE
en proposant un contrat emploi formation : si un élève est au
lycée, il coûte à la société environ 10 000 € par an,
mais ne pourrait-on pas proposer, mettons la moitié de cette
somme, pour qu'une entreprise accepte de lui offrir sa première
insertion professionnelle pendant trois, quatre, six mois, un an,
si elle le souhaite, de manière qu'il ait au moins la première
ligne à écrire sur son CV ?
C'est ce que j'appelle le contrat emploi formation. Il faut en
discuter avec les partenaires sociaux.
Cela, c'est pour ceux qui, pour l'instant, sont sortis du système
sans trouver de solution.
J'aurais tout à l'heure une autre solution à défendre pour eux,
mais nous avons à bâtir une nouvelle définition de l'université
et cette définition est celle-ci : il est vrai que l'université
donne des diplômes, mais il faut maintenant aussi qu'elle
s'occupe d'offrir à ceux qui ont des diplômes, une formation
professionnelle pour leur permettre de trouver un métier et un
emploi.
Et cela ne peut se faire que si on le fait avec des entreprises,
autrement dit, à tous les niveaux de sortie de l'université, il
faut que les jeunes aient la chance de trouver un chemin vers un métier,
un diplôme et un métier, ce n'est pas la même chose.
On avait oublié de le dire aux Français, il faut maintenant que
l'on revienne à cette vérité fondamentale-là, je veux bâtir
un système d'insertion et de formation professionnelle comme
mission nouvelle pour l'université française.
Naturellement, il faudra que l'université ait les moyens nécessaires
et, en France, elle ne les a pas. Vous voyez que, dans ce secteur
de l'éducation et de la recherche, car l'université c'est la
recherche aussi, nous allons devoir y concentrer les efforts de la
nation, en tout cas si les Français me suivent, sur le projet que
je leur propose.
Cela, c'est la première chose à faire, c'est la clef de
l'avenir. Il faut ensuite que l'on s'occupe de la question de
l'emploi.
Je considère qu'il n'y a pas de politique sociale si nous ne réussissons
pas à créer des emplois. Tout le reste est allocation ou
assistance, solidarité nécessaire, et est, au fond, un peu
vaine.
Nous avons besoin de créer des emplois. Selon moi, il y a des
centaines de milliers d'emplois qui ne demandent qu'à être créés.
Simplement, ils ne peuvent pas l'être parce que les entreprises
ont peur de la charge que cet emploi représentera pour elles.
C'est la raison pour laquelle, si je suis élu président de la République,
je demanderai au Parlement de voter une disposition qui autorisera
toutes les entreprises de France sans exception à créer deux
emplois nouveaux sans avoir à payer de charges pendant cinq
ans sauf, parce que j'ai le souci des retraites, 10 % pour les
retraites.
Cela s'adresse spécialement à deux catégories de la population
:
La première, c'est eux, les jeunes, notamment les jeunes diplômés
ou les jeunes sans formation qui n'arrivent pas à mettre le pied
à l'étrier et évidemment si l'emploi coûte à peu près moitié
moins cher qu'aujourd'hui tout en rapportant la même chose au
jeune qui sera salarié, alors beaucoup de chances vont s'ouvrir
devant eux.
La deuxième catégorie de la population dont je considère qu'ils
sont un reproche vivant pour nous, ce sont les plus de 50 ans qui
sont scandaleusement éliminés des entreprises, simplement parce
que leur salaire coûte plus cher que celui d'un jeune salarié.
Il y a là un scandale. D'abord c'est un scandale de vie. Vous
savez bien ce qu'est la vie : très souvent, à 50 ans, il
arrive que l'on ait charge de famille, on est en pleine forme,
tout de même, on ne peut pas considérer que, après 50 ans, on
ne puisse pas apparaître comme jeune, en pleine forme !
Rires…
Je trouve que c'est scandaleux qu'à 50 ans on se trouve exclu et
c'est scandaleux, non seulement pour leur vie, leur famille, eux-mêmes,
mais songez que le jour où ils partent à la retraite, sur la
totalité des salariés français qui prennent leur retraite tous
les ans à l'heure actuelle, la majorité d'entre eux n'a plus
d'emploi ou a été exclu de leur entreprise.
