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RPL France
La
crise présidentielle libanaise, origines et issues
Dr Elie Haddad
21 novembre 2007
Le Liban fait partie des rares pays où la composition démographique
constitue l’une des raisons principales de son existence.
Ce mélange unique de communautés religieuses vivant ensemble
depuis des centaines d’années a poussé feu le Pape Jean Paul
II à considérer le Liban comme pays message pour l’humanité.
En effet, dans ce monde moderne où le terrorisme s’est taillé
une place prépondérante et l’intolérance s’est érigée
comme moyen de communication, l’exemple que peut donner le Liban
sur la coexistence entre ses différentes composantes devrait
prouver que le choc des civilisations n’est pas une fatalité et
que les êtres humains, avec un brin d’intelligence et de
responsabilité, peuvent vivre ensemble et bâtir, en commun, leur
société.
Au XIXème siècle, suite à des périodes successives de troubles
internes, les libanais ont dû progressivement établir un régime
sur des bases consensuelles (ou consociatives). Après l’indépendance
en 1943 et avec l’aide de la France, pays mandataire, le Liban a
définitivement adopté ce type de démocratie commune, privilégiant
ainsi le partage du pouvoir entre les différentes composantes du
pays. Cependant, le côté immuable de cette démocratie et son
incapacité à évoluer avec le temps ont permis de fragiliser la
société libanaise, pratiquement la seule démocratie dans un océan
de théocraties et de dictatures. Ce fût ainsi la guerre dite «
civile » ayant éclaté en 1975.
A la fin de cette dernière, en 1989, et pour pouvoir sortir de
l’impasse, les libanais ont dû avoir recours, une fois de plus,
à la même démocratie consensuelle avec cependant une nouvelle répartition
des tâches au sein du pouvoir. Le président de la république était
resté maronite mais a vu ses prérogatives fortement diminuées
au profit d’un conseil des ministres toujours présidé par un
sunnite. Le président du parlement devait sortir des rangs des
chiites avec un rôle plus renforcé et une assise plus solide.
Cependant, l’occupation syrienne, qui a duré plus de 30 ans,
n’a cessé de perturber cet équilibre, en privilégiant les
alliés au profit des adversaires, dont la majorité était chrétienne.
Après le départ de l’armée syrienne, il était donc
indispensable de rétablir l’équilibre socio-politique interne
afin de permettre à chaque communauté d’être légitimement
représentée au sein du pouvoir et de participer ainsi pleinement
à l’entreprise de la reconstruction et la modernisation espérée
après une longue période de guerre.
Ainsi, eurent lieu les élections législatives de 2005. Malgré
les multiples et sérieuses irrégularités qui les ont entachées,
tant sur le fond que sur la forme, ce premier scrutin a permis de
dégager une grande force dans chacune des trois principales
communautés composant le pays ; près de 70% des voix des
sunnites ont plébiscité les listes du Courant du Futur de Saad
Hariri, le même pourcentage du vote des chrétiens les listes du
Courant du Général Michel Aoun. En parallèle, plus de 85% des
chiites ont donné leur voix au tandem Hezbollah-Amal. Ainsi,
selon la formule historique du Patriarche Sfeir prononcée au
lendemain de ces élections, chaque communauté avait choisi son
leader.
Dans la suite logique de ce processus, le Courant Hariri a proposé
Mr Siniora comme premier ministre, les deux pôles chiites ont
voulu confier le perchoir à Nabih Berri. Toutes les forces
politiques en présence ont dû entériner ces choix en cohérence
avec l’esprit consensuel.
Il se trouve cependant qu’actuellement, nous nous retrouvons aux
portes d’une nouvelle échéance, celle d’élire le nouveau président
de la république qui devrait succéder au Général Lahoud. Il
parait donc indispensable, dans le respect de l’esprit et le
cadre de cette même démocratie, de confier la magistrature suprême
au plus populaire, donc plus légitime, des leaders chrétiens, en
l’occurrence Michel Aoun, étant donné qu’il est lui-même
candidat.
Or, nous constatons, à ce jour, une volonté de la part de ladite
« majorité » actuelle dirigée par Saad Hariri, de rompre la règle
en vigueur et de s’opposer à la candidature Aoun en demandant
l’accession au pouvoir d’un maronite « consensuel »,
comprenez insipide et non représentatif.
Cette rupture unilatérale de la règle régissant la vie commune
comporte des risques de mise en péril de la paix civile. Elle
doit être justifiée et bien argumentée sinon elle ne peut être
considérée qu’un affront -un de plus- adressé aux chrétiens
libanais.
Avant de lancer des accusations, il serait utile de reprendre les
griefs exprimés par la « majorité » à l’encontre de Michel
Aoun.
On lui reproche d’abord son « alliance » avec le Hezbollah. En
effet, la vérité historique démontre que le vrai allié du
parti de Dieu, aux législatives de 2005 et au gouvernement de
Siniora, était justement le tandem Hariri et Joumblatt formant
ainsi, avec le parti Amal de Mr Berri l’alliance quadripartite.
Grâce aux voix chiites d’ailleurs, cette coalition a pu asseoir
sa supériorité numérique et revendiquer la majorité. Cette
dernière n’a pu cependant résister aux pressions externes qui
avaient en ligne de mire le Hezbollah et son armement. Ainsi,
entre vire voltages et double langage, cette alliance commençait
à montrer les prémices de son implosion, traduites sur le
terrain par des débuts d’affrontements entres chiites, sunnites
et druzes. Les premières scènes de l’Irakisation commençaient
à s’installer, si bien que le Général Aoun a dû établir un
dialogue avec la partie chiite pour tenter de trouver une issue
pacifique au conflit. Ce fût ainsi le fameux « document
d’entente » signé le 6 février 2006 entre les deux partis
apportant, en 10 points, des réponses à des questions
fondamentales et conflictuelles qui gangrenaient la société
libanaise. L’analyse globale du document en question dépasse le
cadre de cet article ; il est cependant utile de préciser qu’il
présente un mécanisme pacifique, le seul à ce jour, pour
l’application de la résolution 1559. (cf. texte en référence).
