Le Général a toujours été l'homme intransigeant dans
"l'équation libanaise". Dans le passé, il a
refusé de signer les accords de Taëf car ils ne contenaient
pas un calendrier précis sur le retrait des troupes syriennes
du Liban. Tout le monde l'avait conspué à l’époque.
Aujourd'hui, le Général, à travers les différentes
alliances et ententes qu'il a signées, maintient un équilibre
sur la scène politique libanaise et de ce fait, se donne avec
le CPL, une position exceptionnelle et incontournable dans la
composition du paysage politique libanais.
Face au conflit actuel que traverse le Liban à travers des négociations
stériles, cet entretien a eu lieu dans la demeure du Général
à Rabieh. L’objectif étant d'avoir son avis sur un ensemble
de sujets : l’échec des négociations actuels, les démarches
faites pour nommer un tribunal international sous le chapitre 7,
comment voit-il le profil du prochain Président de la République,
où se situent les chrétiens sur la scène politique libanaise
.....
Le tribunal international
Que pensez-vous des initiatives internationales qui
ont eu lieu au Liban cette semaine ?
L'Organisation des Nations Unis cherche à sonder le milieu
libanais. Les démarches faites cette semaine en font partie.
Nous espérons qu'ils aboutissent à une solution qui respecte
les lois internationales, car nous remarquons actuellement des
violations de certains articles de la charte des Nations Unis
comme la soumission au tribunal international sous le chapitre 7
qui ne correspond pas à la situation. Nous espérons qu'ils
aboutissent à une solution équitable. De toute façon, même
si le tribunal international est voté, ceci ne résoudrait pas
la crise. Le conflit dépasse la question du tribunal
international et concerne plutôt un groupe politique qui
se considère comme majoritaire. Ce groupe que j'appelle
"le pouvoir usurpé", en refusant de modifier la loi
électorale, et en paralysant le conseil constitutionnel, est
parvenu à garder pour lui-même une supériorité numérique
qui ne lui appartient pas.
Aujourd'hui, nous ne considérons pas qu'il y a une majorité
qui gouverne d'autant plus qu'au sein de ce "pouvoir usurpé",
il y a des mésententes. Cependant, cette prétendue majorité
se maintient au pouvoir grâce au soutien international qui ne
respecte plus les lois, et grâce au travail d'engagement
subjectif dont les médias internationaux et plusieurs
dirigeants ont fait preuve en appuyant une faction de libanais.
Je suis le premier à être banni par ces médias et dirigeants.
Je n'ai jamais pris de décision à l'encontre des intérêts du
Liban. Même si les dirigeants étrangers n'ont pas la même
position que nous, ils doivent respecter notre choix car nous
connaissons mieux les enjeux de la scène politique libanaise.
Alexandre Saltanov, vice ministre russe des affaires
étrangères a déclaré que son pays émet une réserve au
regard du vote du tribunal international sous le chapitre 7.
Pensez-vous que les différents membres du conseil de sécurité
sont en désaccord ?
Cela est possible pour plusieurs raisons :
- La réserve est importante en politique d'autant plus que le
conflit libanais ne sera pas résolu ainsi, mais bien au
contraire, la situation risque de devenir encore plus complexe.
- La réserve est importante en juridique. Le conseil de sécurité
se doit de voter un tribunal international mais contre qui ? Où
sont les accusés ? Au départ, on s'est dirigé vers une enquête
internationale. Si un ou plusieurs pays sont impliqués dans
l'assassinat du feu Rafic Hariri, alors nous nous dirigerons
vers un tribunal international. Dans le cas contraire pourquoi
ne pas opter pour un tribunal libanais ? Quel est le conflit
international que l'ONU cherche à résoudre ? Contre qui ce
tribunal international ? L'ONU va-t-elle opter pour une nouvelle
enquête qui va durer des années et qui aura le même sort que
celle concernant Milosevitch ? Pourquoi ne pas proposer cette
enquête aux institutions constitutionnelles libanaises afin que
tous les libanais en supportent la responsabilité ?
Vous savez bien que si cette enquête reste au Liban,
les libanais ne vont rien décider. Que se passera t-il alors ?
Le tribunal peut avoir lieu selon la loi libanaise. S'ils
sont inquiets, ils n'ont qu'à trouver des juges
Consciencieux qui travaillent en fonction des preuves et des
faits.