Ceci est un scandale absolu. Vous voyez à quel point beaucoup de
discussions que nous avons, beaucoup de grands débats qui sont
les nôtres, par exemple sur les retraites, sont complètement
vains et totalement éloignés des réalités, car tout le monde a
en tête l'idée que, sur les retraites, étant donné
l'allongement de la durée de la vie, il faut imaginer un
allongement selon moi librement consenti de la durée ou des années
que l'on consacre au travail, mais encore faut-il qu'il y ait du
travail parce que cela ne sert à rien de dire : "Vous allez
avoir la liberté de prolonger votre contrat de travail et votre
engagement au travail" s'il n'y a plus de travail.
Cette idée qui consiste à dire : "Vous allez pouvoir créer
des emplois sans avoir à assumer le coût très lourd des charges
sociales notamment pour ce que coûte un salaire de plus de 50
ans", c'est une manière aussi de remonter le taux de travail
dans la société française.
Ne me croyez pas sur parole, il ne faut jamais croire personne sur
parole, j'allais dire surtout pas moi, mais là cela aurait été
excessif ! Franchement cela aurait été de la contre-propagande
et je ne vous aurais pas réunis si nombreux à Évreux pour faire
de la contre propagande ! je vous demande de vérifier ce que je
vous dis auprès des entreprises que vous connaissez autour de
vous.
Savez-vous qu'il y a en France 1,5 million d’entreprises qui ont
0 salarié et 1 million d'entreprises de plus qui ont moins de 10
salariés, cela veut dire qu'au-dessous de 10 salariés, il y a
2,5 millions d’entreprises, c'est 95 % des entreprises françaises.
Songez à ce que peut être, comme libération, pour un certain
nombre de ces entreprises, la possibilité de créer un vrai
emploi sans avoir cette charge exorbitante, notamment auprès des
petites entreprises, auprès des entreprises débutantes, qui
paralysent si longtemps la volonté de créer des emplois dont on
aurait besoin.
Pour moi, tout cela est une mesure sociale. Ce n'est pas une
mesure économique seulement. Vous savez que j'ai décidé désormais
que, dans le projet qui serait le mien, je prononcerai social-économie
en un seul mot parce qu'on a trop longtemps opposé le social et
l'économie.
À la vérité, si l'on veut une économie performante, il faut
que le lien social soit vivant dans le pays et, si l'on veut un
lien social fort et une politique sociale généreuse, il faut que
l'économie soit en forme.
Eh bien nous, nous défendrons en même temps le social et
l'économie.
Ceci est une politique sociale et c'est le premier acte d'une
politique contre l'exclusion. Il y a combien de personnes dans
l'exclusion en France ? 1,3 million de RMIstes, peut-être 2
millions de personnes qui sont sur le bord de la route sans être
comptabilisées dans les statistiques du chômage.
Vous avez suivi cette polémique, cette année, on ne sait pas
pourquoi, l'INSEE a décidé qu'elle ne publierait pas les
chiffres du chômage avant les élections présidentielles, comme
elle y est engagée tous les ans.
Cette année, on ne sait pas pourquoi, les chiffres du chômage
seront publiés après les élections présidentielles, mais la vérité
est que tout le monde sait qu'il n'y a pas seulement 2 millions de
chômeurs dans notre pays, tous, même les défenseurs de tous les
gouvernements successifs qui ont prétendu défendre ce chiffre.
La vérité est qu'il y a plus de 4 millions de personnes au chômage
dans notre pays.
Savez-vous que les deux tiers des RMIstes ne sont pas comptabilisés
dans les statistiques du chômage ? Alors si les RMIstes ne sont
pas des chômeurs ? Que sont-ils ? Si ce n'est pas le chômage qui
est la première marche de l'exclusion et vous savez comment cela
se passe ? Vous perdez votre emploi, quelquefois votre famille éclate
et souvent votre famille éclate, vous vous retrouvez tout seul,
vous avez des problèmes de surendettement, vous n'osez plus guère
sortir de chez vous, bref le piège de l'exclusion s'est refermé
sur vous.