On lui reproche aussi un « prosyrianisme ». Permettez-moi de
penser que là, nous frôlons le délire. L’Homme, qui était le
premier à déclarer la guerre à l’armée syrienne en 1989, qui
a donné 15 ans de sa vie en exil consacrant ses jours et ses
nuits à la lutte contre cette occupation, soit taxé de
prosyrianisme d’ailleurs par ceux-là même qui ont constitué,
pendant toutes ces années, les proches collaborateurs et les
hommes de main de la Syrie au Liban, relève tout simplement de
l’irréel. Cependant, ces résistants de la 25ème heure doivent
savoir qu’il est inutile pour le Liban, voire dangereux, de
poursuivre une lutte contre un puissant voisin qui entoure 70% de
son territoire. Quelque soient les attributs du régime syrien, le
peuple libanais ne peut et ne doit, œuvrer à son remplacement du
moment que son armée a évacué son territoire.
On lui reproche enfin, deux ans après les législatives de 2005,
d’avoir perdu la légitimité du leader chrétien. Face à cette
allégation, seules de nouvelles élections, auxquelles nous
appelons de nos vœux depuis plus d’un an, peuvent rétablir une
nouvelle légitimité. A défaut, les chiffres de 2005 restent les
seules à prendre en considération. Cependant, il est important
de préciser que tous les sondages d’opinion, toutes sources
confondues, placent le Général Aoun en tête des présidentiables,
loin devant ses adversaires.
En démontant ainsi, l’un après l’autre, ces arguments, nous
pouvons légitimement suspecter une vraie volonté de poursuivre
la marginalisation des chrétiens, dissimulée dans le refus de la
personne de Michel Aoun.
En effet, dans le cadre de la crise régionale actuelle, nous
assistons à une confrontation sunnite chiite ayant débuté en
Irak et qui poursuit son chemin dans les autres pays du golfe. Le
Liban n’aurait pas dû échapper à cette vague morbide mais la
présence de la communauté chrétienne a permis de constituer un
tampon entre ces deux communautés mahométanes et éviter leur
clash. De surcroît, l’action politique du Général Aoun a
permis de remettre ce conflit sur le terrain politique, privilégiant
une confrontation entre une majorité et une opposition, empêchant
ainsi le recours aux armes et épargnant au Liban et à la région
une nouvelle plaie ouverte.
Il est clair pour nous que Mr Saad Hariri, chef de file du groupe
dit « du 14 mars » ne fait pas partie des commanditaires dans
cette déstabilisation globale, cependant par son action politique
il ne peut que la conforter.
Ainsi, il nous semble hautement nécessaire que les gouvernements
occidentaux, les européens en particulier, puissent prendre la
vraie mesure des risques encourus à travers l’analyse de
l’origine du problème et des solutions à proposer à la lumière
de l’équilibre précaire à respecter entre les communautés.
Imposer un chrétien non représentatif à la tête de l’état
alors que les deux autres présidents jouissent du plein soutien
de leur communauté ne peut qu’aggraver les frustrations et élargir
les fossés.
Solliciter les autorités religieuses chrétiennes pour proposer
des noms et confier le choix aux deux autres leaders musulmans
comporte deux risques majeurs :
1. Réduire les chrétiens à leur dimension religieuse, à
l’instar des coptes d’Egypte, ce qui va leur ôter
progressivement tout leur poids politique,
2. Créer un précédent grave à travers lequel les deux autres
présidents musulmans pourront choisir le président chrétien sur
proposition du clergé, tout en sachant que ce choix ne
s’effectue qu’en sens unique.
L’immigration chrétienne n’a pas cessé de croître depuis
1975, atteignant actuellement le stade de l’hémorragie. Dans
les conditions décrites plus haut, elle ne pourra que
s’aggraver. Il est cependant utile de rappeler que cette
tendance ne s’était réellement inversée qu’à deux
occasions : en 1982 avec l’élection de Béchir Gemayel et en
2005 après le retour du Général Aoun, deux hommes forts, de
confiance et fortement représentatifs de leur communauté.
Le Courant Patriotique Libre est, à l’image de son chef,
profondément laïque et croit fermement que la solution définitive
aux maux de la société libanaise ne vient qu’à travers une démocratie
basée sur la citoyenneté ainsi que la vraie séparation des
pouvoirs, y compris celui des religieux. Cependant, cette laïcité
ne peut être que le fruit d’une évolution naturelle de cette
société et exige, par conséquent, que toutes ses composantes
aient pu retrouver, dans un premier temps, leur espace complet et
leur appartenance.
La présidentielle libanaise devrait être, en réalité, une
occasion de renforcer la paix civile et une étape décisive à
travers laquelle tous les libanais, sans exception, se retrouvent
pour bâtir leur pays. Au vu de l’évolution actuelle, elle
risque fort d’être, malheureusement, une porte d’entrée vers
une crise plus longue et plus coûteuse.
Il est encore temps de revoir les objectifs stratégiques et de
proposer de vraies solutions dans la paix et dans le respect de la
démocratie libanaise.
Dr Elie HADDAD
Président
Rassemblement Pour Le Liban
elie.haddad@rplfrance.org
Réf :
Document d’entente entre le CPL et le Hezbollah à consulter sur
le lien suivant :
http://www.rplfrance.org/documents/060206CPLHezbollah.pdf
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