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Saphir News
Présidentielles
2007 : L'UOIF choisit le centre
Fouad Bahri

Vendredi
20 avril 2007 Une semaine
avant le premier tour des élections présidentielles, le discours
de l'UOIF et son message politique à l'endroit des candidats était
attendu. Très logiquement, mais sans le dire explicitement, la
première fédération musulmane de France a choisi de jouer la
carte Bayrou contre les deux candidats de l'UMP et du PS. Un choix
qui, tout en sanctionnant la politique de Nicolas Sarkozy, ne
parvient pas à camoufler la perte d'influence politique de l'UOIF,
aucun candidat n'ayant jugé utile de faire le déplacement à
cette 24ème rencontre des musulmans de France.
Ainsi soit-il. Ce sera Bayrou ou rien. Certes, pour le
vice-président de l'UOIF, Fouad Alaoui, le choix du
meilleur candidat, ou pourrait-on dire du moins mauvais, à
ces élections présidentielles, n'aura pas été facile.
Aucun des prétendants ne s'est, en effet, particulièrement
illustré par son respect du culte musulman ou des thèmes
qui sont chers aux citoyens musulmans de France tel que l'égalité
des droits, une meilleure représentation sociale, la lutte
contre les discriminations ou encore une politique plus équitable
au Proche-Orient.
Aucun des candidats, à l'exception d'un seul. A y regarder
de plus près, la candidature Bové pouvait apparaître
comme la plus proche des préoccupations des français de
confession musulmane. Pour trois raisons.
Bové le bouclier
Tout d'abord, sa position respectueuse à l'égard de la
religion en général qui l'amène à défendre la liberté
de croyance, et à rejeter la montée d'un racisme
islamophobe dont sont actuellement victimes les musulmans de
l'hexagone.
Un élément essentiel qui le distingue des autres candidats
trotskistes et communistes, qui, eux, condamnent pour des
raisons idéologiques, matérialistes et athées,
l'expression du fait religieux, comme autant
d'obscurantisme, d'aliénation individuelle et sociale, de
frein au progrès social de l'humanité.
Ensuite, sa position juste et équilibré dans le conflit
palestinien. Dans cette campagne électorale, Bové a été
le seul candidat à avoir émis des réserves sérieuse sur
la violence de la politique israélienne à l'encontre des
palestiniens. Il défend l'établissement rapide d'un état
palestinien sur la base des frontières de 1967 et s'est même
rendu, il y a cinq ans, dans les territoires palestiniens
pour servir….de bouclier humain.
Enfin, comme candidat situé à l'extrême-gauche, José Bové
est naturellement sensible aux questions du logement social,
de la lutte contre les inégalités et contre une
mondialisation qui a trop souvent pris le visage d'une
pieuvre à l'appétit vorace, servi par d'innombrables
tentacules.
Ces trois raisons expliquent, par exemple, le soutien et
l'engagement de plusieurs militants du Collectif des
musulmans de France, à l'instar de Fouad Immarraine et
d'Abdelaziz Chaambi, en faveur du paysan altermondialiste.
Ce n'est pas ce choix qu'ont retenu les cadres de l'UOIF.
Ils lui ont préféré celui du candidat centriste, François
Bayrou, présenté comme le troisième homme de cette élection.
Pourquoi ?
Un vote mi-figue, mi-raisin
Dans son discours intitulé «les musulmans de France et
les élections présidentielles : Quel(s) choix ? »,
Fouad Alaoui précise les contours du vote UOIF. Ce vote
devra prendre en compte trois critères essentiels. Le
respect des religions, le respect de la jeunesse des
quartiers populaires et le retour, pour la France, de sa
politique gaulliste sur le plan international. Bayrou
satisfait-il à ces critères ?
Oui et non. Concernant le respect des religions, Bayrou est,
certes, comme il se plait à le rappeler, un croyant qui
respecte les croyants (lire l'interview sur saphirnews.com).
Catholique croyant et pratiquant, le président de l'UDF se
revendique d'un humanisme chrétien défini comme tolérant,
ouvert sur le monde et défenseur des valeurs morales. En
somme, un vrai démocrate-chrétien.
Pourtant, à ce beau tableau, quelques ombres sont à
relever. A commencer par la circulaire Bayrou de 1994, à l'époque
ministre de l'éducation du gouvernement Juppé. Une
circulaire qui définissait et introduisait, pour la première
fois, le concept de signe ostentatoire, au sujet du port du
voile à l'école. Dix ans plus tard était votée la loi du
15 mars, qui représente d'une certaine manière,
l'aboutissement légal et répressif de cette circulaire.
Une gageure donc, pour l'UOIF, qui ne cesse de dénoncer
l'injustice de cette loi.
Autre point sombre, l'affaire Charlie Hebdo. Dans ce procès
qui opposait, il y a encore quelques semaines,
l'hebdomadaire satyrique aux représentants du culte
musulman, UOIF en tête, le très croyant Bayrou est venu défendre
la liberté d'expression en se rangeant aux côtés du très
croyant…Charlie Hebdo.