Puisque le problème concerne tous les libanais,
pourquoi le Hezbollah émet des réserves sur ce tribunal
international ? Pourquoi n'a t-il pas évoqué ses réserves
lors des différentes réunions de concertation ?
Les différentes réunions de concertations manquaient de sérieux.
Personne n'y cherchait à résoudre les conflits. Des décisions
ont été prises, concernant entre autres les armes des
Palestiniens, les relations avec la Syrie, la mise en place du
tribunal international. Le gouvernement n'en a rien exécuté.
Lorsqu'on a accepté de mettre en place la table de concertation
et de prendre ensemble certains engagements, il fallait que tous
les participants soient présents dans le gouvernement. Mais,
les membres du gouvernement ne le désiraient pas. Ils n'ont même
pas écouté le Hezbollah qui faisait parti du gouvernement.
Pourquoi devrait-il leur soumettre ses remarques alors que ses
ministres ont démissionné faute d'écoute? Je ne cherche pas
à défendre le Hezbollah mais il faudrait être logique. A l'époque,
j'ai demandé à un responsable : "le Hezbollah a besoin de
48 heures. Pourquoi ne pas les lui accorder ?" La réponse
était la suivante : " Le Hezbollah cherche à gagner du
temps". Alors je réplique : "L'accusé est-il attaché
au radiateur ? Faudrait-il l'incarcérer
rapidement?!!!"
Il valait mieux accorder ces 48 heures que de voir le bloc démissionner.
Dès le départ le gouvernement voulait en arriver là : ne plus
faire participer au gouvernement les représentants d'Amal et du
Hezbollah. Car, sachant que le gouvernement possède les
deux tiers des députés, il aurait pu à lui seul adopter le
tribunal international.
Aujourd'hui, le même scénario se répète. Le résultat est
qu'un gouvernement d'union national ne peut se former tant que
le problème du tribunal n'est pas résolu!!!.
"Le pouvoir usurpé "
On a entendu dire que les Présidents de la République
et du Parlement sont avec l'opposition, s'ils acceptent la
formule 19 + 11, vous saurez la majorité dans le gouvernement.
En septembre, les élections présidentielles auront lieu. Le
gouvernement ne représente pas la majorité, leur
pouvoir est "usurpé" car 10 députés ont été
injustement écartés. Ils ont triché et ont paralysé puis
dissout le conseil constitutionnel.
Mais, en pratique, ils ont la supériorité numérique.
En réalité, il n'y a pas de majorité mais des personnes
qui sont illégalement députés.
Même s'ils ne sont qu'une minorité, ils doivent
obtenir quelque chose, sinon l'opposition possède tous les
pouvoirs du pays.
En tant que députés au sein d'un régime parlementaire,
nous avons la possibilité de bloquer certaines décisions. Le
gouvernement doit dialoguer avec nous. Qu'il arrête de prétendre
que le sit-in est responsable du désastre économique du pays
et des 45 milliards dollars de dettes. Ce qui paralyse le pays,
ce sont les rumeurs émises par le gouvernement qui concernent
l'éclatement d'une guerre civile, ou l'armement des milices...
Concrètement, il n'y a aucune entente sur la
formation d'un gouvernement d'union nationale et le Hezbollah ne
divulguera pas ses réserves quant au tribunal international. La
situation restera t-elle bloquée ?
Comme l'a dit le député Mohamad Raad, le conflit ne
concerne pas le tribunal mais le gouvernement. Ce n'est pas nous
qui bloquons la situation. Malgré nos réticences, ils ont
voulu solliciter le conseil de sécurité pour instaurer un
tribunal international. Ils n'ont qu'à le faire en fonction des
lois constitutionnelles et internationales.
Ils ne peuvent pas outrepasser les prérogatives du Président
de la République. Ce gouvernement n'aurait pas pu se former
sans son accord. Il en est de même pour les formalités
juridiques. Quand il le veut, le gouvernement n'hésite pas à
solliciter le Président de la République mais quand ce dernier
émet une demande au gouvernement, elle lui est refusée et on
l'accuse de vouloir pénaliser la situation. Le gouvernement
s'est mis d'accord avec les différents ambassadeurs pour le
boycotter. Ceci va à l'encontre de ce qui a été décidé
durant les concertations.
Il y a eu un accord pour le tribunal international.
On était d'accord sur le principe de former un tribunal
international. Quant aux modalités, certains partis avaient des
réserves. Comment se fait-il que le gouvernement discute sur
les modalités du tribunal international avec des juges étrangers
alors qu'il refuse de le soumettre aux ministres libanais?