J'attends des nouveaux emplois qu'ils puissent offrir une solution
à un certain nombre d'entre eux, mais pour les autres, je ne les
abandonnerai pas et je demanderai que l'on ne se sente pas quitte
avec eux parce qu'on leur aura fait un chèque d'environ 400 €
à la fin du mois, je demanderai que toute personne qui est aux
minima sociaux se voit proposé non seulement le virement ou le chèque
de la fin du mois, mais aussi une activité qui lui permettra d'être
au service de la société, des associations ou des collectivités
locales pour arrondir ses fins de mois et se retrouver utile pour
son pays.
Vous voyez le projet que je montre pour la France, vous voyez
comment on réconcilie la France avec son grand projet républicain,
vous voyez comment, tout d'un coup, on fait de la solidarité non
plus une charge, mais un atout pour l'avenir, on fait de l'éducation
non plus une dépense, mais un investissement pour l'avenir, on décide
de relever les défis de la mondialisation et de le faire les yeux
ouverts en décidant de se doter des armes nécessaires non pas
pour que la France subisse, mais pour qu'elle gagne, pour quelle
recherche, dans la mondialisation, l'amélioration de la situation
de tous les Français.
Ceci est le message de notre projet républicain.
Je finirai en disant : notre projet républicain ne s'adresse pas
seulement à nous, il s'adresse au monde.
Nous avons, nous, France, un devoir, car il y a des choses que, si
nous ne les disons pas, personne ne les dira au monde. Une des
raisons pour lesquelles j'ai salué Jacques Chirac c'est parce
que, au moment de l'Irak, il a dit au monde des choses que
personne n'aurait dites si la France n'avait pas été là et si
son président de la République n'avait pas décidé de les dire.
Il y a des choses que seule la France peut dire au monde et,
aujourd'hui, il y a une chose nouvelle que seule la France peut
dire au monde, c'est que, devant le drame ou la crise du réchauffement
de la planète que nous sommes en train de vivre, le drame ou la
crise du climat qui menace la biodiversité, la multiplicité des
espèces et peut-être aussi l'espèce humaine, nous avons le
devoir de bâtir une politique internationale de lutte contre le réchauffement
du climat.
C'est la France qui doit être à la tête de cette politique
internationale.
C'est à la France de dire que, puisque ce sont les activités
humaines qui sont responsables, il est nécessaire que les hommes
sur la planète s'organisent pour y répondre. Cela veut dire
aussi qu'il va falloir que nous soyons exemplaires à l'intérieur,
en économie d'énergie. Cela ne coûte pas cher les économies,
c'est le gisement le plus formidable que l'on puisse trouver d'énergie
pas chère.
Tout le monde estime qu'il suffit d'un certain nombre de gestes
simples pour que nous réussissions à économiser dans notre vie
quotidienne 15 % peut-être de l'énergie que nous gaspillons.
Je vous propose un test si vous voulez le vérifier et vous allez
voir que c'est très simple.
Si vous avez, dans votre voiture, un indicateur de consommation
instantanée faites ce que je conseille à tout le monde de faire,
faites 1000 kilomètres avec l'indicateur de consommation
instantanée devant les yeux et 1000 kilomètres sans l'indicateur
de consommation instantanée devant les yeux. Vous allez découvrir
que, rien qu'en ayant sous les yeux la manifestation de votre
consommation, c'est-à-dire en allant au même endroit, à la même
vitesse, en conduisant pareil sauf en levant un peu le pied quand
l'aiguille monte un peu trop, vous économisez, sans rien faire
d'autre, 15 % de votre consommation d'essence ou de gasoil.
Rien qu'avec cela, 15 % de votre consommation épargnée ! Vous
vous rendez compte en isolant les maisons ? Vous vous rendez
compte en faisant en sorte qu'une partie du transport qui est sur
les camions, sur les routes, passe sur le ferroutage ou sur les
transports fluviaux ? En faisant en sorte, demain, de favoriser
des véhicules hybrides ou des véhicules électriques, en
recherchant des énergies de substitution, en aidant à la création
de biocarburants qui sont moins polluants et qui sont
renouvelables et non polluants et qui offrent des débouchés au
monde agricole pour un certain nombre de productions qui n'en ont
pas, en choisissant le photovoltaïque, le solaire, les récepteurs
solaires et les capteurs photovoltaïques, en acceptant de
rechercher les énergies renouvelables qui existent, qui... écoutez
moi bien... vont êtes quoi qu'il arrive un immense objet de
recherche et de progrès industriel, pour l'instant sur les énergies
renouvelables, la France est en retard plutôt qu'elle n'est en
avance.