Sur ce premier point, la prestation du candidat centriste
n'est donc pas convaincante. D'ailleurs, la religiosité est
loin d'être l'apanage de Bayrou. Sarkozy lui-même la
revendiquait dans son livre « La République, les religions
et l'espérance ».
Sur le respect des jeunes, la posture de Bayrou est évidemment
plus confortable que celle du leader de l'UMP, engagé,
depuis les dernières révoltes urbaines de 2005, dans une
croisade sémantique contre les habitants des quartiers
populaires. Les dernières visites de François Bayrou à
Saint-Denis ou Mantes-la-Jolie traduisent cette volonté de
reconquérir un électorat blessé par les propos de
l'ancien ministre de l'intérieur. Mais Ségolène Royal est
elle aussi engagé sur ce créneau.
Reste l'ultime critère, la politique internationale. Avec,
en particulier, les deux dossiers épineux du conflit Israélo-Palestinien
et celui de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.
Là encore, la position de Bayrou est loin d'être
convaincante. Sur la question palestinienne, le candidat de
l'UDF s'est montré timoré, pour ne pas dire craintif.
Interrogé en prime time, sur TF1, François Bayrou s'est
contenté d'exprimer vaguement et en des termes extrêmement
frileux, son non alignement sur la politique américaine. Il
n'a pas souhaité exprimé ses convictions sur un sujet
qu'il sait sensible et qui pourrait lui coûter sa place.
Par contre, concernant la Turquie, Bayrou est plus clair. Il
n'est pas favorable à son entrée dans l'Union européenne,
considérant qu'elle n'est pas prête à embrasser ses
valeurs, sans toujours préciser lesquelles.
Un Sarkozy plus light
Dès lors, comment analyser le choix politique des
responsables de l'UOIF, pour le vote Bayrou ? Très
simplement comme celui d'un vote mi-figue, mi raisin.
Mi-conviction, mi-sanction. En effet, le vote Bayrou apparaît
pour ces responsables musulmans, comme un moindre mal face
à la menace Sarkozy qui a rompu, objectivement, son
alliance politique avec l'UOIF en faveur du CRIF, préférant
le vote juif au vote musulman. Le positionnement «
frontiste » du chef de l'UMP, ses discours anti-immigré,
ses propos caricaturant et réduisant les musulmans à des
pratiques barbares, son adhésion à la politique américano-sioniste,
ont vite enterré cette alliance.
Quant à Ségolène Royal, candidate du Parti socialiste,
les choses sont plus claires. Le divorce est depuis
longtemps prononcé et consommé entre les deux
organisations. Contrairement aux déclarations du président
de l'UOIF qui revendique pour sa fédération une neutralité
politique du type ni droite, ni gauche, « ni
conformisme systématique, ni animosité systématique »
(lire l'interview de Lhaj Thami Brèze), il existe bien un
passif entre le PS et l'UOIF.
Idéologiquement, le Parti socialiste est l'héritier d'une
tradition historique à la fois engagée dans un combat pour
une laïcité, devenu aujourd'hui identitaire, et partisane
d'une politique vigoureusement coloniale, notamment en
Afrique. Deux traditions incarnées dans la figure de Jules
Ferry.
Politiquement, le bras de fer s'est illustré dans
l'accusation notoire et récurrente par les responsables du
PS, du fondamentalisme de l'UOIF, accusée d'attenter aux
valeurs républicaines de laïcité. L'épisode Chevènement,
du temps du gouvernement Jospin, qui voulait imposer aux
organisations musulmanes la signature d'une charte d'allégeance
aux principes républicains, est toujours présent dans les
mémoires. Ces accusations se retrouvaient encore dans la
toute récente synthèse interne du PS, rédigée par le désormais
démissionnaire député Eric Besson. N'oublions pas enfin
que le PS fut le premier parti à déposer, en 2004, un
projet de loi interdisant définitivement le port de signes
religieux à l'école. Autant de faits qui expliquent
l'anti-socialisme de l'UOIF.
Les autres candidats étant mineures par leurs scores prévisionnels,
il ne restait à l'UOIF, que le centre. Un centre-droit dont
le chef de file, François Bayrou, apparaît, par son libéralisme,
sa fibre religieuse et sa modération politique, comme un
nouveau Sarkozy, plus light, moins agressif, plus fréquentable.
Une opinion malheureusement pas partagée par l'intéressée,
pas plus que ses concurrents. Tous ont une nouvelle fois
boudé la rencontre annuelle des musulmans de France, à une
semaine des échéances présidentielles. Un pied de nez qui
marque le recul en termes d'influence politique, de l'UOIF,
mais qui reflète, surtout, l'absence de politisation de la
communauté musulmane, peu engagée sur le plan politique.
Les derniers mots de Alaoui sont sur ce point, assez clairs.
« Si vous ne vous occupez pas de la politique, c'est la
politique qui s'occupera de vous ! ».
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