Lorsque les ministres chiites ont démissionné à cause du
tribunal international, le gouvernement aurait dû les inviter
à des discussions afin de les réintégrer. Ce gouvernement
n'est plus légal, il n'a pas le droit de décider ni du
tribunal ni d'autre chose. Ce gouvernement n'a pas de ministres
qui représentent les chrétiens, et les chiites.
Chrétiens / sunnite / chittes
On a entendu dire qu'il y a un chrétien sunnite et
un chrétien chiite.
Ceci n'est pas vrai. Il n'y a que le chrétien libanais. Nous
sommes les seuls à avoir notre indépendance. Personne ne peut
nous influencer, ni en Occident ni en Orient. Ceci nous renforce
sur la scène politique interne mais en même temps nous
affaiblit sur la scène politique étrangère car nous ne
soutenons pas les dominations politiques étrangères.
Que pensez-vous des divisions interchrétiennes ?
Il n'y a pas de divisions interchrétiennes. Aux dernières
élections, celles des syndicats et celles des bureaux des étudiants,
nous avons eu 65% des votes. Ainsi, nous persistons à représenter
ceux qui nous ont déjà élus. Chez les sunnites et les
chiites, il y a une majorité reconnue et une minorité dans
l'opposition. Pourquoi ceci ne s'appliquerait-il pas aux chrétiens
?
Est-il vrai que vous avez promis au Patriarche Sfeir
de ne plus manifester particulièrement après les événements
du 23 janvier?
Je n'ai rien promis à personne. Je tiens à utiliser mes
droits reconnus par la constitution. Celui qui a utilisé les
armes devrait promettre au patriarche de ne plus le faire et
qu'il manifeste aussi longtemps qu'il le veuille. Dans tous les
pays du monde, on utilise les manifestations pour exprimer un mécontentement.
Pourquoi ceci serait-il différent au Liban.
Le sit-in
Pensez-vous avoir une bonne initiative et suspendre
le sit-in ?
C'est au gouvernement d'avoir une bonne initiative. Le sit-in
paralyse le pays ? Mais la dette financière et la non confiance
dans l'économie du pays qu'est ce que vous en faites? Je tiens
à signaler que nous allons indemniser environ 50 commerces qui
souffrent à cause du sit-in.
Quel est la perspective de ce sit-in ?
Il s'agit d'une contestation contre le gouvernement qui s'est
adressé au peuple en disant : restez dans la rue autant que
vous le voudrez. C'est ce que nous faisons. Avez-vous déjà
connu un premier ministre qui réagit ainsi face à une
manifestation de plus de 30 % du peuple ? On condamne les
manifestants, victimes de la situation du pays au lieu de
condamner le gouvernement qui a complètement affaibli le pays
et qui est incapable de résoudre les conflits et en même
temps ne veut pas démissionner.
Avez-vous atteint vos objectifs ?
Le gouvernement voulait isoler le Hezbollah, nous l'avons empêché
à travers la feuille d'entente. Nous l'avons aussi empêché de
renverser le Président de la République. Par la suite, ils ont
tenté d'éliminer la résistance par la force. Enfin, nous
avons subi un enchaînement d'actions tel que la menace d'une
guerre civile, et un ensemble d'attentats à Kaskas, Aakar,
l'assassinat de Pierre Gemayel et enfin le recours aux armes
dans les manifestations pacifiques. Nous avons réussi à empêcher
les débordements de situations et le sit-in a eu lieu malgré
tous les défis. Ce sit-in persistera tant que les conflits ne
sont pas résolus et tant que le gouvernement persiste à régner
d'une manière illégale.
Le choix entre la paix et la guerre devrait-il dépendre
d'une seule faction?
La décision de la paix et de la guerre n'est pas entre les
mains des Libanais mais celles des Etats Unis et d'Israël.. Le
fait que le Hezbollah kidnappe 2 soldats israéliens ne donne
pas à Israël le droit de lancer une offensive démesurée.
Dans la même perspective, le gouvernement a orchestré la
guerre contre le Liban et contre les intérêts du pays surtout
durant les négociations internationales sur l'arrêt de la
guerre.
Les Etats Unis / La France
Comment s'est passé l'entretien avec l'ambassadeur
américain Feltman ?
