RPL France
La
tentation de Ponce Pilate
Dr Elie Haddad
Dr Elie Haddad
5
octobre 2007
Tout le monde connaît l’histoire de Ponce Pilate qui était
partagé entre sa conscience et la pression populaire. A la fin et
après un simulacre de procès et en imputant la responsabilité
au peuple agité, il avait choisi de condamner le Christ. « Je
suis innocent du sang de ce juste » lança-t-il pensant
ainsi se dédouaner des conséquences de son jugement. Il restera
pour toujours le symbole de l’indifférence et de
l’irresponsabilité.
Au Liban aujourd’hui, à l’occasion de la présidentielle,
se pose aux acteurs de la vie politique un vrai choix entre
la solution de la crise ou l’enlisement.
Se cacher derrière une éphémère « majorité »
pour justifier une prééminence numérique ne suffit plus. Tout
le monde connaît les conditions dans lesquelles ont eu lieu les législatives
de 2005 avec la précipitation qui les a marquées et le choix
d’une loi électorale obsolète imposée par l’occupant
syrien, le même que cette majorité prétendait combattre. Tout
le monde a constaté aussi la dissolution du conseil
constitutionnel par cette majorité pour empêcher toute
invalidation des sièges parlementaires réclamée par
l’opposition qui aurait pu et du changer la couleur dominante de
l’Assemblée.
Par ailleurs, le caractère consensuel, ou consociatif, de la démocratie
libanaise ne peut tolérer un fonctionnement uniquement basé sur
la supériorité numérique. A l’instar des modèles belge ou
suisse, les communautés composant la société libanaise doivent
toutes s’associer dans la prise des décisions majeures et
composer ensemble pour assurer les échéances principales. Toute
atteinte à cet équilibre peut remettre en cause le projet de vie
commune et exposer le pays à de vrais risques de cassure et
d’affrontements.
Essayer d’isoler telle ou telle communauté sous quelque prétexte
que ce soit ne peut qu’assombrir le tableau et pousser cette
communauté à se radicaliser encore plus et à l’éloigner de
son identité libanaise. Cette conjoncture s’est répétée périodiquement
dans l’histoire moderne du Liban où toutes les communautés ont
pu mesuré, dans la douleur, ses conséquences.
Pour que cette échéance présidentielle soit une vraie
occasion d’entamer une évolution vertueuse et sortir le Liban
de sa crise, il est maintenant établi que le prochain président
doit posséder des qualités particulières et répondre à un
profil très sélectif. Il doit avoir l’autorité nécessaire
pour imposer le respect des institutions, une vision globale et un
projet cohérent afin de mener le pays dans le sens de la modernité
et de la paix. Il doit être (vraiment) représentatif de sa
communauté et jouir en même temps de la plus grande cote de
confiance de tout le peuple libanais qu’il est sensé représenter.
Il devra surtout pouvoir dialoguer avec TOUTES les composantes
libanaises afin de les rassurer et assurer le règlement de tous
les problèmes qui restent en suspens, en particulier celui des
armes que possèdent aussi bien les libanais que les étrangers.
Il devra aussi bénéficier des qualités d’Homme d’Etat
capable de pacifier les relations du pays des cèdres avec ses
voisins, selon un calendrier déterminé par les intérêts supérieurs
du pays. Il conviendra de même qu’il ait prouvé son intégrité
morale et financière pour assainir une société gangrenée par
la corruption et asphyxiée par la dette. Enfin, il faudra qu’il
ait fait preuve, à travers son parcours et ses prises de
positions, sa vraie quête pour la paix civile, pour la justice et
pour le respect de la consociativité de la démocratie libanaise.
Le président de la solution doit joindre en effet toutes ces
conditions réunies.
Le choix d’un président consensuel reste pour nous une
condition nécessaire et indispensable. Cependant, il nous
appartient à tous de bien définir le sens de cette consensualité
à la lumière des intérêts du peuple libanais et de l’avenir
du pays. Le président consensuel ne peut, en aucun cas, signifier
une personnalité incolore et inodore dont le seul avantage, mis
à part d’être maronite, serait qu’elle ait pu, à un instant
politique donné, fédéré le suffrage de tous bords. Ce
consensus à minima ne peut qu’engendrer les difficultés et
attiser les conflits. D’ailleurs, le Liban a connu plusieurs présidents
imposés par la puissance du moment mais qui étaient dénués de
toute vraie représentativité au sein de leurs communautés. Les
Présidents Sarkis ou Lahoud par exemple ont dû passer leur
mandat à justifier leur légalité et l’ont terminé en
catastrophe ne laissant que peu de traces significatives dans
l’histoire du pays.
Le consensus que nous plaidons est le consensus maximal, celui
à travers lequel les différentes parties pourront s’entendre
sur le programme, pourront (re)mettre les bases durables d’une
vie commune pacifique et bâtir les fondements d’un développement
économique prospère. Le nom du Président sortira ainsi
naturellement d’un tel consensus, répondant aux conditions précitées
et s’engageant à en respecter les nouveaux termes.
Ces derniers jours, nous avons constaté de la part des
dirigeants du « 14 mars » des prises de positions prônant
l’ouverture et privilégiant le dialogue. Cette tendance de
conciliation a été relayée -ou était–elle inspirée ?-
par les représentants de quelques puissances régionales et
occidentales. Ceci serait-il le signe d’une vraie volonté
d’ouverture et d’une réelle décision stratégique de tourner
la page et aborder une nouvelle phase d’entente entre libanais ?
Est-ce que ces acteurs, locaux, régionaux et internationaux ont réellement
pris conscience de la gravité de la situation et des risques que
pourrait constituer l’imposition d’un président à
n’importe quel prix ?
Aujourd’hui, il nous est difficile de répondre à ces
questions bien que nous caressions l’espoir de constater la sincérité
des discours tenus. Nous ne voulons point voir ces responsables se
transformer en Ponce Pilate modernes, faisant semblant de lancer
des initiatives d’ouverture afin de « laver leur main »
du « sang » du Liban.
L’histoire n’a pas pardonné il y a 2000 ans et ne
pardonnera pas aujourd’hui.
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