Il faut qu'elle devienne en avance si nous voulons être aussi
fort dans les énergies renouvelables que nous l'avons été sur
le nucléaire, cela nous a donné un grand avantage. Il est nécessaire
que nous jouions cet avantage dans d'autres sources d'énergie que
celles que nous avons eues jusqu'à maintenant.
Voilà une politique sérieuse, une politique novatrice, non pas
pour revenir en arrière comme un certain nombre de gens le
disent, mais pour avoir au contraire, dans la société française,
un projet qui sera plus économe, plus sobre, qui nous obligera à
être plus proches les uns des autres, à être plus solidaires
les uns avec les autres et qui donnera à la France un avantage
sur les pays qui nous entourent.
Voilà ce que nous devons faire pour lutter contre le réchauffement
de la planète et c'est aussi ce message de la France à
l'international, c'est vrai aussi sur la paix et sur la guerre.
Je ne veux pas assombrir cette soirée que je trouve très
chaleureuse et très amicale, mais je veux vous dire ceci : je
considère qu'il y a de lourds nuages noirs sur l'horizon, il y a
de lourds nuages noirs au Proche-Orient et au Moyen-Orient, il y a
de lourds nuages noirs dans les intégrismes, il y a de lourds
nuages noirs dans la violence qui se déchaîne dans une partie de
l'humanité.
En déclenchant la guerre en Irak, l'administration Bush a fait
sortir des démons qui étaient enfermés depuis longtemps. Il
faut tout faire pour que les démons rentrent là où ils étaient,
et cela ne sera pas facile. On a besoin, pour tous les problèmes
de la paix et de la guerre, pour tous les problèmes de la pauvreté
et de la richesse, d'un monde mieux organisé. Je dis de la
pauvreté et de la richesse car, pour moi, la pauvreté est une
menace, pas seulement pour les pauvres, comme les égoïstes le
croient. La pauvreté est une menace pour les pauvres et elle est
une menace pour les riches. Tant que les riches ne se rendront pas
compte que la pauvreté est une menace aussi grande pour eux que
pour les pauvres qu'ils abandonneraient volontiers, ils ne
comprendront rien à l'avenir qui est en train de s'écrire.
Par exemple, en matière d'immigration, je vais vous dire le fond
de ce que je pense, je sais qu'il faut des contrôles et des régulations,
je ne suis pas naïf, mais ma certitude intérieure est qu'en matière
d'immigration, je ne crois pas aux murailles, je ne crois pas aux
forteresses, ni aux miradors, ni aux mitraillettes, ni aux barbelés,
je ne crois pas aux chiens policiers ni aux charters. Je ne crois
à rien de tout cela.
Je crois que, tant qu'il y aura des pauvres, si pauvres qu'ils ne
peuvent pas regarder les yeux de leurs enfants sans avoir la
certitude que ces enfants ne pourront pas vivre, ils s'en iront et
partiront chez les riches, ils partiront à pied, ils partiront à
cheval, en voiture, en bateau, en radeau, ils partiront à la
nage, mais entre la certitude de mourir et la chance de vivre, ils
choisiront toujours la chance de vivre.
Depuis que le monde est monde, depuis que l'humanité est humanité,
quand il y a des très pauvres à quelques kilomètres de très
riches, les très pauvres s'en vont chez les très riches et nous
avons vingt des dix pays les plus pauvres de la planète à
quelques centaines de kilomètres de dix pays parmi les plus
riches de la planète.
Ceci doit nous donner une certitude et une obsession : la seule
politique anti-immigration qui tienne est la politique de développement
des pays pauvres et particulièrement du continent africain.
Et cette politique-là, ce n'est pas une politique d'injure des
immigrés, c'est une politique de compréhension de l'histoire.
C'est une politique qui dit : la France doit être à la tête de
ce combat, mais la France ne peut pas être seule car nous n'avons
pas, seuls, les moyens de cet immense développement.