Durant cette rencontre, nous avons parlé de la situation
globale du pays. Je reste discret quant aux réunions que
j'effectue avec les ambassadeurs. Par contre, les gens
connaissent ma position à travers les discours que je donne. Je
veux une solution pacifique aux armes du Hezbollah comme par
exemple leur restitution à l'armée libanaise. Chose qui ne se
ferait pas si Israël ne se retire pas des fermes de Chebaa et
si les prisonniers de guerre des deux camps ne sont pas libérés.
Toute résistance a deux choix : gouverner de façon légitime
ou s'imposer. En intégrant le gouvernement, elle serait amenée
à réclamer le partage. Or le gouvernement ne veut pas que le
Hezbollah participe et veut le désarmer. Tout ce qu'on demande,
c'est de participer équitablement au gouvernement.
La Présidence de la République
Le Hezbollah n'a confiance qu'en vous pour remettre
ses armes, Vous êtes ainsi le mieux placé pour être élu Président.
Ceci n'est pas la seule raison. Je représente une garantie
contre la violation de la constitution et une garantie pour
l'indépendance et la stabilité du pays. Je suis capable
d'amener les libanais à s'entendre sur différents sujets : les
prisonniers en Syrie, les libanais réfugiés en Israël,
le retour des déplacés de la montagne... Je veux
combattre la corruption financière de l'argent public, et établir
un budget équilibré.
Jusqu'à quelle limite le Président de la République
serait-il en mesure de réaliser toutes ces promesses alors que
ses pouvoirs ont été réduits ?
Le rôle du Président de la République est de veiller sur
la patrie et de rappeler à son Premier Ministre ses devoirs et
ses responsabilités face à la moindre faille et d’empêcher
la violation de la constitution.
La constitution n'est pas claire sur la modalité de
dissolution du parlement et dans quelles conditions. Dans
certaines situations, il y a nécessité de dissoudre le
parlement. Il faut ainsi amender la constitution et non les
accords de Taëf car elle n'est pas complète ; à titre
d'exemple, nous ne connaissons pas quelles sont les conséquences
de l'article 95 sur le gouvernement lorsque ce dernier perd sa légitimité
?
Quels sont vos objectifs à travers votre visite en
France ?
Je passerai en France une semaine très importante, durant
laquelle j'expliquerai à travers les média la situation du
Liban. Je pense qu'après l'époque Chirac, les relations avec
la France seraient meilleures et plus objectives.
Monsieur Joumblat a rappelé à la concertation. Y a
t-il le moindre espoir ?
C'est une perte de temps. Dès la première réunion de
concertation j'avais annoncé ma participation pour qu'on ne
m'accuse pas de la boycotter. J'avais toujours eu l'impression
de tourner en rond et de perdre mon temps. Chose que je ne
supporte pas. Durant ces réunions, une partie des participants
n'était pas sérieuse et voulait s'accaparer le pouvoir sans
partage.
Considérez-vous que toutes les tentatives de sortir
le Liban de cette impasse ont échoué ?
Lorsque les tentatives sont d'emblée subjectives et
partisanes, elles échoueront. Ils n'ont pas tenu à résoudre
la crise libanaise mais plutôt à renforcer le pouvoir d'un
parti politique. On ne me reproche pas simplement mon entente
avec le hezbollah mais aussi d'être une entrave à toutes leurs
tentatives qui nuiraient aux intérêts du Liban.
Craignez-vous les attentats et les assassinats ?
Ceci est probable même si j'écarte la possibilité d'une
guerre civile. Les attentas sont possibles avec la présence
d’un gouvernement qui ne veille pas à la sécurité de
son peuple. Ce gouvernement ne rassure pas les gens, bien au
contraire, on doute de son innocence surtout que sur les 16
crimes commis aucun n'a été élucidé à ce jour.
Une perspective de paix peut-elle être envisagée
entre La Syrie et Israël ?
Tant que les deux pays acceptent le principe de l'entente et
de la paix. Nous voulons tous la paix. D'ailleurs, le
Liban a déjà entamé des démarches de paix avec Israël qui
n'ont pas abouti. Nous voulons tous la paix mais surtout une
paix juste et équitable. En 2002, tous les arabes ont accepté
lors du sommet de Beyrouth la proposition du roi Abdallah, qui,
par ailleurs a été reprise lors du sommet de Ryad. Dans
les négociations de paix, chaque partie cherche sa propre paix.
Lorsque deux partie cherchent à établir entre elle la paix,
elles doivent trouver un terrain d'entente équitable pour les
deux, la paix de l'une est forcement la paix de l'autre.