Nous devons attirer l'attention de l'humanité sur les règles nécessaires
qui consistent non pas à faire du libre-échange perpétuel
notamment en matière agricole, mais à protéger les paysans et
notamment les paysans africains que l'on arrache à leur terre
pour les jeter dans les bidons-villes. Il faut que nous changions
les règles du commerce international et que nous fassions
entendre une voix raisonnable et morale dans le commerce
international.
Il faut que nous donnions à l'Afrique, à la pauvre Afrique, la
chance que nous avons eue nous, Europe, après la guerre. On nous
a donné les moyens du développement et on a accepté l'idée
qu'il fallait que nous ayons une préférence communautaire pour
que ce soient les paysans européens qui nourrissent l'Europe et
les usines européennes qui équipent l'Europe.
Il faut faire la même chose pour l'Afrique. Il faut permettre aux
paysans africains de nourrir le continent africain et aux ouvriers
africains d'équiper le continent africain, au lieu de les piller
pour leur envoyer des objets achevés et manufacturés ailleurs
dans le monde, d'ailleurs généralement pas chez nous. Je ferme
la parenthèse sur ce sujet, mais vous voyez où je veux en venir.
Si nous voulons conduire cela, nous, France, nous ne pouvons pas
le faire tout seul et c'est pourquoi la dernière idée que je défendrai
devant vous est qu'il faut, si nous voulons cette politique de développement
avec les moyens nécessaires, si nous voulons une défense qui
tienne la route et dont nous ne devions pas, tout seuls, assumer
la lourde charge financière, il faut partager la charge financière
d'une défense, si nous voulons qu'une diplomatie pèse sur les
affaires du Moyen-Orient ou sur la Russie ou sur la Chine pour
dire à la Chine : "Excusez-nous, vous ne pouvez pas
continuer à avoir une monnaie sous-évaluée comme celle que vous
avez, il faut tout de même que nous en discutions." Si nous
voulons tout cela, il faut que l'Europe existe et se tienne
debout.
C'est pour cela, avec une grande idée de la France, avec une
grande idée de la souveraineté française, que je me fixe un
objectif : je veux réconcilier les Français avec l'Europe et je
veux réconcilier l'Europe avec la France.
Je veux que l'on sorte par le haut de cette crise. Je sais très
bien pourquoi les Français ont voté "non". Je me suis
battu pour le "oui", mais, depuis la première minute,
j'avais la certitude que le non l'emporterait, je savais pourquoi
et je veux le dire simplement devant vous.
Il était fatal que le "non" l'emporte parce que le
texte était si compliqué, qu'il était incompréhensible, il était
si lourd, il était illisible pour quelque citoyen que ce soit, même
les docteurs en droit, même ceux qui ont voulu vous faire croire
qu'ils l'avaient lu, il était illisible et trop long pour eux et,
comme les Français qui sont des citoyens avertis ont trouvé ce
texte illisible, ils ont eu la crainte que sous ce texte incompréhensible
il y eût un loup et ils ont dit : "On connaît le loup,
c'est qu'ils veulent nous imposer un projet de société dont nous
ne voulons pas."
Et voilà pourquoi, au nom de la crainte de ce projet de société,
les Français ont apporté la réponse qu'ils ont apportée.
Voilà pourquoi je dis qu'il faut un texte court, clair, compréhensible
par tout le monde, lisible par tout le monde, qui traite non pas
des traités innombrables, mais de la seule question à laquelle
ce texte devait répondre, c'est-à-dire : comment on donne aux
citoyens de l'information et du pouvoir sur l'Union européenne
dans laquelle va se décider une partie du destin de nos peuples.
C'est la seule question qui se pose.
On a besoin d'une Europe compréhensible et on a besoin de
comprendre les décisions que l'Europe prend.
C'est le droit des citoyens de tous les pays européens que de
voir ainsi l'Europe devenir quelque chose à quoi ils comprennent
et pas quelque chose à quoi ils ne comprennent rien.
Voilà la mission que je me fixe et, je vous le dis, je le dis à
tout le monde, à ceux qui ont voté "non" et à ceux
qui ont voté "oui"
.
Quand nous aurons un texte de cet ordre, court, clair, lisible et
compréhensible, qui ne traite que d'un seul sujet, c'est-à-dire
de la manière dont l'Europe peut devenir plus démocratique
qu'elle ne l'est, ce jour-là, je soumettrai ce texte au référendum
des Français et je m'engagerai devant les Français pour que la réconciliation
avec l'Europe se fasse.
Je sais qu'il y a certains de mes concurrents qui ont annoncé
que, qu'importe la réponse que les Français avaient apportée,
ils feraient, eux, à la va-vite et le plus vite possible, adopter
un texte par le parlement et que l'on n'en parlerai plus.
Je suis en désaccord avec cette vision parce que rien ne me paraît
plus dangereux que de creuser encore un peu plus le fossé qui sépare
le peuple français de l'Europe.
Le peuple français a examiné le texte, il a apporté une réponse.
Pour sortir de cette crise, c'est à lui qu'il faut faire
confiance et devant lui qu'il faut s'engager.
C'est désormais le contrat démocratique dont les citoyens français
ont besoin.
Je crois et je sais que l'on peut défendre devant n'importe
quelle assemblée, n'importe quel public, de jeunes, de moins
jeunes, de moins jeunes encore citoyens français, l'idée que, désormais,
si nous voulons que notre pays ait un destin, il faut que ce
destin s'organise à l'intérieur d'une communauté ou d'une Union
européenne digne de ce nom et qui respecte les identités et les
différences notamment culturelles de nos peuples.
On peut le défendre devant n'importe qui.
Je ne vois pas qui peut prétendre que l'on peut s'occuper des
affaires de la paix et de la guerre à la surface de la planète
si nous n'avons pas cette organisation.
Je ne vois pas qui peut prétendre que l'on peut s'occuper de
climat si l'Europe n'existe pas.
Je ne vois pas qui peut prétendre que l'on peut s'occuper
d'immigration alors que l'on est dans la zone Shengen si l'Europe
n'existe pas, que l'on peut s'occuper de développement de
l'Afrique si l'Europe n'existe pas, que l'on peut s'occuper d'économie,
nous qui avons une monnaie commune, si l'on n'est pas capable
d'harmoniser par exemple les fiscalités entre nos différents États.
Je sais que l'on a besoin d'Europe vivante pour que la France soit
forte, d'Europe forte pour que la France soit vivante.
Tel est le contrat que je proposerai et que je défendrai devant
le peuple français et je sais que, ce contrat, les Français le
soutiendront.
Voilà le projet qui est le nôtre. C'est un projet de
renouvellement profond de la vie politique, j'allais dire de la
foi politique dans notre pays pour que l'on recommence à dire les
choses les yeux dans les yeux, que l'on n'ait plus, comme perpétuellement,
des communicants qui écrivent des phrases et des petites phrases,
non pas pour éclairer les Français, mais pour les détourner de
voir les problèmes essentiels. Je veux que, désormais, la
politique s'occupe des problèmes essentiels, ceux des jeunes,
ceux des vieux, ceux des femmes, ceux des hommes, ceux des
familles, ceux avec lesquels nous allons devoir vivre.
Il n'est aucune vérité qu'un peuple digne de ce nom ne soit
capable de regarder en face.
Tous les soirs, dans ces assemblées si nombreuses qui viennent
participer à la campagne électorale, je vérifie que l'on n'est
pas obligé, pour avoir l'audience des citoyens, de faire des
promesses que l'on ne tiendra pas, de faire siffler les
adversaires, de faire des petites phrases, que l'on n'est pas
obligé d'oublier de parler de l'essentiel.
On peut tirer un peuple vers le haut et on n'est pas obligé de le
tirer vers le bas, et c'est même cela la démocratie.
Cela consiste à prendre un peuple pour responsable, pour adulte,
cela consiste à élever son niveau de conscience et pas à le
rabaisser.
Cela consiste à tout lui dire en prenant le temps de la pédagogie
nécessaire.
Nous avons, aujourd'hui, la chance d'avoir une génération qui
est prête à se passionner pour tout cela.
Comme les Français se sont passionnés pour le référendum sur
l'Europe, à bon ou à mauvais escient, ils se passionnent
aujourd'hui pour cette élection présidentielle et ils se
passionnent pour le mouvement qui leur est proposé, pour que la
France accepte de se reconstruire et, pour se reconstruire, de se
rassembler.
Je vous remercie à Évreux, sur la terre de Pierre Mendès-France,
d'avoir ainsi défendu cette identité nationale.
Merci à tous.
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